[histoire] Pat Tillman : Arizona Patriot

Plus que l’histoire d’un footballeur, c’est l’histoire d’un Américain. D’un patriote qui a abandonné sa passion pour servir son pays. Pour faire ce qu’il pensait être juste. Parti en Afghanistan...

Plus que l’histoire d’un footballeur, c’est l’histoire d’un Américain. D’un patriote qui a abandonné sa passion pour servir son pays. Pour faire ce qu’il pensait être juste. Parti en Afghanistan combattre les talibans, Pat Tillman a payé son engagement au prix fort. Alors qu’il aurait pu conserver le confort que lui offrait son statut de joueur NFL, il a préféré s’enrôler. Du désert de l’Arizona, aux montagnes arides de l’Asie Centrale. Un choix du cœur. Un choix mortel.

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L’Arizona a conquis son cœur

Arizona Dream

Natif de San José, en Californie, Pat Tillman est un talent précoce. Dès le lycée, il se révèle un footballeur plein de promesses. Avec la Leland High School il conquit le titre dans la Central Coast Division I. Ses prouesses ne passent pas inaperçues et ses efforts sont récompensés en 1994 lorsque l’université d’Arizona State lui accorde sa toute dernière bourse d’études. À Phoenix, il s’épanouit. En classe comme sur le terrain, le jeune homme impressionne. Plein d’enthousiasme et malgré sa petite taille (1m80) le linebacker contribue activement à l’historique saison des Sun Devils en 1996. Invaincus, les joueurs d’ASU s’offrent un ticket pour le Rose Bowl. L’année suivante, il est élu défenseur de l’année de la Pac-10 et couronné MVP de son équipe.

Comme si ses faits d’armes sur le terrain ne suffisaient pas, il collectionne les récompenses en salle de cours. Car en plus d’être un athlète accompli, Pat Tillman en a dans le crâne. Honoré du Clyde B. Smith Academic Award en 1996 et 1997, il est élu Sporting News Honda Scholar-Athlete of the Year en 97 et Sun Angel Student Athlete of Year l’année suivante. C’est un diplôme en marketing sous le bras qu’il quitte les bancs de la fac pour la NFL.

Et il n’aura pas à aller très loin. Devenu une célébrité locale sous les couleurs des Sun Devils, il est drafté au 7e tour par les Cardinals. L’Arizona l’a adopté. Reconverti en safety, il conquit ses coachs et débute 10 rencontres dès sa première année. Fidèle aux Cards et à l’Arizona, il décline une alléchante offre des St. Louis Rams. Pat Tillman est un homme de conviction. Et la loyauté n’est pas un vain mot pour lui.

En 2000, la belle histoire se poursuit. Le linebacker devenu safety vole aux quatre coins du terrain et amasse 155 plaquages, dont 120 solos. À cela, il ajoute 1,5 sack, 2 fumbles forcés, autant de recouverts, 9 passes détournées et une interception. Une saison pleine.

Joueur de devoir et homme de devoir. Le 11 septembre, l’Amérique est frappée. Le pays tout entier est ébranlé et Pat Tillman n’échappe pas à la règle. Loyal jusqu’au bout, il poursuit la saison jusqu’à son terme. Mais son esprit est ailleurs. Il n’a plus la tête au football. En mai 2002, il décline une offre de 3 ans et 3,6 millions de dollars pour s’enrôler dans l’armée. Le 31 mai, il s’engage officiellement, de même que son frère. Alors que Pat vient de mettre un terme à sa carrière de footballeur, Kevin, fraîchement signé par les Cleveland Indians, dit adieu à ses rêves de joueur de baseball professionnel.

L’appel du devoir

La décision de Pat Tillman d’abandonner le confort de la vie de footballeur professionnel pour le danger et l’insécurité du front, bien des sourcils se dressent. Certains sont sceptiques quant à son engagement. Des doutes qui s’envoleront aussitôt que le joueur déclinera l’offre de prolongation. Le désormais retraité est déterminé. Aussi sûr de lui et de son devoir qu’il l’était tout au long de sa carrière. S’il a toujours envie de se battre, il a changé de champ de bataille, troquant les terrains de la NFL contre les montagnes afghanes. Un choix du cœur, mais un choix réfléchi pour un homme aux antipodes du cliché conservateur-de-droite-religieux-pro-guerre. Agnostique, voire athée, érudit ayant lu tant la Bible que le Coran et le Livre de Mormon, et pacifiste très critique vis-à-vis de la guerre en Irak, son engagement relève du patriotisme le plus pur et simple. Un engagement plus émotionnel que politique.

« Le sport représente de nombreuses valeurs auxquelles je crois profondément, » confie-t-il en 2002. « Mais ces dernières années, et encore plus depuis les récents événements, j’ai commencé à réaliser à quel point mon rôle était insignifiant… Ça n’a plus d’intérêt. »

L’ancien Cardinal quitte le sable de l’Arizona pour les rives du Potomac. À Washington D.C. il poursuit sa formation et en profite pour épouser son amour d’enfance. Déployé en Irak aux premiers jours de l’invasion, il retourne aux États-Unis pour intégrer la Ranger School, en Georgie. Aussitôt diplômé en novembre 2003, il retourne au front au sein du deuxième bataillon du 75e Régiment de Rangers. Le 22 avril 2004, il est abattu par un tir ami. De même qu’un membre des forces armées afghanes. L’état major américain prétend tout d’abord que Tillman et sa patrouille ont été pris dans une embuscade près de la frontière pakistanaise

Les mystère entourant les circonstances de sa mort ne sont pas entièrement levés. Sa famille exige des réponses qui tardent à venir. Alors que les révélations dans les médias se font de plus en plus nombreuses, la thèse du tir fratricide grandit. Il faudra finalement attendre l’enquête commanditée par le Département d’État à la Défense et le Congrès américain pour que sa mort soit officiellement reconnue comme étant le fait de tirs amis. Des rapports officiels démontreront que l’Armée connaissait la vérité avant même les obsèques de l’ancien joueur, mais qu’elle avait préféré garder le silence.

Une nouvelle enquête du Pentagone en 2005 révèlera que la patrouille de Tillman a été contrainte de se séparer après qu’un de leurs véhicules soit tombé en panne au cours d’une mission de routine. Une partie des hommes est chargée de sécuriser l’engin, tandis que l’autre est chargée de poursuivre la recherche d’un village dont elle était chargée. Quand les soldats restés protéger le véhicule se retrouvent pris sous le feu de talibans, la confusion s’installe. Revenus porter secours à leurs frères d’armes, Pat Tillman et l’autre moitié sont pris pour des ennemis. L’ancien Cardinal est atteint trois fois à la tête en tentant de protéger un jeune soldat.

Parti combattre pour ce qu’il pensait être une juste cause, l’ancien safety y a trouvé la mort. Fin du chemin pour un homme au parcours inédit, atypique, unique.

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Pat a troqué le casque NFL contre le béret de Ranger

The Patriot

Des investigations supplémentaires révéleront que des membres de l’État Major et de l’administration Bush auraient , à dessein, détruit des vêtements et notes manuscrites appartenant au défunt soldat et n’auraient pas hésité à dissimuler certaines parties de son corps pour masquer la vérité. Bien des années après, la famille de Pat Tillman demeure dans le doute et n’a pas abandonné sa quête de la vérité absolue sur les circonstances de sa mort.

« Ça n’est pas pour Pat, c’est pour ce qu’ils lui ont fait et ce qu’ils ont fait à la nation, » expliquait sa mère, Mary Tillman. En maquillant la vérité, ils atténuent leur véritable bravoure. Peut-être que la vérité n’est pas belle, mais la guerre n’est pas belle. C’est sale, sanglant, douloureux. Et écrire ces contes débordant d’héroïsme, c’est vraiment desservir la nation. »

Silver Star, Purple Star, Meritorious Service Medal, Army Achievement Medal, National Defense Service Medal. Ses décorations posthumes sont nombreuses. Dans l’Arizona, l’émotion est grande. Son numéro 42 est retiré par les Sun Devils, son 40 disparait à jamais des maillots des Cardinals. En 2010, il est introduit au College Football Hall of Fame. L’aire entourant le University of Phoenix Stadium est rebaptisée Pat Tillman Freedom Plaza, tandis qu’une statue de bronze à son effigie est inaugurée. ASU multiplie également les hommages. Aujourd’hui encore, les Sun Devils portent le sigle « PT-42 » sur l’arrière de leur col. L’école de droit de Lincoln à San José, sa ville natale, inaugure une bourse à son nom. Des ponts, des terrains et même une base militaire à la frontière afghano-pakistanaise portent son nom.

Malgré toutes rumeurs de dissimulation et d’instrumentalisation pesant sur l’Armée, la mort de Pat Tillman a généré un élan de compassion immense, dépassant de loin les frontières de l’Arizona. Le 19 septembre 2004, toutes les équipes de la ligue portent un patch en son honneur. Les Cardinals étrenneront jusqu’à la fin de la saison. L’ancien Cardinal Jake Plummer, désormais à Denver, lui rend hommage à sa façon en se laissant pousser la barbe et les cheveux. Un look identique à celui de Tillman avant sa retraite sportive. Le trio de linebackers d’Ohio State A.J. Hawk, Bobby Carpenter et Anthony Schlegel en fait de même. La Pac-10 rebaptise le trophée honorant le meilleur défenseur de l’année Pat Tillman Defensive Player of the Year.

Personnalité attachante. Joueur passionné. Homme loyal et dévoué. Pat Tillman était avant tout un patriote. Bravant ses convictions, il a abandonné son rêve pour se battre. Un choix qu’il a payé au prix fort. Bien malgré, lui il est devenu une icône moderne du patriotisme américain. Symbole de dévouement envers la bannière étoilée. Exemple de soldat modèle. Un paradoxe pour un homme que la guerre rebutait.

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