[histoire] Pittsburgh Steelers 70’s : le rideau d’acier

En pleine guerre froide, alors que le rideau de fer divise le monde, une nouvelle muraille s’élève. Hissée par les hommes d’acier de Pittsburgh, elle barre l’accès à la endzone....

En pleine guerre froide, alors que le rideau de fer divise le monde, une nouvelle muraille s’élève. Hissée par les hommes d’acier de Pittsburgh, elle barre l’accès à la endzone. Une barrière tout aussi hermétique. Tout aussi infranchissable. Tout aussi impitoyable. Derrière ce mur, se cachent quatre hommes, quatre géants, quatre titans : Joe Greene, L.C. Greenwood, Ernie Holmes et Dwight White. Ajoutez Mel Blount, Jack Ham et Jack Lambert, et la fine équipe est au complet. Tous, firent partie à un moment ou un autre du « Steel Curtain », un front four redoutable, clé de voute d’un rideau d’acier étanche qui fit de la défense des Steelers des années 1970 l’une des plus redoutables de l’histoire. Le point d’orgue : 1976. La meilleure escouade défensive que la NFL n’ait jamais portée? Probablement. À moins que les Bears de 1985 ne leur soufflent cet honneur.

Super Bowl X - Dallas Cowboys vs Pittsburgh Steelers - January 18, 1976

Ernie « Fats » Holmes a un gros appétit

Le péril jaune (et noir)

« Mean » Joe Greene, L.C. « Hollywood Bags » Greenwood, Ernie « Fats » Holmes et Dwight « Mad Dog » White. Des surnoms d’enfer et des physiques de buffles. Plus d’1m90 sous la toise et de 110 kilos sur la balance, tels est le minimum requis pour intégrer le rideau de fer version Pittsburgh Steelers. Des mastodontes qui forment la véritable colonne vertébrale d’une franchise qui fit sienne la décennie 70. Super Bowls IX, X, XIII et XIV. Le compte est bon. De 1974 à 1979, emmenés par un quarterback tonsuré et portés par une défense de fer, une meute de loups affamés, les métallurgistes de Pennsylvanie s’offrent quatre bagues. Une razzia. Une dynastie. Le jaune et noir inspire la peur.

Premier joueur drafté par Chuck Noll, Joe Greene, le vilain, va servir de socle à ce front four sans égal. Un joueur d’une agressivité rare pour qui le football a servi de véritable exutoire.

« Les gars comme moi sont vraiment chanceux d’avoir joué au football. Le football était un exutoire, une libération. C’était génial de pouvoir frapper quelqu’un dans la tronche sans finir en prison. Je dis à mes potes qu’ils sont comme des rois. Ils peuvent botter des culs sans s’attirer d’ennuis. C’est ça le football ; c’est pas du tennis, c’est pas du golf. »

Dès son année de rookie, baladé par le virevoltant Fran Tarkenton, il perd patience et frappe le quarterback à retardement. Sans surprise, il est expulsé.

« C’est comme ça que je joue au foot, » explique-t-il après la rencontre. « Le simple fait qu’un adversaire soit sur le même terrain que moi me fait enrager. »

Tout est dit. Joe « Mean » a un goût prononcé pour la castagne. Et sous l’uniforme des Steelers, il va mettre cette énergie rageuse au service de ses coéquipiers. L.C. Greenwood est drafté la même année, en 69. Deux ans plus tard, Ernie Holmes et Dwight White quittent leurs universités texanes pour rejoindre le Three Rivers Stadium. Le quatuor est complet. Et il ne tarde pas à briller. Fumbles, sacks, bagues de champions, les quatre hommes multiplient les actions d’éclat et les récompenses. En 74, lors du Super Bowl IX face aux Vikings de Tarkenton, Greenwood détourne trois passes du quarterback. L’année suivante, lors du Big Game face aux Cowboys, il envoie une autre légende, Roger Staubach, manger le gazon à quatre reprises.

Victime d’une pneumonie durant la semaine précédant le Super Bowl IX, Dwight “Mad Dog” White  est cloué sur son lit d’hôpital. Pas de quoi l’empêcher de jouer pour autant. Remonté comme jamais, il ouvre le compteur de la rencontre en plaquant un Viking dans son propre en-but. Rien de bien extraordinaire pour celui que le propriétaire de la franchise Dan Rooney désigne comme « l’un des tout meilleurs joueurs à avoir porté le maillot des Steelers. »

La défense des Steelers des 70’s, ça n’est pas seulement une histoire d’hommes, mais aussi de chiffres. En 73, elle concède 210 points, amasse 37 interceptions, recouvre 18 fumbles et marque trois fois. L’année suivante, elle n’encaisse que 189 points, intercepte 25 ballons, en recouvre 22 et score deux fois. En 1975, toujours plus imperméable, elle n’accorde que 162 unités et s’offre 37 turnovers. Puis vient 1976, l’année faste. L’année de la consécration pour cette défense sans nulle autre pareille.

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Jack Lambert a sacrifié quelques dents dans la mêlée

1976, un rideau de fer s’abat sur l’Amérique

Si 74 est l’année du sacre, 76 reste dans les mémoires comme celle de l’apothéose, pour une défense au sommet de son art. Une domination jamais égalée. Malgré, l’échec en finale de conférence face aux Raiders de John Madden, l’escouade défensive a érigé un véritable rideau d’acier toute la saison, dégoûtant les adversaires. Si la défense de 1974 s’est distinguée comme la meilleure en termes de yards concédés, de turnovers provoqués, de sacks infligés et de plus faibles QB ratings pour les passeurs adverses, celle de 1976 s’impose dans un autre art : celui de réduire au silence (ou presque) les attaques. 51 points de moins dans la musette par rapport à la campagne 74, une moyenne de 9,88 points encaissés par match et surtout, seulement 28 petites unités concédées lors des neuf dernières rencontres de la saison. Rarement dans l’ère du Super Bowl, une défense aura été aussi hermétique.

Après un début de saison chaotique (1-4) marqué par la perte de Terry Bradshaw sur blessure, la machine d’acier se met en branle. Oubliés les 31 points contre Oakland, les 30 contre New England et la piètre moyenne de 22 unités par match. Lors de huit des neuf rencontres suivantes, la défense ne concède aucun touchdown. Trois semaines de suite, elle réduit ses adversaires au mutisme. 27-0 face aux Giants, 23-0 contre les Chargers et un succès 45-0 devant les Chiefs. Le coup du chapeau. Un exploit qu’elle réalisera lors de cinq rencontres cette saison là. Une moyenne incroyable de 3,1 points accordés par match. Face à eux, des adversaires affichant un pourcentage de victoire de 52,8%, histoire de donner encore plus d’ampleur à la performance. Le moine Bradshaw retrouve le terrain, les Steelers sont injouables et, après une démonstration de force face à Baltimore (40-14), s’offrent un ticket pour la finale de conférence AFC. Un ticket perdant. Ils n’avaient encaissé que 28 points lors des neuf dernières rencontres de saison régulière, les Raiders leur en infligeront 24, en une partie. Privée de ses coureurs Franco Harris et Rocky Bleier, l’attaque patine, la défense s’épuise et Pittsburgh s’incline. Malgré ce revers, le rideau d’acier de 76 a inscrit son nom au grand Livre de la NFL. Jamais défense n’aura été aussi infranchissable.

L’énergie démoniaque qui anime le front four a contaminé tout le reste de la défense. « Steel Curtain » ne désigne plus seulement les quatre hommes forts de devant, mais toute une escouade, portée par la même détermination dévastatrice. En 1976, ils sont huit à décrocher leur billet pour Hawaï. Outre L.C. Greenwood et Joe Greene, les deux linebackers Jack Ham et Jack Lambert (couronné défenseur de l’année), les defensive  backs J.T. Thomas, Glen Edwards, Mike Wagner et Mel Blount s’invitent également à la fête. Ernie Holmes, lui, n’est même pas convié à la petite sauterie hawaïenne. Et pourtant.

« Ces vieilles défenses des Steelers étaient les meilleures, » reconnait John Madden dont les Raiders parvinrent à déjouer le rideau d’acier en 76.« Regardez juste les types qui ont joué dans ces défenses. Vous savez qu’ils étaient incroyables. Celui qui nous a toujours donné le plus de fil à retordre, c’était Ernie Holmes, et pourtant il ne serait même pas mentionné si vous parliez des meilleures défenses des Steelers. Nous étions incapables de bloquer Ernie. »

Injouables. Incontournables. Infranchissables. La franchise de Pittsburgh vient de se trouver une nouvelle identité.

La naissance d’une identité

Leur surnom de « Steel Curtain », ils le doivent à un concours organisé par une radio locale. L’objectif, trouver un petit nom pour cette défense qui terrifie la NFL. Habile référence au rideau de fer de Winston Churchill et à l’industrie de l’acier, véritable poumon économique de la région de Pittsburgh. Le « Rideau d’Acier » fait l’unanimité et 40 ans plus tard, colle toujours au casque des Steelers. Un véritable label. Une marque de fabrique.

De 1972 à 1979, les Steelers ne dérogent pas à leur réputation et ne quittent pas le top 10 des défenses de la ligue. À six reprises, ils se glissent sur le podium. Avant le début de la saison 78, le quartet se dissout. Ernie Holmes est envoyé à Tampa en échange de deux choix de fin de draft. La fin d’un cycle. Ou presque. Les Steelers se sont trouvés une véritable identité. Celle d’une équipe qui aime défendre. Profondément. Le rideau d’acier est tombé, mais sa mémoire perdure. Mieux encore, cette nouvelle identité se transmet. Les Steelers de 2008 vont redonner un second souffle à la redoutable tradition défensive qui colle au casque de la franchise de Pittsburgh. James Farrior, LaMarr Woodley, Lawrence Timmons, Troy Polamalu, Brett Keisel, Larry Foote, James Harrison. De nouveaux noms, mais une même hargne, une même détermination, une même violence et en face, une même peur. Les Steelers et la défense, c’est une longue histoire d’amour. La clé du succès. La clé de leur succès.

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