[portrait] Julius Thomas, contre toute attente

Arriver au plus haut niveau sans y avoir été vraiment préparé, c’est le parcours vraiment pas commun de Julius Thomas, un joueur arrivé en NFL exactement à la bonne époque, correspondant...

Julius_Thomas_Broncos_Banner_670
Arriver au plus haut niveau sans y avoir été vraiment préparé, c’est le parcours vraiment pas commun de Julius Thomas, un joueur arrivé en NFL exactement à la bonne époque, correspondant à l’avènement à son poste d’un morphotype et de joueurs au passé de basketteurs, habitués à aller disputer les ballons en haute altitude. Mais aussi à déjouer les parcours les plus attendus…

S’il n’y avait pas eu Pete Carroll…

L’histoire commence véritablement en 1983 à la Pacific University de Stockton en Californie, à 120 kms à l’Est de San Francisco. C’est ici que Greg Thomas y joue au poste de receveur du haut de ses 1m98. Lorsque Pete Carroll, le tout frais coordinateur offensif trentenaire, lui propose de jouer au poste de running back pour exploiter son physique avantageux, Greg n’y voit pas d’inconvénients majeur, lui qui aime jouer au football sans adorer cela. Un plaquage malheureux de deux coéquipiers au cours du camp d’entrainement suivant lui explose le genou et annihile toute vague prétention à pouvoir aller voir à l’étage superieur. Il ne remettra plus jamais un crampon sur un terrain de football. Tout ceci lui enseignera l’extrême volatilité des choses de la vie et permettra à Greg de dire à Julius que « s’il n’y avait pas eu Pete Carroll, tu ne serais peut-être pas né ».

C’est à Stockton que naît quand même Julius Thomas en 1988, fils de Greg et de Deborah, rencontrée quelques années avant sa blessure. Avec ses gangs à chaque coin de rue, la petite ville ressemble un peu au Oakland voisin, la terre de naissance des Raiders dont toute la famille est fan bien que l’équipe d’Al Davis joue alors encore à Los Angeles. Avec ses parents et ses deux frères cadets, Marcus et Trenton, c’est bowling en famille tous les vendredis soir pour Julius Thomas, l’occasion pour lui d’aiguiser encore un peu plus sa compétitivité.

« C’était un rebondeur offensif phénoménal, une position où vous devez vous arracher pour récupérer la balle. Offensivement, il ne prenait aucun shoot à plus de deux mètres. Il était petit donc il devait être créatif dans sa manière de scorer et qui venait, en bonne partie, du contrôle de son corps. C’est une qualité qui se rapporte bien au football » Tyler Geving, coach de basket à Portland State

Dans la vie, le jeune homme veut tellement tout gagner qu’il met un point d’honneur à remporter le concours d’écriture à l’école. Pas très étonnant de sa part lorsque l’on sait qu’il passe la majorité de son temps avec un livre en main, une passion de la lecture qu’il a toujours gardée au point d’avoir donné plus tard a sa fondation le nom de « Reading equates Success » (« Lire équivaut à reussir »).

C’est néanmoins dans la natation (comme Ryan Fitzpatrick…) qu’il excelle tout d’abord. Son amour de l’eau fait germer en lui un métier de rêve, s’il ne devait pas parvenir aux sommets du sport américain : devenir biologiste marin. Une passion qui s’est transformée avec les années avec celles de l’architecture et de l’art, qu’il a suivie au cours de ses années lycéennes. Greg lui fait pourtant comprendre qu’il lui faudra trouver une matière plus « terre-à-terre » à étudier à l’université, ce que Julius fera en suivant des études de finance puis de Business Management.

Pas exclu du developpement sportif de ses garcons, Deborah apporte sa pierre à l’édifice en leur faisant pratiquer de nombreux sports, pariant sur la mémoire des muscles et leurs capacités à s’adapter aussitôt à un sport entrevu quelques années auparavant. Et qui dit devoir parental dit également longs trajets en voiture pour emmener les jeunes au stade. C’est lors de ces trajets que Deborah leur fait répéter son mantra, sa leçon de vie « Je peux, je peux, je sais que je peux. Fixez-vous des objectifs et travaillez dur pour les atteindre. Il n’y a rien que vous ne puissiez faire ». Les graines de l’ascension de Julius Thomas sont plantées…

Tokay du foot

Julius_Thomas_Escaliers_670
Si le lycée voisin de Bear Creek fait les yeux doux à Julius, c’est au lycée de Tokay, un peu plus au Nord, que Julius va passer les quatre prochaines années. Le programme des Tokay Tigers est bien meilleur au niveau sportif mais, surtout, son meilleur ami, Vincent, y a également été admis. Pas de grandes questions à se poser alors…
Avec son mètre soixante-quinze et ses 77 kilos, Julius n’est pas encore hyper impressionnant lorsqu’il rentre au lycée mais il parvient à se faire une place de receveur dans l’équipe. En quelques mois, sa courbe de croissance monte cependant en flèche et le voit grandir jusqu’à 1m88. Comme souvent à cet âge, tout se fait dans la douleur et la croissance de Julius Thomas n’échappe pas à la règle.

Bien que son physique soit comparable à celui de Mike Williams, le receveur de USC d’alors, d’après Louis Franklin, le Directeur des Sports à Tokay, Julius Thomas doit abandonner le football, à son corps defendant. Il se dirige alors vers l’équipe de basket, pas mécontente de voir arriver un joueur avec son physique. Néanmoins, ses limites techniques sont flagrantes et si attraper des ballons ovales semble naturel pour lui, envoyer des ballons ronds dans un arceau est un tout autre challenge.

« Vous m’avez eu quand j’avais 16 ans, vous ne m’aurez pas à 21. C’est quelque chose que je dois faire. Je ne veux pas me retrouver assis sur mon fauteuil un jour et me dire : « Ah, j’aurais dû jouer au football !» » Julius Thomas

Trop conscient de l’importance de décrocher une bourse pour son futur, il s’attelle donc à la tâche quotidiennement pour devenir meilleur sur ce nouveau terrain de jeu. Remplaçant pendant son année de freshman, le déclic s’effectue entre sa 1ère et sa 2e année où il commence à réellement prendre conscience du potentiel qui est le sien en basket, tout en acceptant ses limites. Il décide de passer encore un cap lors de son année junior, en se levant tous les matins à 5h 20 pour pouvoir être à Tokay à 6h afin de s’entrainer, de soulever de la fonte et de shooter pendant 1h30 avant le début des cours. Désormais, du haut de son 1m95 et de ses 97 kilos, il joue si bien que tout le monde lui dit qu’il serait stupide de risquer une bourse universitaire de basket en Division I en se blessant sur le terrain de foot, idée qui court toujours dans un coin de sa tête. Courtisé par les universités de Portland State et Boise, il décide de rejoindre l’Oregon.

En arrivant sur le campus, il se glisse au milieu des repas réservés aux joueurs de l’équipe de foot, qu’il voit s’entrainer tous les matins depuis les fenêtres de sa chambre universitaire, et demande au coach de foot de le faire jouer receveur dans l’équipe. Mais si le coach en question lui repond « On ne dit pas non à un receveur d’1m95 », son homologue des parquets indique à Thomas qu’il est hors de question qu’il fasse du football. Néanmoins, Julius n’oublie pas que l’entraineur des hommes casqués lui a également indiqué, pour terminer, que s’il « fait une saison redshirt en première année, il (lui) restera une année d’éligibilité pour jouer au foot ». Une pensée qui ne le quittera jamais vraiment…

Un vrai basketightend

Julius_Thomas_Portland_State_Basketball_Banner_670
Sur les parquets, Julius endosse le maillot des Vikings à 121 reprises, bat les records de l’université au nombre matches joués (121), de victoires (78) et du pourcentage d’adresse en carrière (66,3%) tout cela avec une moyenne de 6,8 pts et 4,3 rebonds en 4 saisons, dont une année senior à 10,8 pts et 5,9 rebonds, son apogée personnelle.
L’équipe de Portland State, elle, connaît son apogée sportive les deux saisons précédentes, avec des apparitions au Tournoi Final NCAA, la fameuse « 
March Madness ». Les Vikings de Julius Thomas ont l’insigne honneur en 2010 d’être éliminés au premier tour par Kansas, la tête de série numéro 1 et futur champion, drivé par de futurs joueurs NBA comme Mario Chalmers, Brandon Rush ou Darrell Arthur.

« Je ne suis pas archi-content quand je vois mon nom en une, je ne suis pas hyper déçu quand les gens me critiquent. Je ne regarde pas de photos de moi, je ne mets pas de plaques au mur, je ne lis pas d’articles sur moi. Vous devez d’abord avoir une estime de vous intrinsèque et qui ne soit pas basée sur l’opinion publique »  Julius Thomas

Avec la fin de sa carrière, les choix sont maintenant peu nombreux pour Julius Thomas : poursuivre une carrière pro à l’étranger ou raccrocher les sneakers et rentrer dans la vie active. Lui n’a pas oublié qu’une troisième voie était toujours possible. Demandant à intégrer l’équipe de foot pour une dernière saison sur le campus, le coach de l’équipe, Nigel Burton, teste sa motivation en lui lançant une invitation à venir s’entrainer un dimanche soir à 21h. Julius répond évidemment présent.
Devenant le « 
projet » de Steve Cooper, l’entraineur des receveurs, Thomas doit apprendre à courir sur du turf et à y effectuer des cuts precis. Il sait qu’il est derrière les autres donc il réalise un travail titanesque en visionnant des vidéos et en s’entrainant plus que les autres, souvent en restant après chaque entrainement pour attraper de nouvelles passes ou courir des traces. L’avantage de ne jamais avoir fait de football ? Ses mauvaises habitudes ne sont pas inscrites profondément en lui et peuvent être changées plus facilement que pour un joueur qui joue au football depuis tout petit.

En une saison de foot à Portland State, et malgré un bilan collectif assez mauvais de 2 victoires et 9 défaites sur la saison, il devient first team all-Big Sky Conference en attrapant 29 passes pour 435 yards et 2 touchdowns. Ne perdant jamais l’idée de Plan A et de Plan B enseigné par sa mère, Thomas prépare ses LSAT, concours d’admission aux écoles de Droit, n’étant pas vraiment sûr d’être drafté en NFL.
Emballé par les performances de ces nouveaux hybrides « 
basketightends » comme Jimmy Graham ou Tony Gonzalez, les Broncos de John Elway décide de donner sa chance à Thomas, en le sélectionnant au 4e tour de la draft 2011 en 129e position.
Reconnaissant, le joueur envoie depuis des chèques à Portland State « 
pour mettre au bout » quand ceux de l’Université ne couvrent pas toutes les dépenses afférentes à l’accueil des nouveaux joueurs dans l’équipe. Tout ça commence alors même qu’il ne gagne que 555 000 dollars avec son contrat rookie. A l’image de l’épitaphe qu’il rêve d’avoir sur sa tombe : « Julius Thomas a aidé les autres dès qu’il l’a pu ».

Banco chez les Broncos

Julius_Thomas_NoiretBlanc_Portrait_670
Sa carrière NFL ne commence pas sous les meilleurs auspices pour lui, un joueur avec une expérience d’une seule petite saison de football. En effet, l’été 2011 correspond à celui du lockout en NFL, laissant les joueurs livrés à eux-mêmes. Désirant se mettre dans le grand bain le plus vite possible, Julius Thomas trouve quand même le numéro de Brian Dawkins par son agent et se retrouve dans le camp d’entrainement du vétéran, seul rookie parmi 30 autres joueurs.
Néanmoins, pour ses deux premières saisons avec les Broncos, Julius Thomas ne révolutionne pas le poste, c’est le moins que l’on puisse dire. En neuf matches, il ne réceptionne qu’une seule passe, en semaine 2 de sa saison rookie 2011 contre les Bengals, sur laquelle il se blesse à la cheville.

De rechutes en rechutes, cette blessure réduit considérablement son impact. Même l’arrivée en 2013 de Peyton Manning, « 
L’Homme qui murmurait a l’oreille des Tight-Ends », n’améliore pas les chiffres de Julius et ce sont ses concurrents directs, les deux autres « J » Jacob Tamme et Joel Dreessen, qui profitent des passes lasers du futur Hall-of-Famer. Julius, à deux doigts d’abandonner son rêve, de sauver ce qui reste de sa cheville et de mettre à profit son diplôme universitaire dans la vie civile, se donne néanmoins une dernière chance. Il s’en voit également offrir une dernière lorsque les Broncos, plutôt que de le couper, le placent dans le Practice Squad afin qu’il puisse rattraper le retard footballistique de toute une vie à un rythme moins harassant que celui de l’équipe première. « Je peux, je peux, je sais que je peux… »

Et les dividendes ne se font pas attendre puisque c’est l’explosion tant attendue en 2013. Avec 65 réceptions et 13 touchdowns, Julius Thomas gagne ses galons de Pro Bowler, dans les traces exactes de ses prédécesseurs Gonzalez, Graham ou Antonio Gates, ces anciens basketteurs devenus tight-ends de légende. En 2014, il devient même le premier tight-end de l’histoire à amasser au moins 12 touchdowns deux saisons consécutives.

A l’âge de 27 ans, il doit négocier en 2014 son premier vrai contrat, ayant refusé l’extension de cinq ans et 40 millions de dollars offerte par les Broncos à l’intersaison précédente. Celle-ci l’aurait placé à la 3e place des tight-ends les mieux payés de la ligue mais seulement à la 9e en comptant, comme le fait Thomas, l’année de salaire 2014 au tarif rookie, le tout sans grande garantie commes tous les contrats NFL.

Alors, malgré l’achat très proche d’une maison à 800 000 dollars dans la banlieue de Denver, c’est chez les Jacksonville Jaguars de Blake Bortles que Julius Thomas décide de signer un contrat de 5 ans et 46 millions. Contre toute attente… Mais pouvait-on vraiment s’attendre à autre chose de la part d’un joueur au parcours si singulier ?

Tags →  
Partagez cet article sur : Twitter Facebook
Afficher les commentaires