[portrait] Jared Odrick, le talentueux atypique

Né à Lebanon, en Pennsylvanie et non au Liban, et prénommé Jared, comme l’un de ses illustres prédécesseurs en défense, Jared Odrick a tout pour passer pour ce qu’il n’est...

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Né à Lebanon, en Pennsylvanie et non au Liban, et prénommé Jared, comme l’un de ses illustres prédécesseurs en défense, Jared Odrick a tout pour passer pour ce qu’il n’est pas. Pourtant, son parcours, sportif et humain, ainsi que sa remise en question personnelle effectuée depuis quelques années en font l’un des personnages les plus complexes et réfléchis de la NFL actuelle.

Jared, l’enfant de Pennsylvanie

Lorsque l’on parle d’un defensive end prénommé Jared, les aficionados pensent sans doute tout de suite à Jared Allen, probable futur Hall of Famer. Néanmoins, avec la retraite du meilleur élément de l’histoire de la Culinary Academy au cours de cette intersaison, il serait temps de s’intéresser à un autre de ces Jared, moins médiatique mais sur qui les Jaguars ont parié une bonne partie de leur avenir défensif en 2014.

Si la carrière d’Odrick ne s’est pour l’instant déroulée qu’en Floride, ses racines viennent, elles, du nord de la Côte Est, à Philadelphie pour être exact. C’est sur le campus de l’Université de Temple, à 100kms à l’Ouest de la Cité de l’Amour Fraternel, qu’une joueuse de hockey sur gazon, Jan Falk, fait la rencontre d’un certain Howard Odrick, un afro-américain décrit par certains sur les playgrounds du coin comme « ayant le corps de Charles Barkley et la maestria de Magic Johnson ». Lorsque Jared naît de cette relation le 31 décembre 1987, ses parents vivent déjà avec Tyesha Fisher, fille d’Howard âgée de 10 ans et née d’une relation précédente. Et quand le couple se sépare quatre ans plus tard, c’est avec la mère de Jared et lui que Tyesha vient vivre, cette dernière devenant plus qu’une demi-soeur pour le futur joueur, une véritable ancre.

Si cette demi-soeur lui offre donc une relation fraternelle des plus solides, les rares apparitions d’Howard dans la vie du jeune Jared ne lui offre par contre que peu de repères masculins, de modèle à suivre, le laissant se construire peu à peu un caractère réfractaire à toute autorité. « Il remettait toujours en cause l’autorité, demandant toujours pourquoi. Sur certains points, ça peut être bon » dit d’ailleurs sa mère. Son père, de son côté, a longtemps regretté avoir quitté son garçon si jeune, surtout en s’apercevant que Jared aurait également voulu qu’il soit beaucoup plus présent, lui qui a seulement commencé à s’apercevoir à l’université qu’ « avoir un père vivant sous le même toit que soi était une chose assez commune ».

« Ma mère, c’est ma vie. Elle m’a guidé à travers tout. C’est elle qui m’a inscrit au sport. C’est elle qui m’a motivé quand j’étais jeune. C’est certain que si elle n’avait pas été là, je ne me trouverais pas là où je suis non plus » Jared Odrick

Pour ne rien aider, le jeune Jared est un élève doué à qui ses professeurs conseillent de sauter le CE1 afin de le motiver et pour qui faire ses devoirs ou réussir un examen n’a absolument rien de compliqué. Difficile donc pour Jan de lui reprocher donc quoi que ce soit sur ce point et les tensions présentes entre eux l’obligent même à consulter un médiateur afin de trouver des terrains d’entente avec son fils afin que la famille vive mieux ensemble dans cette maison qu’elle loue à Lebanon.

Malgré son emploi du temps extrêmement fourni de ludothérapiste dans une institution de la ville, seul moyen de remédier au manque d’argent de la famille mono-parentale, Jan participe activement à la vie scolaire de Jared, ne manquant aucune réunion parents-profs et le conduisant de façon incessante à toutes ses activités sportives.

C’est que le jeune garçon a hérité d’un sacré patrimoine génétique d’un point de vue athlétique. Jared est tellement massif que, de 8 à 10 ans, il est interdit de football pour « poids au-dessus de la limite » avec ses 8 kilos de trop par rapport aux standards de sa classe d’âge. C’est d’ailleurs à la suite de ce refus que sa mère l’inscrit au soccer. Mais s’il n’est pas une star balle au pied, et que le baseball et le lancer du poids ne font que l’amuser sans le faire chavirer, il devient vite un phénomène balle en main lorsqu’il commence à arpenter les terrains de basket de la Lebanon High School. A la tête de son équipe et du haut de son 1m95, il remporte la ligue niveau AAA Lancaster-Lebanon face au lycée Catholic et son avenir dans les gymnases semble alors tout tracé.

Néanmoins, au vu de sa croissance, de son talent et de son attitude agressive sur les terrains, le football fait très vite sa réapparition dans sa vie et sa mère n’a d’ailleurs aucun mal à avouer que « le football, c’etait mieux pour lui ». Lorsqu’ arrivent ses deux dernières années de lycée, Jared ne fait d’ailleurs plus que du football, « une décision logique » pour le coach du lycée, Paul Blackburn.

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Le freak Odrick

Après avoir occupé les postes de tight end et de defensive tackle lors de sa première année, c’est sur les postes de left tackle et de defensive tackle qu’il passe les trois dernières années de son cursus à Lebanon High. Sélectionné comme All-America, des universités prestigieuses se présentent évidemment à lui, qui fait maintenant 1m98 et 138 kilos mais dont le corps est parvenu à garder des mouvements souples issus de ses expériences sportives passées.

Si Georgia, Florida, Virginia et Virginia Tech tentent leur chance, c’est dans son état d’origine que Jared décide de passer les quatre années suivantes de sa vie lorsqu’il choisit de porter les couleurs des Nittany Lions de Penn State, une équipe qui lui propose de jouer en défense et non sur la ligne offensive, critère totalement disqualifiant pour lui. Et puis, Penn State, c’est également Larry Johnson, un grand coach de ligne défensive, et surtout Joe Paterno, « sûrement l’homme le plus connu de tout l’Etat de Pennsylvanie au cours de sa vie » et « quelqu’un dont la rencontre semblait à chaque fois irréelle ».

Avant le scandale de l’affaire Sandusky, ayant égratigné une bonne partie de son héritage et lui ayant coûté son poste de head-coach en 2011, JoePa était en effet la véritable légende de l’état de Pennsylvanie, ses titres gagnés en1982 et 1986 lui ayant permis de recruter les meilleurs talents et de faire fructifier l’héritage.

«  Vous devez développer une complexité sociale. Le football va s’arrêter un jour pour vous, tout comme il va s’arrêter un jour pour moi » Jared Odrick s’adressant aux etudiants de Penn State en 2015

A Penn State, Jared commence à prendre ses responsabilités, en arrivant à l’heure et en devant assumer la moindre de ses actions, à la grande joie de sa mère. Cela compense le fait qu’il ne rentrera jamais à Lebanon au cours de ces quatre ans, préférant passer les étés sur le campus. Sur le terrain, le joueur est d’un tel niveau que l’université l’utilise lors de 10 matches sur 13 alors qu’il n’est que freshman, chose assez rare à ce niveau. Malheureusement, dès sa deuxième année, lors du huitième match de la saison face à Indiana, Odrick se rompt les ligaments de la cheville droite si violemment que son péroné se brise, et sa saison avec. Il en garde une plaque et six vis insérées dans son articulation.

De retour de blessure, ses deux dernières années sous le maillot bleu nuit des Nittany Lions sont celles de l’avènement d’un grand defensive tackle. S’il n’accumule que 4,5 sacks lors de son année junior, ce chiffre monte à 7 la saison suivante, ce qui le propulse au titre de joueur défensif de l’année de la Conference Big Ten et First-Team All-America.
Et alors que son année junior ne lui avait valu que des évaluations de 2e ou 3e tour de la draft, sa décision de rester une année de plus lui permet d’être drafté au 1er tour par les Dolphins en 28e position de la draft 2010, lui valant un beau contrat de 5 ans et 13 millions de dollars, dont 7 garantis.

Mais tout comme sa carrière à Penn State avait débuté dans la douleur, c’est cette fois-ci dès le premier match de sa carrière NFL, face aux Bills, que Jared se brise la jambe droite, légèrement au-dessus de l’endroit où la plaque de métal a été insérée. Poussé par sa volonté et son désir de réussir son entrée dans la grande ligue, il reçoit également un « encouragement » du GM des Dolphins, Jeff Ireland, dont on connait le tact depuis la fameuse question posée à Dez Bryant lors de son entretien de Combine. « Nous t’avons drafté pour une raison, nous avons besoin de toi sur le terrain » n’est pas forcément le message le plus judicieux à faire parvenir à un rookie blessé qui tente de se faire une place dans l’effectif et sur qui vous comptez lors des prochaines années… Bilan des courses, Odrick se gave d’anti-douleurs afin de pouvoir revenir sur le terrain seulement 6 semaines après sa blessure. Sans vraiment de surprise, c’est alors un métatarse de son pied gauche qui se fracture, fragilisé par la surcompensation exercée sur lui. C’est cette période noire de sa carriere qui va pousser Odrick à repenser sa façon de s’entrainer, de se nourrir et de se préparer. Si la saison 2011 est celle de la révélation, avec ses 6 sacks en 16 apparitions (dont 7 en tant que titulaire), Odrick sent que quelque chose ne fonctionne plus chez lui et qu’il lui faut trouver un moyen de progresser pour pouvoir durer.

Canada chic pour Odrick

Se délectant du souvenir de Toronto, où il a passé un mois en 2011 pendant le lockout et qu’il a découvert par l’intermédiaire de sa copine canadienne à l’université, Odrick décide de passer la frontière et d’aller y passer ses étés dès l’intersaison 2012.

Tout comme le Canada Dry (« Ça a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool »), la capitale de la province de l’Ontario, cinquième ville la plus peuplée d’Amérique du Nord, ressemble à s’y méprendre aux Etats-Unis tout en ne partageant finalement pas tous les aspects de ceux-ci. Odrick aime, par exemple, le fait que la seule fois où il a été reconnu dans les rues de Toronto, il l’a été par le GM des Argonauts, la franchise de foot de la ville qui joue en CFL. Il y mène une vie de hipster, s’entraînant au son de Tame Impala, mangeant de façon très réfléchie (comme le fait, par exemple, d’ajouter une noisette de beurre dans son café du petit-déjeuner car « le gras aide le cerveau à se mettre en route le matin »), diététique et saine, tout en fréquentant les cafes et bars les plus trendy de la ville au cours de ses périples citadins quotidiens. Il s’implique également dans la production de courts-métrages, dont deux dans lesquels il a déjà joué, et est apparu dans un épisode de la série « Ballers » produite par HBO. Son nouveau profil lui a également offert une fenêtre d’expression sur le site de Sports Illustrated à propos de la polémique sur la protestation de certains joueurs lors de l’hymne américain, entonné avant chaque match, y réclamant de la part du grand public la compréhension que les joueurs NFL sont plus que de simples guerriers tout juste bons à se donner des coups de casque le dimanche.

Limité par les seuls 180 jours de suite qu’un ressortissant américain peut légalement passer sur le territoire canadien, il y a quand même acheté à l’intersaison 2016 une maison, la première de sa vie, au prix d’ailleurs le plus élevé dans le quartier. C’est que Jared Odrick possède maintenant une routine indispensable à son fonctionnement de joueur NFL, portée sur le fait de parvenir à « être structurellement équilibré», et qui lui coûte environ 200 000 dollars mais dont les bénéfices se sont révélés inestimables.

«  La meilleure facon de rester dans ce business, c’est d’avoir également des projets personnels et la meilleure façon de le faire, c’est de briser les moules établis. Chercher les informations par soi-même, avoir une réflexion à soi et être un peu dans la mouvance contre-culture » Jared Odrick

Cette routine, elle débute par accident lorsque, à l’été 2011, à la recherche d’un préparateur physique, il trouve porte close à la salle de sport qu’il avait repérée. En se rendant dans la salle la plus proche, le Reach Personal Training, c’est là qu’il y rencontre Ben Clarfield, un personnage qui va complètement changer sa vie et avec lequel il va également s’ouvrir au monde, au cours de safari dans le Serengeti ou de voyage en Israel, Islande ou encore Amsterdam.

Lui proposant un exercice assez simple à base d’haltères qu’Odrick ne parvient pas réaliser malgré son physique monstrueux, Clarfield identifie instantanément les points qu’il va lui falloir travailler : les coiffes des rotateurs, les ischio-jambiers et le bas du dos. En plus de cela, il indique à Odrick que, pour réduire les gonflements de ses articulations, il doit réduire son taux de masse graisseuse, alors à 19%. Cet été, 5 ans plus tard, lors du training camp des Jaguars, celui-ci était tombé à 11%. Loin des séances de torture physique à base de cordes ou retournement de pneus que les joueurs s’imposent généralement en période de préparation, Jared Odrick a préféré la qualité à la quantité, tout en y ajoutant également des séances décalées de yoga, de sophrologie et d’acupuncture pour libérer tout le stress que son corps peut accumuler.

Avec cette préparation personnalisée adaptée et hors des sentiers battus, et malgré les objections des front offices de ses équipes lorsque le joueur décide de ne participer aux mini camps que lorsqu’ils sont obligatoires, Jared Odrick n’a plus manqué plus un match depuis, passant même la saison 2015 sans avoir jamais pris un seul anti-douleurs, une rareté à sa position de defensive tackle.

C’est justement sa qualité à sa position de « 4B », aligné directement en face de l’offensive tackle adverse et en charge de bloquer les courses adverses, qui lui vaut d’être courtisé lors de l’intersaison 2015 par de nombreuses équipes comme les Raiders, les Redskins, les Lions, les Colts ou encore les Jets. Mais ce sont finalement les Jaguars de Gus Bradley, en mal de talent et d’athlètes à ce poste, qui décrochent la timbale et lui offrent un contrat de 5 ans et 42 millions de dollars (dont 17 garantis). A Jacksonville, Odrick s’est aussitôt imposé, devenant même un élément important du vestiaire, et élu délégué syndical par ses coéquipiers.

Dans l’attente de son troisième contrat, pour lequel il travaille d’arrache-pied et dans lequel il investit temps et argent, Jared Odrick reste en tout cas un personnage hors-norme dans la NFL actuelle, un joueur dynamique et, surtout, un homme atypique.

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