[histoire] Eric Dickerson : Mr. Goggles

Son inamovible paire de lunettes en travers du visage. Une fine moustache déposée au-dessus des lèvres. Des boucles en pagailles qui parsèment son crâne. Difficile de ne pas le reconnaître....

1101002P RAMS V FALCONSSon inamovible paire de lunettes en travers du visage. Une fine moustache déposée au-dessus des lèvres. Des boucles en pagailles qui parsèment son crâne. Difficile de ne pas le reconnaître. Eric Dickerson fait partie de ces joueurs inimitables. Et à bien des égards. Car si son look détonne, son style aussi. Et plus que simplement détonner, il fait des merveilles. Ou des ravages. Question de point de vue.

Un pur-sang chez les Mustangs

Biberonné dans le Texas, c’est là-bas qu’il fait ses armes et se mue en machine de guerre. Un athlète hors norme, mais au tempérament indécis, Après s’être engagé avec Texas A&M, Eric fait machine arrière. USC, Oklahoma ou SMU. La lointaine Californie, l’Oklahoma voisin ou son Texas natal. Convaincu par son arrière-grande tante, c’est finalement le choix du cœur qui l’emporte. Pas question de quitter le Lone Star State. Pas encore. Et surtout, la vieille tante est fan de Ron Meyer, le coach de la Southern Methodist University. Un retournement de veste non sans remous. La légende raconte que Dickerson aurait commencé à conduire une Pontiac Trans-Am peu de temps avant de mettre un vent aux Aggies et de filer chez les Mustangs. Puis soudainement, la voiture aurait disparu, détruite par un fan furibond de Texas A&M. Une période trouble et des rumeurs persistantes. La jeune pépite a-t-elle reçu un petit cadeau de la part de SMU pour rejoindre son campus de Dallas ? Même aujourd’hui, la réponse de l’intéressé reste évasive : « Même si j’avais reçu quelque chose, je ne le dirais toujours pas. »

« Il n’y a eu aucune enveloppe, mais a-t-on pris soin d’Eric à SMU ? Bien sûr, » explique Ron Meyer. « Lui a-t-on acheté une voiture ? Non. Nous lui avons peut-être bien fait le plein, mais nous ne la lui avons certainement pas achetée. »

Il faut dire qu’à l’époque, le meilleur running back lycéen du pays selon le magazine Parade est convoité. Très convoité même. À tel point que sa grand-mère reçoit d’une fac une mallette garnie de 50 000 dollars en billets verts. Une fortune pour l’époque. D’autant plus pour une famille qui peine à conserver 50 dollars sur son compte en banque.

Aux commandes du « Pony Express » avec son acolyte Craig James, Eric fait des ravages. En quatre saisons avec les Mustangs, il arrache 4450 yards au sol en 790 courses. Bye-bye les deux records de Monsieur Earl Campbell dans la Southwest Conference. Pour sa dernière année, et s’il partage toujours le temps de jeu avec James, Eric parvient à se hisser sur la troisième marche du podium dans la course au Heisman Trophy. Derrière l’autre coureur Herschel Walker et un petit blondinet nommé John Elway. Avec 1617 yards, une moyenne de 7 yards par course et 17 touchdowns cette année-là, il est nommé First Team All-American. Le Heisman lui échappe pourtant. Pourquoi ? Une énigme. Car Walker a eu besoin de 103 courses de plus pour ne gagner que 135 petits yards supplémentaires. Des touchdowns, il en a inscrit un de moins. Mais c’est bien lui qui décroche la statuette. Celle d’Eric.

« Tu sais que tu as reçu mon Heisman, » glissera Dickerson à Walker en le croisant.

Pas de Heisman, mais des touchdowns en pagaille. En tout, ce sont pas moins de 48 touchdowns qu’il inscrira aux rênes du Pony Express. Son CV bien rempli, Eric Dickerson se présente à la draft avec l’étiquette de franchise running back frappée sur le casque. Vous voulez un joueur autour duquel bâtir votre équipe. Ne cherchez plus. Il est sous vos yeux. John Elway « envoyé » chez les Colts de Baltimore avec le premier choix général, vient le tour des Rams. Et d’Eric. Une sélection qui relève de l’évidence pour une franchise autant abonnée aux playoffs qu’aux déconvenues qui vont avec. Un no brainer.

dickerson-n-paytonUn coup de foudre, deux coups de tonnerre

Si rejoindre les Los Angeles Express dans l’USFL l’effleure un temps, il choisit finalement de rejoindre la NFL. Pour la plus grande joie d’une autre formation de L.A. Dès sa première saison, il efface des tablettes presque tous les records de rookie imaginables. Le plus de courses (390), le plus de yards gagnés au sol (1808) et le plus de touchdowns par la voie terrestre (18). Il en ajoutera deux par les airs. All-Pro, Pro Bowler, Joueur de l’Année et Rookie de l’Année. Il réalise une véritable razzia. Pas rassasié, il continue sur sa lancée la saison suivante et intègre le club fermé des 2000-yarders. 1984 sera l’année de tous les records.

12 fois il franchira la barre des 100 yards, effaçant par la même occasion le record d’O.J. Simpson. Oubliez l’ancien coureur des Bills, la nouvelle référence s’appelle Eric Dickerson. Le running back aux lunettes engloutit 2105 yards et ridiculise la marque établie par O.J. en 1973 (2003 yards). Il lui aura suffi de 15 rencontres pour dépasser son illustre prédécesseur (2007 yards en 15 matchs). L’histoire, il l’écrit le 9 décembre 1984. Au Anaheim Stadium. Sa victime du jour : les Houston Oilers de Warren Moon et la pire défense au sol de la ligue. Il lui faut 212 yards pour passer à la postérité. Derrière une ligne en béton armé, ça ne sera qu’une formalité. À la pause, Dickerson a déjà cavalé pour 106 yards. La moitié du travail. Un touchdown de 7 yards. Un de 6. Puis avec un peu plus de 3 minutes au compteur, la délivrance. 47 gap. Un guard, un tight end et le full back en mouvement. Derrière, un coureur à lunettes. Eric cut vers l’extérieur. 9 yards. 49 092 voix qui s’élèvent. Le record est dans la poche. Il lui fallait 212 yards. Il en aura parcouru 215. Le premier coup de tonnerre vient de retentir.

« Maintenant je peux me concentrer sur les playoffs et ne plus me soucier des 2000 yards. »

Se concentrer sur les playoffs, il n’aura pas à le faire bien longtemps. Car si ses 5,6 yards par course propulsent les Rams en séries, la franchise de L.A. calera dès le premier tour face aux Giants. Une saison historique, mais pas suffisamment pour décrocher un titre de MVP qui tombe dans les bras de Dan Marino. Pourtant, depuis plus de 30 ans, tout le monde se casse des dents sur l’un des records les plus prestigieux de la ligue. Même l’extraterrestre Adrian Peterson. Dickerson, ses lunettes et ses grands compas tiennent le coup.

« J’avais horreur des lunettes, ne vous méprenez pas, mais je me sentais nu sans elles. Comme si je jouais sans casque. »

Un record de géant. À l’image de son détenteur. Car du haut de son mètre 91, Eric n’a pas vraiment les mensurations classiques d’un coureur. Athlète massif, c’est pourtant sa vitesse qui désarçonne les défenses. Des crochets incisifs, instinctifs, d’une fluidité rare. Dickerson ne perd par un quart de seconde et semble accélérer à chaque changement de direction. Droit comme un « I », les épaules hautes, le regard rivé devant lui, il galope et fait ricocher autour de lui des défenseurs incapables d’arrêter ses 100 kilos lancés à pleine vitesse.

Malgré une campagne 1985 écourtée de deux rencontres à cause d’un différend contractuel, Eric avale tout de même 1234 yards. Comme pour se racheter de sa bouderie de début de saison, il signe un record de playoffs face aux Cowboys en dévorant 248 yards au sol. Les Rams passent le premier tour avant de se faire éteindre par les Bears le dimanche suivant (0-24). Loin d’être derrière lui, la dispute contractuelle commence à envenimer les relations entre le joueur et ses dirigeants. Finalement, le couperet tombe au terme d’une saison 87 raccourcie par la grève. Eric Dickerson ne jouera que 3 rencontres. Ses 3 dernières sous les couleurs des Rams. Car le tonnerre va bientôt gronder une seconde fois.

eric-dickerson-indianapolis-colts-1990_pg_600Le Poney devenu Poulain

La franchise de L.A. monte un échange de mammouth pour envoyer sa pépite dans l’Indiana. L’une des plus grosses transactions de l’histoire de la ligue. Dans un échange à trois équipes, les Colts envoient le linebacker Cornelius Bennett chez les Bills en échange de leur choix de premier tour de 1988, de premier et deuxième de 89 et du running back Greg Bell. Les Colts expédient instantanément le coureur et les trois choix de draft qui l’accompagnent, ainsi que leurs propres choix de premier et deuxième tour de 88, leur choix de deuxième tour de 1989 et le running back Owen Gill vers la Cité des Anges. Adieu le soleil californien. Un an plus tard, envoyé de Dallas à Minneapolis en échange de 18 joueurs, Herschell Walker le battra. Encore une fois.

« Honnêtement, je n’étais pas emballé. Mais je n’avais pas d’autre choix donc il fallait bien que je fasse comme si. »

Dans son malheur, Eric retrouve son ancien mentor de SMU fraîchement recruté par les Colts, Ron Meyer. En seulement 9 petites rencontres pour sa saison inaugurale du côté d’Indy, il décroche 1011 yards et plonge 5 fois dans la peinture. Dans son sillage, la franchise met fin à une disette de 10 ans et signe enfin une saison positive avec un billet pour les playoffs en prime. Pour son retour à L.A., il est accueilli par une pluie de faux billets. Ses anciens fans ont la rancœur tenace. Bien sous ses nouvelles couleurs, Dickerson engloutit 1659 yards et marque 14 fois. Pour la première fois en plus de 30 ans, un coureur des Colts pointe au sommet de la ligue. Eric est à son apogée. C’est le moment d’entamer la descente.

L’année suivante, il reste dans le tempo et avale plus de 1300 yards. Eric, sa moustache et ses lunettes franchissent la barre des 10 000 yards. Il leur aura fallu seulement 91 rencontres. Plus rapides que Jim Brown (98), Barry Sanders (103), Emmitt Smith et LaDainian Tomlinson (106). En sept saison, il aura systématiquement atteint les 1000 yards. Un record alors. Puis lentement, mais sûrement débute la chute. Blessures, nouveaux différends contractuels et suspensions. La brillante carrière de Dickerson s’assombrit soudainement. Mécontent, le running back le mieux payé de la ligue arrive à épuiser la patience de ses dirigeants. Placé sur la liste des joueurs inactifs avant l’entame de la campagne 90, il y passera 7 semaines et laissera passer plus de 600 000 dollars de salaire. 677 yards. Le temps de dépasser Jim Brown sur la liste des meilleurs dévoreurs de yards au sol, bien calé derrière Walter Payton et Tony Dorsett. Puis 536 yards. 1-15. Une saison à ranger aux oubliettes. Dickerson en a marre. Il veut partir. Quitter la ville au plus vite. Fuir Indy. Son vœux sera entendu. Adieux l’Indiana. Retour à L.A. Retour aux sources, mais nouvelle équipe. Cette fois-ci, Eric enfile la tunique noir et argent des Raiders.

Quelques éclairs par-ci. Quelques éclairs par-là. Deux derniers matchs à plus de 100 yards. Histoire de porter son total à 64. Une chevauchée folle de 40 yards en primetime en souvenir du bon vieux temps. Puis un nouvel échange. Cette fois, direction la Georgie. Contre un simple choix de 6e tour. Une saison à jouer les doublures. Triste fin. Envoyé chez les Packers, il ne passera pas les tests physiques. Piteuse fin. C’en est trop pour Dickerson. Le coureur raccroche son casque et ses lunettes.

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