[histoire] Deacon Jones : The Secretary of Defense

Avant, le sack n’était rien. Puis David « Deacon » Jones est passé par là. Chasseur de quarterbacks hors pair, prédateur impitoyable, pire cauchemar de n’importe quel passeur à avoir foulé la...

94174605TH2111.jpgAvant, le sack n’était rien. Puis David « Deacon » Jones est passé par là. Chasseur de quarterbacks hors pair, prédateur impitoyable, pire cauchemar de n’importe quel passeur à avoir foulé la savane NFL dans les années 60, leader du terrifiant Fearsome Foursome. Il maniait l’art de rusher le lanceur comme personne. Proie sans défense face à un fauve habité par une énergie presque surnaturelle. Pour la NFL, ça n’était pas grand-chose, pour David c’était tout. À tel point qu’en bon Secrétaire d’État à la Défense, il lui a trouvé un nom : le sack.

La colère comme moteur

Rejeton d’une fratrie de 10, il grandit non loin d’Orlando. Orange County. Pendant que ses parents tiennent leur stand de grillades, il s’époumone sans retenue à la Hungerford High School d’Eatonville. Bastket, football et baseball. La trilogie classique. Dans une Floride loin d’être imperméable à la ségrégation qui pourrit le vieux Sud américain, David se bâtit une carapace inviolable. Physique, mais pas seulement. Rapidement, le football devient plus qu’une simple distraction.

À 14 ans, la triste réalité des 50s le frappe en pleine face. Une grande claque qui va façonner son futur. Une bande d’ados blancs qui frappent à coup de pastèque une vieille femme noire se rendant à l’église. Scène nauséabonde. Scène banale. La vieille dame ne survivra pas, la police ne prendra même pas la peine de mener l’enquête. David, lui, n’oubliera pas.

« Contrairement à beaucoup de Noirs à l’époque, j’étais déterminé à ne pas devenir ce que la société me dicterait d’être, » racontera-t-il plus tard. « Dieu merci, j’avais les attributs physiques pour pouvoir pratiquer un sport aussi violent que le football. Ça m’a donné un exutoire pour faire jaillir toute la rage dans mon cœur. »

Un exutoire, un défouloir, une porte de sortie. Le football devient sa raison d’être. Son moyen d’exister. Jeune homme engagé, il sera gentiment remercié par l’Université d’État de Caroline du Sud, la seule à avoir daigné lui proposer une bourse d’études, quand elle apprendra sa participation à un rassemblement de défense des droits civiques. Liberté de pensée sauce fifties au pays des Confédérés. Son salut vient finalement d’un coach assistant sur le départ et en avance sur son temps. Le technicien vient de décrocher un poste du côté de Mississippi Vocational (future Mississippi State Valley) et propose à plusieurs joueurs noirs de les prendre dans ses valises.

Une mince lueur d’humanité qui sera rapidement engloutie par la sombre réalité. Quand ses coéquipiers blancs dorment dans des motels douillets à défaut d’être luxueux, David et ses frères de couleur doivent se contenter de lits de camp dans les gymnases des équipes adverses. Les patrons d’hôtels ne sont visiblement pas aussi ouverts d’esprit que certains coachs.

Fearsome Foursome, fearsome for all

Trois années d’errance. Trois années d’anonymat. Puis la délivrance. David Jones se présente à la draft en parfait inconnu en 1961. Il devra attendre 14 tours. Loin derrière les purs produits des usines à champions. Son nom sera le 186e à retentir. Adieu le vieux et rétrograde Dixie, bienvenue dans l’accueillante Californie. Adieu David, bonjour Deacon. L’annuaire local déjà plein à craquer de David Jones, le nouveau Bélier décide de se trouver un nouveau nom.

« Le football est un monde violent et Deacon (diacre en français, ndlr) a une connotation religieuse, » explique-t-il dans les colonnes du Times en 80. « Je me suis dit qu’on se souviendrait d’un nom pareil. »

Sans pression, sans grandes attentes, avec un nouveau nom et tout à prouver, il va éclabousser la ligue de son talent. La révolutionner. Un cas presque unique dans l’histoire de la NFL. De l’ombre à la lumière.

« Deacon Jones a été la plus grande inspiration de ma carrière de footballeur, » témoignera son ancien coéquipier et hall of famer, Jack Youngblood.

« Deacon Jones fut l’un des meilleurs joueurs de l’histoire de la NFL. En dehors du terrain, c’était un géant, » ajoutera Bruce Allen, dont le père, George, coacha Jones à L.A. et Washington.

Jeté dans le grand bain d’entrée, Deacon se débat tant bien que mal dans une équipe en perdition. 4-10 en 61. Un microscopique et unique succès l’année suivante. Pourtant, la défense prend peu à peu forme. Il faut attendre la promotion du stratège défensif George Allen à la tête de l’équipe pour que les Rams renouent avec le succès et décollent enfin.

Fearsome Foursome. Le Monstre à quatre têtes. L’Hydre de Lerne version NFL. De 61 à 71, le quatuor de Béliers va encorner à tout va et semer la terreur dans les pâturages ennemis. Merlin Olsen, Rosey Grier, Lamar Lundy et Deacon Jones. Quatre noms qui font frissonner. Dans une NFL où le Rideau d’Acier des Steelers, les Purple People Eaters du Minnesota et la Doomsday Defense texane multiplient les razzias dans les lignes adverses semaine après semaine, Deacon s’épanouit. À l’époque tous les coups sont permis et les défenses font la loi. Horse-collar tackle, coup de la corde à linge, plaquages sous les genoux. La totale. Les receveurs sans défense volent à travers le terrain, victimes de la violence qui anime des défenseurs sans pitié. Bienvenue au temps des gladiateurs. Les nouveaux jeux du cirque.

De joueur universitaire anonyme, il va rapidement se muer en superstar en imposant sa vitesse et son énergie sauvage sur l’extrémité de la ligne défensive.

« Quand j’ai débarqué dans la ligue, les linemen défensifs étaient ennuyeux à mourir, » témoignait Deacon dans le Times en 80. « Il y avait de super joueurs, mais personne ne savait qui ils étaient. J’étais déterminé à changer ça. »

Du haut de son mètre 96, il piétine les bloqueurs adverses et engloutit les passeurs sous ses bras interminables.

« C’était un monstre de la nature. Il était grand, filiforme, puissant et le plus rapide de son équipe, » raconte Fran Tarkenton. « Quand on exécutait un reverse, le quarterback était le premier bloqueur. La première fois que j’ai bloqué Deacon, je me suis roulé par terre, il a eu l’air de ne rien comprendre le temps d’une seconde. Puis il a explosé de rire. C’était ça Deacon. Pas de trash talking. On parlait et rigolait. Mais jamais de provocation. »

De 65 à 69, il est nommé All-Pro à l’unanimité. Joueur défensif de l’année en 1967 et 68, il participe à 8 Pro Bowls. Le numéro 75 a été retiré du vestiaire des Rams. Son buste trône à Canton depuis 1980. Après un peu plus d’une décennie dans la Cité des Anges, il file plus au sud. Deux petites années chez les Chargers, une ultime chez les Redskins et Deacon Jones raccroche les crampons. Le fauve rejoint sa tanière. Rassasié.

159,5 en 151 rencontres et 11 campagnes sous l’uniforme des Rams. 173,5 au cours d’une carrière riche de 14 saisons durant laquelle il n’aura manqué que 5 matchs. Ce qui le placerait sur la troisième marche du podium des sackeurs, derrière Bruce Smith et Reggie White. S’il faut attendre 1982 pour que le sack rejoigne officiellement la grande famille des stats NFL, les chiffres sont éloquents. En 1967, il encorne 26 quarterbacks. L’année suivante 24. En tout, ce sont pas moins de trois saisons au-delà des 20 sacks que Deacon Jones s’offrira. En 7 saisons, il amassera 129 câlins XXL pour une moyenne affolante de 18,4 par année.

fearsome-foursome-la-ramsThe Sack Act

Joueur révolutionnaire à son poste de defensive end, sa boulimie pour les quarterbacks tourne à l’obsession. « Il gagne sa vie en dévorant des quarterbacks, » résumera un Jim Murray, un journaliste du Times. Une lubie telle, que Deacon lui trouve un petit nom : sack. Il faudra attendre 1999 pour qu’il livre une explication plus approfondie sur la genèse de ce qui fait aujourd’hui office d’incontournable du football moderne.

« Sacker un quarterback, c’est comme dévaster une ville, ou anéantir une multitude de personnes. C’est comme si vous preniez tous les linemen offensifs et les mettiez dans un sac de toile de jute, puis que vous saisissiez une batte de baseball et frappiez le sac. Vous les sackez, vous les jetez dans un sac. (« You’re sacking them, you’re bagging them. »). Voilà ce que vous faites à un quarterback, » expliquera-t-il au L.A. Times.

Plaqueur infatigable, capable de bondir d’un bout à l’autre de la ligne, il se distingue des autres par sa vitesse et sa férocité. Sa botte secrète : le head-slap. Un mouvement qui disparaitra des terrains de football en même temps que Deacon. Le principe : frapper le casque de l’adversaire pour l’étourdir un quart de seconde, lui faire cligner des yeux, le distraire et prendre sur lui une foulée d’avance fatale.

« Le head-slap n’était pas mon invention, mais Rembrandt n’a pas inventé la peinture après tout. Avec la vitesse de mes mains et la longueur de mes bras, c’était parfait pour moi. C’est la meilleure chose que j’ai jamais faite, et quand je me suis retiré, ils l’ont bannie. »

Symbole de cette époque où la le gridiron ressemblait à un champ de bataille, le head-slap demeure l’une des plus redoutables manœuvres défensives. Une autre époque. Celle d’une brutalité sans retenue. Celle d’une NFL où le mot « commotion » n’avait pas sa place. Celle d’une violence, d’une furie et d’une agressivité démesurée, mais assumée de tous. Véritable produit de cette époque unique et inique, Deacon Jones en est devenu le symbole. Le meilleur.

« C’est le tout premier joueur que j’ai affronté en tant que tackle offensif, » se rappelle l’ancien Cowboy et hall of famer, Rayfield Wright. « Sur la première action, le ballon devait être mis en jeu sur le deux, après le premier hut [du quarterback Roger Staubach], il y avait un léger temps. Et là, j’ai entendu une voix. ‘Ta maman sait-elle que tu es là gamin ?’ Il avait une voix très grave. Quand Staubach a lancé le second hut, j’étais encore en position, à me demander pourquoi il m’avait parlé de ma mère. Il a bondi en travers de la ligne d’engagement, m’a frappé avec son head-slap alors que je ne m’y attendais pas et m’a mis sur le cul. C’était le meilleur defensive end. C’était un ami, un joueur incroyable et une personne fantastique. »

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