[portrait] Fred Jackson, du rêve à la réalité

Plus vieux running-back en service en NFL avec ses 33 ans en 2014, Fred Jackson est pourtant passé à deux doigts (et vingt kilos) de ne jamais y mettre les pieds....

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Plus vieux running-back en service en NFL avec ses 33 ans en 2014, Fred Jackson est pourtant passé à deux doigts (et vingt kilos) de ne jamais y mettre les pieds. Capitaine indéboulonnable et admiré des Buffalo Bills, son parcours pour en arriver là est aussi une allégorie du rêve américain, du mythe de La Frontière (et quoi de plus logique lorsque vous effectuez toute votre carrière dans une ville située sur celle séparant le Canada des États-Unis, et que l’essai le plus connu sur le thème a été écrit par un historien du nom de…Frederick Jackson Turner). Le dépassement de soi et la volonté de toujours aller plus loin l’auront amené sur les terrains professionnels, le talent, son sens certain de l’éthique et de la communauté en font maintenant un modèle.

Du passé, faisons table rase

Avec un tel parcours, Fred Jackson peut exulter à chaque touchdown marqué

Avec un tel parcours, Fred Jackson peut exulter à chaque touchdown marqué

Si Fred Jackson joue actuellement dans un lieu si froid que même les chutes d’eau parviennent à y geler, c’est au Sud des Etats-Unis que son histoire a pris racine. Né à Arlington, dans la banlieue de Dallas, la maison d’enfance où ses parents les ont élevés, lui et son frère jumeau Patrick, a fait partie du lotissement rasé en 2004 pour laisser place au gigantesque monstre d’acier et de béton que Jerry Jones a construit pour accueillir ses Cowboys. La destruction de la maison familiale pour laisser place à celle de l’America’s Team ne lui a pourtant jamais donné envie de se débarrasser du #22 de son idole d’enfance, Emmit Smith. Et, en 2011, alors que sa saison avait connu une fin prématurée en raison d’une fracture, Fred Jackson en a même profité pour offrir à ses parents et ses trois jeunes sœurs, une maison digne de leurs plus beaux rêves.

A 18 ans, petit, fluet (1m72 pour 80 kilos) et un peu trop lent pour sa position de running-back, son profil n’en fait pas un prospect très intéressant pour les universités de renom et c’est donc à 350 kms à l’Ouest de Chicago, au Coe College, une université de Division III en Iowa qui n’offre pas de bourses aux athlètes, qu’il doit poursuivre sa carrière et ses rêves d’enfiler un jour un maillot pro. Il y accumule les honneurs et les yards, particulièrement en 2002, ainsi qu’un diplôme en sociologie, mais le pedigree d’une telle institution ne peut rien pour lui lorsque la draft 2003 arrive et que son nom ne fait pas partie des 262 joueurs appelés. Tout ceci n’est que la suite logique de sa non-invitation à la NFL Combine et à cet avis d’un scout des Green Bay Packers qui lui indique qu’il « a du talent mais qu’il n’est pas assez bon pour jouer en NFL ».

D’autres joueurs comme Tony Romo, Brendon Ayanbadejo ou Quintin Mikell connaitront le même affront que Jackson alors que des busts comme Johnathan Sullivan ou Charles Rogers seront dans les 6 premiers sélectionnés mais auront sans doute connu là leur seule heure de gloire. Comme quoi, le talent de savoir évaluer le potentiel d’un joueur…

« Si vous voulez qu’il fasse quelque chose, dites-lui qu’il n’est pas capable de le faire. C’est comme ça qu’il joue au football » Ron Raccuia, l’agent de Fred Jackson

Mais si la liste des étudiants illustres passés par le Coe College compte surtout des semi-célébrités plus ou moins connues comme Curt Menefee, le présentateur actuel de la NFL sur Fox, ou Bill Fitch, coach des Celtics champions NBA en 1981, un nom sur celle-ci va changer la vie de Fred Jackson : Marv Levy, coach Hall of Famer des Buffalo Bills, quadruple finalistes d’affilée dans les années 90, mais également coach de cette université dans les années 50.

Les boules et les Bills

Comme nombre de free-agents non draftés, Fred Jackson se doit de trouver un club en passant par les essais. Ceux qu’il réalise chez les Bears, Broncos et Packers se révélant infructueux, le voilà contraint d’accepter le poste de running-back des Sioux City Bandits (dans l’Iowa) de l’obscure National Indoor Football League. Payé 200 dollars par match, avec une prime de victoire de 25 dollars, mais logé par l’équipe durant la saison en plus de coupons-repas offerts, Fred Jackson et sa femme, Danielle, doivent cependant plutôt compter sur leurs réels emplois pour vivre (conseiller pour les jeunes pour lui, employé de crèche pour elle). Et lorsqu’il se dit qu’aucun recruteur NFL ne viendra le chercher dans une équipe où même les kickers démissionnent sur-le-champ en apprenant que le bus ne les emmène pas à l’aéroport mais à leur destination finale, à 18h de route de là, c’est sa femme qui l’encourage en lui indiquant qu’il « doit jouer quelque part de toute façon ». La persévérance, un trait essentiel pour définir la carrière de Fred Jackson.

« Rien de ce que tu obtiens ne pourra t’être enlevé. Souviens-toi juste que le chemin qui te mène là où tu veux aller n’est pas toujours facile mais, une fois arrivé, ça vaut vraiment le coup. » Fred Jackson, dans une note manuscrite laissée à un étudiant ayant du mal à s’adapter à la vie universitaire.

Mais, dans toute histoire, le héros a besoin d’un coup de pouce du destin. Et celui de Fred Jackson viendra par l’intermédiaire de Marv Levy. Lors de son passage à la tête de Coe College, son meilleur joueur de l’époque s’appelait alors Wayne Phillips, celui-là même qui, ayant déménagé au Texas, deviendra le coach des jumeaux Jackson à la Nichols Junior High et les aidera à intégrer l’Universite de Coe College plus tard. La connexion était inscrite dans les cieux du Midwest et, suivant un appel téléphonique de Phillips, Marv Levy avait promis à Fred Jackson de lui offrir un essai pro dès qu’il en aurait le pouvoir.

Devenu GM des Bills en janvier 2006, il invite Jackson, au physique maintenant à la hauteur des exigences du plus haut niveau (1m83, 110 kilos), à participer aux camps de pré-saison des Bills. Le joueur y gagnera une place dans le practice squad. La vie n’étant décidément pas simple pour le natif d’Arlington, les Bills décident également de l’envoyer faire ses gammes dans la feu NFL Europa chez les Rhein Fire de Düsseldorf, où il accumulera en 10 matches plus de 700 yards à la course en 2006.

« L’Indoor League m’a préparé à jouer vite, ce à quoi je n’étais pas habitué. La NFL Europa m’a préparé à être performant à ce niveau de compétition. Je jouais contre d’autres prospects NFL là-bas. » Fred Jackson, sur les bienfaits de ses deux expériences hors NFL.

Mais s’il a maintenant une place dans le roster à son retour d’Europe, le titulaire des Bills s’appelle Marshawn « Beast Mode » Lynch, fraîchement drafté par la franchise new-yorkaise en 12e position de la draft 2007. Entre un rookie de 21 ans sortant de l’Université de Cal et un autre de 26 ans revenant d’Allemagne, la répartition des courses est clairement à l’avantage du plus jeune qui débute 13 matches et accumule 280 tentatives, 1115 yards et 7 touchdowns pendant que Jackson doit se contenter de 300 yards en 58 courses. Et si la saison 2008 voit la balance se rééquilibrer un peu (1036 yard à 571, en faveur de Lynch), c’est en 2009 que la carrière de Fred Jackson va enfin toucher les sommets qu’il s’était promis d’atteindre lorsqu’il n’était encore que le troisième running-back de la Lamar High School d’Arlington.

Star mais pas trop

Titulaire d’une attaque West-Coast, où ses qualités de course en puissance et sur les côtés, mais aussi de réception, peuvent totalement s’exprimer, Fred Jackson passe la barre des 1000 yards sur une saison pour la première fois de sa carrière. Bill Parcells dira même un jour de Fred Jackson qu’il joue comme Roger Craig, le running-back essentiel de l’équipe des San Francisco 49ers des années 80, chantre de cette West-Coast offense.

La carrière NFL de Fred Jackson, longue de 8 saisons maintenant, lui vaut d’être l’un des 5 joueurs non-draftés de l’histoire à avoir dépassé les 5000 yards à la course (comme l’ont aussi fait Arian Foster, Priest Holmes, Willie Parker et Kevin Mack) et les dirigeants de la franchise, malgré la draft de CJ Spiller, savent que tous ses coéquipiers prennent le #22 en exemple, comme le démontre son élection de capitaine d’équipe tous les ans.

« C’est par lui que je commence. Il fait toujours la chose juste, il est toujours au bon endroit. Il s’entraine dur, il montre l’exemple à tout le monde. Il prend la parole quand les choses doivent changer, il a gagné ce droit » Kyle Williams, coéquipier de Jackson aux Bills

Avec un tel parcours, Fred Jackson est tout de même loin des standards et sa participation à de nombreux programmes extra-sportifs prouve que, comme le dit l’adage, il n’a pas oublié d’où il vient. Impliqué, et souvent porte-parole, dans diverses associations comme la Banque Alimentaire de l’État de New York, la campagne Billieve de lutte contre le cancer du sein ou NFL60 pour inciter les jeunes à faire de l’exercice, ce père de 4 enfants (3 filles, 1 garçon) prend son rôle de modèle très au sérieux en dehors des terrains. Mike Billoni, directeur des Relations Publiques de la Banque Alimentaire, atteste de ce fait en évoquant un joueur qui donne « une heure de son temps quand on lui en demande 15mns » et qui « réalise, grâce à son parcours, qu’il est important de redonner à la communauté ».

« Il n’est pas le plus gros, ni le plus rapide mais c’est le plus dur au mal. Il joue blessé. Il va donner des coups. Il est prêt à se sacrifier. Il joue de la façon dont tous les fans voudraient que les joueurs jouent, en donnant tout sur le terrain » Ron Raccuia

Évidemment, ces actions caritatives seules ne suffisent pas à en faire l’un des joueurs préférés des fans car c’est aussi pour ce qu’il représente sur le terrain que Fred Jackson est devenu un Bill qui finira un jour avec son nom sur le Bill Wall of Fame, en compagnie de joueurs comme Thurman Thomas, un autre Texan de naissance et l’autre seul Bill de l’histoire à avoir accumulé plus de 4000 yards à la course et 2000 yards en réception dans sa carrière.

Fred Jackson, ou l’incarnation du rêve américain, celui où votre talent et votre envie peuvent vous emmener à des endroits que vous n’auriez jamais pu imaginer possibles. Même un où les chutes d’eau se transforment en mur de glace…

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