[histoire] Anthony Muñoz : une grande muraille, un grand cœur

Une moustache 80’s à rendre jaloux Magnum. Des épaules aux allures de portes-avions. Des bras interminables. Une montagne de muscles. Un géant. Un colosse. Un titan. Non, Anthony Muñoz est plus...

Anthony_Munoz.0Une moustache 80’s à rendre jaloux Magnum. Des épaules aux allures de portes-avions. Des bras interminables. Une montagne de muscles. Un géant. Un colosse. Un titan. Non, Anthony Muñoz est plus que tout ça. À lui tout seul, il forme une véritable muraille. Une grande muraille. La Grande Muraille. Celle de l’Ohio. Celle des Bengals. Ne cherchez plus le meilleur lineman offensif de l’histoire, vous l’avez devant vous.

Californie mon amour

Ester. Une mère, seule, qui travaille des premiers rayons du soleil jusqu’aux derniers pour faire vivre ses rejetons. Une mère au courage et à la détermination sans faille. Un modèle de dévouement. Un modèle tout court. Très rapidement, Anthony et ses frères et sœurs apprennent que rien ne leur sera jamais donné dans la vie. Ils devront se battre. Gamin, dans sa Californie natale, il découvre le football sans contact. De 8 à 13 ans, il est quarterback d’une petite équipe de flag football. En même temps qu’il découvre les joies du ballon à lacet, il développe une passion aussi surprenante qu’intense pour les Chiefs. Pourquoi ? Lui-même ne le sait pas trop.

« J’ai grandi à l’ombre des Rams (à l’époque à Los Angeles, ndr), mais je n’étais pas particulièrement fan des Rams ; mais pour une raison que je ne m’explique pas vraiment, j’adorais les Chiefs. »

À tel point que quand il joue dans la rue avec ses potes, il se met dans la peau de ses lointaines idoles du Missouri. À 10 ans, il pouvait vous réciter l’effectif de KC d’une traite. Et ses 13 années à martyriser sa franchise de cœur sous les couleurs des Bengals n’y changeront rien. Les Chiefs auront toujours une place à part. Même pas ado, il est jugé trop gros pour jouer dans les ligues Pop Warner Football. Un programme de foot destiné aux jeunes et qui voit s’opposer des gamins de mêmes âges et mêmes tailles. La sécurité avant tout. Et avec son physique de déménageur en devenir, Anthony n’entre pas vraiment dans les critères. Recalé, il renonce au casque et aux épaulières et enfile une casquette et un gant de cuir. Mais il n’a pas renoncé au football pour autant. Juste un léger contretemps.

À USC, il partage sa chambre avec Brad Budde, futur choix de 1er tour des Chiefs et fils de Ed, ancienne gloire de la franchise du Missouri. Qu’il le veuille ou non, les Chiefs rôdent toujours autour de lui. S’il impose son incroyable masse physique sur les terrains de football, il manie également l’art du lancer avec brio sur les monticules. Sophomore, il décrochera d’ailleurs le titre national avec les Trojans en 78.

Joueur déterminé, exemplaire et au courage sans fin, il est la clé de voute des Bengals de Paul Brown. C’est d’ailleurs sous son impulsion que la franchise de l’Ohio connait ses premiers succès en playoffs. Et ses derniers. Troisième joueur à entendre son nom retentir lors de la draft 1980, Anthony est estampillé joueur à risque. La faute à un genou chancelant qui l’a contraint à 8 maigres rencontres au cours de ses deux dernières années universitaires. Pas de quoi le priver d’un succès étriqué de prestige face à Ohio State lors du Rose Bowl, le jour du Nouvel An (17-16). Pas de quoi non plus l’empêcher d’être nommé All-American en 78 et 79. Son impact va être immédiat. Pas le temps pour les Bengals de se demander si le risque en valait la chandelle.

Le mur de l’Ohio

En 1981, planqué derrière sa muraille d’un mètre 98 et presque 130 kilos, Ken Anderson, l’un des tout premiers élèves du père de la West Coast Bill Walsh,  joue les artificiers et rafle tout sur son passage. MVP, Joueur Offensif de l’Année, Comeback Player of the Year et un billet pour le Super Bowl. Le premier de l’histoire pour les Bengals. Une première amère face aux 49ers de son mentor et Joe Montana. Malgré un touchdown à 20 secondes de la fin, les joueurs de l’Ohio s’inclinent (21-26). Après la gloire, le désert. L’attente. Un petit tour et puis s’en va la saison suivante. Puis 5 saisons qui s’achèvent en décembre. Ou presque. Car Muñoz est un habitué de l’excursion de fin d’année à Honolulu. De 1981 à 91, il n’en ratera pas une. D’ailleurs, même lorsque les Bengals peinent, le tackle continue de briller. Tout seul. Comme un grand. Meilleur lineman offensif en 81, 87 et 88. Meilleur joueur de ligne offensive selon la NFLPA en 81, 85, 88 et 89. Il est la référence ultime. Le Tyron Smith des 80’s.

« Il n’y aucune comparaison possible entre lui et les autres tackles, » tranche l’ancien defensive end des Bills et Hall of Famer, Bruce Smith. « Il a prouvé année après année qu’il est tout simplement le meilleur. »

Bloqueur intraitable, il saute au cou de ses adversaires en un quart de seconde. Agile, vif et puissant, il profite d’un jeu de pied redoutable pour tétaniser ses opposants. En 1987, il n’accorde qu’un minuscule sack et demi en 11 rencontres. Résultat d’un travail acharné, mais aussi d’une philosophie de jeu, d’un état d’esprit de guerrier inculqué par ses coachs.

« S’il y a bien une chose sur laquelle on travaillait sans cesse, c’était d’apprendre à dominer nos adversaires de la tête et des épaules. On appelait ça finir nos blocs. On nous enseignait à rentrer dans notre vis-à-vis jusqu’à ce qu’on entende le coup de sifflet. »

Son succès, il ne le doit pas seulement à ses mensurations de géant. Il le doit avant tout à sa rigueur. À son acharnement. Malgré un lourd historique de blessures lorsqu’il débarque dans la NFL, il ne ratera que 3 rencontres en 12 saisons à cause de pépins physiques. Fragile disaient-ils? Une longévité qu’il doit à une discipline personnelle presque militaire. Des séances musculaires quotidiennes dans la salle de muscu qu’il a fait installer chez lui. 5 ou 6 kilomètres de course chaque matin. Le stoppeur n’est pas avare en efforts. Un travailleur infatigable. Le prix à payer pour rivaliser avec les defensive ends aussi féroces que rapides qui osent s’en prendre à son quarterback. Et comme si jouer les gardes du corps ne lui suffisait pas, Muñoz s’improvise receveur à l’occasion. Avec un certain succès. 7 réceptions, 18 yards et 4 touchdowns. C’est tout de suite plus simple quand on culmine à près de deux mètres.

En 88, après une longue traversée du désert, les Bengals retrouvent les playoffs. Seahawks et Bills écartés, voilà que se (re)présentent face à eux les 49ers. Anthony a changé de patron, mais l’issue est la même. À 34 secondes de la fin, Joe Montana donne l’avantage aux Californiens. Le MVP de la saison Boomer Esiason a beau tenter une passe de la dernière chance à destination de Cris Collinsworth, rien n’y fait. Les Bengals s’inclinent (16-20). Depuis, ils courent encore après un nouveau succès en séries.

Au nom des autres

Né en Californie, Anthony n’en oublie pas ses racines mexicaines pour autant. À tel point qu’il se sent l’âme d’un pionnier dans une ligue où les joueurs hispaniques ne sont pas légion.

« Bien que je sois né en Amérique, j’ai toujours essayé de rester proche de mon passé. Mes grands-parents sont venus du Mexique. Quand je suis devenu pro, dans des endroits comme South Central à Los Angeles, la communauté hispanique était euphorique. À l’époque c’était quelque chose de gros, parce que j’avais été drafté et que je n’étais pas un kicker. À mesure que je vieillissais, des programmes et initiatives de la NFL ont vu le jour pour intégrer la communauté hispanique. »

« Il y a un véritable sentiment de fierté et de reconnaissance pour ce que j’ai fait auprès de ceux de la communauté hispanique qui sont nés et ont grandi ici, aux États-Unis, une vraie portée historique. [..] Je crois bien que je suis une sorte de pionnier, parce que je suis le seul hispanique en vie à être membre du Hall of Fame. J’en profite pour le moment, parce que Tony Gonzalez ne va pas tarder à me rejoindre. »

Pionnier sur le terrain, mais pas seulement. Car il y a 35 ans, les Hispaniques n’étaient pas nombreux du côté de Cincinnati. Aujourd’hui, la donne a changé et Muñoz aime à croire qu’il n’y est pas totalement étranger. Malgré son physique de mammouth, Anthony a su se bâtir une réputation de montagne infranchissable grâce à une étonnante rapidité. Suffisante pour neutraliser les pass rushers les plus rapides de la ligue et leur faire perdre la tête. Mais plus que le joueur, c’est l’homme qui force l’admiration. Un respect unanime.

« Anthony est une bien meilleure personne encore qu’il n’était joueur, » assure Sam Wyche, ancien head coach des Bengals. « Et il est l’un des meilleurs joueurs de l’histoire. Ils est tout ce qu’un héros doit être, en tant que personne comme dans ses actes. »

11 fois Pro Bowler, Anthony Muñoz rafle presque toutes les récompenses imaginables pour un lineman offensif. Il incarne l’excellence à son poste. Et pas seulement. Il est l’archétype du footballeur professionnel. Impliqué. Passionné. Déterminé. Seul Hall of Famer de l’histoire des Bengals, il cultive avec Cincinnati une véritable histoire d’amour. À tel point qu’il y vit toujours avec sa famille et s’active tous azimuts auprès d’une communauté qu’il aime profondément. Pourtant, il a eu l’opportunité de retrouver la douceur californienne en tant que coach assistant à USC. Un poste de consultant TV sur les rives du Pacifique lui tendait les bras. Mais il a choisi de rester fidèle à sa bien-aimée Cincinnati. Pourquoi ?

« Ce sont tant le style de vie que nos racines qui nous ont décidés à rester ici. Ma femme et moi sommes tombés amoureux de ce coin du pays. C’est amusant, parce que pas loin de 40 ou 50 gars avec lesquels j’ai joué, des types originaires des Carolines, du Texas ou de Californie, ont décidé de rester à Cincinnati. Ma femme est originaire du sud de la Californie et on nous a rabâché les oreilles avec les durs hivers et le climat chaud. Honnêtement, je me moque des hivers. »

Ce ne sont pas quelques flocons et un mercure négatif qui vont faire flancher la Grande Muraille. Et s’il a décidé de rester dans l’Ohio, ça n’est pas pour se tourner les pouces, mais pour poursuivre ce qu’il avait déjà entamé alors qu’il jouait encore les boucliers humains sur les terrains de la NFL.

« Je pense que c’est une bonne chose d’être reconnu pour ce que vous êtes et pas seulement ce que vous faites. Être sur le terrain pendant toutes ces années m’a permis de me faire connaître. Mon but en arrivant dans la NFL était de m’installer (à Cincinnati) et d’être le meilleur lineman possible. Désormais mon but est d’être le meilleur mari, le meilleur père et le meilleur citoyen possible auprès de ma communauté. »

« Le football a été la cerise sur le gâteau. Je pense que plus vous travaillez sur vous, plus productif vous pouvez devenir. Aujourd’hui j’essaie de laisser un héritage, et qu’on se souvienne de moi un jour pas seulement comme un gars qui a joué pour les Bengals, mais comme quelqu’un qui aime sa communauté. »

Un engagement qui lui vaudra d’être élu Cincinnati Bengals Man of the Year cinq années de suite et de recevoir le Athletes in Action\Bart Starr Award en 1990, récompense annuelle remise à un joueur en hommage à son comportement exemplaire sur le terrain, à la ville et auprès de sa communauté. En 1991, il sera élu Homme de l’Année de la NFL.

« Je veux qu’on se souvienne de moi comme d’un homme bien. »

C’est chose faite.

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