[portrait] D’Qwell Jackson, le plaquage comme adage

« Rien n’est impossible », c’est le slogan de la firme Adidas sur un poster représentant Mohammed Ali qui ornait la chambre étudiante de D’Qwell Jackson à Maryland. L’impossible, pendant des années,...

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« Rien n’est impossible », c’est le slogan de la firme Adidas sur un poster représentant Mohammed Ali qui ornait la chambre étudiante de D’Qwell Jackson à Maryland. L’impossible, pendant des années, cela a été pour D’Qwell Jackson d’accéder à un match de playoff, avec son équipe de toujours, les Cleveland Browns. Y ayant maintenant goûté avec les Colts en 2014, il serait surprenant que le #52 ne donne pas tout pour y retourner en 2015. C’est ainsi qu’il a construit sa carrière, et sa vie…

DQ, le roi du plaquage

Si D’qwell Jackson se distingue sur un terrain, c’est tout d’abord par ses plaquages. Le linebacker est insatiable, toujours prompt à se jeter sur le premier adversaire venu faisant l’erreur de porter le ballon. Depuis 9 ans qu’il arpente les terrains de NFL, d’abord sous le maillot des Cleveland Browns puis sous celui des Indianapolis Colts, il en a amassé plus de 712. Son pic ? La saison 2011 où, avec ses 116 unités, il finit en tête de la ligue (comme il l’avait déjà fait en 2008 si l’on compte les plaquages assistés) dans cette catégorie quelque peu controversée. En effet, si le nombre de plaquages indique les mouvements incessants du joueur sur le terrain, elle ne traduit pas vraiment l’importance de l’action. Un seul petit plaquage empêchant une équipe de convertir un 3rd down sur la ligne des 50 yards n’est-il pas plus important que quatre plaquages sur un drive adverse finissant en touchdown? C’est là toute la difficulté de comprendre l’impact de D’Qwell Jackson, sorte de loser magnifique et sympathique qui aura dû attendre sa septième saison et son arrivée chez les Colts pour enfin jouer un match de play-offs en NFL.

Mais si son activité ne peut pas être niée, ce qui interpelle chez D’Qwell Jackson, c’est également son prénom, peu commun voire invention pure et simple. Et, en effet, c’est bien sa mère, Debra Jackson, qui est à l’origine de cette appellation peu orthodoxe, rendant également D’Qwell perplexe lorsqu’il dit qu’il ne « sait pas d’où ça vient, ni d’où ça lui est venu. Aucune idée. Elle et une amie l’ont inventé, en partant sur un D, en y rajoutant une apostrophe et en terminant par Qwell. C’est juste un de ces noms uniques ».

Néanmoins, en lui donnant ce prénom, la mère de D’Qwell lui aurait fait l’offrande d’un état d’esprit, celle émanant des gens amenés a être scrutés de près sur le chemin du succès. « Je pense que si ce prénom ne m’a apporté ne serait-ce qu’une chose, c’est qu’il m’a préparé à être grand et à comprendre les différences qui nous unissent. Ce n’est peut-être pas un nom normal mais les gens ne me jugent pas dessus et j’ai également appris à ne pas juger les autres » explique-t-il lorsqu’on lui demande l’influence qu’a pu avoir son nom sur son destin.

« D’Qwell Jackson est un joueur de football extraordinaire mais c’est une personne et un leader encore meilleur qu’il ne l’est sur le terrain et ce n ‘est pas rien de le dire. Nous sommes un meilleur programme parce que D’Qwell est venu à l’université ici » Ralph Friedgen, coach des Maryland Terrapins.

Plus que son nom, pourtant, c’est une personne en particulier qui va l’amener là où il est maintenant, un linebacker vétéran de NFL, respecté par ses coéquipiers, les fans et les dirigeants pour ce qu’il est sur le terrain mais également en dehors : son oncle, Charles Dixon.

Qwell-a-Monster

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Né à Largo, cité portuaire à l’Ouest de Tampa en Floride, c’est dans le quartier de Busch Gardens qu’il grandit, sans entretenir aucune relation avec son père. Bien qu’il habite chez sa mère jusqu’au lycée, c’est bien sa grand-mère et son oncle Charles qui l’élèvent au sein d’une communauté assez pauvre où les sempiternels problèmes de violence et de drogue sont présents, comme souvent dans ces quartiers déshérités des Etats-Unis.

Charles Dixon a lui-même été tenté par cette vie dans la rue au cours de sa jeunesse mais les quatre années passées sous le blason des Marines lui a donné une autre optique de la vie et une vraie éthique. Il s’empresse d’éduquer D’Qwell selon ces mêmes principes, tout en s’assurant que le jeune homme développe également des qualités physiques qui pourraient lui servir plus tard et qui permettront à Charles de le surnommer « qwell-a-monster ».

Ainsi, à 7 ans, D’Qwell se retrouve à 3 mètres de son oncle qui lui envoie des ballons en pleine poitrine, ne lui laissant que deux options : les attraper ou se rouler au sol de douleur. «  Il m’a appris à être un homme, m’a appris tout ce dont j’avais besoin d’apprendre sur le football », c’est ainsi que D’Qwell résume toute cette expérience. Une leçon de résilience que D’Qwell n’a jamais oubliée, comme a pu s’en apercevoir Matt Ryan, le quarterback des Falcons, lors de la semaine 11 cette saison. Menés 21-14 à l’entrée du 4e quart-temps, les Colts arrivent à placer les Falcons sur leur ligne des 1 yard pour démarrer leur prochain drive. Bien que plongeant à plein nez dans la play-action de Ryan avec Devonta Freeman, D’Qwell Jackson se reprend pour regagner sa position et ne relâche pas le ballon qu’il intercepte à 6 yards de l’en-but, qu’il rejoint aussitôt pour aller marquer le touchdown égalisateur qui amènera à une victoire des Colts, la première les positionnant au-dessus des 50% de victoires depuis septembre.

Ces leçons plutôt old-school continuent également lorsqu’il s’agit d’être dans les clous sur les deux piliers de la vie : les notes à l’école et aider à la maison. D’Qwell est une étudiant plutôt doué mais si le désir lui en prend de ne pas vraiment suivre ses requêtes, son oncle Charles se charge de lui faire courir des tours de pâté de maison, agrémentant le tout de pompes et exercices abdominaux en tous genres. Pas étonnant de voir l’homme mûr qu’il est devenu arborer un physique d’airain, fruit de cette éducation et d’heures passées en salle de musculation. Bien qu’impressionnant, son physique le lâche néanmoins deux annees de suite. En 2009, tout d’abord, il se rompt un muscle pectoral et manque les 10 derniers matches de la saison. C’est la même blessure, mais de l’autre côté, qui lui vaut de manquer la totalité de la saison 2010.

«Il m’a appris tout ce qu’il y a savoir sur le fait d’être professionnel. Il m’a appris à venir chaque jour et à être positif, à ne pas être triste ou énervé. Le football, c’est notre job, on doit venir ici chaque jour comme on vient au travail, être attentifs dans chaque meeting, avoir apporté un papier et un crayon, s’entrainer dur. Si vous prenez du recul et que vous l’observez, c’est comme ça que vous voulez vous comporter » Joe Haden à propos de D’Qwell Jackson

C’est aussi une question de physique qui lui avait valu de n’être choisi qu’au deuxième tour de la draft 2006, en 34e position, par les Browns. Linebacker de taille moyenne (1m80), on doutait de sa capacité à pouvoir plaquer au plus haut niveau mais, comme il le dit maintenant, « la ligue a changé lors des 5 dernières années et les équipes n’alignent plus beaucoup de gros fullbacks. Ils jouent plus en spread offense et les défenses ont donc besoin de gars qui peuvent couvrir et se déplacer rapidement ». Mais, dans ses jeunes années, D’Qwell avait pu pourtant utiliser ce physique protéiforme à son avantage.

Can I kick it ?

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Ayant commencé le football à 6 ans, avant d’arriver au collège, il s’essaie également à d’autres sports comme le basket, qu’il adore, ou le baseball, qu’il déteste. Mais c’est bien dans le football qu’il persiste et il ne fait aucun doute que la position de linebacker est faite pour lui car il « aime trop rentrer dans les gens » et « adore le contact ». Au lycée de Seminole High School, il joue pourtant à quatre postes différents : quarterback, fullback, linebacker et…punter, un poste peu commun pour lequel il a pourtant des prédispositions certaines, étant capable de botter des deux pieds, y compris les coups de pied d’engagement et les field-goals, et allant même jusqu’à suivre des camps d’entrainement pour punters. La compétitivité de D’Qwell Jackson est telle que lorsqu’il apprend qu’un journaliste a dit que la seule chose qu’il n’ait pas faite est un plaquage sur un de ses punts, il ne manque pas d’en réaliser un le match suivant.

Né en Floride, jouant pour la Seminole High School, le chemin devrait être tout tracé pour le voir évoluer ensuite sous les couleurs des Florida State Seminoles. Mais si d’autres universités sont intéressées par son talent, Bobby Bowden, l’entraineur mythique de FSU, ne lui adresse aucune offre de bourse. Avec son statut de « tweener », trop petit pour être linebacker et trop gros pour être safety, les recruteurs lui collent l’étiquette d’ « incertitude d1’m80 pour 100 kilos ». Il s’en servira comme motivation une fois embarqué, pour la première fois de sa vie, dans l’avion pour l’Université du Maryland qui lui propose de jouer à sa position favorite. Il deviendra deux fois All-American sous les ordres de Ralph Friedgen mais sans jamais pouvoir sérieusement concourir pour le titre national, malgré une première saison 2003 achevée sur un beau bilan de 10 victoires et 3 défaites. L’habitude de la défaite ne lui sied pourtant pas, à lui le fan des San Francisco 49ers des années 80, l’équipe préférée de son grand-pére et parangons du succès avec Joe Montana, Jerry Rice ou Ronnie Lott. Alors il prend en exemple Derrick Brooks, le linebacker des Tampa Bay Buccaneers, l’équipe locale dont il portait le maillot,  gamin, pour dormir. Arrivé chez des Bucs miserables en 1995, Brooks s’est construit une éthique et un palmarès en travaillant toujours et encore, malgré les defaites s’accumulant. En étant drafté par les Browns, D’Qwell Jackson ne peut qu’espérer sortir la franchise de l’Ohio de ce même cycle infernal dans lequel elle se trouve, elle aussi, depuis d’innombrables années. En n’oubliant jamais le slogan brodé sur son t-shirt de lycéen : « Plus tu travailles, plus tu as de la chance ».

La chance d’un Luck

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En 7 saisons sous le maillot des Browns, D’Qwell Jackson n’arrive pourtant pas à ses fins. Malgré une saison à 10 victoires et 6 défaites en 2007, les tie-breakers en leur defaveur empêchent les Browns de jouer de nouveau en post-season. D’Qwell Jackson donne pourtant toutes ses tripes, au sens littéral du terme. Trop tendu les jours de match, il a cette « tradition » de vomir avant le coup d’envoi, « quelque chose qui (l)’apaise et qui (l)e calme » et qu’il appelle son « échauffement avant l’échauffement ».

Mais, malgré un leadership reconnu de tous, un statut de vétéran accompli lui permettant de discuter librement d’homosexualité en NFL avec son ancien coéquipier à Maryland, Akil Patterson, dans le Huffington Post, ainsi que la pression des fans pour garder l’un de leurs joueurs favoris, les négociations salariales de l’inter-saison 2014 le laisse free-agent, libre donc de choisir sa prochaine équipe, les Browns n’ayant pu garantir à son agent qu’il serait un joueur de Cleveland durant les deux ou trois saisons suivantes. Malgre l’intérêt d’équipes comme les Titans, les Redskins ou les Dolphins, D’Qwell sait que le compteur tourne et que son choix doit l’amener dans une équipe déjà établie et prête à utiliser son talent et son éthique de travail pour passer à l’étage supérieur.

« Quand est-ce que la saison s’est terminée avant le Nouvel An ? Le choix, c’est d’aller à un réveillon ou d’aller s’entrainer. Je préfère aller jouer au foot » Reggie Wayne sur la culture des playoffs de Colts

Echaudé par le tourniquet infernal au poste de quarterback des Browns, il se dit également qu’un joueur de gros calibre à ce poste essentiel est surement le point numéro un dans sa liste d’évaluation. Manquant d’un leader et d’un capitaine de défense au poste de middle linebacker, les Colts semblent donc être un choix idéal. Et la saison 2014 n’est pas là pour contredire cette décision, avec une apparition en Finale de Conférence face aux Patriots. Le fameux match du Deflategate, polémique entamée suite à une interception de… D’Qwell Jackson.

Assailli par les média apres le match et durant les jours suivants, D’Qwell reconnaît qu’il n’a rien ressenti de spécial avec le ballon intercepté, relançant la théorie selon laquelle les dirigeants des Colts n’attendaient qu’une interception d’un de leurs joueurs pour mettre en branle un plan déjà échafaudé. Non, ce que voulait vraiment D’Qwell Jackson en amenant le ballon sur le bord du terrain, c’était tout simplement de « garder un souvenir ». Onze des douze ballons ayant été envoyés à la ligue pour inspection, D’Qwell n’a jamais revu l’offrande de Tom Brady…

Après coup, on pourra se dire que cette claque face aux Patriots a sonné comme un étrange début de la fin pour les Colts. Alors qu’ils se présentaient en favoris de la Conférence Américaine, avec les acquisitions de Frank Gore et d’Andre Johnson et face à leurs rivaux de New England, la saison 2015 n’a fait qu’aller de mal en pis pour eux, de défaites inopportunes en blessures d’Andrew Luck ou Matt Hasselbeck. D’Qwell Jackson, lui, n’a pas arrêté de plaquer, n’étant devancé que de deux petites unités par Navorro Bowman au classement cette saison. Le match de dimanche est une chance pour lui d’entretenir la tradition des Colts de participer à la post-season, fête qu’ils n’ont manquée qu’à quatre reprises au cours des vingt dernieres années. D’Qwell Jackson en a trop été privé, lui, pour ne pas s’attendre à un nouveau match gargantuesque de « Qwell-a-Monster ». 

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