[portrait] John Urschel, le haut de l’échelle

Si les joueurs NFL n’ont pas toujours une grosse réputation en tant que personnes (bien que la rubrique « Portrait » de Touchdown Actu travaille toute les semaines à réparer ce déficit…),...

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Si les joueurs NFL n’ont pas toujours une grosse réputation en tant que personnes (bien que la rubrique « Portrait » de Touchdown Actu travaille toute les semaines à réparer ce déficit…), on peut y voir ici l’influence d’une vie toute entière passer à donner des coups de casque aux adversaires. Si des génies font bien partie de la ligue, la tradition veut que l’on qualifie plutôt les coaches ou les coordinateurs de cet épithète dans leur domaine, tandis qu’on pense surtout aux joueurs pour leurs qualités physiques, souvent extraordinaires mais bien plus terre-à-terre.

Néanmoins, de temps à autre, des génies, des vrais, font surface sous leurs protections et leur casque. Les Vikings en avaient sélectionné un en 1998 en choisissant Matt Birk, à sa sortie d’Harvard. Le centre de légende avait ensuite continué sa carrière sous les couleurs des Ravens, entre 2009 et 2012, avec lesquels il a pu remporter le Super Bowl XLVII. Pendant toutes ces années, et malgré quelques idées ultra-conservatrices sur la société américaine, Birk était considéré comme le joueur le plus intelligent de la ligue, celui dont le succès sur les terrains de foot était peut-être, au final, inférieur à celui qu’il aurait pu obtenir hors de ceux-ci.

Forts de cette expérience, les Ravens ont sans doute vu en 2014 dans John Urschel l’opportunité de continuer cette tradition sous leurs couleurs et de drafter un autre « génie », le qualificatif qui suit le joueur depuis ses plus jeunes années.

Double Menace

Né en 1991 à Winnipeg, au Canada, d’un père chirurgien et d’une mère avocate, le jeune John Urschel se distingue par deux choses: il est extrêmement intelligent et possède un gabarit hors-norme.

Avec le divorce de ses parents alors qu’il a 3 ans, sa mère, Venita Parker, et lui déménagent à Buffalo, un vraie région de football, surtout en ce milieu des 90’s où l’équipe de Marv Levy atteint quatre fois de suite le Super Bowl. C’est que, même éloigné de son père, ce sport lui permet de garder un vrai contact, même psychologique. En s’alignant sur les terrains, John veut reproduire le modèle paternel, celui de John Urschel Sr qui  a rencontré un grand succes sous les couleurs de l’Université de l’Alberta au poste de linebacker mais qui a décidé de poursuivre son chemin dans les blocs opératoires, en devenant chirurgien en chef du Beth Israel Medical Center de Boston, plutôt qu’entre les lignes blanches des terrains de CFL, la ligue canadienne de football.

Mais, à cause de ce corps surdimensionné, le jeune John ne peut pas encore prétendre totalement suivre les traces de son père. Dans la catégorie des plus jeunes (« Pop Warner »), il se voit refuser une place car il pèse trop lourd par rapport aux autres enfants. Arrivé en primaire, la circonférence de son crâne est incompatible avec la taille des casques mis à disposition des élèves. John doit donc attendre sa première annee de lycée, à la Canisius High School, pour enfin pouvoir mettre à contribution son corps hors-norme sur les terrains de foot, apres s’être entretenu les années precedentes en faisant du foot (« soccer ») et du Lacrosse. Mais si ces deux autres sports sont des pis-aller, John veut faire du football, parce qu’il aime plus que tout « plaquer des gens », un besoin d’agression qui « semble faire partie de son ADN ».

Et puis, en dehors des terrains, il met à profit ce que la nature lui a accordé: ce don de pouvoir jongler avec les chiffres aussi facilement que Ronaldinho pouvait le faire avec un ballon. Il faut dire que les maths ont, encore plus que le football, toujours fait partie de sa vie, jusqu’à lui donner l’idée d’appeler son compte twitter @MathMeetsFball (Les maths rencontrent le foot). Petit, sa mère, en voulant développer ce don, avait d’abord commencé par lui acheter des jeux de mathématiques (destinés à des enfants plus vieux…) avant qu’ils ne lui reviennent trop chers vu la vitesse à laquelle John les maîtrise. Plus prosaïque, elle lui propose de calculer la monnaie que le caissier doit lui rendre au supermarché, en lui promettant de garder la somme s’il tombait sur le montant exact. Quelques semaines après, elle arrête l’experience car « cela lui revient trop cher ».

« Il y a 10 sortes de gens: ceux qui comprennent le langage binaire et ceux qui ne le comprennent pas » Message inscrit sur un t-shirt de John Urschel

La dualité de son talent est tellement grande qu’il est nommé « Mr Canisius » à la fin de son cursus dans l’école de la banlieue nord de Buffalo, un trophée attribué après le vote des professeurs et des élèves et récompensant donc un athlète ayant su allier performances sur et en dehors des terrains et qui représente « un homme toujours là pour les autres ».

john-urschel-ravens-17122016Penn State Theory

Avec son pedigree et ses résultats scolairzes au-dessus de la normale, Urschel se voit proposer des bourses par les plus prestigieuses universités du pays: Stanford, Princeton et Cornell. Mais il choisit plutôt Penn State, pour tout ce que cette institution représente dans les deux domaines qui lui importe le plus: le football et les études, parce qu’il « ne veut jamais a avoir a choisir entre les deux, chacun ayant autant d’importance pour [lui] ». Son professeur principal lui indique cependant qu’il ne fait surement pas le bon choix car il « n’a aucune chance de passer pro ». Comme souvent, John Urschel va s’attacher a lui démontrer le contraire.

« John est fort, intelligent, durable et flexible. Normalement, avec des gars aussi brillants, vous n’obtenez pas forcément un joueur avec une grande intelligence footballistique. Mais John, lui, en a une et c’est pourquoi je pense qu’il peut jouer au niveau supérieur » Bill O’Brien, le coach de John Urschel à Penn State en 2012-2013.

L’étudiant Urschel va passer cinq années sur le campus de Penn State. Il lui suffit de trois ans pour obtenir un diplôme en mathématiques avant de revenir jusqu’à une très inhabituelle 5e année pour passer un diplôme en sciences de l’éducation mathématiques, ou comment enseigner une matière complexe. Son mentor, le professeur Ludmil Zikatanov, dit d’ailleurs de lui qu’ « il finira sans doute professeur dans une université de renom ». Pourtant, pas facile de decomplexifier les choses lorsque le sujet de votre thèse au MIT s’intéresse à la theorie spectrale des graphes et a l’algèbre linéaire numérique… Car, oui, John Urschel est le seul joueur de NFL actuellement a être inscrit dans un doctorat, qui plus au M.I.T, l’un des établissements les plus prestigieux des Etats-Unis. Il est d’ailleurs egalement le seul footballeur à faire partie de la promo…

Mais s’il parvient à garder une moyenne de 4.0 (le fameux GPA si important dans les universités américaines) sans réellement prêter attention à ses notes, le joueur, lui, est également au rendez-vous sur le terrain et devient un élément important des Nittany Lions au milieu de la ligne offensive où, plus que ses connaissances des mathématiques, « (son) aisance avec tout ce qui est chiffré (lui) sert puisqu’il (lui) faut se rappeler de tous les systèmes, du snap count mais aussi faire les ajustements depuis la ligne selon ce que la defense montre ». Le guard est tellement talentueux qu’il finit deux fois All-Big Ten a sa position et profite au maximum des enseignements qu’il peut retirer de Joe Paterno et de Bill O’Brien.
Et tout comme il avait pu être élu Mr Canasius, la NCAA lui décerné en 2013 le trophée « William V. Campbell », attribué au meilleur étudiant-athlète de la nation et souvent appele le « Heisman académique ». Symbole de ce trophée, Urschel parvient même à estomaquer O’Brien lors d’un entrainement. Alors que quatre codes couleurs indiquent sur la fiche du coach en quelle annee sont tous ses joueurs, afin de savoir à quelle heure chacun doit partir de l’entrainement ou y arriver selon ses cours, une cinquième couleur lui est totalement inconnue. Il s’agit tout simplement de John Urschel, qui doit quitter l’entrainement plus tôt 3 fois par semaine pour aller enseigner un cours de trigonométrie et de géométrie analytique. Pas vraiment un problème lorsque vous avez signé un papier dans le Journal of Computational Mathematics, intitulé «Algorithme multigrille cascadique pour calculer le vecteur de Fiedler des opérateurs laplaciens».

« Je ne joue pas au football pour l’argent. J’y joue parce que j’aime ce jeu et que j’adore plaquer des gens » John Urschel

Malgré ce cerveau qui pourrait lui permettre de continuer tranquillement dans cette voie universitaire où il excelle, la NFL reste le rêve d’Urschel. Un rêve qui devient réalité lorsque Ozzie Newsome le sélectionne au 5e tour de la draft 2014, à un poste où les Ravens se doivent alors de remplacer Michael Oher. Il signe un contrat de 4 ans avec la franchise du Maryland pour un montant de 2.3 millions de dollars (dont un signing bonus de 144 000 dollars) mais cela ne l’empêche pas de ne rien changer à son style de vie, presque monacal. Malgré l’argent garanti, Urschel ne s’accorde que 25000 dollars par an, loue un appartement à Baltimore pendant la saison régulière et ne s’est autorisé à s’offrir qu’une modeste Nissan Versa pour célébrer sa draft, une voiture qui dénote fortement au milieu des pickups et autres coupés sur le parking de l’équipe mais dont il « ne séparera pas pour encore 5 ans minimum ». Une règle de vie spartiate qu’il a récemment brisé en offrant à sa mère une maison, ce qu’il voit plutôt comme un investissement.

S’il doit encore gagner ses galons pour véritablement s’imposer au sein de l’effectif de John Harbaugh, lui qui a été baladé des postes de right guard ou left guard jusqu’à celui de centre, des sociétés ne manquent pas d’avoir repéré son profil si particulier. Bose, le fabricant de matériel sonore, en a même fait le personnage récurrent de ses spots publicitaires humoristiques de 30 secondes.

https://www.youtube.com/watch?v=czVpHZzmejs

S’il a pu envier la liberté de Chris Borland, le 49er qui a décidé de prendre sa retraite après une seule saison, il explique dans cet article du Players Tribune (site où il publie également un challenge mathématique tous les mercredi matins) que, pour lui, quitter le football n’est tout simplement pas une option même s’il sait objectivement que ce sport est néfaste pour son cerveau à long terme. L’heure de devenir professeur et de ne plus concourir que dans les tournois d’échec, discipline dont il raffole et où il est classé, ne semble pas encore être arrivée pour John Urschel. Quitter les terrains de foot serait sans doute pour lui comme arriver en bas de son échelle…

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