[histoire] 8 janvier 2000 : The Music City Miracle

Il y a une minute encore, ils se voyaient déjà vainqueurs. Propulsés au tour suivant par un coup de pied victorieux de Steve Chrisite. Il y a une minute encore,...

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Il y a une minute encore, ils se voyaient déjà vainqueurs. Propulsés au tour suivant par un coup de pied victorieux de Steve Chrisite. Il y a une minute encore, ils étaient parvenus à faire tomber la citadelle d’Adelphia. Il y a une minute encore, ils étaient les héros. En une poignée de secondes, tout s’est envolé. Balayé par un coup du sort. Par un coup de génie. Des héros oui, mais des héros malheureux. Un miracle pour les Titans. Un cataclysme pour les Bills. Un énième. Une sale histoire qui se répète. Celle d’une franchise maudite.

Une autre époque

En 99, Wade Phillips attaque sa deuxième saison à la tête des Bills. Après une première campagne réussie (10-6), mais soldée par une apparition expéditive en playoffs digne des Bengals d’Andy Dalton, les joueurs de Buffalo espèrent bien passer le premier obstacle cette fois-ci. Emmenés par Bruce Smith, Andre Reed et Thurman Thomas, les trois derniers survivants de la génération maudite du début des 90’s, les Bills l’emportent 11 fois et s’invitent à nouveau aux festivité de janvier. Une qualification qu’ils doivent en grande partie à l’ancien Heisman Trophy et légende vivante de la CFL, Doug Flutie. Pourtant, à la stupeur de tous, Wade Phillips décide de se passer de ses services pour le premier tour et de se rabattre sur celui qu’il avait détrôné un an plus tôt : Rob Johnson. Incompréhensible. La polémique est ouverte. Plus tard, le coach confiera s’être fait forcer la main par Ralph Wilson, le patron des Bills. Premier signal d’alerte.

Dans le Tennessee, moins de controverse et de la nouveauté. Les Oilers ont rejoint le panthéon de la NFL pour laisser place à un nouveau-né : les Titans. Emmenés par un Jevon « The Freak » Kearse nommé Rookie Défensif de l’année, un Eddie George virevoltant, une doublette Steve McNair/Neil O’Donnell chirurgicale et un Jeff Fisher qui, après quatre saisons à 7-9 ou 8-8 (CQFD), a enfin trouvé la formule gagnante, la franchise de Nashville s’offre un bilan de 13-3 et un joli ticket pour les séries. Ils se permettent même le luxe d’infliger aux Jaguars leur deux seules défaites de la saison. Fisher en playoffs, Jacksonville qui joue les épouvantails. Une autre époque décidément.

Dans un Adelphia Coliseum aux allures de forteresse imprenable baignée de soleil que personne n’est encore parvenu à faire tomber, ils sont près de 67 000 à s’être massés. Une affluence record pour la franchise du Tennessee. Emmitouflés sous plusieurs épaisseurs pour contrer les 4 petits degrés de ce début de nouveau millénaire. Sur le banc des Bills, Doug Flutie, incrédule. Il devra se contenter d’un rôle de spectateur. Sous ses yeux, va bientôt se dérouler l’une des rencontres les plus épiques de l’histoire. Un suspense insoutenable. Un dénouement surréaliste. Une impuissance absolue pour le passeur.

Corpus Christie

Tout débute par 15 premières minutes vierges de tout point. On s’ennuierait presque. C’est probablement ce que se dit Jevon Kearse lorsqu’il se jette sur Rob Johnson dans sa propre endzone. Sack. Safety. La glace est brisée. Le vrai coup d’envoi vient d’être donné. Le ton du match aussi. Le passeur des Bills va goûter au gazon du Tennessee à six reprises. The Freak ajoutera un strip sack à sa petite collection. Sur le dégagement, Derrick Mason remonte la ballon sur 42 yards, jusqu’aux portes de la redzone. Quelques jeux plus tard, Steve McNair se faufile dans la peinture. 9-0. Un stop en défense, un drive arrêté à distance des poteaux, une tentative ratée, un holding défensif malvenu, un nouvelle essai offert et l’addition se corse. 12-0. À la mi-temps, les Bills n’ont amassé que 64 ridicules petits yards. Minés par une attaque prise sous un déluge de sacks et qui n’avance pas, incapable de trouver la faille, et 9 pénalités qui les font reculer de 44 yards. Rien ne va.

Antowain Smith sonne le réveil de ses coéquipiers d’entrée de seconde période sur une longue échappée de 44 yards. Il conclut l’ouvrage dans la endzone quelques actions plus tard. Les Bills sont enfin entrés dans leur match. 12-7. Il était temps. Les secondes s’égrainent et la tension monte. La peur aussi. Celle de perdre. Les Titans ne parviennent pas à se mettre à l’abri. Et ce qui devait arriver arriva. Une passe de 37 yards vers Eric Moulds, un roughing the passer cadeau de Jevon Kearse et Smith retrouve la Terre promise. Les visiteurs passent devant, mais d’un souffle. La faute à un Kevin Williams qui laisse filer le ballon entre ses mains sur la conversion à deux points. 12-13. C’est une fin de match à suspense qui s’annonce.

Avec 6 minutes et 15 secondes au chrono du stade, le cuir revient dans les bras des hommes de Jeff Fisher. Péniblement, mais patiemment ils grappillent quelques yards et mettent Al Del Greco sur orbite. Le kicker ne se rate pas et les Titans reprennent les commandes avec 108 secondes à jouer. Amplement suffisant sur le papier. Un peu plus délicat lorsque l’on a grillé tout ses temps morts. Plus encore lorsque l’on doit se passer de Thurman Thomas, blessé et out pour le reste du match. Et pourtant.

Un joli retour, une passe ajustée au cœur du terrain, une course percutante pour un nouveau premier essai. La ligne médiane est franchie et les poteaux sont à portée. Avec une quarantaine de secondes à jouer, Rob Johnson, sans solution essaie d’aller chercher quelques yards. Il y parvient, mais perd sa chaussure droite sur le plaquage. Le quarterback se relève, l’air de rien, ses crampons pendouillant à sa cheville, retenus pas un simple strap. Il rejoint le huddle précipitamment. Pas une seconde à perdre, le chrono tourne. Il transmet ses ordres pendant que son tackle gauche ramasse puis balance son crampon orphelin en-dehors du terrain. Snap, les Bills décident de jouer, la pression fond sur le passeur, son pied droit nu comme un ver, Rob se déporte sur la droite et envoie le ballon vers Price en bord de terrain. Le receveur attrape le cuir, résiste au plaquage et arrache quelques yards inespérés avant de filer en touche pour stopper l’horloge. Il reste 20 secondes. Steve Christie pénètre sur le terrain. 41 yards le séparent des poteaux. Le kicker ne flanche pas. Ses coéquipiers lui sautent dessus. Les visiteurs passent devant. Incroyable scénario. Les Titans sont sonnés. Il faudrait un miracle.

music-city-miracle-ten-titansAlléluia !

Plutôt que de repousser les joueurs de Nashville le plus loin possible dans leur camp, Wade Phillips opte pour un coup d’envoi haut et relativement court. Un pari risqué. Lorenzo Neal est à la tombée du ballon, le transmet main à main avec Frank Wycheck qui vient de la gauche du terrain. Alors que le tight end s’échappe vers un côté droit du terrain bouché, il fait subitement volte-face et expédie le cuir dans la direction opposée, dans la largeur du terrain, dans les bras d’un Kevin Dyson totalement oublié. Quatre bloqueurs, du gazon vert à perte de vue et le pauvre Christie comme seul rempart.

« Je me suis mis à détaler le cœur serré car je savais que je ne le rattraperais pas, qu’il n’y avait personne d’autre pour le faire et qu’il allait filer dans la endzone, » se souvient Christie.

Sans obstacle, entouré de ses gardes du corps, le receveur file dans la endzone, 75 yards plus loin. Pas le moindre mouchoir jaune sur le terrain. Les commentateurs sont bouche bée. Les fans hystériques. Steve McNair aussi. Wade Phillips partagé entre incrédulité et confiance. Le jeu va être annulé, il en est convaincu. Mike Keith, la voix des Titans crie au « miracle. » 22-16. Music City Miracle.

Deux dernières minutes de jeu oblige, une reprise vidéo automatique est ordonnée. La grande question : y a-t-il eu passe en avant illégale ? « C’est une passe en avant, » tranche l’un des commentateurs d’ABC dès le premier ralenti. Pourtant, sur le terrain, le juge de ligne positionné à l’opposée indique bien d’un geste de la main qu’il s’agit d’une passe latérale légale. Car si Dyson est un yard en avant de Wycheck au moment de la passe, il revient sur ses pas pour s’emparer du ballon derrière lui pour mieux écraser l’accélérateur et foncer vers la endzone. Les corps des deux joueurs ont beau ne pas être alignés, peu importe, une seule chose compte : le point de départ du ballon et son point d’arrivée. Côté ABC, la triplette de commentateurs s’est finalement mise d’accord : il s’agit bien d’une passe latérale. N’en déplaise à Adam Schefter, placé pile sur la ligne des 25 en tribune de presse ce jour-là et qui, 25 ans plus tard, reste convaincu d’une chose : la passe était bien en avant.

« Il n’existe pas un officiel, pas une seule caméra, ralenti ou personne qui ait eu – et N’a eu depuis – de meilleur angle de vue que moi de l’action qui s’est déroulée rien de moins que sous mes yeux. Deux sources de confiances m’ont confirmé qu’il s’agissait d’une passe en avant. Mon œil gauche et mon œil droit, » écrivait-t-il il y a deux ans sur le site d’ESPN.

Après quelques ralentis montrant le ballon flirter avec la ligne de 25 yards, l’arbitre Phil Luckett revient sur le terrain pour livrer son verdict. La décision sur le terrain est confirmée. N’en déplaise aux yeux d’Adam. Les cris de joie couvrent la fin de son annonce. Liesse collective. Wade Phillips s’accroupit, dépité. Jeff Fisher garde son calme. Son coordinateur aux équipes spéciales vient de réaliser un miracle. Car l’action ne doit rien au hasard. Elle a été concoctée de longue date par Alan Lowry. Elle porte même un petit nom : Home Run Throwback. Depuis des mois, ils la préparent et la travaillent chaque semaine à l’entraînement. À un détail prêt, Dyson n’a rien à faire sur le terrain. Derrick Mason blessé plus tôt dans le match et Anthony Dorsett perclus de crampes doivent croiser les doigts sur le bord du terrain, réduis à un simple rôle de spectateurs impuissants. Pourtant, ce sont eux qui se sont préparés chaque semaine à exécuter cette action salvatrice. Pas Dyson.

« [Jeff Fisher] a sorti mon nom de nulle part, » raconte Dyson. « Ils ont essayé de m’expliquer l’essentiel du jeu en même temps que l’on se déployait sur le terrain. »

Un miracle décidément. Si Lowry est élevé au rang de génie, son compère des Bills est réduit à celui de zéro. Après 13 saisons de bons et loyaux services, Bruce DeHaven est remercié. La débâcle de trop. Un an plus tard, ce sera au tour de Wade Phillips d’être congédié pour laisser sa place à Gregg Williams, l’ancien coordinateur défensif des… Titans. Depuis la franchise de Buffalo n’a plus jamais revu la couleur des playoffs. La plus longue disette toujours active des quatre grandes ligues pros américaines.

Pendant que les têtes tombent à Buffalo, c’est l’effervescence à Nashville. Une semaine plus tard, les Titans vont dompter les Colts de Peyton Manning dans leur RCA Dome, avant d’aller corriger les Jaguars chez eux. Leur troisième victoire de la saison face à leur rival de division. Leurs trois seuls revers. Le 30 janvier à Atlanta, ils tombent face aux Rams de Kurt Warner. À un yard du Super Bowl XXXIV. One Yard Short. The Tackle. Un autre match de légende. Cette fois-ci, Scott Dyson enfile le costume de héros malheureux. No miracle in The A.

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