[portrait] Derek Carr, le poids du nom

Le coach des Browns, Mike Pettine, le qualifiait en 2014 de “meilleur lanceur naturel de la draft” au sortir d’une saison où il venait de battre tous les records de...

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Le coach des Browns, Mike Pettine, le qualifiait en 2014 de “meilleur lanceur naturel de la draft” au sortir d’une saison où il venait de battre tous les records de Fresno State. Jon Gruden, dans son show ESPN « QB Camp » peu avant la draft, déclarait que « ce type de talent est rare ».
Alors, avec un autre nom que celui de son frère David, est-ce que le destin aurait fait de Derek Carr un joueur sélectionné au premier tour, voire dans les tous premiers ? Ses performances depuis le début de la saison tendent à le demontrer et c’est surement en replongeant dans l’histoire de David que l’on comprend mieux celle de Derek…

Mon nom est Carr. Derek Carr!

Pas banale. C’est souvent la description que l’on peut faire de l’enfance de Derek Carr. Si Todd Marinovich avait été « conçu » comme un projet par son père pour en faire l’un des meilleurs quarterbacks de l’histoire, Derek Carr est arrivé, lui, tout naturellement dans le milieu du football. Troisième et dernier fils de Rodger et Sheryl Carr, ses frères aînés David et Darren avaient déjà pavé la voie pour lui. Des blessures au genou ayant maintenu leur père hors des terrains de foot, le laissant plutôt briller au basket, Rodger Carr n’a cependant jamais connu la carrière d’athlète que son physique et son talent pouvait lui laisser envisager.
Comme souvent, c’est donc à travers ses fils que le père va vivre les émotions sportives qu’il n’a pas pu connaître dans la région de la San Fernando Valley, au Sud de San Francisco. Si Darren, le cadet des trois, n’aura pas fait une grande carrière universitaire au poste de defensive end sous le maillot de l’Université de Houston, David et Derek sont, eux, devenus de vraies légendes à Fresno et Bakersfield (Californie). Leur style ? Un gros bras capable de lancer des passes précises, Rodger leur ayant enseigné l’art de la passe en prenant le
Hall-of-Famer Dan Marino comme exemple.

« On va chanter tes louanges et on va te critiquer. Ignore les deux parce qu’aucun des deux n’est important » David Carr

Avec son #8 sur le dos, David Carr a été l’un des quarterbacks prodiges du début des années 2000. Son parcours avec les Bulldogs de Fresno State lui vaut d’ailleurs d’avoir son numéro retiré en 2007. Sa saison la plus complète ? Celle de 2001, au cours de laquelle il lance pour 4839 yards, 46 touchdowns et seulement 9 interceptions. Il agrémente même le tout de 5 autres scores à la course. Avec une telle saison, le trophée Heisman du meilleur joueur universitaire lui tend les bras. Enfin, c’est en tout cas ce que pense son jeune frère Derek pour qui « David est le meilleur quarterback universitaire, sans aucun doute ». Il le fait d’ailleurs savoir à tout le monde au cours d’une interview télévisée sur la chaîne locale de CBS.

Il n’a encore que 11 ans mais, pour lui, exprimer son opinion sur le football lui semble logique et presque naturel. C’est qu’il est plongé dans cet univers depuis que son frère est devenu quarterback à la Bakersfield High School, quelques huit années auparavant. A force de voir David préparer ses matches avec soin, le jeune Derek assimile les mêmes concepts, analyse les pressions défensives adverses, bref apprend le football au moment où son cerveau est le plus réceptif aux nouvelles connaissances. Il n’y a que sur le Heisman Trophy que ses connaissances semblent plus limitées puisque c’est finalement Eric Crouch (Nebraska) qui le gagnera pour la saison 2001, malgré une saison à 7 touchdowns et 10 interceptions…

Houston, un Carr en sack
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David Carr est néanmoins un trop beau prospect pour que les Houston Texans ne le sélectionnent pas comme # 1 de la draft 2002, le premier choix de l’histoire de la franchise, créée cette année là. Toute la famille déménage donc dans le Texas pour supporter l’aîné dans sa conquête de la NFL, lui dont les lancers font déjà saliver tous les supporters de l’équipe.

Sans ligne offensive digne de ce nom, Carr devient vite un punching-ball pour les defensive ends et les linebackers adverses, qui mettent également à profit sa tendance (compréhensible…) à hésiter dans la poche de protection. En 5 saisons, il sera sacké 249 fois (une moyenne de presque 7 par match…) et son aventure NFL tourne court, l’envoyant ensuite chez les Panthers ou les Giants en tant que remplaçant au sortir de son contrat rookie à 60 millions de dollars.

Dans les coulisses, le jeune Derek profite de ces années texanes pour s’immerger dans le monde du football pro, se baladant dans les vestiaires des Texans comme chez lui. Sur les terrains, il fait ses débuts à la Clements High School de Sugar Land, dans la grande banlieue Sud-Ouest de Houston où la famille Carr a posé ses valises. Le plus naturellement du monde, il joue ses matches et devisent avec les coéquipiers de son grand frère, des joueurs comme Andre Johnson, par exemple, avec lequel il lie une vraie amitié. Le gamin a tellement confiance en lui qu’il répète à l’ancien joueur de l’Université de Miami qu’il « va aller en Floride pour devenir le quarterback de The U ».

Avec le retour de la famille en Californie en 2008, Derek devient le quarterback de la Bakersfield Christian High School. Un retour dans les contrées originelles plus que logique puisque Fresno State, le lieu des exploits de son frère, lui a proposé une bourse pour l’année suivante. SMU, Boise State, USC et UCLA sont également dans la course mais difficile pour Derek de s’imaginer dans un autre maillot universitaire que celui des Bulldogs, un maillot qu’il porte si fièrement depuis son enfance.

Arrive sur le campus, la vie est facile pour le plus jeune des Carr. Son nom seul, autant que sa position de quarterback dans l’équipe, lui ouvre les portes de toutes les fêtes et les cœurs de toutes les filles. Et alors qu’il était arrivé plus tôt à Fresno, pensant profiter de cet avantage pour battre les records de l’école de son frère, ses écarts de conduite ne l’amènent qu’à se perdre dans les méandres de la vie estudiantine. Un autre « frère de », Kyle Long, avait connu la même expérience à Florida State University avant de trouver la rédemption en déménageant sur la Côte Ouest et de reprendre sa vie en main, pour également finir en NFL.
Sa petite amie de l’époque, Heather, lui fait d’ailleurs part d’un paradoxe dans sa lettre de rupture. Lui qui se dit chrétien vit en totale contradiction avec les principes chrétiens auxquels il croit. Ce sera un véritable déclic pour lui et le début d’un processus au cours duquel le nom Derek Carr deviendra finalement aussi important que celui de David dans l’histoire de Fresno.

« Je suis Heavy Metal, il est Jazz » Derek Carr à propos de la différence de style entre lui et son frère, David.

Son changement d’attitude lui fait gagner une place de titulaire lors de sa deuxième saison mais, également, lui assure l’amour d’Heather qui devient Mme Carr en juin 2012. Sa vie extra-sportive moins agitée, celle entre les lignes du terrain commence à le faire apparaître dans les flash d’info, d’abord régionaux puis ensuite nationaux.Avec l’arrivée de Tim DeRuyter à la tête des Bulldogs, Derek exploite parfaitement ses qualités. Avec son éducation footballistique, il est très au fait des différents types de pression défensive selon les alignements adverses proposés et, prenant exemple sur Peyton Manning, Derek utilise énormément ses mains pour rediriger ses receveurs, comme Davante Adams, et les envoyer vers les points faibles adverses. Avec ce système, il parvient donc en 2013 à battre les records de yards à la passe et de touchdowns établis par David une décennie auparavant. Mais, pourtant, c’est une autre victoire lors de cette même année qui le rendra le plus heureux.

Just Win, Baby
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5 août 2013, Heather donne naissance au premier enfant du couple, Dallas. Si la naissance se passe bien, les intestins du petit garçon se tordent et se nouent. Il devra subir trois opérations avant que son état ne s’améliore. Derek, lui, ajuste son emploi du temps pour assumer son statut, se levant à 5h du matin pour se rendre à l’entrainement. Entre 6h et 20h, il se rend au chevet de sa femme et de son fils dès qu’il le peut et y reste jusqu’à 23h tous les soirs. Pas forcément la préparation idéale pour son année senior, la plus importante puisqu’étant celle devant le mener à la draft. Et ceci d’autant plus que, lors de son année junior, une hernie l’empêche d’être vraiment lui-même dans la poche, timide face au blitz et avec un petit jeu de pied défaillant l’empêchant d’être precis. Exactement le même genre de problèmes qu’avait pu connaître son frère David lors de son passage chez les Texans… Pour ne rien arranger, les deux frères partagent le même morphotype (1m91 et 98 kilos) et Derek réalise un temps presque identique à celui de son frère (4 »67 pour David, 4 » pour Derek) au 40-yard dash de la Combine.

Sa saison universitaire terminée, Derek va habiter chez son frère David (on ne lui reprochera pas vraiment vu la maison…) et bénéficie d’un entrainement individualise, sous l’oeil averti de Mike Sullivan, l’ancien coach des quarterbacks chez les New York Giants, que son frère a engagé pour l’occasion afin de lui donner le plus de chance de plaire aux franchises pros.
Hasard du destin, le premier choix de la draft en 2014 appartient à ces mêmes Texans. En quête d’un quarterback pour remplacer Matt Schaub, la franchise de Bill O’Brien osera-t-elle drafter le petit frère de celui qui est toujours considéré comme l’un des plus gros busts de l’histoire ?

Houston ne prend finalement pas de risque et se replie sur Jadeveon Clowney, une valeur beaucoup plus sure (en 2014…). Les Bucs de Tampa Bay pensent, eux, sérieusement à selectionner Derek, en partie à cause de leur nouveau coordinateur offensif, Jeff Tedford, un ami de la famille Carr depuis qu’il a coaché David à Fresno State. Ils préfèreront passer et remettre l’équipe dans les mains de Josh McCown, signé quelques semaines auparavant. Johnny Manziel atterrit chez les Cleveland Browns tandis que Teddy Bridgewater s’envole pour le Minnesota. Le premier tour arrive à sa fin et Derek Carr, « le meilleur lanceur naturel de la draft » est toujours disponible. Les Raiders d’Oakland, jamais timides au moment de drafter du talent pur, décident de faire de Derek Carr leur quarterback du futur en le sélectionnant au 2e tour, en 36e position. Les Texans attendront, eux, le 4e tour pour sélectionner Tom Savage…

Et depuis son arrivée dans la ligue, Derek Carr ne cesse de démontrer que les franchises sont peut-être passées à côté du diamant le plus brillant de cette cuvée 2014.
Avec une évaluation de 131,8 contre le blitz en 2015 (et un écart, le meilleur de la ligue, de 36,7 entre ce chiffre et celui obtenu face à une défense plus classique) Derek éteint toutes les critiques sur ce qui avait sans doute mis un terme à la carrière naissante de son frère dans le Texas.
Une manière de plus de rappeler que si les initiales sont bien les mêmes, Derek Carr ne pliera pas sous le poids de son nom.

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