[portrait] Torrey Smith, vivre pour survivre

“Dieu a créé une personne parfaite”. Si l’on se souvient des remous autour des personnes de Ray Lewis, Terrell Suggs ou même Jamal Lewis, on peut s’étonner que ces mots...

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Dieu a créé une personne parfaite”. Si l’on se souvient des remous autour des personnes de Ray Lewis, Terrell Suggs ou même Jamal Lewis, on peut s’étonner que ces mots de Ralph Friedgen, l’ancien coach de Maryland, puissent décrire un joueur des Ravens, franchise qui semblait avoir pris la suite des Bengals dans leur capacité à héberger des joueurs à problèmes au sein de leur effectif, comme l’affaire Ray Rice l’a sombrement rappelé. La cible de ce commentaire élogieux ? Torrey Smith, le receveur à la vitesse de feu qui, à defaut d’être le receveur parfait, semble être celui qui convienne le mieux à l’équipe de John Harbaugh.

Enfant à tout faire

Son énorme match face aux Patriots en 2012 ne fera certainement pas la douleur de la perte de son frère

Son énorme match face aux Patriots en 2012 ne fera certainement pas la douleur de la perte de son frère

Dimanche 23 septembre 2012 au M&T Bank Stadium de Baltimore. Torrey Smith n’en finit plus de courir et d’amasser les yards. Il en récoltera 127 en 6 réceptions lors de ce Sunday Night Football un peu spécial. Ce soir-là, il ne joue pas que pour lui, il joue aussi en la mémoire de son jeune frère, Tevin Chris Jones, décédé la veille dans un accident de moto. A chacun de ses deux touchdowns, il s’agenouille dans la end-zone et se recueille. Car plus qu’un frère, c’est presque un fils que le receveur des Ravens a perdu ce jour-là.

« Quand il vous arrive une chose pareille, cela vous apprend à apprécier la vie, à comprendre qu’elle peut vous être prise à chaque seconde. Ma force vient des personnes qui m’entourent » Torrey Smith

Premier d’une lignée de sept enfants, Torrey Smith a failli pourtant ne jamais vivre. Prématuré de 3 mois, ne pesant que 2,4 kilos à sa naissance en janvier 1989, il naît avec une méningite et passe les 10 premières semaines de sa vie dans une couveuse, devant apprendre à avaler et à manger. Pour arranger le tout, sa mère, Monica Chante Jenkins, n’est alors qu’une adolescente de 16 ans dont le nouveau-né est le fruit d’un amour interdit avec un militaire de 25 ans, Clarence Rhodes. Pour éviter tout risque de poursuites judiciaires pour le jeune homme, elle ne révélera à Torrey et à son père leur filiation que 6 ans après sa naissance.
Son nom, Torrey Smith le doit plutôt au nouveau petit-ami de sa mère, James Torrey Smith, avec qui elle commence une relation sérieuse alors qu’elle est encore enceinte de Torrey. Elle aura deux autres garçons avec cet homme travaillant dans la Navy, avant d’en avoir un quatrième alors qu’elle n’a encore que 19 ans.

Eduquée dans la violence, le désintérêt de tout et les méfaits, Monica décide de mettre un terme à ce cycle infernal et de faire de ses enfants des citoyens modèles. Pour cela, son aîné, Torrey, devra assumer un rôle paternel alors même qu’il n’a que 4 ans. Suivant des cours pour devenir infirmière pendant la journée, Monica doit s’occuper de personnes âgées et d’empaqueter du bacon la nuit pour faire rentrer un peu d’argent dans son foyer de Colonial Beach, à la frontière entre la Virginie et le Maryland. Pendant ce temps, c’est Torrey qui devient « le Roi du micro-ondes », préparant le petit-déjeuner pour ses trois plus jeunes frères. A 7 ans, Torrey change les couches, fait les lessives et s’occupe d’habiller ses frères tout en possédant déjà une autorité paternelle redoutable lorsqu’il est question de persuader ceux-ci d’aller prendre leur bain. Une expérience qu’il pourra mettre à profit avec son propre fils né en avril 2014 de son mariage avec sa petite amie de longue date, Chanel Williams.

Sa mère se marie pourtant ensuite avec un homme, qui alterne les séjours en prisons avec ceux à la maison et qui, comme passe-temps, lui passe quelques dérouillées et la menace même d’un pistolet à la tempe. Elle aura son cinquième et sixième enfant avec lui…

De la Virginie à la Virginie via le Minnesota
L’espoir d’un nouvel environnement qui crée une nouvelle vie voit la petite troupe émigrer vers le Minnesota où l’on a promis un job à son mari. Les trois années passées là-bas n’arrangeront rien pour le mariage des parents mais donneront à Torrey la première impression de se sentir « différent », dans cette ville de Pipestone où il est le seul Noir de l’école, et lui fourniront également les outils pour s’intégrer à tout type d’environnement.
Il l’a encore prouvé en mars 2013 en devenant le stagiaire d’Elijah Cummings, membre du Congrès pour le 7e District du Maryland depuis 1996, photocopiant, tapant ou rangeant le courrier mais en profitant également pour en apprendre le plus possible sur le processus législatif américain. Tout ceci lui valant un « il a fait un superbe boulot » de la part de l’élu Démocrate.

« Je ne changerais rien à mon enfance. J’ai appris à aimer chacun des problèmes auquel j’ai dû faire face, j’ai appris d’eux. Ca a fait de moi une meilleure personne. C’est dur maintenant de me faire craquer mentalement » Torrey Smith

Lorsque sa mère, ayant commencé dans le Nord des cours d’informatique qui l’amèneront plus tard à travailler pour la Navy pour plus de 100 000 dollars par an, décide de ramener ses enfants, seule, en Virginie, Torrey Smith est devenu une attraction locale en baseball où les coaches de lycée de la région voit en lui un potentiel de pitcher professionnel.

A son retour en Virginie, c’est au football qu’il commence pourtant à se consacrer, jouant au poste de quarterback, defensive back et retourneur de coup d’envoi pour son équipe du lycée de Stafford High. Façonné par la discipline de son coach, il devient un modèle pour tous ses coéquipiers, tellement impliqué dans son équipe qu’il décide même de jouer son dernier match de lycée alors qu’il boite bas. Les coaches décidant de le laisser faire, c’est sa mère elle-même qui rentre sur le terrain pour l’en sortir manu militari… Pas question de risquer une plus grave blessure, lui qui s’est déjà cassé la jambe lors de son année junior. Cette même blessure qui vaudra à l’Université de Virginia Tech de lui demander de courir un 40-yard une deuxième fois pour vérifier sa vitesse. Maryland, de son côté, n’en fera rien et y gagnera un receveur talentueux pour les trois saisons suivantes.

Grappin sur les Terrapins
Arrivé sur la pointe des pieds en 2008 (336 yards et 2 touchdowns en 13 matches) dans l’attaque des Terrapins qui compte déjà en son sein un speedster comme Darrius Heyward-Bey, il démontre tout son talent de retourneur de coup d’envoi, en dépassant la barre des 1000 yards dès cette année freshman. Avec la draft de « DHB » par les Raiders en 2009, Smith devient le receveur principal mais les 2 victoires en 12 matches place Maryland bon dernier de la Conférence ACC.

C’est donc finalement en 2010 que toutes les pièces du puzzle semblent finalement s’imbriquer et s’assembler. Torrey Smith y passe la barre des 1000 yards en réception (2e de l’ACC derrière Leonard Hankerson) et devient décisif en scorant 12 touchdowns en 13 matches, qui lui valent une sélection dans l’All-ACC First Team et permettent à Maryland d’arriver à un seul petit match pour le titre de la Conférence ACC. Ils jouent même le Military Bowl face à East Carolina, qu’ils écrasent 51 à 20.

Avec la perte d’emploi de sa mère (suite à une peine de prison consécutive à une bagarre avec l’une de ses belle-filles), la draft semble être une bonne option pour Torrey Smith et sa famille, lui qui a déjà obtenu en décembre son diplôme en criminologie et justice criminelle avec un an d’avance. Tous les différents records de l’école amassés au cours de cette année junior, comme le record de yards totaux sur une carrière universitaire (5198 contre 4960 pour Lamont Jordan auparavant) ou le nombre de touchdowns reçus sur un match (4, contre North Carolina State), en font un joli prospect de second tour, alors qu’il n’était projeté qu’au troisième ou quatrième tour l’année précédente.

« Ca m’a ému de lire son histoire. J’étais si fier de lui en lisant ça. Je me suis dit: on doit trouver un moyen de faire de Torrey Smith un Raven. Ce gars, c’est tout ce que veut représenter cette organisation » John Harbaugh

Son gabarit (1m83, 92 kilos), sa vitesse en ligne droite (mesurée à 4″43 sur 40 yards à la NFL Combine, le 4e temps des joueurs à sa position), son explosivité sur ses premiers pas ainsi que ses réels efforts de blocage sur les jeux de course et la passion avec laquelle il joue ne trompent pas les General Managers. Si, évidemment, les deux monstres Julio Jones et AJ Green sont les premiers à partir dès le premier tour, Smith est sélectionné devant des joueurs tels que Greg Little ou Randall Cobb.
Ce sont les Baltimore Ravens qui décident de miser sur lui à la 58e position de la draft 2011 et à hauteur de 3,7 millions de dollars sur 4 ans, eux qui doivent absolument trouver une menace profonde pour Joe Flacco afin de trouver le complément idéal à Anquan Boldin pour retrouver le Superbowl. Ils ne le regretteront pas…

Si ses deux premiers matches en NFL peuvent apporter des doutes sur sa réelle valeur à l’échelon supérieur, la façon dont il détruit à lui seul (ou presque) l’arrière-garde des Rams lors de la semaine 3 (152 yards, 5 réceptions, 3 touchdowns) est la véritable annonce de son arrivée en NFL et la confirmation que le bras puissant de Joe Flacco est tout ce qu’il lui faut pour dominer et mettre à profit ses qualités. Et si sa première saison se termine sur une défaite cruelle face aux Patriots, celle de 2012 est l’accomplissement de sa carrière sportive.
Avec ses 2 touchdowns et ses 98 yards, il participe activement à la victoire surprise de son équipe face aux Broncos dans ce qui restera comme l’une des courses-poursuites les plus folles, et l’un des retournements de situation les plus fous, de ces dernières années en playoffs. La victoire au Superbowl trois semaines plus tard, face aux San Francisco 49ers dans le Superdome de La Nouvelle-Orléans, sera un moyen de mettre un terme à cette saison où le meilleur a cotoyé le pire, une saison où il a fallu vivre pour survivre. Un véritable résumé de la vie de Torrey Smith, en fait…

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