[histoire] Joe Namath : Broadway Joe

Anticonformiste. Frondeur. Un brin hippy. Un chouïa disco. Sûrement mégalo. Joe Namath incarne son temps comme personne. Personnalité volubile, nourrie à l’auto-dérision et par une confiance en soi inébranlable, il...

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Anticonformiste. Frondeur. Un brin hippy. Un chouïa disco. Sûrement mégalo. Joe Namath incarne son temps comme personne. Personnalité volubile, nourrie à l’auto-dérision et par une confiance en soi inébranlable, il est la première star de la NFL. Sans lui, elle n’aurait peut-être jamais vu le jour. En véritable cupidon, il a scellé l’union entre deux ligues qui s’attelaient à se tirer dans les pattes. Tel un messie, il a érigé le football au rang de spectacle devenu une fierté nationale. Un Broadway version gridiron et ballon à lacet.

Rogue one

Joseph William voit le jour dans une Pennsylvanie obnubilée par l’acier alors que la guerre fait encore rage aux quatre coins du monde. Un père métallurgiste, une mère prénommée Rose, un duo d’origine hongroise, quatre frères aînés et une sœur adoptée, il grandit à 45 bornes de Pittsburgh, au pays du fer et des hauts fourneaux. Malgré leur divorce, Joe reste extrêmement proche de ses deux parents. Un lien fusionnel. Pourtant, c’est sa mère qu’il décide de suivre quand le couple se scinde en deux. Quarterback surdoué sur les prés carrés, dunkeur avant-gardiste sur les parquets et champ extérieur sur les terrains de baseball, il est la star de la Beaver Falls High School. En 9e année (troisième), maigrichon, il remplace au pied levé un coéquipier blessé. Sa carrière vient de prendre vie. Adieu le banc. En 1960, emmenés par leur quarterback multi-tâches, les Tigers sont invaincus et décrochent le titre d’État.

L’année suivante, son diplôme de secondaire à peine en mains, la MLB lui fait les yeux doux. Yankees, Mets, Indians, Reds, Pirates, Phillies. L’ado ne manque pas de prétendants prêts à lui chanter la sérénade pour l’attirer dans leurs dugouts. La tentation est forte. Surtout pour un gamin qui a grandi au rythme des exploits de son idole Roberto Clemente, véritable icône des Pirates de Pittsburgh pendant 18 ans. Seulement, en mère intransigeante et attentionnée, Rose exige de son fils qu’il aille à la fac parfaire son éducation. En bon gamin obéissant, il abandonne ses rêves de baseball, lâche son bâton, enfile son casque et attrape un ballon à lacet. Pourtant, il faudra attendre 2007 et un bref retour à l’école pour que Joe Namath complète enfin son cursus. Mieux vaut tard que jamais. Car quand on est un étudiant sportif, les études sont souvent reléguées au second plan.

Convoité par les franchises pro de baseball, il l’est aussi par de prestigieux programmes de foot. Penn State, Ohio State, Alabama et Notre Dame. L’embarras du choix. C’est pourtant sur l’Université du Maryland qu’il jette son dévolu grâce au lobbying insistant de Roland Arrigoni, le coach assistant. Mais on ne badine pas avec les résultats scolaires chez les Terrapins. Et si Joe brille sur les terrains, ses perfs en salle de classe ne sont pas aussi réjouissantes. Pas assez selon les critères de l’université qui décide de le refuser. Friendzoné par les Tortues, ses désirs de baseball reviennent le hanter. Sur le point de signer avec les Cubs, Alabama fait tout son possible pour le convaincre de rester fidèle au gridiron. Il ne restera pas longtemps insensible aux mots doux des pachydermes et rejoint le Crimson Tide. Là-bas, dans le vieux sud. Un choc culturel. Élevé dans un quartier majoritairement noir, il se retrouve plongé dans la Dixie en pleine lutte pour les droits civiques. Sous les ordres d’un Paul « Bear » Bryant comblé. Le meilleur athlète qu’il n’ait jamais vu, tranche l’iconique coach aux six titres nationaux.

« Recruter Joe a été la meilleure décision de toute ma carrière de coach. »

Pourtant, le légendaire coach de Bama ne sera pas toujours tendre avec son protégé. Fidèle à sa réputation. Adepte d’une discipline de fer, il suspend purement et simplement Joe Namath pour les deux derniers matchs de la saison 63. Quarterback star ou pas, on ne viole pas un couvre feu impunément avec Bear Bryant. Impétueux et fin d’esprit, Joe est un gamin à part. Parfois frondeur. Souvent même. Une grande gueule qui fera de lui une personnalité plus seulement sportive, mais aussi médiatique. Un succès sur la route à Miami, puis une Rose Bowl remporté à l’arraché face aux Rebels d’Ole Miss sous la neige louisianaise. De quoi frustrer un Joe relégué au rang de spectateur impuissant. L’année suivante, malgré un revers face aux Longhorns dans le Orange Bowl, le Crimson Tide est sacré. Sorti du banc pour venir en aide à des pachydermes malmenés, Joe livre une performance mémorable. Battu, il est pourtant nommé MVP de la rencontre. Maigre récompense après une saison marquée par trois blessures aux genoux. Le début d’un mauvais running gag. 29-4. Trois Bowls, dont deux victorieux et un titre. Il quitte l’Alabama avec des records en pagaille.

Le messie du football

Joueur surdoué, il va se muer en porte-étendard d’un football professionnel en pleine mutation. Le visage du changement. En 65, les Jets sont une franchise médiocre d’une AFL encore jeune, pas toujours très excitante et souvent méprisée par sa grande sœur. Le propriétaire du Gang Green, ancien producteur d’Hollywood, décide de faire sauter la banque et offre à Joe « Broadway » Namath un ronflant contrat de 3 ans, 427 000 dollars et une voiture en bonus. Un record à l’époque. En homme d’affaire avisé, Sonny Werblin a flairé le bon coup. Joe a bien plus à offrir qu’un bras surpuissant.

« Namath a la prestance d’une star, » expliquait le boss des Jets. « Le genre de star à illuminer une pièce par sa seule présence. Joe était de ceux-là. »

Également drafté par les St. Louis Cardinals de l’imposante NFL, il choisit New-York. Une victoire. Un acte fondateur. Une star universitaire accomplie, une lucratif deal avec NBC, l’AFL se dresse maintenant en concurrente sérieuse à la NFL. Une concurrence qui va bientôt se transformer en mariage. Pour éviter les guéguerres à coup de gros sous pour mettre la main sur les meilleures recrues, la NFL décide la tenue d’un match entre les deux champions à l’issue de chaque saison. Les fiançailles se déroulent le 15 janvier 1967. Le Super Bowl I. Les noces seront célébrées 3 ans plus tard. En 70, les deux ligues fusionnent pour n’en former plus qu’une. La NFL. La seule. L’unique.

Après deux premiers Big Games qui soulèvent davantage la curiosité qu’un véritable engouement national, 1969 va changer la donne. Les Colts de Johnny Unitas n’ont fait qu’une bouchée de la NFL. 13-1, une défense de fer qui n’a concédé que 144 petits points, une promenade de santé en finale face aux Browns (28-0), ils s’avancent vers le Super Bowl III avec l’étiquette de super favoris placardée sur le casque. Jusqu’à 18 points d’avance prévoient les bookmakers. L’une des meilleures équipes de l’histoire raconte-t-on à l’époque. On ne donne pas la moindre chance à des Jets qui ont encaissé 280 points. De quoi faire enrager un Joe Namath devenu le premier passeur à franchier la barre des 4000 yards dans les airs un an plus tôt. 26 touchdowns en prime. Et en seulement 14 rencontres. Ce sera le premier match professionnel de la carrière de l’ancien Crimson Tide lâche Norm Van Brocklin, coach des Falcons. Un affront pour le passeur des Jets et toute l’AFL. Il est temps de prouver leur crédibilité. De faire descendre la NFL de son piédestal.

« Nous allons gagner dimanche, je vous le garantis, » lance-t-il trois jours avant le match.

Le pari est lancé. Les journalistes sont perplexes. Voire moqueurs. Partagés entre la thèse de la bouffonnerie et celle de l’auto-persuasion illusoire. Ce dimanche là, il faudra attendre la fin de l’ultime quart-temps pour que les Colts trouvent enfin un peu d’air et ouvrent leur compteur. Trop tard. 16-7. Baltimore s’incline. New York triomphe. Stupeur. L’impensable vient de frapper. C’est tout le monde du football qui a la gueule de bois. L’une des plus grandes surprises de l’histoire. L’année suivante, les Chiefs de l’AFL renversent des Vikings archi-favoris. C’est désormais une évidence, la NFL n’est plus toute puissante. Il est temps de fusionner. Un mariage de raison, avec Joe Namath en guise de prêtre. Mieux en guise de messie. Le football avait besoin de sa star. De cette figure unique, à part. Joe Broadway va devenir l’image de la NFL. La star de son temps.

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Show must go on

Dès sa première saison, Joe le rookie fait parler de lui. La paire qu’il forme avec le sophomore Mike Taliaferro permet aux Jets de remporter leurs 6 premiers matchs. Le gamin a convaincu son coach et devient le titulaire. Le seul. Aux commandes de l’avion new-yorkais, le Rookie de l’Année de l’AFL décroche 5 autres succès et achève sa première campagne sur un flatteur 11-3. Les prouesses s’accumulent, de même que les titres de All-Star AFL et les pépins aux genoux. À tel point qu’il fait presque autant parler de lui pour ses exploits sportifs que ses passages à répétition sur le billard. Lors de la finale AFL 68 face aux Raiders, il reste en jeu malgré une commotion et un doigt disloqué à la main gauche. Un compétiteur dans l’âme. Quand Joe débarque d’Alabama en 1965, il passe sous le bistouri du chirurgien maison pour réparer son genoux. 5 années, c’est le temps que durera sa carrière estime le médecin. Elle s’étirera 8 saisons de plus finalement. On arrête pas Joe Brodway si facilement. Show must go on. En 70, c’est un poignet brisé qui le tiendra loin des terrains le plus clair de la saison. En 71, son genoux. Évidemment. Deux ans plus tard, une épaule disloquée. Au cours de sa carrière, il passera trois fois sous les mains du Dr. James A. Nicholas pour réparer son genoux. Un cobaye de luxe. Des années après sa retraite, il se fera purement et simplement remplacer les genoux sur chacune de ses jambes. Aux grands maux, les grands remèdes. Lors de ses 5 premières saisons, il ne manque pas un match. De 70 à 73, il en ratera 30.

Un combattant qui ne recule pas devant la douleur, un compétiteur né, un gagnant, mais aussi un style. Ses grands yeux clairs, sa tignasse emmêlée et en 68 cette indescriptible moustache. Souvent sur la touche à cause de ses genoux en mousse, il arbore un look détonnant. Pantalons patte d’eph aux motifs douteux, sneakers blanches et son célébrissime manteau de vison. Sans oublier ses éternelles lunettes de soleil vissées sur le nez. Joe Namath n’est pas seulement un joueur de football, c’est une vedette. Un formidable instrument marketing pour une NFL en pleine expansion qui ne demande qu’à faire parler d’elle. Pas avare en auto-dérision, il joue volontiers de son image de playboy. C’était comme voyager avec un Beatle confiera un de ses voisins de chambre en déplacement.

« La fin des 60’s et le début des 70’s sont une époque de profonds bouleversements sociaux et politiques, » écrivait Tony Kornheiser dans Inside Sports. « Et Namath, avec ses cheveux en bataille peu conventionnels, sa moustache, ses chaussures blanches, et sa philosophie de vie de fêtard est devenu le symbole de cet inévitable et triomphant changement. Le parfait anti-héros. »

En 69, il ouvre les portes du Bachelors III. Une boîte de nuit dans l’Upper East Side qui devient rapidement le repère de tout le gratin sportif, des politiques, des célébrités du monde du spectacle et du crime organisé. Un cocktail qui plait moyennement à la ligue. À tel point qu’en gardien de la bonne réputation de la NFL, Pete Rozelle, le commissaire, demande à Joe de se désolidariser de l’entreprise. Namath refuse et annonce sa retraite sportive dans une conférence de presse larmoyante. Il n’en fera rien. Le football, c’est toute sa vie. Il cède aux ordres de la NFL et rejoint à temps les Jets pour préparer la saison. Sûr de lui, rebelle, arrogant. Pourtant, on l’aime. A likable kind of cocky. Admiré par les hommes, aimé par les femmes. Un spectacle vivant.

« J’aime mon Johnny Walker rouge et mes femmes blondes, » du Joe Namath dans le texte.

Sur le terrain, son style aussi détonne. Car avant d’être une star, Joe est un footballeur. Surtout un footballeur. Son bras canon fait presque autant parler que ses sorties médiatiques ou son look disco. L’ancien coach des Raiders, John Madden, dira de lui qu’il a la meilleure technique de recul, le lancer le plus efficace et la spirale la plus précise qu’il n’ait jamais vus. Déjà star à la sortie de la fac, il se mue en légende vivante à tout juste 25 ans. Car son arrogance est à la hauteur de ses prouesses sportives. Quand il promet un Super Bowl contre une équipe donnée favorite par trois touchdowns, il ne se défile pas. He delivers. Mais ses exploits ne survivront pas à son physique chancelant.

Après 5 premières saisons idylliques, débute un long voyage. Tortueux. Entrecoupé de blessures, de frustrations et de jolies performances. Pas de quoi gonfler les chiffres du futur Hall of Famer pourtant. Mais sa légende a déjà été écrite. En 12 saisons à New-York et une ultime année sur le banc des Rams, à L.A., il n’aura lancé plus de 20 touchdowns qu’une toute petite fois. Plus de touchdowns que d’interceptions, deux fois seulement. Lors de ses 8 dernières années, il ne lancera plus de 5 touchdowns que trois fois. Il achève sa carrière avec 173 touchdowns contre 220 interceptions. Mais Joe n’est pas un de ces maniaques des stats. S’il n’a pas révolutionné son sport par ses exploits sportifs, il l’a fait par son image publique. Celle d’un joueur star, sur comme en dehors du terrain. Celle d’un joueur à part. Celle d’un homme de son temps. Ouvert, épanoui, rebelle. Un sale gamin dans le fond. Mais un sale gamin sans qui la NFL aurait peut-être bien connu un tout autre sort.

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