[portrait] Roger Goodell, le moment de vérité

Etre à la tête de la ligue de sport la plus puissante des Etats-Unis n’est certainement pas de tout repos, mais ce n’est pas vraiment pour cela que bien des observateurs...

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Etre à la tête de la ligue de sport la plus puissante des Etats-Unis n’est certainement pas de tout repos, mais ce n’est pas vraiment pour cela que bien des observateurs voudraient maintenant que Roger Goodell quitte son poste de Commissioner. Lorsqu’il a pris ses quartiers dans son bureau du 345 Park Avenue le 1er septembre 2006, l’ancien stagiaire devenu maître du monde (ou presque) portait en lui de belles promesses qui se sont, huit ans après, tranformées en casseroles. L’exercice du pouvoir est tel que ses vingt premières années au service du « blason », symbole qu’il se fait fort de dire défendre à la moindre occasion, ont été effacées et remplacées par ces dix dernières années de décisions contradictoires, surprenantes, impulsives et polémiques. Les trains qui arrivent à l’heure sont toujours beaucoup moins intéressants que ceux qui arrivent en retard, là-dessus Roger Goodell en connait maintenant un wagon.

La chance du débutant persistant

La UNE du Time Magazine de 2012, où le magazine se demandait, sérieusement, si Goodell pouvait sauver le football....

La UNE du Time Magazine de 2012, où le magazine se demandait, sérieusement, si Goodell pouvait sauver le football….

Né à Jamestown, à une heure au Sud de Buffalo, Roger Goodell n’est pourtant pas qu’un simple provincial ayant atterri par hasard à New York, à l’un des postes les plus convoités qui soit, si prestigieux que Condoleezza Rice, elle-même, déclarait au New York Times en 2002 que c’était un job auquel elle ne pourrait résister. Roger Goodell est en effet le troisième des cinq fils qu’a eu le Sénateur républicain Charles Goodell, et pourtant “remplaçant” du prestigieux démocrate Robert Kennedy au Congrès americain au lendemain de son assassinat en 1968. Son père, porteur d’un texte législatif voulant mettre fin à la guerre du Vietnam, qui lui vaudra l’inimitié de Richard Nixon, lui en tira une morale : « Reste en phase avec tes principes et fais face aux conséquences ».

Famille prestigieuse donc, mais parcours classique d’un jeune homme doué dans trois sports : football, basketball et baseball. Au lycée de Bronxville, il est d’ailleurs le capitaine des 3 équipes dans lesquelles il joue et, sans trop de surprise, est même nommé « Athlète de l’année ». Mais, alors qu’il espérait continuer sa carrière de Defensive Back au « Washington & Jefferson College » en Pennsylvannie, une grave blessure au genou met une fin définitive à ses rêves sportifs et le pousse vers des études d’économie, dont il sortira quatre ans plus tard avec un prix d’excellence.

Passionné de football depuis tout petit (à tel point qu’il se souvient dormir avec le ballon officiel de la NFL « Duke » alors qu’il avait 6 ans), son idée de travailler pour la NFL, qui a germé au lycée, le pousse à entamer une campagne de mailing intensive. Sur les quarante lettres qu’il envoie aux franchises pour proposer ses services, quarante refus lui reviennent. Pas besoin d’être excellent en maths et en probabilité pour savoir que sa chance est faible d’intégrer son Graal.

Cette chance, il va pourtant l’avoir grâce à une nouvelle lettre envoyée, celle-ci, directement au QG de la ligue et adressée à Pete Rozelle, le maître des lieux en 1981. Arrivée entre les mains du Directeur Exécutif, Don Weiss, ce dernier lui indique qu’aucun poste n’est disponible mais rajoute, cordialement, « Si ça vous arrive de passer dans le coin, passez-nous voir ». Goodell, bien qu’à plus de 7h de voiture de New York, décroche son téléphone et prévient Don Weiss que « par hasard, il se trouve être dans le coin et qu’il passera le lendemain matin à son bureau ». Aussitôt engagé comme stagiaire pour son côté sympa, il n’en sortira plus et va gravir les échelons un à un jusqu’au sommet. Si l’on peut reprocher énormement de choses à Roger Goodell, on ne peut lui reprocher d’avoir du culot. La conférence de presse assez hallucinante de septembre dernier sur les nouvelles règles de conduite, que le génial John Oliver s’est chargé de demonter, en a encore été une preuve…

 

Un bras droit efficace
Stagiaire pour 3 mois au QG de la ligue donc, les New York Jets proposent à Goodell le même poste dans leur département de Relations Publiques avant de lui offrir, l’année suivante, une place d’entraineur. Décidant de rester dans la même filière, il rentre donc au bercail et devient, en 1984, assistant dans le bureau des Relations Publiques de la NFL.

C’est depuis ce poste que, trois ans plus tard, Pete Rozelle le nomme Assistant du Président de la Conference AFC, Lamar Hunt en l’occurrence, le propriétaire historique des Kansas City Chiefs et inventeur du terme « Super Bowl » lorsque l’AFL fusionna avec l’ancienne NFL en 1967. Goodell dira plus tard qu’au contact de Hunt, il aura appris « à toujours innover et à ne jamais rester dans le statu-quo ». Et ce statu-quo que la ligue connaissait à son sommet depuis 1960 et la désignation de Pete Rozelle comme « Commissioner », l’arrivée de Paul Tagliabue comme grand patron en 1989 y met fin. Sous le régime de Tagliabue, Goodell poursuit son ascension et participe, de façon active, au développement de la NFL pour en faire un concurrent direct de la NBA, au plus fort de son attractivité à la fin des années 90.

L’expansion de la ligue, donnant naissance aux Jacksonville Jaguars et aux Carolina Panthers en 1991, se déroule sous sa supervision. En 2002, devenu Vice-Président exécutif, alors que les Houston Texans deviennent la dernière équipe à voir le jour en NFL, il fait passer les Seahawks de l’AFC à la NFC Ouest et crée les divisions Sud dans l’AFC et la NFC, lors d’un réalignement drastique qui donne encore sa forme, aujourd’hui, aux divisions NFL.

La NFL Europe est également son domaine, tout comme l’est le developpement des stades, en faisant de véritables bijoux (grâce à l’argent des contribuables, diront ses détracteurs), une pierre de plus dans le jardin d’une ligue devenue au milieu des années 2000 la ligue préférée des Américains, la NBA ayant beaucoup perdu avec la retraite de Michael Jordan et la MLB (baseball) étant enferrée dans de sempiternelles rumeurs de dopage de ses plus grandes stars. La NFL a aussi pour elle sa rareté et, comme le dit le syllogisme, « tout ce qui est rare est cher ». Une quinzaine de matches de saison régulière tous les dimanches pendant 4 mois rendent le produit NFL brillant et incontournable, permettant  la signature  d’énormes contrats télés assurant l’avenir de la ligue (la seule à diffuser ses matches gratuitement aux Etats-Unis) et les innovations technologiques, comme le système de replay dans les stades qui participent à la lisibilité du sport. La mise en place de NFL Network, avec son innovation géniale appelée «Red Zone», fait encore rentrer un peu plus la NFL dans les foyers américains.

Si Paul Tagliabue est vu, à sa retraite en 2006, comme un Commissioner à l’héritage positif (qu’il scellera définitivement lors de son jugement indépendant de l’affaire du « Bounty Gate » des Saints en 2012, au cours duquel il contredira les conclusions de Goodell) , Roger Goodell porte une grande part de responsabilité et c’est sans énorme surprise qu’il est nommé « Commish » (comme l’indique son compte Twitter @NFLCommish) par les 30 propriétaires qui sont, de fait, ses patrons. Très grassement payé pour la fonction (45 millions de dollars en 2013), Jerry Jones, le propriétaire des Cowboys, indique que « sa remunération est justement faite pour le rendre indépendant » lorsqu’il doit trancher. L’un des problèmes d’ailleurs du règne de Goodell : aimer être à la fois juge et partie.

 

The Goodell, The Bad and The Ugly
« No Fun League », c’est ainsi qu’est surnommée la NFL en 2014 suite à toute la politique de « normalisation » qu’a pu entreprendre Goodell depuis son entrée en fonction. En sanctionnant les joueurs célébrant trop ardemment leurs exploits sur les terrains, le Commish les a privés d’un exutoire compréhensible et a privé les fans de moment d’allégresse partagée avec leurs idoles. Pourtant, c’est bien Roger Goodell qui nous offrira ce moment d’anthologie sur la scène du Radio City Hall, lors de la draft 2012, accueillant Melvin Ingram d’une façon dont on aurait du mal à croire qu’elle pourrait être celle d’Adam Silver, son alter-ego à la tête de la NBA depuis février dernier, lors du même type d’événements

 

Mais si les célébrations pénalisées n’avaient été que le seul problème, Roger Goodell n’aurait pas une aussi mauvaise presse auprès des fans et des journalistes.

 « C’est un menteur. Il ment. Je pense que ce mec ment. Si on le faisait passer à un detecteur de mensonges, il le louperait » Bill Simmons à propos de Goodell et de la vidéo de Ray Rice.

Si le créateur du site Grantland a été suspendu 3 semaines par ESPN pour ses propos, il ne faisait sans doute que traduire l’exaspération du public face au dernier raté de la communication de Goodell.

En 2007, son jugement dans le scandale du Spygate (où les Patriots avaient été surpris en train d’enregistrer les signaux défensifs des coaches des Jets) semble raisonnable, privant New England de son premier tour de draft et infligeant de lourdes amendes a Belichick et à l’équipe. Mais il semble vouloir enterrer l’histoire à tout jamais en faisant détruire les preuves vidéos, une combine digne des plus mauvais navets d’ « Hollywood Night » sur TF1. L’histoire du « Bounty Gate » nous montrera également le Commish sortir la sulfateuse, sans preuves substantielles et avérées, contre Gregg Williams, le coordinateur defensif, Mickey Loomis, le GM , plusieurs joueurs (dont Jonathan Vilma) et même contre Sean Payton dont la défense consistait à dire qu’ « il ne savait pas ». A ça, Goodell lui répondra que l’ignorance n’est pas une excuse assez solide. Etrange pour un Commissioner qui utilisera, lui aussi, cette «ignorance »  comme ligne de défense lorsqu’il lui sera reproché d’avoir puni trop légèrement Ray Rice, avant la divulgation de la vidéo montrant l’intérieur de l’ascenseur.

Cette question des violences domestiques des joueurs semble avoir d’ailleurs pris énormement d’ampleur depuis quelques mois, avec Roger Goodell portant son chapeau blanc (© Olivia Pope) de justicier. Néanmoins, il ne faudrait pas oublier qu’il aura fallu plus de 56 cas d’ « abus domestiques » depuis 2007 (et seulement 13 matches de suspension donnés…) pour que la NFL prenne enfin le problème en main et décide d’un « code de conduite » imposant des lignes strictes et définies sur les sanctions encourues.

Enfin, alors même que la ligue se veut être plus protectrice des joueurs en limitant le plus possible les impacts sur le terrain (à la limite du ridicule sur certaines actions, avouons-le…), la NFL cherche déjà depuis quelques années à étendre la saison régulière a 18 matches, après avoir déjà imposé plus de matches du jeudi au cours desquels les joueurs, fatigués, ne produisent que très rarement du grand spectacle et sont à la plus grande merci des blessures. Alors que les revenus de la NFL étaient l’an dernier de plus de 10 milliards de dollars, elle a conclu un accord de seulement 765 millions de dollars avec les anciens joueurs afin d’éviter de se retrouver devant les tribunaux, poursuivie pour être la cause de tant de maladies dégénératives. Ou comment « protéger le bouclier » s’est transformé en « protéger le chéquier »…

 

On dit souvent qu’il faut attendre avant de pouvoir réellement juger les dirigeants des plus hautes institutions, des points négatifs à court terme pouvant se révéler positif sur le long terme.
Pourtant, Roger Goodell semble être arrivé à un point de non-retour en terme de communication (quand Rolling Stone fait un article énumérant les 66 raisons pour lesquelles vous devriez démissionner, vous n’êtes pas dans la meilleure des positions…). Combien de temps sera-t-il encore ce NFL Commissioner, parti du bas pour arriver tout en haut, peut-être beaucoup trop haut…
En attendant, peut-être écoute-t-il de façon prémonitoire, seul dans son bureau du 345 Park Avenue, ce morceau mythique de Gang Starr « Moment of Truth », Guru y clamant « On dit qu’en haut, on est tout seul, dans tout ce qu’on fait. Vous devez toujours vous méfier des enfoirés autour de vous. Personne n’est invincible, aucun plan n’est parfait. On doit tous affronter notre moment de vérité ». Celui de Roger Goodell semble être arrivé…

 

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