[histoire] Johnny Unitas : The Golden Arm

Pour l’université de Notre Dame, il était trop petit. Pour les Steelers de sa Pittsbught natale, il n’était pas assez intelligent. Pour les Baltimore Colts, il était tout simplement parfait....

Johnny+UnitasPour l’université de Notre Dame, il était trop petit. Pour les Steelers de sa Pittsbught natale, il n’était pas assez intelligent. Pour les Baltimore Colts, il était tout simplement parfait. Et très rapidement, ses dents proéminentes, son grand nez et sa coupe de G.I. allaient leur donner raison.

C’est dans l’entre-deux-guerres, dans l’ombre des hauts fourneaux de la ville de l’acier que Johnny voit le jour et forge ses armes. À l’image d’un certain Dan Marino. Car non contente de fabriquer du fer forgé en masse, Pittsburgh s’est mise à l’orfèvrerie. Sa spécialité : les quarterbacks NFL. Lorsqu’ils quittent le lycée, Johnny Unitas, son mètre 80 et ses 65 kilos tout mouillés sont pourtant encore loin, très très loin de la grande ligue. D’abord coureur, Joe se convertit en passeur sur le tard. Sans particulièrement briller, il se bâtit une réputation suffisante pour attirer la convoitise de certaines universités. Mais le coach des coureurs du Fighting Irish de Notre Dame le trouve trop léger. Mis à l’essai, Joe n’est pas conservé, « il se ferait tuer » s’il on l’envoyait sur le terrain tranche le coach. Impitoyable. Du côté des Hoosiers d’Indiana, on choisit également de faire l’impasse. Et quand Pittsburgh lui offre une bourse de scolarité, c’est Unitas lui-même qui se plante, comme un grand, en ratant l’examen d’entrée.

Pittsburgh lui tourne le dos, Baltimore lui ouvre les bras

C’est finalement dans le Kentucky qu’atterrit le jeune quarterback. Intronisé titulaire au cours de sa saison de freshman, il mène les Cardinals à quatre succès. Mais gagner des matchs ne suffira pas à lui ouvrir les portes de la NFL et Johnny décide de se mettre à la gonflette. En l’espace de deux ans, il prend près de 20 kilos. Adieu la brindille débarquée à Louisville en 1951. Il boucle ses deux premières campagnes universitaires avec 12 titularisations et 21 touchdowns au compteur. Deux premières saisons prometteuses et puis plus grand-chose. La faute entre autres à Philip Grant Davidson, nouveau président de l’université, qui décide de drastiquement couper les fonds attribués aux programmes sportifs et rehausse nettement les exigences scolaires  à l’égard des athlètes. Résultat, près de 15 joueurs sont remerciés et les restants doivent faire jouer leur polyvalence. Entre des pépins physiques et des performances collectives forcément moins bonnes, celui qui joue quarterback, linebacker, safety et retourneur s’avance vers la draft à pas de loup. Sélectionné au 9e tour par les Steelers en 1955, il ne fera pas long feu. Perdu au milieu d’un groupe de cinq passeurs, il n’aura même pas l’opportunité de disputer une rencontre de préparation. Même pas la moindre petite passe. Rien. Nada. Jugé pas assez intelligent pour diriger une attaque, il est purement et simplement remercié.

« La plupart du temps, ils faisaient comme si je n’existais pas, » racontera Unitas.

La NFL vient de lui claquer la porte en pleine face. Fraîchement marié, Johnny reste pourtant à Pittsburgh, travaille dans la construction et s’engage dans une ligue semi-pro. Au programme, des matchs disputés sur des terrains de baseball sablonneux (coucou les Raiders), avec des équipements vétustes, de la récupération, le tout, pour la modique somme de 6$ par rencontre sous les couleurs des Bloomfield Rams. Un salaire qui va rapidement voir s’ajouter quelques zéros. En 1955, les Colts flairent le bon coup et lui font une offre de 7000 dollars pour qu’il rejoigne Baltimore et prenne part au camp d’été. Car s’il n’a pas convaincu les Steelers, il a séduit Weeb Ewbank, le coach de la franchise du Maryland.

« C’était un bon gars avec une bonne vitesse, » expliquera Ewbank. « Pas une vitesse sidérante, mais suffisante. Et il avait tellement soif d’apprendre. »

Et d’obscur joueur ni vraiment amateur, ni vraiment professionnel, Unitas va se retrouver projeté dans un rôle de titulaire qui semblait jusque là relever de l’utopie. Du rêve qui ne se réalisera jamais. De la chimère. Mais quand George Shaw se blesse en semaine 4, c’est bien vers le natif de Pittsburgh que Ewbank se tourne. À peine le temps d’enfiler son casque et de prendre ses marques sur le terrain, Joe trouve la endzone. La mauvaise. Sa toute première passe dans la NFL est interceptée et retournée jusque dans l’en-but. On imagine Jameis Winston sourire en lisant cette anecdote. Sur sa deuxième action, il rate un échange avec son coureur, échappe le cuir et rend la possession aux Bears. Le rêve se transforme en cauchemar. 58-27. L’addition est salée. Mais pas de quoi abattre Johnny. Rien de moins qu’un obstacle de plus. Un succès surprise face aux Packers, la première victoire de l’histoire des jeunes Colts face aux Browns, 9 touchdowns lancés et une précision record pour un rookie de 55,6%. La machine se chauffe. Lentement, mais sûrement.

47 matchs et deux titres plus tard

En clôture de la saison, Unitas lance un ultime touchdown. Nous sommes le 9 décembre 1956. Le début d’une longue série qui s’achèvera 4 ans plus tard. L’année suivante, en 1957, il lance 2550 yards et 24 touchdowns. Un à chaque match, vous l’aurez compris. Les Colts finissent la saison 7-5 et le passeur est élu MVP par ses pairs. En 58, il mène Baltimore au titre dans la Western Conference, mais non sans encombre. Et surtout sans dégâts. Car Unitas n’hésite pas à donner de sa personne. Et cela va rapidement devenir une marque de fabrique. En semaine 6, ils est envoyé à l’hôpital par un autre Johnny, Symank, linebacker des Packers, avec trois cotes brisées et un poumon perforé. Un mois plus tard, il comble un déficit de 20 points à la pause pour terrasser les 49ers (35-27). Le 28 décembre 1958, la patrie de l’Oncle Sam tout entière a les yeux rivés sur le Yankees Stadium. À domicile, les New York Giants accueillent les Colts dans ce qui deviendra bientôt « The Greatest Game Ever Played ». Le héros vous l’aurez deviné : Johnny Unitas.

Alors que le dernier quart se profile à l’horizon, les visiteurs d’un soir mènent 14-3. Deux touchdowns new-yorkais plus tard et les voilà à la traine (14-17). L’horloge du stade affiche 1:56. Le ballon est sur les 14 yards de Baltimore. Installez vous tranquillement dans votre fauteuil, ouvrez bien grand les yeux, c’est parti pour le show.

« Je me suis dit, ‘Bon, on a foiré ce match’, » raconte le receveur des Colts, Raymond Berry. « Les poteaux à l’autre bout du terrain semblent être à des années lumières. »

Quatre passes et 73 yards plus tard, ils semblent nettement plus proches. Avec 7 secondes à jouer, Steve Myrha égalise et envoie tout le monde en prolongation. En 13 actions, Unitas remonte le terrain et le fullback Alan Ameche plonge dans un trou béant pour offrir la victoire aux siens. « 13 jeux vers la gloire » clamera Sports Illustrated. Un drive de légende. Pour la première fois dans l’histoire de la NFL, un match se termine à la mort subite. Johnny est propulsé au rang de superstar. Dire qu’il a deux ans encore il gagnait 6 dollars par rencontre. Plus que l’admiration d’un pays tout entier, c’est le respect le plus profond de ses pairs que Johnny U a décroché. Grâce à lui, les quarterbacks sont entrés dans une autre dimension. Ils sont devenus les piliers de ce sport. Et ça n’est pas le coureur et ancienne star des Colts, Buddy Young, qui dira le contraire.

« Vous savez ce qui m’a convaincu ? » expliquera Young. « Action après action il était envoyé à terre, et pourtant il se relevait, allait là où les arbitres plaçaient le ballon, puis regardait l’horloge en sachant exactement le nombre de yards qu’il fallait parcourir. »

Lucide et surtout sûr de lui, Unitas n’hésite pas à défier les commandements de son coach. Lors de la finale de 58, Ewbank profite d’un temps mort pour lui ordonner de garder le ballon au sol, « on ne veut pas d’interception maintenant. » Joe n’en a que faire. Deux actions plus tard, dans les 10 yards, il envoie Jim Mutscheller sur la ligne de 1. Par les airs.

« Tout ce que je fais, je ne le fais pas sans raison, » commentera-t-il. « Si j’avais senti un risque, j’aurais envoyé le ballon en dehors des limites du terrain. Quand vous savez ce que vous faites, vous ne vous faites pas intercepter. »

Prends-en de la graine Russell Wilson. Mais Johnny U a beau faire le malin, il collectionne les interceptions à la pelle. De ses débuts chez les Poulains en 56 à sa toute dernière saison du côté de San Diego, en 1973, il aura peut-être lancé 290 touchdowns, mais aussi 253 interceptions. En 1959, 32 touchdowns plus tard, les Colts remettent leur titre en jeu. C’est une finale aux allures de revanche qui s’annonce. On prend les mêmes et on recommence. Mais cette fois-ci, ce sont les Giants qui jouent les touristes dans le Memorial Stadium de Baltimore. Menés en début de partie, les joueurs de Maryland prennent les devants grâce à leur quarterback avant de se détacher. Inexorablement. 31-16. Les Colts conservent leur couronne. Le 4 décembre 1960, Johnny U quitte le terrain sans touchdown au compteur pour la première fois depuis 47 matchs et presque 4 années. Il faudra attendre 2012 et Drew Brees pour que ce record soit effacé des tablettes. Rapidement imité par deux boulimiques des touchdowns, Tom Brady et Peyton Manning.

De la gloire au désespoir

De 1957 à 1964, il reçoit systématiquement une invitation de fin de saison au Pro Bowl. 3488 yards en 1963. Un nouveau titre de MVP en 1964. Une désillusion en finale de conférence face aux Browns (0-27). Une troisième couronne de MVP en 67. Puis une saison 1968 marquée par les blessures à répétition. Mais en abonné aux retours, Johnny renfile son uniforme et s’avance d’un pas certain vers son premier Super Bowl. Le premier Super Bowl officiel de l’histoire en fait. Mais déjà la 3e finale à opposer le champion de l’AFL à celui de la NFL. Face à lui, un autre monstre sacré. Et d’autres New-Yorkais. Cette fois-ci, les Jets de Joe Namath. Les Colts ne marquent qu’une fois et s’inclinent 16-7. Mais ils n’ont pas dit adieu au Big Game pour autant. En 70, dans une ligue qui a vu l’AFL et la NFL fusionner, les deux Joes, Namath et Unitas, se retrouvent dans un duel au sommet de la nullité. Car même les légendes ont le droit d’avoir des jours sans. Bilan : 9 interceptions combinées, 62 passes tentées par le lanceur des Jets, une main cassée et une victoire des Colts (29-22). Coup d’arrêt pour les New-Yorkais, pas pour les Poulains. Cincinnati et Oakland aisément écartés, les hommes de Baltimore s’avancent vers leur deuxième Super Bowl. Au menu cette fois-ci : les Cowboys. Deux interceptions, un touchdown de 75 yards et un méchant coup dans les cotes et Unitas doit quitter le terrain. Sa doublure, Earl Morrall, joue les héros et les Colts décrochent leur premier Big Game (16-13).

L’année suivante, les deux hommes se partagent le temps de jeu. Une formule payante. Jusqu’à la finale AFC. Après une victoire face aux Browns, Johnny U, qui n’a lancé que trois petits touchdowns en saison régulière, s’effondre. Trois interceptions, dont un pick-6, et un cinglant 0-21 face aux Dolphins. Dans une saison 72 à oublier pour les Colts, Joe Namath et Unitas s’offrent un ultime duel de Titans. Aux 3 touchdowns et 376 yards du passeur de Baltimore, le New-Yorkais réplique par 6 touchdowns et 496 yards ! Pour son dernier match avec le fer à cheval sur le casque Joe n’est même pas titulaire. Avec 28 unités d’avance sur les Bills, Don McCafferty ne résiste pas longtemps aux « We want Unitas!! » descendant des tribunes du Memorial Stadium. Unitas, convaincu par son coach que celui qui lui a ravi sa place de titulaire est blessé, enfile son casque et lance un ultime touchdown sous les couleurs de Baltimore. La fin d’une époque. La fin d’une légende. Ou presque.

Envoyé à San Diego, Johnny Unitas n’est plus l’ombre que de lui-même. 0-38, 55 yards, 3 interceptions et 8 sacks. Sa première sortie sous les couleurs des Chargers donne le ton. En semaine 5 et avec un piètre bilan de 1-3, il est remplacé par un petit rookie. Un certain Dan Fouts. Ou quand une légende à l’aube de sa carrière en remplace une autre, au crépuscule de la sienne. Un passage de flambeau. Avant la saison 1974, Johnny Unitas décide de raccrocher ses crampons et la panoplie de records qui va avec. De 68 à 73, poursuivi par des blessures au bras, il aura lancé 38 touchdowns pour 64 interceptions !

En 1984, les Colts déménagent à Indianapolis. C’est la rupture. Comme trahi, Joe Unitas tourne définitivement le dos à sa franchise de (presque) toujours. Le numéro 19 du Hall of Famer a beau être retiré, rien n’y fait. Quand Baltimore retrouve la NFL en 1996, celui qui aura activement milité pour qu’une nouvelle équipe s’installe dans le Maryland, y voit les véritables successeurs des Colts. Après une ultime pige en tant que coach des Dallas Knights dans L’Enfer du dimanche (Any Given Sunday) en 99, Johnny U est terrassé par une crise cardiaque le 11 septembre 2002. Sortie de nulle part. Elle a frappé sans prévenir. La première véritable star de la NFL s’est envolée. Sans avoir révolutionné son sport, Johnny Unitas en aura profondément transformé l’image. Presque malgré lui. Les quarterbacks ne sont plus seulement admirés par les foules, ils sont adulés par les fans et respectés par leurs pairs. Ils sont le football.

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