[histoire] Dan Marino : le roi sans couronne

Le 20 janvier 1985 aurait pu être le jour de son sacre, à lui, le Dauphin qui prétendait au trône. Au Stanford Stadium, sur les terres du roi en personne,...

Le 20 janvier 1985 aurait pu être le jour de son sacre, à lui, le Dauphin qui prétendait au trône. Au Stanford Stadium, sur les terres du roi en personne, Joe Montana. Mais sa couronne, jamais il ne la touchera. Ce soir là, dans la douceur californienne, Dan Marino laisse filer sa plus belle chance de toucher au Graal. Sa seule. Il demeurera à jamais un héros sans couronne. Une ligne de moins à son palmarès, une page de plus à sa légende.

Forgé dans l’acier

Loin du soleil de Miami, c’est dans la grisaille de la ville des métallos qu’il bâtit les fondations de son mythe. À Pittsburgh, c’est au baseball qu’il se consacre à ses débuts. Mais loin de bouder le football et en fan invétéré des Steelers, il est nommé All-American avec son lycée. Ses talents de passeur font déjà tourner les têtes. Et quand vient le temps de quitter la Central Catholic High School en 1979, il décline l’invitation des Kansas City Royals, qui le sélectionnent au 4e tour de la draft amateur, et choisit l’effervescence du football universitaire. Direction : Pittsburgh… Dès son année de freshman, Dan Marino est rapidement investi titulaire et se met les fans des Panthers dans la poche en terrassant les rivaux ancestraux de Penn State et West Virginia. Deux succès en guise d’amuse-gueules. Car le meilleur reste à venir. Du haut de son mètre 93, il exploite à merveille la puissance de son bras pour étirer et mieux déchirer les défenses. Après une saison achevée au 2e rang national en 1980, les Panthers passent le plus clair de la campagne 81 au sommet des rankings. Dan Marino se présente au Sugar Bowl avec le plein de confiance et ne déçoit pas. Face aux Bulldogs de Georgia, il lance le touchdown de la gagne dans la dernière minute. Le quarterback clôt ses trois premières saisons avec un bilan de 33-3.

L’année suivante, patatras. Sous les ordres d’un nouveau coach, Marino et compagnie ne sont plus aussi dominants. La transition s’opère mal et Pitt s’incline à 3 reprises. Autant qu’au cours des 3 années précédentes ! Le Cotton Bowl Classic leur échappe sous les coups de boutoir du « Pony Express » de la Southern Methodist University, Eric Dickerson et Craig James. Une saison en demi teinte qui vient quelque peu ternir le CV de Dan au moment d’aborder la draft. Et si seulement il n’y avait que ça. En plus d’une cuvée riche en talent cette année-là, le passeur des Panthers doit composer avec d’autres soucis : des rumeurs de consommation de drogue. Aucune preuve ne viendra appuyer ces allégations, mais trop tard, le mal est fait. Résultat, cinq quarterbacks seront sélectionnés avant lui. Parmi eux, Jim Kelly et John Elway. Rien que ça. Les Jets préfèrent Ken O’Brien au natif de Pittsburgh, un joueur dont même Dan Marino ignorait l’existence. Avec le 27e choix général, Don Shula ne se pose guère de question et se dote de son franchise quarterback, convaincu que, snobé par tant d’équipes, il aurait à cœur « de montrer à toutes ces franchises l’erreur qu’elles avaient commise. »

Comme un Dauphin dans l’eau

Si la NFL se montre frileuse, on ne peut pas en dire autant de l’USFL. Sélectionné par les Los Angeles Express, il devient le tout premier joueur drafté dans l’histoire de la toute nouvelle ligue concurrente. Seulement, il n’en portera jamais les couleurs. Adieu Pittsburgh, direction Miami et Ocean Drive. Après 6 semaines à poireauter derrière David Woodley, Marino est lancé dans le grand bain. Un revers 38-35 en prolongation face aux Bills en guise de baptême du feu, puis la machine se met en route. 12 victoires, 4 revers. Un rating de 96, une invitation au Pro Bowl, une précision chirurgicale. 2 touchdowns et 2 interceptions. Son premier match de playoffs se scelle par un revers face à de jeunes Seahawks qui découvraient, eux aussi, le parfum des séries (20-27).

Loin d’être abattu, Dan Marino active le God mode en deuxième année. 48 passes de touchdown (marque qui tiendra 20 ans, avant qu’un certain Peyton Manning en décide autrement), 5084 yards (il faudra attendre 27 ans et Drew Brees pour effacer cette marque), 6 records NFL,  un titre de MVP, un bilan de 14-2 et l’avantage du terrain. Dan Marino est sur une autre planète. Cette fois-ci, les Seahawks ne font guère le poids (31-10). La semaine suivante, Dieu Marino s’offre une performance record en lançant 421 yards et 4 touchdowns pour écœurer les Steelers de sa Pittsburgh bien aimée en finale de conférence (45-28). On attend encore que ces marques soient égalées ou dépassées. Trois décennies plus tard, ce match reste inscrit comme le plus beau souvenir de la carrière de Marino, « parce que j’ai grandi à Pittsburgh, » dixit l’intéressé.

Les retrouvailles passées, un duel de Titans s’annonce à l’horizon. Face au fils prodigue, Dieu le Père en personne. À Palo Alto, sur les terres des 49ers et de Joe Montana, les Dolphins abandonnent le jeu au sol (seulement 8 petites courses) et leurs chances de succès par la même occasion. Dan Marino fait tout son possible, lance le cuir 50 fois, mais deux fois dans les mauvaises mains. Les Floridiens s’inclinent sèchement (16-38). Le quarterback des Fins vient de connaître son premier Super Bowl. Et son dernier. Déjà. Mais ça, il ne le sait pas encore. Ce qui restera comme la plus belle saison de sa carrière, et l’une des plus belles jamais réalisées par un quarterback, s’achève sur sa plus grande déception sportive.

« J’y repense et j’aimerais pouvoir rejouer ce match, » confiait récemment Marino au Miami Herald. « Ironiquement, je n’avais que 23 ans et j’étais convaincu que j’y retournerais un jour. Après la rencontre j’étais déçu, abattu par le match. Mais je me disais, ‘Tu sais quoi, je reviendrai et nous gagnerons. Je reviendrai plus d’une fois. Peut-être deux fois, sait-on jamais.’ Et ça n’est jamais arrivé. C’est ça que je regrette. C’est de ne pas savoir ce que ça fait de disputer le dernier match de sa carrière en sachant qu’on a été champion NFL. »

Le 7 septembre 1986, à 8 jours de ses 25 ans, Dan Marino expédie sa 100e passe de touchdown. Il ne lui aura fallu que 44 matchs pour y parvenir. Personne n’avait fait mieux alors. Personne n’a fait mieux depuis. 48. 30. 44. De 1984 à 1986, il devient le premier quarterback de l’histoire à signer trois saisons consécutives à plus de 30 touchdowns. Véritable gâchette, il délivre les passes avec une vitesse qui laisse les défenses muettes. La puissance et la précision de son bras font le reste. Les yards et touchdowns continuent de s’empiler à vitesse grand V, mais comme en 1985, les Dolphins butent de nouveau aux portes du Big Game en 1992. 1993 marque un tournant. En semaine 6, après un beau début de saison, porté par une défense retrouvée, Marino se blesse au tendon d’Achille à Cleveland. Il ne rejouera pas de la saison. Après 9 succès lors des 11 premières semaines, les Fins, privés de leur maître à jouer, s’écroulent et perdent les 5 dernières rencontres. Adieu les playoffs.

« Ça a vraiment été une grosse déception pour moi, car j’étais convaincu que nous avions une équipe capable de gagner le Super Bowl cette année-là. Nous avions beaucoup de talent avec Keith Jackson et [Keith] Byars, sans parler de la défense que nous avions, ni de Irving Fryar… C’est vraiment dur, parce que tu ne t’attends jamais à ce que quelque chose comme ça t’arrive. »

Profondément attaché à Miami, il créé en 1992 The Dan Marino Foundation, un organisme caritatif impliqué dans la recherche sur l’autisme et l’accompagnement des enfants. Un organisme qui voit le jour après que son fils, Michael, ait été diagnostiqué autiste. Côté terrain, après une campagne 93 écourtée, les regrets oubliés, Marino livre un duel d’anthologie avec Drew Bledsoe en ouverture de la saison 1994. 473 yards à 421, 5 touchdows à 4 et un succès 39-35 sur les Patriots. Quelques semaines plus tard, il mystifie les Jets avec une feinte de spike pleine de filouterie (action consistant à jeter le ballon à terre directement après le snap pour stopper l’horloge, ndlr) pour le touchdown de la gagne. The Clock Play. Marino enchaîne encore les exploits et les performances de mammouth, mais il sent que sa blessure au tendon d’Achille a laissé des traces irréversibles.

« Je ne me suis jamais véritablement rétabli à 100% de ma blessure au tendon d’Achille, » explique Marino. « Je devais m’ajuster et jouer avec ça. Notre corps s’adapte plutôt bien avec le temps. Mais je devais m’habituer à composer avec mes soucis aux chevilles et au tendon d’Achille, lancer le ballon et me déplacer différemment. Mais j’ai quand même le sentiment d’avoir continué à jouer à un haut niveau après ça. »

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Limité, mais loin d’être cuit, il porte les Dolphins jusqu’en séries lors de 5 de ses 6 dernières saisons. Le 21e siècle pointe le bout de son nez et la fin de carrière de Dan Marino avec. Dans une saison 1999 aux allures de jubilé, le quarterback de 38 ans  s’offre sa première victoire sur la route en playoffs et son 36e comeback en revenant de l’arrière pour se défaire de Seahawks (encore eux !) qui disent adieu au Kingdome (20-17). Ça sera son tout dernier succès dans la NFL. La semaine suivante, les Fins sont écrabouillés par des Jaguars sans une once de pitié (7-62). La plus lourde défaite de l’histoire de l’AFC en séries. Les Dolphins ne le prolongent pas. Il refuse les offres des Vikings, Buccaneers et même des Steelers et choisit de raccrocher. Pourquoi ?

« C’est une bonne question. Honnêtement, j’ai vraiment du mal avec ça. Ça a été le mois le plus difficile de ma vie jusqu’ici, devoir choisir entre continuer à jouer ou arrêter. À l’issue de la saison, j’étais à peu près sûr que je ne rejouerais plus jamais ; j’ai été dans cet état d’esprit pour un temps et je pensais que c’était avant tout une question de condition physique. Je n’arrêtais pas de me rappeler comment mes jambes se sentaient au cours de la saison, je pensais à cette blessure au cou ; je ne savais pas si je serais de nouveau capable de lancer le ballon, il y avait des motifs familiaux aussi, mais Claire et les enfants ont été formidables. Ils voulaient que je joue pour être honnête avec vous. Sincèrement, ça a été ma décision, une décision familiale et une décision de santé. »

Dan Marino n’aura jamais connu d’autre franchise que celle de Miami. Pourtant, sans des jambes chancelantes, il aurait très certainement accepté l’offre des Vikings confia-t-il plus tard. Après 17 années d’une fidélité absolue, il quitte les terrains sans la moindre bague au doigt, mais avec des records en pagaille. Des marques qui tinrent de nombreuses années, avant de s’effacer sous l’impulsion d’une nouvelle garde obsédée par les airs. Une issue presque inévitable.

« Je détestais quand ils battaient mes records, » confiait-il au Miami Herald, un léger sourire aux lèvres. « C’est épouvantable. »

« Non, ils ont tenu longtemps, » ajoutait-il après un ricanement. « J’ai failli dire à Brett Favre, ‘Pourquoi ça t’as pris autant de temps?’ J’ai été chanceux. J’ai eu une formidable carrière. »

Lorsqu’il tourne le dos aux terrains en 1999, aucun quarterback n’a tenté plus de passes (8358), n’en a réussi autant (4967), n’a gagné autant de yards (61 361) et n’a inscrit autant de touchdowns (420) que Dan Marino. En 17 saisons, il aura envoyé ses Dolphins en playoffs à 10 reprises. La NFL perd son quarterback le plus décoré de l’histoire. Seule case vide : le Super Bowl. Son éternel regret. Au panthéon des plus grands quarterbacks de l’histoire, il rejoint Fran Tarkenton au rang des anomalies. De ces joueurs étincelants, parfois révolutionnaires, mais sans bague au doigt. Plus qu’un roi sans couronne, c’est le souvenir d’un compétiteur que Dan Marino veut laisser. Celui d’un joueur qui, en toutes circonstances, se battra.

« Je pense que j’étais un compétiteur, » explique-t-il. « J’aimais la compétition. Je haïssais la défaite. Tout simplement. Je pense que c’est un sport d’équipe. Tout ce qui importe, c’est perdre ou gagner. Pour ce qui est de lancer le ballon, j’ai prouvé que je pouvais le faire vers n’importe qui, et tous les records, c’est une bonne chose ; mais ce que je veux qu’on retienne c’est ‘Ce gars était un compétiteur, il aimait ce sport et était un remarquable coéquipier.' »

Car non, la légende ne se jauge pas au nombre de lignes au palmarès. Car oui, on peut être roi sans couronne.

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