[portrait] Devonta Freeman, le passé reste

  Avec un nom tel que Freeman, dans quelle autre ville que Liberty City, en Floride, aurait pu atterrir Devonta (à prononcer « Dé –vonne-té »), après que sa mère avait choisi...

 

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Avec un nom tel que Freeman, dans quelle autre ville que Liberty City, en Floride, aurait pu atterrir Devonta (à prononcer « Dé –vonne-té »), après que sa mère avait choisi de quitter Baxley en Georgie? Tout comme Antonio Brown , Chad Johnson ou Teddy Bridgewater, c’est donc dans le Pork ‘N Beans qu’a grandi Devonta Freeman, l’un des quartiers les plus durs des Etats-Unis (dont on peut découvrir la réalité, façon « enquête exclusive” ici). La mentalité acquise là-bas de ne pas savoir de quoi demain sera fait, d’être là pour les autres et de réussir à s’en sortir en évitant les pièges tendus l’a conduit sur les terrains de NFL. Son talent exceptionnel pourrait maintenant l’amener au sommet de celle-ci.

Un statut à Liberty

Réceptionner les balles, c’est un classique du genre dans le quartier. Avant de le faire sur les terrains universitaires ou de NFL, Devonta essayait, lui, de les éviter dans les rues de la cité floridienne. Aîné d’une famille de sept enfants, il est amené très tôt à apporter un modèle parental. En effet, sa mère s’est séparée de son père et a rencontré Cleveland Thomas, un maçon qui élèvera Devonta mais qui finira par disparaître du paysage suite à de trop nombreux aller-retours en prison pour usage de cocaïne. Tout ce petit monde vit alors en Floride dans ce quartier au nom évocateur : Pork ‘N Beans, puisque ses habitants n’ont que les moyens de manger de la nourriture en boite.

«Il y a seulement trois issues: vous vous en sortez par le sport, vous mourrez ou vous allez en prison» Durrell Eskridge à propos de Pork ‘N Beans.

En boîte, c’est malheureusement également la façon dont finit une grande partie de la jeunesse du coin, gangrènée par une guerre des gangs ultra-violente alimentée par un trafic de drogue qui finit d’achever les rares survivants. Devonta veut être un meilleur exemple pour ses frères et sœurs et décide de se comporter en homme responsable, alors même que ses 12 ans pourraient l’emmener sur des voies de la fortune plus dangereuses, mais plus rapides. Alors que nombre de ses connaissances se résolvent à gagner de l’argent par des moyens majoritairement illégaux, lui décide de travailler dans une station-service, de laver des voitures, de ramasser des feuilles dans les jardins pour se payer des chaussures de sport. Et puis, au fond de lui, il y a toujours ce rêve de jouer au football plus tard sous les couleurs des Hurricanes de Miami, « The U », comme ses idoles Willis McGahee, Clinton Portis ou Frank Gore.

D’ailleurs, il a déjà une connexion avec cette université, l’une des plus fameuses des Etats-Unis. Il ne joue encore que pour les Moore Park Generals de son quartier mais évolue bien vite sous les couleurs de l’Optimist Club Pop Warner. Le coach de cette équipe ? Luther « Uncle Luke » Campbell du groupe 2 Live Crew, des légendes du rap du coin et des « supporters » de The U, la première université à avoir fait le choix de mettre à profit sa proximité géographique dans le recrutement de jeunes hyper-doués mais au parcours de jeunesse difficile, comme l’expliquait ESPN dans son documentaire de 2012 « The U ».

Campbell devient le mentor de Devonta (« un deuxième père ») et son talent, d’abord au poste de quarterback et en défense avant d’évoluer naturellement vers celui de running-back, lui vaut même des « conseils » amicaux de dealers du coin lorsqu’il se retrouve dans un endroit dangereux et peu fréquentable. « Ne reste pas là, retourne jouer au foot, c’est pas pour toi ici », le message passe et lui permette d’éviter  les situations catastrophiques dans lesquelles des amis et des membres de sa famille se retrouvent.  Uncle Luke dit de lui que « Devonta était très respectueux, avec aucun semblant d’attitude, de colère. C’était comme si la vie était belle pour lui ».

Non à The U

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Pourtant des connaissances de quartier, il en retrouve pas d’ailleurs pas mal à la Richardson Funeral Home, où il travaille jusqu’à ses 17 ans pour aider financièrement sa mère qui gagne le salaire minimum dans un entrepôt. Il aide à embaumer, il ouvre les portes des limousines amenant les membres des familles en deuil, il amène les fleurs, parfois jusqu’à quatre fois par jour pour 50 dollars par cérémonie. Malgré son alimentation frugale (« pas mal de fois, on a dû attendre le petit-déjeuner du lendemain pour manger parce que le frigo était vide ou parce qu’on laissait nos plus jeunes frères et soeurs manger avant nous»), il développe un réel talent athlétique mais au sein d’un école, Miami Edison, de peu de renom. Le baseball est sa véritable passion et, d’après lui, le sport où il excelle le plus mais c’est réellement en 2009, au cours de sa saison junior au lycée de Miami Central où il vient d’arriver, que sa vie bascule.

Alerté par le talent de Brandon Gainer, le running-back titulaire de Central, le coach de Florida State University, Jimbo Fisher, vient assister à un entrainement dans l’intention de le recruter. Devant rattraper son retard académique par des cours du soir, Gainer est absent de cette session et Fisher découvre alors, les yeux écarquillés, le talent brut, la vitesse et la capacité à eviter les plaquages du remplaçant, ce running-back d’1m75 pour 83 kilos d’explosivité à la cote de zéro étoile (sur cinq…) : Devonta Freeman. Avant de partir, Fisher glisse d’ailleurs à Telly Lockette, le coach de Central, qu’il tient là un joyau bien meilleur encore que son titulaire et offre une invitation à Freeman pour le camp d’été de FSU. Quelques exercices lors de l’événement suffiront à Fisher pour offrir une bourse à Devonta pour l’année suivante.

« Quoiqu’il se passe, je reviendrai toujours à Liberty City, c’est mon quartier. Il y a là-bas des gamins comme moi, des gamins que je peux aider » Devonta Freeman

Et sa saison senior de lycée confirme ce que le nez de Jimbo Fisher avait pu sentir ! Devonta y accumule 2208 yards et 26 touchdowns. Bien aidés par ses coéquipiers Rakeem Cato, Charles Gaines et Durell Eskridge, son meilleur ami depuis qu’il l’a rencontré dans l’équipe d’Uncle Luke, il emmène Miami Central au titre de l’Etat, avec plus de 300 yards au sol et 2 touchdowns. Une performance qui lui amène des offres des universités d’Auburn, de Florida et de Miami, « The U », son rêve d’enfant. Mais, lui, l’enfant du ghetto où la parole est souvent d’or, préfère passer sur l’opportunité de rejoindre l’université de ses rêves et rejoint Florida State, les premiers à avoir cru en son talent, non sans essayer que les Seminoles recrutent également Eskridge. Fisher est honnête avec lui et l’informe qu’il serait heureux de recruter le safety de talent mais que leur système défensif ne lui conviendrait surement pas. « Le jour le plus triste » d’Uncle Luke voit donc Freeman partir à FSU tandis qu’Eskridge prend, lui, la direction de Syracuse.

L’envol du Seminole

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Avec Devonta, c’est également toute la famille Freeman qui déménage à Tallahassee, mettant les dangers de Pork ‘N Beans hors de portée. Loin des yeux mais pas loin du cœur puisque Freeman est rappelé à la dure réalité de sa ville lorsque son cousin, qui était venu vivre avec lui sur le campus, se fait tuer devant chez lui lors d’un retour dans le Pork ‘N Beans. Sur le terrain, Devonta Freeman confirme toutes les qualités qui avaient ébloui Jimbo Fisher au premier coup d’oeil.

En prenant du poids au sens littéral (passant de 83 kilos à 92), il en prend également dans le vestiaire dès sa première année. Il passe la barre des 8 touchdowns à la course mais doit composer avec un quarterback coureur (110 tentatives contre 120 pour Devonta), EJ Manuel, pourtant moins performant au sol avec seulement 1,4 yard par tentative.

«  Je ne veux pas être un joueur moyen, être là juste pour récupérer des chèques toutes les semaines. Je ne sais même pas quand on est payé parce que je n’y fais pas attention. Le truc, c’est que j’aime le football et que s’il existe une chose qui va aider mon corps et me rendre meilleur, je vais le faire » Devonta Freeman

L’intensité de Freeman ne passe pas inaperçue aux yeux de Coach Fisher, qui reste presque sans voix quand le jeune homme se flagelle (verbalement…) pendant 10 minutes dans son bureau pour n’avoir pas bien bloqué lors des 10 premières minutes d’un entrainement au cours duquel il joue excellement bien pendant l’heure suivante.
Hors du terrain, Devonta mène ses études avec le même sérieux et la même envie de réussir, allant jusqu’à inquiéter la personne en charge du suivi des étudiants, incapable de le joindre et de le rencontrer pendant ses deux premières semaines sur le campus. Le joueur est tout simplement en classe, à la salle de muscu ou à la bibliothèque, comme tout étudiant normal, avec son téléphone éteint. Le même sérieux et la même intensité qu’il met maintenant sous les couleurs des Falcons quand il s’astreint à des exercices de boxe après l’entrainement du lundi ou qu’il ne rencontre les journalistes qu’après avoir effectué tout ce dont il a besoin (bains chauds, bains froids, massage, meeting supplémentaire avec un coach) pour pouvoir être performant sur le terrain.

Il prend son éducation tellement au sérieux qu’après avoir été drafté par les Falcons au sortir de son année junior, et donc de ne pas avoir pu finir son diplôme, il s’inscrit au cursus en ligne de FSU pour pouvoir obtenir le sésame universitaire et étudie même durant la saison régulière NFL, au grand étonnement et à la grande admiration de ses collègues pros. Son ordinateur lui sert aussi à participer à des forums en ligne où il poste son analyse et ses commentaires sur les causes et effets des stéréotypes et leur perception sociale.

En plus d’une éducation et de bourses Pell qu’il s’empresse d’envoyer à sa mère dès qu’il les reçoit, Devonta Freeman acquiert également une légitimité sportive et un profil intéressant pour les recruteurs NFL, qui aime son style et le partage des responsabilités à FSU lui permettant de ne pas s’user trop rapidement. La saison 2013 est celle de l’accomplissement personnel, devenant le premier running-back de FSU à depasser les 1000 yards à la course depuis Warrick Dunn, un ancien Atlanta Falcon devenu propriétaire d’une (petite) partie de l’équipe. Elle est aussi celle du triomphe collectif, avec le titre NCAA aux côtés de Jameis Winston, « bien que la victoire ait eu lieu au Rose Bowl ».

Cherchant un successeur au vieillissant Steven Jackson, les Atlanta Falcons en font leur choix de 4e tour de la draft 2014 (103e position). Si le public universitaire connaît bien le joueur au casque doré rempli d’autocollants de Tomahawks gagnés pour ses performances, le public plus intéressé par les pros découvre un jeune homme humble et sympathique aux performances impressionnantes lors de la 9e saison de Hard Knocks. Encore barré par l’ex-Ram Jackson en 2014, Freeman n’obtient son premier touchdown qu’en semaine 8, lors d’un match à Wembley contre Detroit. Symbole de sa versatilité, c’est en réception de passe qu’il entre dans la end-zone pour la première fois en pro.
En 2015, suite à la blessure de Tevin Coleman, Devonta Freeman devient le premier joueur de l’ère moderne de la NFL à marquer 3 touchdowns à chacune de ses deux premières apparitions en tant que titulaire et le premier depuis 2006, et LaDainian Tomlinson, à marquer trois fois dans deux matches consécutifs. Son style de course, nécessitant un seul trou dans la défense adverse pour s’y engouffrer, s’adapte parfaitement au schéma de bloquage de la ligne offensive des Falcons et rappelle, pour Eddie George, « des gars comme Jerome Bettis, Curtis Martin ou Fred Taylor, toujours prêts à attaquer les défenseurs ».

En atterrissant aux Falcons, Devonta a également récupéré le numéro 24, indisponible chez les Seminoles, en souvenir de sa tante favorite, étudiante en criminologie et morte d’une crise cardiaque à cet âge, quand Devonta n’en avait que 14,  et alors qu’elle avait toujours réussi à rester loin de la drogue et de l’alcool. Un rappel quotidien, en plus de son prénom tatoué sur son bras gauche, de la réalité glauque de sa vie d’avant mais une motivation journalière pour honorer la mémoire de celle qui, comme lui, avait tout pour s’en sortir et devenir une personne d’influence positive et un modèle pour la jeunesse de Liberty City. Pas vraiment étonnant d’apprendre donc que le morceau favori de Devonta soit « Changes » de Tupac…

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