[portrait] Antonio Brown, au nom du père

S’appeler Brown et devenir l’une des idoles des Pittsburgh Steelers, ennemis héréditaires de Cleveland, quelle ironie !  Mais là où le patronyme du receveur aux jambes de feu est autrement plus important,...

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S’appeler Brown et devenir l’une des idoles des Pittsburgh Steelers, ennemis héréditaires de Cleveland, quelle ironie !  Mais là où le patronyme du receveur aux jambes de feu est autrement plus important, c’est qu’il le lie à son père, Eddie Brown, élu en 2006 meilleur joueur de l’histoire de l’Arena League. Une carrière professionnelle paternelle qui aurait sans doute pu faire dérailler celle d’Antonio si, une fois de plus en NFL, une foi inextinguible en son talent n’avait propulsé ce dernier vers les sommets.

Fuir la Liberty

Avec sa vitesse impressionnante, Antonio Brown voit souvent les défenseurs de très loin...

Avec sa vitesse impressionnante, Antonio Brown voit souvent les défenseurs de très loin…

Quelquefois, le nom des villes peut être déstabilisant et si le nom du quartier de Liberty City à Miami faisait référence à une belle idée lors de sa construction dans les années 30, en offrant des logements à la population noire à bas revenus, il fait maintenant écho à celui des pires quartiers dans l’imaginaire américain, tel le Compton de Richard Sherman, et a même prêté son nom à la ville du jeu « Grand Theft Auto » (bien que celui-ci se déroule dans une métropole ressemblant plutôt à New York). C’est dans cet univers de violence et de drogue qu’Antonio Brown est né en 1988, dans ce lieu qui deviendra l’épicentre d’une guerre de la drogue dix ans plus tard, une époque où les femmes enceintes dormaient dans les baignoires et les personnes âgées le plus proche du sol possible afin d’éviter les balles perdues.

« Quand tout le monde m’a abandonné, je n’ai pu compter que sur moi-même. Je me repose sur ma confiance en moi. Ca me permet de me préparer et d’aller de l’avant. » Antonio Brown

Dans un tel milieu, il est facile de tomber soi-même dans la violence. Antonio Brown n’a pas été l’un de ceux-là, aidé par l’image de son père, devenu footballeur professionnel alors qu’Antonio n’avait encore que 6 ans et qu’il commençait lui aussi à revêtir les protections. Mais si cet Eddie Brown de père était l’un des receveurs stars des Firebirds de l’Arena Football League, l’emplacement de la ville posait un problème : Albany, située à 2000kms plus au Nord.  En jouant dans la capitale de l’Etat de New York pendant plus de 7 ans (jusqu’en 2001) avant que la franchise ne déménage à Indianapolis (jusqu’à sa retraite en 2003), le père d’Antonio aura gagné la gloire mais y aura perdu sa famille et, un temps, son fils.

Si Antonio a vécu avec son père en 1996, fréquentant l’école de Latham dans la banlieue d’Albany, les années suivantes le verront grandir élevé par sa mère, divorcée depuis quelques années déjà, à Liberty sans vraiment de contacts avec « Touchdown » Eddie. Il ne réapparaîtra réellement dans sa vie qu’au cours des premières années professionnelles d’Antonio, ce dernier remplaçant plutôt les conversations père-fils par celles avec Dieu le Père. « Je ne lui parlais pas vraiment (à son père). Je parle plutôt à Dieu, je suis devenu très croyant et j’ai essayé de plutôt vivre dans l’introspection. » disait-il lors du Media Day du Super Bowl XLV en janvier 2011.

De sans-abri au Michigan (en passant par la Caroline du Nord…)
Sans réelle figure paternelle pendant quelques années donc, Antonio se lance alors dans le football à 100% avec son équipe de lycée, lui qui écrivait déjà à 6 ans vouloir être footballeur professionnel lorsque ses instituteurs le lui demandaient. L’espoir sans doute de reproduire au quotidien les gestes du père absent. C’est pourtant au poste de quarterback que son coach de lycée, Nigel Dunn, le fait jouer, « parce que c’était ce dont l’équipe avait besoin ». Antonio n’a cependant que 16 ans lorsque sa mère, dont le tout frais nouveau mari vient d’emménager, lui fait comprendre qu’il serait mieux pour lui de quitter le domicile familial, considérant qu’il deviendrait un véritable homme ainsi. Le rite de passage le laisse à la rue avant qu’il ne puisse trouver un abri chez des amis ou coaches divers et que, finalement, la famille d’un coéquipier (Lestar Jean, qui lui-même arrivera jusqu’en NFL plus tard) ne l’accueille en son sein.

« C’est un gars qui a connu tellement de choses dures, qui a fait face à tant d’adversité. Arriver à transformer tout cela en expérience positive, il a vraiment fait du bon travail. » Arnaz Battle, coéquipier de Brown en 2010.

Avec une telle concentration sur le football et une vie familiale éparpillée aux quatre vents, les notes d’Antonio Brown ne lui permettent pas d’accéder aux universités réputées de la région, comme Florida. Il se dirige alors vers une école technique, à Charlotte en Caroline du Nord, pour y améliorer ses notes au SAT (examen d’entrée à l’Université) dans l’espoir d’intégrer une université de 1ère division. Là-bas, il peut aussi y démontrer que son rêve de devenir professionnel comme son père n’est peut-être pas si éloigné que cela. 1250 yards et 11 touchdowns à la passe, 451 yards et 13 touchdowns à la course, 17 touchdowns cumulés sur les retours de coup d’envoi et de punt, le tout en 5 matches. Antonio Brown est déjà versatile mais le niveau est sans doute toujours trop faible pour attirer les universités le faisant rêver.  L’école, qui dédie une bonne partie de son Hall of Fame à Brown, finira d’ailleurs par avoir droit en 2011 aux « honneurs » d’une enquête ESPN sur ses pratiques douteuses de recrutement et d’éducation…

Un moral d’acier
Alors, lorsque Butch Jones, coach-assistant à West Virginia devenu head-coach de Central Michigan, lui présente la possibilité d’intégrer l’équipe en tant que « walk-on » (sans bourse sportive universitaire), Brown n’hésite pas une seconde et, après seulement une semaine d’entrainement, l’Université lui en alloue déjà une tellement il y est impressionnant.

« C’était dur mais j’ai appris plein de choses en vivant ça. Ca m’a appris le fait que rien ne me serait donné et de travailler dur pour avoir ce que je veux. D’où je viens, j’ai dû trimer pour obtenir ce que je voulais. Mon éthique professionnelle vient de là. Cela m’a construit en tant que joueur et en tant que personne » Antonio Brown en 2010

En 3 saisons passées sous les couleurs bordeaux et doré des Chippewas, Antonio Brown fait preuve d’une régularité métronomique, en accumulant 3199 yards en 305 réceptions, le record de l’Université, et 41 matches. Il y gagnera deux sélections en tant que All-American en 2008 et 2009 mais ces honneurs et performances ne lui vaudront pourtant qu’une sélection au 6e tour de la draft 2010. Si sa rapidité et son agilité sont jugées être au niveau de la NFL, son manque de taille (1m77) et son physique fluet (84 kilos) pour sa position font dire aux scouts qu’il aura du mal à s’imposer sur la ligne d’engagement et dans les éventuelles batailles en l’air contre les cornerbacks adverses.

Bien garnis au poste de receveur avec  les deux légendes locales, Hines Ward et Antwaan Randle El, et le speedster Mike Wallace, drafté l’année précédente,  les Pittsburgh Steelers gonflent leur effectif avec  Brown, 3 tours après avoir sélectionné Emmanuel  Sanders en 82e position. Ces trois jeunes de moins de 24 ans vont former le clan des « Young Money Fellas » et emmener la franchise de Pittsburgh jusqu’au Super Bowl XLV, son huitième, un record en NFL (à égalité avec les Cowboys).
La monnaie, Mike Wallace ira la chercher chez les Dolphins en 2013 tandis qu’Emmanuel Sanders, lui, ira chercher la sienne chez les Broncos en mars dernier. Au final, C’est bien lui, Antonio Brown, le petit receveur en provenance de Miami dont personne ne voulait vraiment mais qui n’a jamais abandonné, qui va devenir le receveur #1 des Steelers en 2012, en signant un contrat de 42,5 millions de dollars sur 5 ans. Un moral d’acier dans la ville symbolique de cet alliage à toute épreuve.

Si le receveur des Steelers détient maintenant le record de yards sur une saison de la franchise avec 1499 unités en 2013 et n’a été qu’à deux réceptions d’égaler celui des réceptions (toujours détenu par Hines Ward avec 112), on n’oubliera cependant pas que c’est sur un retour de coup d’envoi qu’il aura fait une entrée tonitruante en 2010 dans la grande ligue. Premier ballon touché, premier touchdown, pouvait-il en être autrement pour le fils de « Touchdown » Eddie Brown ?

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