[histoire] Walter Payton : Sweetness

GOAT.  Non il n’est pas question d’un mammifère herbivore et ruminant connu sous le nom de chèvre dans la langue de Molière. Greatest of all time, tel est l’acronyme qui...

GOAT.  Non il n’est pas question d’un mammifère herbivore et ruminant connu sous le nom de chèvre dans la langue de Molière. Greatest of all time, tel est l’acronyme qui résonne souvent en échos au nom de Walter Payton. Un joueur unique. Un homme unique. Le meilleur joueur de tous les temps? Peut-être bien. Une personnalité inimitable? Certainement.

Tel frère, tel frère

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Le numéro 34 lui colle à la peau dès l’université

Natif du Mississippi, Walter est longtemps tenu éloigné des terrains de football. La raison : ne pas faire ombrage à son grand frère Eddie, coureur star. Une fois son aîné diplômé, le coach de la John J. Jefferson High School propose au plus jeune des Payton de faire un essai. Un essai visiblement concluant puisque Walter intègre l’équipe. À une condition, celle de pouvoir continuer à jouer pour la fanfare du lycée dans laquelle il officie en tant que percussionniste. Car à l’époque, le sport ne l’intéresse guère ; sa véritable passion, c’est la musique. Pourtant, il va rapidement être contaminé par la fièvre du football.

Au lycée, ses mensurations n’ont rien d’impressionnant. 1,78m sous la toise, une carrure normale, presque banale. Mais un savant mélange de vitesse et de force. La toute première fois qu’il touche le ballon, il est stoppé 65 yards plus loin. Dès sa première année, après que son lycée exclusivement noir ait fusionné avec un lycée réservé aux blancs, il fait merveille. Dans un contexte de ségrégation raciale lourd, le running back porte son équipe à un bilan inespéré de 8-2. En véritable prodige, il apparaît dans l’équipe type d’un Mississippi où il ne fait pourtant pas bon être noir en pleine lutte pour les droits civiques. Au cours de ses deux dernières années, il marque à chaque rencontre. Malgré un pédigrée à faire saliver bien des écuries du monde universitaire, il est royalement ignoré par la conférence SEC. La faute à la nauséabonde discrimination raciale qui règne dans le sud du pays à l’époque. Il suit finalement les pas de son grand frère et rejoint l’université noire de Jackson State University dans son Mississippi natal.

Aux côtés des futures stars NFL Robert Brazile et Jackie Slater, il avale les yards à pleine bouche. Sous les couleurs des Tigers, il accumule plus de 3500 yards, à une moyenne gargantuesque de 6,1 yards par course. Son inimitable style félin fait déjà des ravages. Mieux encore, il enregistre un total record de 65 touchdowns au sol. En 1972, il éclabousse de son talent la rencontre face à Lane College en inscrivant pas moins de 7 touchdowns au sol. Ajoutez deux conversions à 2 points à l’addition et vous obtenez 46 points. L’œuvre d’un seul et même joueur. Un exploit retentissant. Les Tigers terrassent leur adversaire du jour 72-0. Ses 464 points en carrière constituent un record NCAA à l’époque.

Même loin des prestigieuses universités, ses performances ne passent pas inaperçues et Walter Payton figure dans l’équipe type All-American en 1973. L’année suivante il est honoré du titre de Black College Player of the Year. Une récompense qui résume à elle seule l’air du temps. Rebelote en 1974. Que cela soit pour sa personnalité unique, sa grâce féline ou, non sans humour, pour désigner la puissance inimitable qu’il dégage ballon sous le bras, il hérite du surnom de « Sweetness ». Une douceur probablement pas du goût de ses adversaires, mais qui lui doit d’intégrer le Hall of Fame universitaire en 1996. Après 4 années à ravager les défenses universitaires, place à la cour des grands. Enfin un terrain de jeu à la mesure du talent de Payton.

Hors terrain déjà, il met son altruisme au service des autres. Car en plus d’être un joueur bourré de talent, il est un homme au grand cœur. Diplômé en communication, il s’implique auprès des sourds. Il manifeste autant de détermination en salle de classe que sur le terrain dans le but « de détruire le mythe selon lequel les athlètes en général, et les noirs en particulier, n’ont pas besoin de travailler pour être diplômés et que de toute façon ils n’apprennent rien. » Décidément, le jeune homme à tout pour plaire.

Walter Payton

Walter Payton ne court pas, il vole

Une panthère chez les Ours

Les Bears flairent le bon coup et attirent le versatile et explosif running back dans leurs griffes avec le quatrième choix général de la draft 1975. Objectif : trouver le digne successeur à la fusée Gale Sayers. Payton ne se contentera pas de succéder à l’ancienne icône de la franchise de Chicago, il la fera presque oublier. Pourtant, les débuts ne sont pas vraiment idylliques. Loin de là même. Pour sa première rencontre, le coureur ne gagne pas le moindre yard en huit tentatives. Par le meilleur baptême du feu. Il faudra attendre l’ultime rencontre de la saison pour que le talent de Walter Payton explose enfin. Face aux Saints, il profite des 20 courses qui lui sont offertes pour engloutir 134 yards. Sa première année chez les pros se conclut avec 679 yards et 7 touchdowns au compteur. Des débuts discrets. Du moins au sol, car en matière de retours de coups de pied, la panthère Payton n’a pas d’égal.

« Mon coach à Jackson State me disait toujours, ‘Tu dois bien mourir un jour, mais bats-toi,' » expliquait le coureur après sa retraite.

Malgré une première saison en demi-teinte, son inimitable style fait déjà son petit effet. Fidèle à sa devise « Never Die Easy », héritée de son coach chez les Tigers, il ne s’avoue jamais vaincu et ne fuit jamais. Appliqué au terrain, c’est simple : il préfèrera toujours délivrer un tampon bien senti au défenseur que filer en dehors du terrain pour éviter l’impact. En d’autres termes, ne comptez pas sur lui pour vous faciliter la tâche. Si vous voulez stopper la bête, il vous faudra payer de votre personne. Coureur puissant, physique, rugueux, Walter Payton est également d’une élégance rare, presque féline.

« L’exemple parfait de ce qu’un vrai running back est sensé faire, » explique Dick Butkus, une autre légende des Bears.

Dans un Soldier Field aux allures de cirque romain, le coureur donne le tournis aux défenses adverses. Sa botte secrète, une longue foulée, pareille au fameux pas de l’oie cher aux rugbymen fidjiens. Un moyen de déjouer les défenseurs plus véloces. Car sur le terrain, Payton est rarement le plus rapide. Ni le plus gros. Encore moins le plus grand. Si ses jambes font des ravages, ses bras ne sont pas en reste. Toujours actifs, ils lui permettent d’envoyer valser les défenseurs qui osent tenter de stopper ses courses endiablées, profitant d’un haut du corps surpuissant. Certains de ses plongeons dans la endzone, au-dessus de la mêlée, sont mémorables. Un sens de l’équilibre rare, des appuis et des changements de rythme déconcertants, des épaules de déménageur, une détermination à toute épreuve. Un cauchemar pour les défenses. Un véritable bulldozer, mais plein de grâce. Un spécimen unique.

« Quand j’ai vu Walter Payton dans les vestiaires pour la première fois, j’ai cru que Dieu avait pris une paire de ciseaux et s’était dit ,’Je vais faire de moi un running back,' » explique plein d’admiration et d’humour Fred O’Connor, ancien coach des coureurs à Chicago.

« Je me souviens d’un block qu’il m’a infligé une fois, » raconte l’ancien defensive end des LA Rams Jack Youngblood. « J’ai cru qu’il avait ouvert un trou dans mon sternum. Je lui ai dit, ‘Walter, qu’est ce que tu fous.’ Il a répondu, ‘T’es sur mon chemin.' »

Un physique hors norme qui ne doit rien au hasard. Chaque été, alors que la saison se profile à l’horizon, Walter s’amuse à grimper une côte raide, près de chez lui dans l’Illinois, vingt fois par jour. Parfois, il convie des coéquipiers ou des joueurs universitaires locaux.

« J’aime les voir essayer une ou deux fois, puis vomir, » explique-t-il, un brin sadique.

Jamais blessé (ou presque),  bloqueur hors pair, il exploite au mieux ses capacités. Il se laisse guider par son instinct confie-t-il, sans la moindre pitié pour les adversaires qui osent se dresser sur sa route.

CHICAGO'S `SWEETNESS' DIES OF CANCER AT 45

Walter Payton, son indémodable moustache et son inévitable bandeau

Le réveil de la bête

Frustré par une année de rookie en demi-teinte, il retrouve son instinct de fauve dès la saison suivante. Les Bears ont libéré la bête. En 1976, il double ses stats : 1390 yards et 13 touchdowns. Il honore de la meilleure des manières son invitation au Pro Bowl la même année en décrochant le titre de MVP de la rencontre. La saison suivante, en prédateur assoiffé de yards, il dévore 1852 unités et inscrit la bagatelle de 16 touchdowns. Les récompenses pleuvent sur sa touffe de cheveux entourée de son indémodable bandeau CROOS. Sans surprise, et à seulement 23 ans, il est nommé MVP. Face aux rivaux du Minnesota en 1977, il affole les compteurs en établissant un record de yards en une seule rencontre (275 yards) effaçant l’ancien record d’O.J. Simpson. Une performance ébouriffante réalisée avec une fièvre battante de plus de 38°. Un record qui tiendra 23 ans. Comme si ses prouesses de coureur ne suffisent pas, Walter dépanne occasionnellement en tant que bloqueur, receveur, quarterback ou punter de secours. Un véritable couteau suisse, capable de lancer une passe de 60 yards, botter un punt de 70 et convertir un field goal de 45.

Payton a beau dynamiter les défenses à coup d’envolées sauvages, félines, dévastatrices, les Bears peinent à enchaîner les succès. Depuis son arrivée dans la ville venteuse trois ans plus tôt, le virevoltant coureur n’a connu le doux parfum des playoffs qu’à deux petites reprises. Chicago détient un véritable joyau, une espèce rare, mais ne parvient pas à en profiter. Du moins pas encore. Neill Armstrong renvoyé sur la lune, Mike Ditka et sa légendaire moustache s’installent sur le banc. Après une saison 1982 loin d’être inoubliable et réduite de moitié par une grève, les Bears redressent peu à peu la barre. 8-8 en 1983, puis 10-6 l’année suivante. Les revoilà lancés sur la route du succès. Et « Sweetness » n’y est pas étranger. Deux saisons à plus de 1400 yards, une à plus 1500 en 85, les Bears retrouvent les sommets. Leur attaque inspire de nouveau la crainte.

« Un footballeur complet, meilleur que Jim Brown, meilleur que O.J. Simpson, » s’enthousiasme l’ancien GM des Bears Jim Finks, non sans partialité.

Le record de yards en carrière de Jim Brown effacé des tablettes, Walter Payton et une défense de fer portent la franchise de l’Illinois au Super Bowl XX au terme d’une saison bouclée avec 15 succès au compteur. En finale, les hommes de Ditka ne font qu’une bouchée des Patriots (46-10). Le seul réconfort des joueurs de la Nouvelle-Angleterre aura été de priver le coureur de endzone. Un petit exploit. Mais une bien maigre consolation. Pourtant, le running back regrettera longtemps de ne pas avoir inscrit son nom sur la feuille de marque du Big Game confiera son coach quelques années plus tard. Avec 12 ans de football professionnel dans les pattes, Payton continue de slalomer dans les défenses avec une aisance déconcertante et dévore 1333 yards en 1986. L’année suivante, après avoir annoncé sa retraite à l’issue de la saison, il joue les mentors auprès de Neil Anderson. Même à l’aube de sa retraite, sa passion reste intacte.

« C’est quelque chose que je veux faire, » expliquait-il à 33 ans, un an avant de raccrocher. « Quelque chose que j’aime faire. L’argent ne fait pas tout. Vous vous marriez pour l’argent? Vous avez des enfants pour l’argent? »

C’est sur une défaite face aux Redskins au premier tour des playoffs qu’il retire définitivement son casque. En 13 ans de carrière, il n’aura manqué qu’une seule rencontre et amassé 16 726 yards et 110 touchdowns au sol. Des records à l’époque. Avec près de 500 réceptions et plus de 4000 yards, il n’est pas en reste dans les airs. Son #34 disparaît à tout jamais du vestiaire des Bears en 93. La même année, il rejoint le Hall of Fame de Canton.

Plus qu’un grand joueur, un grand homme

À la manière d’un Larry Fitzgerald, il préfère la sobriété aux chorégraphies farfelues quand il est temps de célébrer un touchdown. Roger Goodell applaudit des deux mains. C’est souvent à un de ses bloqueurs que revient le cuir. Car en leader altruiste, il aime récompenser ses coéquipiers et parce que « ce sont eux qui font tout le boulot, » dixit l’intéressé. Mais il n’est pas contre quelques bonnes vieilles plaisanteries à ses coéquipiers. Quand on jouer avec Walter Payton, au coup de sifflet final, mieux vaut se ruer aux vestiaires sous peine de rester coincé dehors, dans le froid, pendant que le coureur profite d’une longue et brulante douche solitaire. Un sacré farceur.

Mais plus que son côté pitre, c’est sa philanthropie qui colle à la peau du joueur. Si chaque année, juste avant le coup d’envoi du Super Bowl, un joueur est honoré du Walter Payton Award pour rendre hommage aux services qu’il a rendus à sa communauté, c’est tout sauf un hasard. En 1988, il inaugure la Halas Payton Foundation qui vient en aide aux enfants de l’agglomération de Chicago. Quelques années plus tard, c’est au tour de la Walter Payton Foundation de voir le jour. L’objectif : aider les plus jeunes plus seulement dans la ville venteuse, mais dans tout l’Illinois. Depuis sa mort, Brittney et Jarrett ont pris le relais de leur père. Leader respecté, homme sincère, son surnom de « Sweetness » définit autant sa grâce sauvage sur le terrain, que sa personnalité en dehors.

Tout n’est pas rose pour autant raconte Jeff Pearlman de Sports Illustrated, auteur d’une biographie de l’icône des Bears. Il tromperait régulièrement sa femme. Une fois les crampons raccrochés, il aurait sombré dans l’ennui et la solitude. Une morosité qu’il tenterait d’évacuer par la drogue. Pourtant, il ne reste pas inactif et se mue en homme d’affaires. Immobilier, restaurants, agences de voyages, il investit à tout va. En 1993, il tente de devenir le premier propriétaire noir d’une franchise NFL en installant une équipe à St. Louis. Jacksonville et Charlotte sont préférées. Atteint d’une maladie rare au foie qui dégénère rapidement en cancer, l’ancien coureur se mue en promoteur du don d’organes dans ses derniers mois. En avril 1999, il lance la première balle d’un match des Cubs, accompagné de Mike Ditka. On ne le reverra plus jamais en public. Le 1er novembre, Walter Payton s’éteint. Il avait 45 ans. Toute la ligue lui rend hommage. Les Bears arborent une pastille frappée de son numéro. Une pastille de douceur. Celle de « Sweetness ».

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