[portrait] Darren Sproles, Little Big Man

Alors qu’il devrait se faire manger tout cru par les corps surpuissants des défenseurs, Darren Sproles prouve depuis son arrivée en NFL que la taille ne fait pas tout et...

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Alors qu’il devrait se faire manger tout cru par les corps surpuissants des défenseurs, Darren Sproles prouve depuis son arrivée en NFL que la taille ne fait pas tout et que faire de ses défauts des qualités peut vous amener très loin, dans le foot comme dans la vie. Et faire d’une petite personne un grand homme.

Sans hésitation

1m67 de talent, voilà ce qui semble résumer le plus clairement le joueur Darren Sproles. Arrivé dans la ligue avec une étiquette de joueur trop petit pour vraiment être pris en compte par les défenses adverses, les onze saisons qu’il vient de passer sous les maillots des Chargers, Saints et Eagles sont la véritable démonstration que, comme l’a dit Drew Brees alors que son coéquipier était envoyé à Philadelphie, « kilo pour kilo, c’est certainement l’un des meilleurs joueurs de l’histoire de la NFL et certainement le plus dur actuellement ». Le même type d’opinion que beaucoup d’observateurs ont pu donner sur Allen Iverson en NBA, une autre légende philadelphienne entrée au Hall of Fame en septembre dernier.
Mais autant la star des parquets, par ailleurs l’un des meilleurs joueurs de football de lycée jamais produit par l’Etat de Virginie, pouvait être exubérante, autant Darren Sproles ne semble jamais prononcer un mot plus haut que l’autre. Et pour cause, parler a toujours été une lutte pour le natif d’Olathe, dans la banlieue sud de Kansas City, atteint d’un bégaiement le paralysant dès qu’il doit parler en public.

C’est ce trouble de la parole que ses parents, Larry et Annette, cherchent à attenuer lorsqu’ils trouvent à Darren un ortophoniste pour l’aider alors qu’il est au collège. « Il y allait deux fois par semaine. Ca a toujours été quelqu’un qui ne parlait pas trop. Il parle plus avec des gens qu’il connaît. Quand il parle, il préfère rire et garder la conversation légère » explique Larry. Une thérapie que Darren continuera même à Kansas State, où le coach mettra tout en œuvre pour qu’il puisse s’organiser au mieux. Il ne faut d’ailleurs pas chercher plus loin la matière de son diplôme, obtenu là-bas : orthophonie. Un autre bègue, d’envergure physique différente mais de pedigree tout aussi prestigieux, Bill Walton, l’avait d’ailleurs recontacté à l’epoque pour lui donner quelques conseils, suite à l’appel d’un oncle de Darren lui parlant de celui qui n’était encore qu’un running back à K-State. Mais pas n’importe quel running back !

K-State dynamo

En 2015, c’est bien Jordy Nelson, Clarence Scott et Darren Sproles qui furent ajoutés au Ring of Honor de cette université d’etat, située à Manhattan, bourgade de 52 000 habitants à 2h de route à l’est d’Olathe. Il faut dire que ses 4 années passees sur le campus n’auront laissé que des souvenirs fantastiques à tous les supporters des Wildcats.

En 45 matches sous le maillot violet des hommes du coach Bill Snyder, ce sont 23 records de l’école que Darren Sproles se charge d’abattre. Les 4979 yards à la course qu’il a pu amasser sont d’ailleurs toujours inégalés a ce jour.

En 2003, la dynamo arrière de K-State se permet même de dominer tous les autres running backs de la Nation et termine en tête du classement des yards à la course avec 1986 unités (une moyenne de 6,5 yards par course), ainsi que celui des yards totaux avec 2273 dans son escarcelle. Malgré le titre de la Big 12 et ces impressionnants totaux, Darren Sproles ne termine qu’à la cinquième place du classement d’un Heisman Trophy remporté par Jason White, quarterback d’Oklahoma qui ne sera pourtant jamais drafté en NFL. Pourtant, afin de mettre toutes la chances du joueur de son côté, Coach Snyder avait permis une exception à une règle établie dès son arrivée en 1989 voulant que l’équipe soit plus grande que les joueurs, en autorisant la présence d’une photo de Sproles sur la couverture du media guide de la saison. C’est que la relation entre Darren et le coach, qui joue maintenant dans un stade a son nom et qui est l’une des quatre seules personnes à être entré au College Football Hall of Fame alors qu’il était toujours en activité, a toujours été forte et presque paternelle. « Mon père a toujours été plus un ami qu’un père et notre relation est excellente. Mais quand je suis allé à Kansas State, coach Snyder est devenu comme un deuxième père pour moi. C’est lui qui m’a appris à affronter le monde extérieur, qui m’a inculqué la ponctualité, qui a structuré ma vie sur le campus et m’a toujours dit de travailler énormément. Sur mon problème de langage, par exemple, et ça a marché » expliquait Darren Sproles à SBNation en 2014. C’est que, plus encore que la qualité du joueur sous ses ordres ou celle de son éducation, l’écho de la maladie de la mère de Darren avec celle de son fils, remis d’un cancer du colon en 1999, n’ont pu que renforcer ces liens déjà forts.

Le choix de Sproles de venir à Kansas State en 2000 n’était donc pas seulement un choix objectif mais également un vrai choix familial afin de pouvoir rester à proximité d’Olathe et d’ainsi ne pas trop s’éloigner de sa mère, Annette. Alors que Darren était au lycée, c’est à cette époque que sa mère apprend qu’elle est atteinte de ce cancer du colon, qui a egalement emporté la mère de Dak Prescott en 2013.
Sa future femme, Michel, également atteinte du cancer du sein mais heureusement diagnostiqué au stade 0 de la maladie, a dû pour sa part subir en 2012 une ablation des deux seins suivie d’une opération de chirurgie reconstructive. Une raison de plus pour Darren Sproles de porter haut les couleurs roses du Pink October de la NFL.

Apres cinq ans de bataille et de chimiothérapie, Annette s’éteint néanmoins le 25 avril 2004, laissant derrière son mari, Larry, et ses deux garçons, Darren et Terence. Une heure avant sa mort, c’est à sa mère dans le coma que Darren dit au revoir, devant retourner sur le campus de K-State. Il ne la reverra plus. Alors, pour lui rendre hommage ainsi que pour honorer la promesse qu’il lui a faite d’obtenir son diplôme avant de passer pro, Darren décide de ne pas se présenter à la draft 2004, malgré cette 5e place au Heisman qui lui ouvre de positives perspectives d’avenir. Une décision forte pour un joueur sur qui personne n’aurait parié pour atteindre les rangs de la grande ligue alors qu’il commençait seulement à arpenter les terrains d’Olathe…

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Sproles Rules

C’est vers les 9 ans que Darren Sproles commença à suivre les pas de son père, un ancien running back de la MidAmerica Nazarene University dont la carrière naissante avait été stoppée nette par une grave blessure au genou et qui choisira le nom de son fils en hommage à Darrin Nelson, un running back des Vikings et son idole de jeunesse. Du haut de son 1m65, Larry joue surtout à lancer la balle à Darren, développant ses qualités de main, qui lui seront bien utiles plus tard. Mais, plus que ses mains, c’est la taille de Darren que tout le monde regarde lorsqu’il arrive sur les terrains. Chuchotements et murmures sont inévitablement au rendez-vous. Impossible que ce garçon si petit ne soit bon dans un sport où le physique prime tant ! Si Darren est petit, il est pourtant plutôt robuste, lui qui est né en 1983 au poids tout à fait respectable de 5 kilos, ce qui lui vaudra le surnom paternel de « Tank » qu’il a maintenant tatoué sur un de ces biceps. Un surnom qu’il justifie peu avant la NFL Combine de 2005. Alors qu’il s’entraîne avec le phénomène physique Shawn Merriman, Sproles le défie au développé couché. Resultat des courses ? Sproles soulèvera deux fois 118 kilos alors que le linebacker surpuissant de Maryland n’y arrive même pas une fois. « Mon père aimait soulever des poids alors j’ai commence à le faire assez tôt également » explique Darren.

Dans cette banlieue tranquille de Kansas City, le football pour les jeunes au début des 90’s a une règle particulière, celle de la clémence : 3 ou 4 touchdowns d’avance pour une équipe sonnent la fin du match, afin d’éviter les humiliations. Darren devient donc un réel problème pour les autres parents lorsque les matches auxquels il participe n’arrivent même pas à la mi-temps puisque, dès que Darren touche le ballon, il poursuit sa course inexorablement dans l’en-but adverse. « Certains matches, le match était fini alors qu’il ne s’était pas encore fait plaquer » en rigole encore Larry. Imposé par l’ire des parents, furieux que leur progéniture n’ait pas le temps de rentrer en jeu, les règles sont changées après seulement deux semaines, en raison de Darren Sproles, le signe des grands du jeu. Avant les Jordan Rules de Sam Smith, le Kansas inventait les Sproles Rules : interdiction pour le fils de Larry de recevoir des ballons sur l’extérieur ou des sweeps l’emmenant sur les côtés du terrain. Trop rapide pour les adversaires, chaque course de Sproles doit maintenant se dérouler au niveau de la ligne offensive ! C’est donc de cette règle qu’est venue l’appétence de Sproles pour ces courses physiques et dures, des courses qu’ « il a depuis toujours adoré effectuer » d’après Larry « car c’est dans les courses vers l’extérieur que peuvent intervenir des potentielles blessures en sortant du terrain ». Darren, lui, dit pourtant qu’il « adore jouer dans les espaces parce que, meme s'[il est] capable de courir entre les tackles, c’est dans les espaces qu'[il peut] être le plus créatif et le plus difficile à plaquer ».

Le nom de Sproles parvient aux oreilles de tout le petit monde du football de Kansas City mais ses exploits sont mis sur le dos d’une opposition suburbaine faible. Alors, pour prouver à tous, combien Tank peut renverser d’obstacles d’où qu’ils viennent, Larry emmene Darren jouer dans une ligue « citadine ». Le record de touchdowns de la ligue ? 20. Bien sur, cette marque, Darren la bat dès sa première année. Son développement ne s’arrêtera alors plus, à tel point qu’il sera nommé All-American alors qu’il arbore les couleurs de l’Olathe North High School.

« C’est juste pour faire comprendre à certaines personnes que je suis toujours bon, que je suis toujours moi. C’est pourquoi je le fais » Darren Sproles à propos du doigt pointé vers le nom dans son dos lorsqu’il marquait en 2012

Alors, bien sûr, avec un tel déficit de taille, être choisi au 4e tour de la draft 2005 par les Chargers (tandis que son pote de musculation, Merriman, est choisi au 1er tour en 12e position) de San Diego, la ville où lui et sa famille retourneront vivre une fois sa carrière terminée, pourrait être vu comme un accomplissement en soi. Mais, pour ce père de deux petite filles, Devyn et Rhyan, prénommées ainsi car le couple Sproles aime « donner des prenoms masculins a leurs filles », c’est toute sa carriere qui doit être vue à l’aune de son déficit de taille.

Aucun running back en activité n’a accumulé autant de yards par touches de balle en moyenne que lui (10,6 yards alors que CJ Spiller, le 2e, n’en est qu’à 6,9). Sa marque de fabrique, des mains en or, lui valent d’avoir reçu 44% de ces touches par les airs et en ont fait surement le running-back le plus dangereux de la ligue sur les extérieurs.

Déçu d’avoir été envoyé à Philadelphie il y a deux ans, après avoir spécifiquement choisi La Nouvelle-Orleans comme destination lors de la seule free-agency qu’il ait connu au cours de sa carrière en 2011, Darren Sproles y a pourtant connu les deux premières sélections au Pro Bowl de sa carrière, aidé par le système de Chip Kelly où les positions des joueurs importaient finalement peu, pourvu qu’ils pouvaient avancer sur le terrain. Une juste récompense pour le little big man le plus craint de toute la ligue.

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