[histoire] San Diego Chargers 80’s : Air Coryell

Ladies and gentlemen, le commandant de bord et son équipage vous souhaitent la bienvenue à bord du vol Air Coryell 1978 à destination des airs. Accrochez bien vos ceintures, ouvrez...

Ladies and gentlemen, le commandant de bord et son équipage vous souhaitent la bienvenue à bord du vol Air Coryell 1978 à destination des airs. Accrochez bien vos ceintures, ouvrez grands les yeux, le spectacle va bientôt débuter. Au crépuscule des 70’s, les éclairs jaillissent de toute part du côté de San Diego. Menés par Don Coryell, les Chargers font s’abattre la foudre sur les défenses adverses. Rarement attaque aura été aussi explosive et enthousiasmante. Bien avant les Rams des années de 2000, une décennie plus tôt que les 49ers de Bill Walsh, les Sud-Californiens choisissent la voie des airs. Une véritable révolution qui va à jamais changer le visage de la NFL.

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Ça lui arrive aussi de sourire. Parfois.

Le Don de San Diego

En bon natif de Seattle, le fief de Boeing, c’est sans surprise que Don Coryell fait de la quête des airs sa priorité. Quand il pose ses valises à quelques lieues de la frontière mexicaine, Don et son éternelle mine renfrognée traînent déjà derrière eux plus d’un quart de siècle de coaching. De Hawaii à St. Louis, en passant par LA et les Trojans de USC, le cinquantenaire compte des milliers d’heures de vol à son actif. Et surtout, il a développé au fil des années une philosophie offensive très aérienne. Le plancher des vaches ne l’enchante guère. Son dada, c’est la verticalité. Toujours plus haut.

« Je crois en un style de jeu délibérément ouvert, » confiait Coryell au moment d’être embauché par les Cards. « J’aime lancer le ballon. Je crois qu’il faut agresser les défenses. »

Seul coach à atteindre la barre des 100 victoires sur un banc universitaire comme professionnel, Don Coryell a véritablement révolutionné une ligue jusque-là obsédée par la course. Il est le pionnier d’une nouvelle mentalité offensive, une nouvelle philosophie qui va radicalement changer la nature même du football pratiqué dans la NFL. Bien avant la West Coast offense de Bill Walsh. Le football que l’on connaît aujourd’hui, on le doit en grande partie au Don de San Diego.

« Don est le père du jeu aérien moderne, » confiait l’ancien coach des Rams, Mike Martz. « Les gens parlent de la West Coast offense, mais Don a initié la ‘West Coast’ il y a des décennies et continue de l’améliorer. Regardez la NFL aujourd’hui et vous verrez énormément d’équipes utiliser une version du schéma offensif de Coryell. Les coachs y ont ajouté leur touche personnelle, mais ça reste l’attaque de Coryell. Il a des disciples partout à travers la ligue. Il a changé le jeu. »

Même Bill Walsh, canonisé père de la West Coast, n’est qu’un héritier d’Air Coryell parmi tant d’autres. Sans ce dernier, la West Coast offense n’aurait peut-être jamais vu le jour. C’est d’ailleurs à une erreur d’un journaliste que le vieux Bill doit la paternité de celle-ci ; car à l’origine, c’était le petit nom donné au jeu pratiqué par l’escouade offensive de San Diego. Fortement inspirée de la philosophie de Sid Gillman, ancien coach des Chargers dans les 60’s, imposant aux défenses de couvrir l’ensemble du terrain, l’attaque déployée par Don repose sur un timing et un tempo savamment pensés. Presque mécaniques. Coryell y ajoute du piment en faisant se déplacer ses receveurs le long de la ligne de scrimmage profitant au maximum des nouvelles règles limitant au strict minimum les contacts près de la ligne d’engagement. Poussant le vice à son maximum, il étend cette méthode jusqu’aux coureurs et tight ends. Une stratégie qui trouble les défenses et permet de mieux lire leurs intentions et leurs couvertures avant le snap.

Les receveurs peuvent changer de position n’importe quand, d’un bout à l’autre de la ligne, obligeant les défenses à s’adapter et ajoutant toujours un peu plus d’incertitude. Les passes sont lancées avant même que les cibles n’aient atteint leur position, une tactique qui déroute les défenseurs à l’époque. Des cibles qui disposent de deux, voire trois, options afin d’ajuster leur tracé selon le marquage proposé par les défenses pendant le jeu. Sur chaque action, la priorité est claire : lancer le cuir en profondeur. Toujours plus loin, plus fort, plus vite. Jusqu’au bout de l’extrême limite. Mais la particularité de l’attaque de Don Coryell, plus encore que celle de Sidman, c’est de prévoir de multiples solutions de replis. Outre les options des receveurs, elle prévoit également des screen pass et autres tracés courts de secours, moyen de parer à toute éventualité et de s’adapter au mieux aux défenses une fois le ballon mis en jeu. Pas de place à l’improvisation, tout est méticuleusement pensé.

« Sid (Gillman) n’est jamais allé aussi loin que Don (Coryell) pour ce qui est de déplacer les joueurs et utiliser de multiples receveurs sur le terrain, mais c’est justement là que Don était si bon, parce qu’il pouvait tout simplement voir que si on ajoutait un receveur là, ça allait créer d’énormes problèmes pour la défense. C’est à ça qu’il pensait en permanence, » explique Tom Bass, ancien assistant de Coryell.

Don Coryell aime aligner jusqu’à cinq receveurs avec des tracés divers et variés destinés à couvrir autant de terrain que possible et d’étirer au maximum les défenses afin de les rendre vulnérables. Un système qui requiert un pocket quarterback avec un bras solide et deux receveurs de profondeur capables d’aller loin vite et de s’ajuster aux longs lancers. L’Air offense de Coryell repose sur trois armes. La première, un jeu de course perforant au cœur de la ligne ; la deuxième, la capacité de frapper loin vers une ou deux cibles sur n’importe quel jeu ; et la troisième, ne pas se contenter de ces deux options, mais recourir massivement à tous les joueurs offensifs disponibles sur des tracés intermédiaires. Le Don de San Diego aime multiplier les possibilités. Les coordinateurs défensifs adverses, nettement moins.

Toujours plus révolutionnaire, Don Coryell est le premier coach à utiliser son tight end comme un receveur. Le cobaye : Kellen Winslow. Souvent cantonnés à un rôle de bloqueur ou de solution de secours, les tight ends vont prendre une autre dimension sous le soleil de San Diego. « Un receveur dans un corps de lineman offensif, » résume parfaitement Al Saunders, ancien coach assistant des Chargers. Un moyen d’ajouter toujours plus d’incertitude pour les défenses et de profiter des différences de gabarits entre les tights ends et les cornerbacks ou safeties. Poussant l’innovation toujours un peu plus loin, Coryell ajoute un tight end dans ses formations pour ne laisser qu’un coureur dans le fond du terrain. Impensable à l’époque. Des idées novatrices qui poursuivent un but unique : trouver et exploiter la moindre faille. Car c’est la clé de l’attaque du Don. Toujours créer et exploiter les déséquilibres, les face-à-face inégaux, les mismatches.

« Je me souviens d’une fois, durant un match, il vient vers moi et me dit, « Qu’est-ce qui arriverait tu penses si je bougeais un receveur vers l’intérieur et l’alignait comme un tight end ? » » se souvient Tom Bass. « Je lui ai répondu, « Purée, j’en sais rien Coach. Je ne sais pas s’ils rapprocheront le cornerback ou autre chose. » Il a répliqué, « Bien, s’ils laissent le safety où il est, il y aura un déséquilibre. » Je lui ai dit, « Vous avez raison. » Il l’a fait et on a marqué un touchdown. »

L’audace et la créativité, les maîtres mots de la méthode Coryell. Toujours en quête de nouveautés, de terrains inexplorés.

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Bring back those old uniforms !

Ding, Dan, Don

Le 25 septembre 1978, Coryell s’engage officiellement chez les Chargers. Le même jour, le vol 182 de la Pacific Southwest Airlines entre en collision avec un Cesnna privé et s’écrase dans la banlieue de San Diego. 144 personnes perdent la vie. Triste coïncidence. Un jour funeste, mais pas un mauvais présage pour l’attaque aérienne de Don. Lorsqu’il débarque dans l’America’s Finest City, la NFL n’a d’yeux que pour la pro set. Ou presque. Une formation basique, privilégiant la course et profitant de ses deux coureurs pour leurrer les défenses et tenter de longues passes. De temps en temps. Du côté des St. Louis Cardinals, Coryell a repris ce schéma à sa sauce en mettant, ô surprise, l’emphase sur les airs. Une méthode qui a connu son petit succès et permis aux Cards de glaner deux titres de division. Dans le sud de la Californie, bien aidé par un équipage cinq étoiles, la philosophie de Don Coryell va faire des étincelles.

À la tête de l’escadrille, Dan Fouts. Le quarterback tout désigné pour mener l’attaque de Coryell. À San Diego depuis 73, le passeur va s’épanouir comme jamais dans le rôle du pilote de tête d’une escouade tout feu tout flamme. Il faut dire qu’il est bien entouré : John Jefferson, Wes Chandler, Charlie Joiner, Kellen Winslow et le coureur Chuck Muncie. Tous Pro Bowlers ou Hall of Famers. Avant de quitter le soleil de San Diego pour le froid glacial de Green Bay à l’issue de la saison 1980, Jefferson enchaîne trois années à plus de 1000 yards et amasse 38 touchdowns. Son successeur fera aussi bien. Malgré une saison réduite à 9 rencontres à cause d’une grève en 1982, Wes Chandler avale 1032 yards et visite 9 fois la endzone. 22 fois il gagnera 100 yards ou plus. En 82 il vole au-dessus des Bengals et collecte 260 yards. 3 ans plus tard, il récidive face aux Seahawks et gagne 243 unités. Le maillot des Chargers sur les épaules durant tout le règne de Coryell, Charlie Joiner prendra sa retraite à 39 ans avec l’étiquette des records de yards et réceptions dans la musette. À qui ou quoi doit-il pareille longévité ?

« Grâce à l’attaque de Coach Coryell et son jeu à la passe révolutionnaire, il a rallongé ma carrière, du jour où je suis arrivé je suis les Chargers jusqu’au jour de ma retraite. Je lui serai éternellement reconnaissant pour ça et ce qu’il a apporté au football. »

Une longévité et surtout une intelligence de jeu et une précision qui en font un pion essentiel de l’attaque de Coryell. « Le plus intelligent, le plus malin, le plus calculateur receveur qu’il n’y ait jamais eu » selon Bill Walsh, qui a croisé Joiner du côté de Cincinnati. Derrière ce trio de receveurs, un monument.

En 79, Dan Fouts rejoint Joe Namath dans le club très très sélect des passeurs à franchir la barrière des 4000 yards sur une saison. Une performance qu’il rééditera à deux reprises avec en point d’orgue un 4802 yards tout simplement phénoménal pour l’époque et dont il n’aurait pas à rougir dans la NFL d’aujourd’hui. Bien aidé en cela par un Chuck Muncie aimanté par la endzone. De 81 à 83, le coureur goutera au parfum de la peinture à 39 reprises. Et rien qu’au sol ! Un Capitaine de génie, un équipage de haut vol. Les ingrédients parfait pour un numéro de haute voltige maîtrisé de A à Z.

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Le tight end nouveau est arrivé !

À la conquête des airs

Lorsqu’ils conquièrent le titre de la Western Division de l’AFC en 1979, les Chargers deviennent le premier champion à lancer (541 jeux) plus qu’ils ne courent (481). En 8 saisons dans le sud du Golden State, les hommes de Coryell auront mené la ligue en yards aériens à 7 reprises. De 78 à 83, leur règne est sans partage. Un record. De 1980 à 1983, puis en 85, ils sont l’attaque la plus gourmande en yards de la ligue. Au sol comme dans les airs. « L’une des attaques les plus explosives et excitantes à avoir foulé un terrain NFL, » affirme un Pro Football Hall of Fame qui a pourtant (jusqu’ici) refusé d’ouvrir ses portes à Don Coryell. À l’inverse du Hall of Fame universitaire.

De 1979 à 1982, en 57 matchs, les Chargers enregistrent une moyenne hallucinante de 28 points par match, infligeant quelques volées mémorables, comme un 55-21 face aux rivaux californiens d’Oakland en novembre 81 ou un 44-7 contre les Giants un an plus tôt. Mais si les yards, les touchdowns et les points s’amoncèlent à la vitesse de la lumière et dans des proportions gargantuesques, les titres ne viennent toujours pas. Et ne viendront jamais. C’est là le grand mal de ces Chargers version Eighties. Pareils aux prolifiques Vikings de 1998, ils se cassent les dents sur la dernière marche. Après un revers face aux Oilers en Divisionnal Playoffs en 81, ils voient par deux fois les portes du Super Bowl se refermer sur leur nez les deux saisons suivantes. Leurs bourreaux : les Raiders puis les Bengals. En 1982, dans une saison écourtée par une grève et un format de playoffs à 16 équipes inédit ils ne vont pas au-delà du 2e tour malgré un Dan Fouts nommé joueur offensif de l’année.

En tout et pour tout, les Chargers de Don Coryell ne remporteront que trois titres de division avant de s’abonner à la 5e place de l’AFC Ouest durant de nombreuses saisons. Ils ont raté le coche. En maigres consolations, Fouts le barbu et son tight end moustachu, Kellen Winslow, seront sacrée MVP du Pro Bowl en 82 pour le premier, en 81 pour le second. Mais au-delà des maigres succès collectés par Don Coryell, c’est sa vision nouvelle du football, son approche révolutionnaire et son génie stratégique qui marquent à l’époque et aujourd’hui encore.

« Je dis toujours aux gens que le meilleur jour de la semaine, ça n’était pas le dimanche, mais le mercredi quand on découvrait le plan de match, qu’on s’asseyait et qu’on se disait, « Oh ouais, parfait, ils ne peuvent pas nous arrêter, » explique Dan Fouts. « Ou encore, « Carrément, ils ne peuvent pas nous arrêter avec ça, » ou bien, « Comment vont-ils pouvoir arrêter ça? » On quittait la réunion aux anges parce qu’on savait que ça se passerait bien le dimanche. »

Ancien boxeur et parachutiste durant la Seconde Guerre mondiale, Coryell n’a peur de rien témoignent ses anciens joueurs et collègues. Un tempérament aventureux appliqué à la science tactique que requiert le football. Un savant mélange qui a bouleversé à jamais la NFL et dont tous les coachs qui lui ont succédé, aussi novateurs fussent-ils, ont été nourris. John Madden, Joe Gibbs, Jim Mora, tous ont été assistants de Coryell et ont répandu sa bonne parole. Le football moderne, c’est celui de Don Coryell. Ce football qui s’est affranchi de toutes les sacro-saintes normes qui régissaient le jeu pour tenter, oser, essayer, créer. L’audace, le résumé parfait de ce qui a mené le Don a partir à la conquête des airs, repoussant toujours un peu plus loin les tactiques. L’audace, c’est après tout à ça que tient la conquête des airs. Et pas seulement sur le pré vert.

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