[portrait] Demaryius Thomas, une nouvelle (m)ère

Si la comédie musicale « Hair » nous annonçait l’arrivée dans l’ère d’Aquarius, le monde des receveurs NFL est certainement entré depuis quelques années, et l’arrivée de Peyton Manning dans le Colorado,...

Demaryius_Thomas_670_02102015

Si la comédie musicale « Hair » nous annonçait l’arrivée dans l’ère d’Aquarius, le monde des receveurs NFL est certainement entré depuis quelques années, et l’arrivée de Peyton Manning dans le Colorado, dans l’ère de Demaryius, Thomas de son nom. Alors que son prédécesseur à Georgia Tech, Calvin Johnson, semble peu à peu décliner physiquement, le joueur des Broncos est peut-être, avec Antonio Brown, ce qui se fait de mieux au poste en NFL actuellement. Mais si ses routes sur les terrains sont extrêmement verticales, le chemin pour en arriver là n’a pas été, lui, aussi direct…

Pas la vie en (Mont)rose

Né en 1988 d’une rencontre entre une adolescente de 16 ans, Katina Smith, et Bobby Thomas, un militaire, Demaryius Thomas grandit à Montrose, petite bourgade de 154 habitants qui sent le « Deep South » profond à plein nez avec les 50 kilomètres de distance qui la séparent de la plus grande ville du coin, Macon. Au milieu de ce ciel bas, de ces plaines verdoyantes à perte de vue et de cette lourde et chaude humidité ambiante, se trouve une grande maison blanche, typique de la campagne géorgienne. C’est ici que Katina, après voir quitté en bons termes le père de Demaryus, s’installe avec son nouveau mari, rencontré dans l’usine d’impression sur vêtements où tous deux travaillent. Deux sœurs, plus jeunes de 2 et 8 ans, sont également à la maison mais la relation entre Katina et Demaryius est de celles fusionnelles entre une mère et son fils, qu’elle surnomme Bay Bay. Elle aime la musique ? Demaryius apprend à jouer du tuba. Il aime les voitures ? Katina lui apprend à conduire dès l’age de 11 ans et le défie à la course dans le grand jardin entourant la maison sans jamais le laisser gagner.

« Tu dois le mériter » est l’un des tous premiers enseignements tirés de ces folles chevauchées. Les finances ne sont pas au beau fixe mais, en cas de coup dur, Minnie Pearl, la mère de Katina, est toujours là, elle qui habite à seulement 7 kms. Les visites et les weekends passés chez cette grand-mère maternelle sont donc fréquents. La marmite toujours sur le feu intrigue néanmoins Demaryius. Aucune odeur de ragout ou de soupe n’en sort mais bien plutôt une odeur de plastique brulé et une mixture qui y bout, avec d’étranges morceaux blancs y flottant à la surface. Les fréquents « visiteurs » de nuit, ainsi que les aller-retours de sa mère, éveillent les soupcons de Demaryius qui découvre le pot aux roses à l’hiver 1998, alors qu’il vient de n’avoir que 10 ans : Sa grand-mère fabrique artisanalement du crack et sa mère l’aide à le vendre…

« Demaryius a été excellent lors de l’entretien. Il a dû faire face à tant d’adversité dans sa vie. Et ça en dit beaucoup sur son caractère – de pouvoir s’en sortir et de se mettre sur le bon chemin » Brian Xanders, General Manager des Broncos en 2010

Il confronte immédiatement sa mère en lui expliquant que « Mamie deale de la drogue et tu l’aides. Quelque chose de pas bien va se passer et ils vont t’emmener en prison ». Et son adage se révèle exact quelques mois plus tard lorsqu’à 6 heures du matin, un raid de la police vient réveiller toute la famille. 5000 dollars en billets de 100 et 20 y sont trouvés, bien cachés par Katina qui a même réussi à mener toute cette opération sous le nez de son mari…

Le procès qui s’en suit, et son verdict, fait tout exploser. Refusant de témoigner contre sa mère, alors qu’elle-même lui « conseille de le faire pour ne pas anéantir toute sa vie » et « pour être sortie avant que Demaryius ne soit au lycée », Katina écope de 294 mois de prison, soit 24 ans. Minnie, elle, a droit à deux peines de prison à vie (la beauté du système judiciaire américain…) en raison de ses lourds antécédents judiciaires ainsi que des autres témoignages accumulés par la police qui présentent des preuves évidentes et accablantes sur son rôle majeur dans ce business.

Katina et le beau-père de Demaryius divorcent et, tandis que ses deux soeurs s’en vont vivre sous le toit paternel, Demaryius préfère s’en abstenir et va vivre chez son père naturel à Atlanta. Mais avec les mouvements incessants de ce dernier, militaire, il se retrouve à errer d’oncles en tantes autour de Montrose, lieu qui paraissait surement idyllique à l’âge de 10 ans mais où le commerce de la drogue, et les histoires allant avec, le rend beaucoup plus périlleux à l’adolescence. Apres avoir été logé dans 4 endroits différents, c’est finalement chez la sœur aînée de son pere, Shirley Brown et son mari James, qu’il va habiter lors de ses trois dernières années de lycée. Et c’est véritablement là que Demaryius Thomas va devenir ce qu’il est maintenant…

Georgia (Tech) on my mind


Demaryius_Thomas_Georgia_Tech_670
Avec une vie maintenant bien organisée, où le respect de l’emploi du temps et des tâches à accomplir est primordial, Demaryius Thomas se construit une solidité mentale à toute epreuve. Son physique étant à la hauteur, il devient vite une attraction locale à West Laurens High School où il excelle d’abord au basketball. Il ne commence le foot qu’en 10th grade (l’équivalent de la seconde française) au poste de cornerback avant de passer au poste de receveur lors de ses deux dernières années. Avec ses touchdowns en pagaille lors de son année senior, il est élu All-State et se voit offrir trois bourses universitaires par Duke, Georgia et Georgia Tech. Plutôt qu’aller chez les Bulldogs à Athens, il préfère rejoindre le campus de Georgia Tech situé à Atlanta. C’est aussi là-bas que sévit en 2006 celui qui n’est pas encore surnommé Megatron mais qui fait déjà cauchemarder toutes les défenses de l’ACC et saliver tous les GM’s de NFL : Calvin Johnson.

« Je sais que ça a été dur pour lui, c’est lui qui garde tout pour lui. Mais, dans le même temps, ça lui a donné la force de continuer et d’être meilleur que l’exemple que je lui ai donné » Katina Smith en 2010.

Cela fait également déjà 7 ans alors que sa mère est enfermée à la Federal Correctional Institution de Talahassee en Floride, une prison de basse sécurité. Ayant trainé des pieds pour lui rendre visite en même temps que ses deux sœurs et son père adoptif durant ces 7 premières années, il lui a bien fait comprendre qu’elle « a choisi d’être ici, d’être enfermée ici plutôt que d’être dehors avec nous ». Néanmoins, cette première année universitaire est un tournant, comme pour beaucoup de jeunes américains un peu perdus dans l’immensité d’un campus. Le temps ayant fait son œuvre, il décide de renouer les liens avec sa mère, « la personne qui le connaît sans doute le mieux au monde » et lui confie ses doutes au téléphone, lui qui doit redshirter cette première saison.

Avec le départ de Calvin Johnson pour les Lions, Demaryius Thomas devient peu à peu le point central de l’équipe de Chan Gailey. Mais c’est véritablement en 2009 qu’il explose, en accumulant 1154 yards en 46 réceptions (25 yards par réception!) et 8 touchdowns pour une équipe de Georgia Tech qui participe à l’Orange Bowl (perdu contre Iowa 24-14). Pourtant le système « Triple Option » de l’équipe de Paul Johnson, arrivé en 2008 à la place de Gailey, ne favorise pas du tout les receveurs puisqu’il est basé tout d’abord sur un quarterback coureur et un running-back puissant, sans vraiment se soucier de l’impact offensif des receveurs pourvu qu’ils bloquent bien pour leurs coéquipiers…

C’est pourquoi, avec son physique impressionnant d’1m90 pour 103 kilos et sa vitesse (4 sec 36 au 40-yard dash), les scouts NFL bavent d’envie devant Thomas alors qu’il se déclare éligible pour la draft 2010. Une blessure au pied l’empêche de participer aux exercices de la Combine mais les Broncos de Josh McDaniels n’hésitent pas échanger de multiples choix de draft lors de la soirée à New York pour pouvoir le sélectionner en 22e position, soit le premier receveur choisi devant Dez Bryant, Golden Tate, Antonio Brown ou Emmanuel Sanders…

Optimus Prime


Demaryius_Thomas_Broncos_670
Les deux premières saisons de Thomas dans les Rocheuses confirment surtout une chose : le diamant est un peu fragile. Sur les 32 matches des Broncos, il n’en dispute que 21, en ne dépassant les 100 yards que deux fois en saison régulière tout en ne marquant que 5 touchdowns. Il faut dire qu’à la baguette de la franchise se trouvent les mythiques (pour différentes raisons..) Tim Tebow et Kyle Orton, deux quarterbacks presque incapables de lancer la balle à plus de 20 yards…Néanmoins, lors du premier tour des playoffs 2010, c’est bien lui qui est à la reception de la toute première passe de Tebow en prolongations face aux Steelers, envoyant son équipe au tour suivant en une course magistrale de 80 yards.

https://www.youtube.com/watch?v=LQ0UOxrcS2Q

Avec l’arrivée de Peyton Manning en 2012, c’est toute l’attaque des Broncos qui est révolutionnée et les chiffres s’en ressentent pour les receveurs de l’equipe. Les trois saisons suivantes de Demaryius Thomas se ressemblent dans leur haute qualite : 1434 yards et 10 touchdowns en 2012, 1430 yards et 14 touchdowns en 2013, 1619 yards et 11 touchdowns en 2014. Le receveur des Broncos est toujours devancé dans les classements par Calvin Johnson mais sa régularité, sa puissance et sa vitesse lui offre le surnom d’ « Optimus Prime », sorte de nemesis de Megatron dans l’univers des Transformers.

De leur prison, sa mère et sa grand-mère l’encouragent tous les dimanches, se créant leurs propres #88 à base de gros scotch placé sur leur uniforme pénitentiaire. Les matches à Jacksonville sont également toujours l’occasion pour Demaryius de pouvoir passer un peu de temps pendant la saison avec ce qu’il considère comme le plus important pour lui : sa famille. Pour s’en rappeler, même dans les moments de doute, il a d’ailleurs tatoué ces deux mots sur ses avant-bras : « Family » et « First », la famille en premier. Chaque dimanche, il veut également se remémorer pour qui il joue, en inscrivant au marqueur sur ses bandelettes au poignet les noms de Katina et Minnie, les deux véritables femmes de sa vie.

Et puisque « Transformers » fait partie de son univers, il fallait un happy-end digne d’un blockbuster. Alors qu’elle n’était censée sortir qu’en 2017 par le jeu des remises de peine, Katina Smith a été graciée la semaine dernière (avec 45 autres personnes purgeant de longues peines pour participation non-violente à un trafic de drogue) par décret presidentiel. Dans sa lettre aux graciés, Barack Obama leur dit sa conviction que les Etats-Unis sont le pays des secondes chances et que leur libération en est une qu’ils devront mettre à profit de la meilleure des manières.

Se sortir d’un destin tortueux pour rendre l’histoire encore plus belle, nul doute que celle de Demaryius Thomas ne devrait pas être très loin du modèle à suivre…

Tags →  
Partagez cet article sur : Twitter Facebook
Afficher les commentaires