[histoire] 10 janvier 1982 : le Freezer Bowl

Un 10 janvier. Un duel de playoffs. Le froid. Mordant. Glacial. Impitoyable. Si demain, les Seahawks et Vikings pourraient bien devoir affronter un froid polaire en plus de leur adversaire...

freezer-bowl-dan-foutsUn 10 janvier. Un duel de playoffs. Le froid. Mordant. Glacial. Impitoyable. Si demain, les Seahawks et Vikings pourraient bien devoir affronter un froid polaire en plus de leur adversaire du jour, ils ne seront pas les premiers. Il y a 34 ans, Cincinnati semble s’être téléportée sur la banquise. The Queen City est frappée par un véritable blizzard. Le Riverfront Stadium a des allures de frigo version XXL. Le Freezer Bowl. Le match le plus froid de l’histoire. Ou presque. Le grand coupable : le vent.

Choc thermique

Qui des Chargers ou des Bengals grimpera sur le trône de l’AFC ? À quelques pas d’une Ohio River figée par le froid sibérien, l’imposante masse de l’antre des Bengals s’apprête à accueillir l’une des rencontres les plus glaçantes de l’histoire. Si les Californiens n’ont guère fait illusion (17-40) face aux tigres quelques semaines plus tôt, en saison régulière, le duel du jour s’annonce bien plus relevé. Accroché. Acharné. Une vraie joute de playoffs. Du moins on le croit. D’un côté, l’armada offensive de Don Coryell, Dan Fouts en commandant de bord, Chuck Muncie et ses 19 touchdowns et la sensation rookie James Brook et ses 2093 yards cumulés en aiguilleurs au sol ; de l’autre, la muraille Anthony Muñoz, le MVP et Comeback Player of the Year Ken Anderson et un petit rookie du nom de Cris Collinsworth. Les Bengals viennent de remporter le premier match de playoffs de leur histoire en se défaisant des Bills grâce à un stop sur l’ultime drive. En face, les Chargers sont sortis vainqueurs d’un duel d’anthologie face aux Dolphins de Don Shula. Plus de 30 degrés dans l’air. Une humidité accablante. Des joueurs déshydratés. Un match à n’en plus finir. 41-38. Jusqu’au bout du suspense. Jusqu’au bout des prolongations. Miracle That Died. Game No One Should Have Lost. Epic in Miami. L’un des plus beaux matchs de l’histoire. Peut-être bien le meilleur.

Une semaine plus tard, les hommes de « Air » Coryell débarquent dans un glaçon géant. Le 2 janvier à Miami, le mercure atteignait 31 degrés. Huit jours plus tard à Cincy, il chutait à -38. Un gouffre. Choc thermique assuré. La faute à une immense dépression gorgée d’un froid glacial descendue de la Baie d’Hudson. L’équivalent d’un ouragan de catégorie 2 déversant des bourrasques gelées jusque dans le nord des États-Unis voisins. À l’heure du coup d’envoi, il fait -23 dans l’air. Associé à des rafales de vent soufflant jusqu’à 43 km/h, le mercure chute à -38 degrés au pire de la journée. Jamais température éolienne sera descendue aussi bas lors d’une rencontre NFL. Le jour le plus froid jamais recensé à Cincinnati. Pendant ce temps à Chicago, la même tempête fait dégringoler le mercure à -68… Mais dans la Grande Ligue, on ne recule pas devant le froid. On l’affronte. Demandez aux acteurs du Ice Bowl, le match le plus froid de l’histoire en terme de température atmosphérique. À peine le bout du nez dehors, le Charger Hank Bauer fait connaissance avec le vent. Mordant. Saisissant. Glaçant. Pas un temps à mettre un Californien dehors. Encore moins 45.

« Quand je suis sorti du tunnel… oh mon Dieu, (le vent) vous frappait à un point tel, comme si quelqu’un venait de vous percer de 100 couteaux. »

De retour au vestiaire, il prévient ses potes.

« Quoique vous portiez, enlevez-le. Primo, ça vous empêchera de bouger ; deuzio, ça ne servira rien. »

Côté Bengals, on joue les durs. La ligne offensive passera toute la rencontre en manches courtes. Les bras à l’air. À la place, ils se badigeonnent les biscoteaux de vaseline. Et ils ne seront pas les seuls à jouer les poils de bras balayés par la brise glaçante.

« Ils étaient fous de jouer sans manches longues, mais ce sont des joueurs de football professionnels. Je n’allais pas leur dire quoi porter, » se rappelle le coach Forrest Gregg.

Les plus frileux, par contre, recourent à des techniques pour le moins cocasses pour lutter contre le froid et conserver leurs membres au chaud. Tous leurs membres. Certains iront jusqu’à glisser des bouteilles d’eau chaude dans leurs coquilles de protection. Et quand le jeu s’arrête, ils font les cent pas, leurs mains plongées dans leurs pantalons pour se maintenir à température. Bas nylons, emballages en plastiques. Tout moyen est bon pour couper le froid. Aux grands maux, les grands remèdes. Et mieux vaut se ruer sur les extras d’équipement. Pas comme Charlie Joiner.

« J’étais en train de glandouiller dans le vestiaire, tout bêtement assis à penser au plan de match, pendant que tout le monde était en train de chercher des choses à se mettre. Et bien pas moi. Quand je me suis habillé pour l’échauffement, tout était parti, les hauts à manches longues, les collants, les paires de chaussettes en rab. Ils avaient tout pris. Je suis sorti avec mon équipement habituel, aussi court-vêtu que si j’étais à San Diego. Quand je suis sorti pour l’avant-match, je ne me suis jamais senti aussi mal de toute ma vie. C’était hallucinant. »

En tribunes, le café d’un du commentateur de NBC, Dick Enberg, gèle purement et simplement. Les caméras, elles aussi, sont mises à rude épreuve. Plusieurs d’entre elles rendront l’âme. La NFL a fait venir des bancs chauffés de Philadelphie pour réchauffer le popotin des joueurs. Le synthétique du stade, déjà costaud en temps normal, est dur comme du béton.

« Pendant le match, c’était comme un deuxième coup, » raconte le bloqueur des Bengals, Dave Lapham. « Vous frappiez quelqu’un, puis le sol… C’était presque aussi douloureux que deux corps qui se rentrent dedans. »

freezer-bowl-couillonAvec ou sans glaçons ?

Malgré un mercure en berne, ils sont plus de 46 000 à se masser dans le Riverfront Stadium. Parmi eux, quelques âmes suicidaires qui font tomber le haut. Ancien Packer, le coach des Bengals Forrest Gregg connait bien ce genre de conditions dantesques. En 1967, lors du Ice Bowl, il était sur le terrain. Avant d’entrer sur le synthétique, il prévient ses joueurs : ça sera aussi douloureux et désagréable qu’un rendez-vous chez le dentiste, mais en bien plus long. Les locaux gagnent le toss et choisissent d’avoir le vent frigorifiant dans le dos plutôt que le ballon. L’objectif : neutraliser le jeu aérien des Californiens d’entrée en les contraignant à jouer face aux éléments. Ils engageront à nouveau au retour des vestiaires. Un fait rare dans l’histoire de la NFL.

Un field goal pour ouvrir le score, un fumble recouvert sur les 12 yards sur le coup d’envoi et une réception victorieuse du tight end M. L. Harris. La stratégie est payante et les joueurs de l’Ohio font rapidement le trou (10-0). Face au vent, le kicker des Chargers rate la cible de 37 yards et les siens restent fanny. Si les visiteurs du Sud parviennent à trouver la faille dans le 2e quart-temps grâce à l’inévitable doublette Dan Fouts-Kellen Winslow, c’est pour mieux plier avant la pause. Incapable de s’adapter aux conditions dantesques, le passeur de San Diego se fait intercepter une première fois à quelques pas de la Terre promise. Puis une seconde. Dans la peinture cette fois-ci. Pourtant, rien n’est encore joué au moment d’aller se réchauffer au vestiaire (17-7). Des deux côtés du ballon, les joueurs doivent composer avec le vent tourbillonnant. Impossible de lancer de parfaites spirales. Sauf quand on s’appelle Ken Anderson.

« Essayer de lancer le ballon sans gants dans ce froid est presque impossible, » raconte l’ancien Charger à l’époque, puis Bengal plus tard, Charlie Joiner. « Il faudrait avoir des mains de gorille pour pouvoir attraper quoique ce soit. J’ai joué avec Ken Anderson pendant trois ans et demi. Il avait des mains immenses. »

« Par chance, j’ai toujours eu le don de lancer des spirales vraiment serrées, ce qui m’a vraiment aidé ce jour-là, » explique l’intéressé. « Nous nous sommes cantonnés à notre jeu court et intermédiaire dans les airs. Nous n’avons pas souvent envoyé le ballon vers les lignes de touche. Nous somme restés fixés sur le milieu du terrain. »

La clé du match. Car dans les airs, le ballon valdingue dans tous les sens. Ne comptez pas l’attraper avec vos mains ou du bout des doigts. Pour se saisir du cuir, il faut savoir anticiper ses ondulations et le coincer contre sa poitrine. L’ajustement. La clé des airs ce 10 janvier. Et à ce petit jeu, Ken Anderson et les défenseurs de l’Ohio ont donné une leçon à Dan Fouts et ses receveurs.

Le plein de chaleur fait, les Bengals vont prendre le contrôle total sur la rencontre. Un véritable putsch. Sur la première série, Chuck Muncie se fait arracher le ballon des bras. Déjà la quatrième perte de balle pour les hommes de Don Coryell. Cincinnati en profite pour ajouter trois points pendant qu’en face, Rolf Benirschke manque à nouveau les poteaux de 50 yards (20-7). La réplique est immédiate. Cinglante. 14 jeux plus tard et une courte passe dans les bras de Don Bass, la rencontre est pliée (27-7). Dans un drive de la dernière chance, les Chargers butent à 5 yards de la endzone. Il reste moins de 3 minutes, ils resteront muets jusqu’au coup de sifflet final. Mortifié par le froid, Dan Fouts est passé à côté de son sujet. En face, Ken Anderson, le natif de Batavia dans l’Illinois, a su dompter les éléments pour livrer une performance pleine d’application et de sérieux. Digne de son rang de MVP.

Victorieux ou vaincus, les 90 acteurs sont tous marqués physiquement. Et pour longtemps. Kellen Winslow souffrira d’engelures persistantes aux orteils, révélera-t-il. Ken Anderson a l’oreille droite brûlée par le froid. Dan Fouts quitte le terrain avec les stalactites dans la barbe. Des années plus tard, il porte encore les séquelles de ce glacial 10 janvier raconte Peter King de theMMQB.com :

« Quand il fait froid, Fouts ressent une douleur dans ses deux pieds et ses deux mains, du creux de la main jusqu’au bout des doigts – et ce depuis le 10 janvier 1982… J’ai parlé avec lui vendredi. ‘On ne peut rien y faire,’ m’a-t-il expliqué au téléphone. ‘Ça fait partie de l’histoire. Il fallait bien jouer le match et on ne pouvait pas imaginer ce que ça occasionnerait par la suite. Le pire, vraiment, c’est qu’à l’époque, il n’y avait pas de gants pour les quarterbacks. Kenny Anderson et moi n’avons pas eu, ce jour-là, le luxe que les joueurs d’aujourd’hui peuvent avoir.' »

Si la ligue pense un temps à reporter la rencontre, cela ne sera jamais sérieusement envisagé. Au lieu de ça, elle préfère recommander aux équipes de changer de tenues à la mi-temps et d’utiliser des serviettes chaudes et sèches durant la rencontre. Les Bengals suivront la seconde recommandation, mais se passeront de la première. Si les acteurs souffrent, les fans aussi. Si quelques illuminés exposent leurs torses nus aux objectifs des photographes, 99,99% des 46 302 Inuits garnissant les travées du Riverfront Stadium sont emmitouflés sous des couches de tissus à n’en plus finir. De la tête aux pieds. Seuls leurs yeux émergent à la lumière du jour. 13 277 sièges sont laissés vacants par des fans ayant préféré rester bien au chaud dans leur canapé. Aux abords du stade, vous pouvez trouver refuge dans des bus chauffés et pleins à ras bord de couvertures venues d’un hôpital voisin. La police patrouille dans les gradins en quête de personnes en besoin d’assistance. Plusieurs spectateurs feront des malaises cardiaques rapporte le NY Times le lendemain.

« Je ne laisserais jamais mon chien sortir par un temps pareil, » racontera Kellen Winslow.

Deux semaines plus tard, dans le confort du Silverdome de Pontiac, les 49ers de Joe Montana et Bill Walsh briseront les rêves des Bengals.

Tags →  
Partagez cet article sur : Twitter Facebook
Afficher les commentaires