[portrait] Lorenzo Alexander, l’empereur de Buffalo

Qualifié de journeyman de la NFL pour avoir déjà fréquenté les effectifs de six franchises, Lorenzo Alexander n’a pas eu le destin aussi facile que son physique d’exception aurait dû...

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Qualifié de journeyman de la NFL pour avoir déjà fréquenté les effectifs de six franchises, Lorenzo Alexander n’a pas eu le destin aussi facile que son physique d’exception aurait dû lui procurer. Mais, à force de travail et de volonté, son talent jaillit désormais au visage de tous.

Enfant de la Baie

Oakland, Californie est décidément un des épicentres du sport américain en ce moment. Pas peu fier de pouvoir héberger (encore pour quelques saisons seulement…) l’une des équipes de NBA les plus excitantes de la décennie avec les Golden State Warriors, la cité de la Baie renaît également au football avec des Raiders enfin sortis du marasme de ces dernières saisons.
Plus ponctuellement, elle rappelle également que de ses entrailles sont sortis quelques-uns des sportifs les plus émérites, attachants ou au parcours le plus renversant, qu’ils se prénomment Gary Payton, Jason Kidd ou Marshawn Lynch.
Mais, en cette saison 2016, c’est bien Lorenzo Alexander, leur camarade en provenance de « The Town » (en opposition à « The City », désignant San Francisco de l’autre côté de l’eau, comme nous l’expliquions dans le portrait consacré à Beast Mode en 2015), qui vole la vedette à tout le monde, s’imposant en NFL à l’âge « canonique » de 33 ans, à l’heure où la majorité des joueurs a déjà dû prendre sa retraite.

Dans le quartier de Bushrod, sur la 61e rue, c’est à cet endroit que Lorenzo Alexander pousse ses premiers cris d’enfant dès le mois de mai 1983. Sa mère, Stephanie Moore, élève seule ce fils unique tout en travaillant dans une garderie. Surtout, elle se doit de lui donner une bonne éducation et de lui éviter les mauvaises rencontres, légions dans le coin. Nombre d’amis d’enfance du futur joueur de NFL sont maintenant dealers de drogue, en prison ou même morts…

Pour aggraver le tout, le père de Lorenzo est absent de sa vie et la seule réelle présence masculine dans sa vie reste le frère de sa mère (son oncle, pour ceux qui suivent…), Steve Moore.
Grandissant en admirant les 49ers, la meilleure équipe de la NFL de l’époque, le jeune Lorenzo est un vrai fan de football. C’est donc sans aucun mal qu’il suit son oncle aux entrainements de la St Mary’s High School au nord de Berkeley, où Steve est assistant coach de ligne offensive.

Avec son physique imposant, Lorenzo attire déjà les regards. Preuve en est, alors qu’il n’a que 7 ans et que sa mère l’emmène s’inscrire à son premier entrainement de foot pour enfants, les entraineurs voient surtout son poids dépassant déjà les 35 kilos, très respectables. « Il voulait le faire jouer avec des joueurs de 12 ans juste en raison de sa corpulence. J’ai dit « Non », c’est comme s’il venait juste de sortir de maternelle ! » explique d’ailleurs la mère de Lorenzo sur ce moment marquant.

Et de fil en aiguille, tout en continuant son impressionnante croissance, c’est sans aucune surprise que Lorenzo rejoint les rangs de St Mary’s lorsqu’il atteint l’âge adéquat, devenant l’apprenant de son père presque adoptif, toujours coach. Et puisque nous sommes aux Etats-Unis, la mère de Lorenzo doit trouver un deuxième job dans un magasin de jouet afin de pouvoir payer les 7000 $ par an que coûte cette école…

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Golden Bear

Avec son physique de cube (1m80 pour 130 kilos), le defensive tackle domine les joueurs adverses pendant ses 4 années sous les couleurs des Panthers de St Marys. Pas maladroit avec ses mains, il est également un membre éminent de l’équipe de basket du lycée et gagne même le titre de Division IV de l’Etat en 2001 sur les parquets.

Sur les terrains de foot, dès son annee junior (un an avant la fin de son cursus), l’Université de California, située à deux pas de sa maison d’enfance, lui propose une bourse pour venir porter les couleurs des Golden Bears. Les recruteurs pensaient tout simplement que le jeune joueur était senior, vu son physique et son niveau…

Une année de plus à dominer les terrains de lycée le mettent sur le radar de quelques-unes des universités les plus prestigieuses du pays, telles que Miami, Oregon ou Georgia Tech, en plus de l’intérêt évidemment déjà exprimé des Golden Bears de Cal.

Pourtant, le premier choix d’Alexander se porte sur l’université de Stanford, située au beau milieu de la Silicon Valley, de l’autre côté de la Baie. Cet établissement prestigieux n’ouvre pas ses portes à tout le monde mais Lorenzo Alexander avec ses excellents résultats scolaires et un score de 1050 aux tests SAT semble pouvoir y prétendre. Prenant en compte son excellent niveau sportif, les coaches du Cardinal lui font comprendre que son arrivée sur le campus ne devrait pas être un problème. Le département « Admissions » voit la chose autrement et Lorenzo ne revêtira jamais le maillot cramoisi.

« Je sais que je dois etre malléable et fluide dans ce que je peux faire afin d’aider l’équipe à gagner. Et c’est tout ce à quoi je pense. Parce que je veux aller en playoffs – et gagner un Super Bowl »

Bien décidé à ne pas laisser filer ce talent local, les Golden Bears de Cal passent la vitesse supérieure afin d’attirer le tackle et charge Andre Carter, un futur Pro Bowler (en 2011 avec les Patriots), de lui faire visiter le campus. Les deux hommes entament là une amitié qui se poursuivra en pro sous les couleurs des Redskins, où ils jouent tous les deux entre 2006 et 2010 avant que Carter ne parte rejoindre l’armée de Belichick dans le Massachussets.

Alors, impressionné par les installations, rassuré par le niveau d’études à Cal et heureux que le campus ne se trouve qu’à quelques minutes de chez sa mère, il rejoint les Golden Bears en 2001.
Il dira même, sur le ton de la plaisanterie, que ce n’est pas lui qui a joué avec Aaron Rodgers au cours de ces années mais bien plutôt le futur double MVP de la NFL qui a changé d’université pour pouvoir le rejoindre…

De la même manière qu’il avait dominé les lycéens californiens, il effectue une carrière émérite au cours de ces quatre années, au cours desquelles il parvient également à récupérer un diplôme en sciences légales. Son corps a encore évolué au point d’atteindre les 136 kilos lors de sa dernière annee. S’il ne devient pas une star universitaire, il fait partie d’une ligne défensive performante, particulièrement en 2003 et 2004. Surtout, en concentrant l’attention des adversaires, il ouvre des brèches pour ses linebackers ou ses coéquipiers de la ligne défensive, comme Ryan Riddle, un autre futur drafté et un de ses amis.

Avec ce pedigree et cette masse, toujours précieuse au plus haut niveau, Alexander a bon espoir de se faire drafter. Les experts lui prédisent même une place entre le 3e et le 4e tour de cette draft 2005. Mais, au moment de décrocher le téléphone pour recevoir un coup de fil d’un GM lui annonçant sa sélection, il ne fait que recevoir des promesses de coaches lui assurant que leurs équipes ne vont pas tarder à le sélectionner. Aucune ne le fera lors des sept tours…

Sans avoir été drafté, il ne lui reste plus qu’à essayer de trouver un poste dans une des 32 équipes composant la ligue de ses rêves. Et c’est à Charlotte, en Caroline du Nord, que les portes de la NFL s’ouvre enfin !

D’Alexandre le Gros à Alexandre le Grand

Des 136 kilos qu’il arborait sur la balance lors de son année senior, il arrive à 142 kilos, un « record » qui le pousse à réfléchir sur son régime et sur la manière de durer le plus longtemps dans cette ligue qu’il a eu du mal à intégrer. Abandonnant totalement l’alcool, il se met également à changer son régime alimentaire et ses exercices sportifs hors football. Du vélo, de l’entrainement d’influence MMA, un programme « P90X » à réaliser à la maison, toute cette dépense d’énergie lui permet de perdre près de 30 kilos et de passer de 23% de matière graisseuse à 12% lorsqu’il arrive à son poids de forme de 110 kilos sept ans plus tard. Surtout, cette perte de poids lui permet de devenir un joueur de special teams fantastique, « le meilleur que j’ai eu à coacher de ma vie » pour Mike Shanahan, le légendaire coach des Broncos et Redskins. C’est d’ailleurs en tant que joueur d’équipe spéciale qu’il sera sélectionné pour son premier, et pour l’instant unique, Pro Bowl en 2012.

Car c’est bien dans la capitale fédérale qu’il se retrouve suite à un court séjour chez les Ravens de Baltimore. D’abord placé dans le practice squad, c’est là qu’il y est utilisé à des positions différentes, lui permettant d’acquérir des techniques variées. Et, une fois intégré à l’effectif, il se retrouve en match à des postes aussi divers que celui d’offensive guard, full back, defensive end ou bien encore tight end. Il y gagne le surnom de « One Man Gang », donné par ses coequipiers.

« Je n’ai pas été drafté et on m’a catégorisé comme un remplaçant, un joueur d’équipe spéciale. Donc, tous les ans, les coaches essayaient de me faire changer de position ou de me faire changer, moi, afin d’aider l’équipe. ça me disait de le faire, évidemment, mais pour cela, il fallait que je perde du poids »

Des coéquipiers qui auront également une influence énorme sur la vie d’Alexander puisque c’est là-bas qu’il rencontre James Thrash, Antwaan Randle-El et Renaldo Wynn, trois joueurs qui l’ouvrent à la religion, part importante de sa vie dorenavant.

Avec l’arrivée de coach Shanahan en 2010, la défense des Redskins passe à un système 3-4 et c’est en reculant au poste d’outside linebacker que l’équipe pense tirer le meilleur d’Alexander. Un changement radical pour celui qui a passé toute sa vie de joueur dans les tranchées. Le changement suivant au poste d’inside linebacker en 2012 ne semble donc plus qu’une péripétie de plus dans la carrière de One Man Gang…S’il se doit de quitter les Redskins en raison des problèmes de salary cap de l’équipe, ses courts séjours chez les Cards et les Raiders confirment bien le talent du bonhomme.

Un talent que Rex Ryan aurait bien voulu acquérir pour ses Jets en 2013 mais qui lui a échappé. Ce n’est que partie remise lors de la dernière intersaison, au cours de laquelle les Bills parviennent à lui mettre la main dessus, pour le minimum veteran de 885 000 dollars (dont seulement 75 000 garantis), malgré leur draft de Shaq Lawson dès le premier tour. Un choix des plus judicieux puisqu’avec la blessure du rookie, c’est le joueur de 33 ans qui explose littéralement lors de ces 8 premiers matches, devenant le premier Bill de l’histoire à enregistrer un sack au cours de chacun des 5 premiers matches de la saison. Encore mieux, Von Miller (payé 19,1 millions cette saison) et lui sont actuellement les seuls joueurs à compter plus 3 sacks et au moins 20 plaquages depuis le début de la saison. Et, avec 9 sacks, le joueur n’est d’ailleurs plus qu’à une unité de devenir le plus vieux joueur de l’histoire à accumuler 10 sacks dans une saison pour la première fois de sa carriere. Alexander est vraiment devenu grand !

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