[Super Bowl Stories] Épisode I : le Combat des chefs

50 semaines nous séparent du prochain Super Bowl, le 52e du nom. L’occasion de lancer une série d’articles exceptionnels qui vous accompagneront pendant un an ! Les Super Bowl Stories....

50 semaines nous séparent du prochain Super Bowl, le 52e du nom. L’occasion de lancer une série d’articles exceptionnels qui vous accompagneront pendant un an ! Les Super Bowl Stories.

L’idée : retracer l’histoire de ce match entré dans la culture populaire US, qui transcende les passions et suscite la curiosité, même de ceux qui ne savent pas ce qu’est un sack, s’évertuent à parler de « finale du Superbowl » et ne s’intéressent qu’au show de la mi-temps. À 50 semaines du Super Bowl LII, épisode 1, le Super Bowl I.

Kansas City Chiefs (AFL) vs Green Bay Packers – 15 janvier 1967Super Bowl I Logo.svg

15 janvier 1967. Depuis plus de 6 ans, l’insolente AFL a le culot de narguer la toute puissante NFL. Pourtant elle n’a encore rien prouvé. Ses meilleures équipes n’arrivent même pas à la cheville des cancres de sa grande sœur dit-on. Sa demi-sœur. Celle qu’elle jalouse sans vouloir se l’avouer. Pillage dans un vivier universitaire autrefois chasse-gardée de son ainée, razzia jusque dans ses propres effectifs, l’American Football League n’a pas encore l’âge de raison, mais se permet déjà d’aller conquérir des marchés encore inexplorés par la Ligue Nationale. Une insolence sans limite. Une sale gamine à qui il est temps de donner une bonne leçon. Une bonne fois pour toutes.

 

Combat de coqs

Six mois plus tôt, après une guéguerre interminable et stérile, les deux ligues ont décidé d’enterrer la hache de guerre et de s’unir pour ne former qu’un seul championnat : la National Football League. The Merger. S’il faudra attendre 1970 pour que l’union soit définitivement scellée, les deux parties s’accordent déjà sur la tenue d’un choc annuel opposant le champion de chaque ligue. Le premier se tiendra en janvier 1967. Le Super Bowl I. Pourtant, il faudra attendre quelques années avant que le Big Game soit officiellement baptisé ainsi.

Inspiré, par la Super Ball, une balle bondissante qui pouvait garder son gamin et des millions d’autres à travers les States captivés pendant des heures, Lamar Hunt, le patron des Chiefs, papounet de l’AFL et grand artisan de la fusion, propose le sobriquet de Super Bowl. Un nom catchy, jugé trop fantaisiste par Pete Rozelle, le morose big boss de la NFL. Pas assez digne de sa vénérable institution. Pourquoi pas le Pro Bowl ou The Big One plutôt ? Non, finalement, ça sera le AFL-NFL World Championship Game. Plus austère, tu meurs. S’il faudra attendre la troisième finale pour que Rozelle capitule, les fans et journalistes ont déjà adopté la proposition de Hunt. Super Bowl ce sera.

Si l’on connait son nom, six semaines avant la kermesse, toujours aucune idée du stade qui accueillera les festivités. Un mois avant, aucune date n’a encore été fixée. Un joli bazar. À la limite de l’amateurisme. Le match pour le titre NFL prévu au lendemain de Noël et celui de l’AFL le dimanche suivant, le 1er janvier, tous les doigts pointent dans la même direction. Le 8 janvier. Mais non. Dans une programmation footballistico-télévisuelle historique, il est finalement décidé que les deux finales se tiendront toutes deux le 1er jour de l’année 67. À 3h d’intervalle. Une orgie de football pour débuter une nouvelle année. Le grand duel attendra deux semaines, le 15 janvier, dans un climat de tension électrique entre les deux camps. L’objectif pour chacun des champions est le même : écraser son adversaire. Le bouffer, le déchirer, l’éradiquer, le ridiculiser. Entre une NFL la bave entre les dents, avide de marteler son histoire et sa puissance à grands coups sur le casque de son impétueuse rivale, et une AFL aux dents qui rayent le parquet, qui veut grandir trop vite et que beaucoup regardent de haut, entre arrogance et amusement, la pression est immense. Le ring : le Coliseum de Los Angeles.

« Le match a été organisé à la hâte, dans la précipitation, » écrit Harvey Frommer dans ‘When It Was Just a Game: Remembering the First Super Bowl.’ « C’était une sorte de consensus d’après coup décidé après l’accord de fusion. »

Le 1er janvier, forts d’un bilan de 11-2-1, les Chiefs se présentent au War Memorial Stadium de Buffalo avec l’étiquette de favoris au bout de leur calumet. Deuxième meilleure attaque, deuxième meilleure défense, des All-AFL sur toutes les lignes, portés par un trio de coureurs yardophage et un Len Dawson référence AFL au poste de quarterback, les joueurs du Missouri vont se balader. Deux touchdowns dans les airs, deux au sol. 7-31. Pour le suspense, on repassera. Double champions en titre, les Bills de Joe Collier auront vainement fait illusion 15 minutes durant. Adieu les rêves de triplé. Les Chiefs iront défier Madame la NFL.

En face, après 15 ans de lose, les Packers sont sortis de leur léthargie. Une finale malheureuse en 1960, deux heureuses en 61 et 62 et une triomphante face aux Browns de Jim Brown en 1965. Le volcan endormi du Wisconsin est entré en éruption. Dans le rôle de la secousse salvatrice : Vince Lombardi. Une dynastie est née. Dans la vague d’un Bart Starr superstar couronné MVP, les Packers dégoutent les Cowboys de Tom Landry dans leur Cotton Bowl de Dallas. La NFL est leur. Le premier Super Bowl connait son affiche. La grande ligue se frotte déjà les mains. L’AFL ne fera pas le poids.

Si nombreux sont les observateurs à regarder l’AFL de haut, Bart Starr et les Packers ne sont pas de ceux-là. En passionné du jeu, le quarterback sait reconnaître les forces de l’adversaire. Et elles ne manquent pas. Des linemen plus costauds que ceux du Wisconsin, Bobby Bell dans le rôle du linebacker à tout faire, Mike Garrett, un ancien Heisman Trophy en guise de coureur, Len Dawson et le géant Otis Taylor, receveur adroit et bloqueur intraitable. Tous auraient leur place dans la NFL écrira le quarterback quelques années plus tard. Mais à quel point sont-ils bons ? Impossible à dire. Seul le terrain, l’affrontement direct, frontal, pourra livrer un verdict.

La vengeance dans la peau

Dans le coin gauche, les Chiefs de Lamar Hunt, le père de l’AFL. Dans le coin droit, la franchise la plus titrée d’une NFL qui approche lentement la cinquantaine. Le destin a choisi ses champions. La mission des hommes de Vince Lombardi n’est pas juste de s’imposer. Non, dans une union sacrée à faire larmoyer, tous les patrons de la NFL ont mis leurs querelles et rivalités en sourdine et se sont transformés en Cheeser le temps d’un match. Pour tous, le même rêve : voir les Packers réduire les Chiefs au néant. Ils sont les meilleurs. De loin. De très loin. Le verdict du terrain doit être sans pitié. Et il le sera, il n’en fait aucun doute pour eux. D’ordinaire impassible et habité d’un sourire contagieux, Vince Lombardi est envahi par le stress avant le coup d’envoi. Une nervosité incontrôlable.

« Il m’agrippait le bras et tremblait comme une feuille, » se souvient Frank Gifford, interviewer de CBS. « C’était déconcertant. »

Côté Blanc et Rouge, ça n’est pas beaucoup mieux. Doublure NFL pendant 3 ans, Len Dawson a le regard rivé droit devant lui, ses yeux sont injectés d’un désir de revanche presque inquiétant. La rage aux tripes. La vengeance dans la peau. Il est temps de mettre fin à des semaines de moqueries acerbes, de discours prétentieux et sans une once de respect. Autour de lui, ses potes sont tétanisés, comme s’ils grimpaient à l’échafaud. Certains vomissent se souvient le linebacker E. J. Holub. D’autres n’ont pas dormi depuis deux jours. Ambiance surréaliste dans le tunnel fatidique. Après deux semaines de trashtalk sauce 60’s, la vérité du terrain. Celle qui vous rentre dans les boyaux. Celle qui fait vriller vos genoux et trembler vos tibias. Celle qui fait peur. Chez les Vert et Jaune, c’est le calme olympien. Un contraste saisissant. À l’échauffement, Hank Stram observe son quarterback, aussi tendu comme un string. De l’autre côté du terrain, les Packers, se marrent, décontractés comme jamais, l’air « nonchalant. » Et ça n’est pas Fred « The Hammer » Williamson qui dira le contraire.

« Quand on est arrivé sur le terrain pour s’échauffer, les Packers regardaient dans ma direction, me faisaient des signes de la mains, souriaient, » se souvient le cornerback. « Boyd DOwler (receveur des Packers, ndLr) est venu vers moi et m’a dit, ‘Hey Hammer, tu ne vas pas me lancer un cou de marteau sur la tronche, hein ?’ Il était tout sourire et amical, absolument pas excité… Alors je lui ai répondu, ‘Dowler, essaie d’attraper une passe contre moi et tu verras bien mec.’ Il a ri et a rejoint ses coéquipiers. Les Packers étaient détendus, confiants. »

Les joueurs laissent leurs égos au vestiaire et pénètrent dans un Coliseum baigné de soleil, mais pas rempli. Un cas unique dans l’histoire du Big Game. Malgré le black-out TV sur Los Angeles qui privera de match jusqu’a 15 millions de téléspectateurs, 33 000 des 94 000 places de l’immense stade des Trojans n’ont pas trouvé preneur. Trop cher (12$) ou sans grand intérêt. Ça sonne creux. Loin de là, dans le Wisconsin, les rues sont désertes.

« Un patrouilleur du Département de Police de Green Bay, en service dans le centre-ville demain après midi, a déclaré qu’il prévoyait de ne pas donner le moindre PV de stationnement, » pouvait-on lire dans la presse la veille du match. « ‘Mais si je vois une voiture dans la rue, je l’arrêterai et demanderai au conducteur pourquoi il n’est pas chez lui à regarder les Packers disputer le Super Bowl. S’il n’a pas de bonne excuse, alors je lui donnerai une amende,’ a-t-il déclaré. »

Dans sa maison de Virginie, le sénateur Robert F. Kennedy a les yeux rivés sur son écran et son vieil ami Vince Lombardi. Après l’échange de poignées de main protocolaire, les deux équipes s’échangent les punts. Lassé par ces politesses qui n’en finissent plus, Bart Starr orchestre une remontée du terrain méthodique. Six jeux, 80 yards, une action d’éclat de Max McGee et 7 points au bout. Sur une passe dans son dos, le receveur aimante le Duke de Wilson du bout des doigts, enrhume le pauvre cornerback et file 37 yards plus loin dans la peinture jaune. Les Chiefs tentent de répliquer, mais Mike Mercer manque la mire de 40 yards et le Spalding JV-5 file à côté des poteaux. Deux ligues, deux ballons. Un quand l’AFL attaque, un quand c’est au tour de la NFL. Cocasse.

Menés, mais bien dans leur match, les Chiefs sont accrocheurs. Et l’échec de leur botteur n’entame pas leur motivation. La peur qui leur serrait les entrailles dans le corridor sombre menant au terrain semble s’être évanouie. 6 jeux et 66 yards plus tard, Len Dawson trouve les mains de Curtis McClinton et les challengers recollent. À peine le temps d’y croire, Super-Starr enfile son slip vert et jaune, se remet à distribuer les passes les yeux fermés et les Packers s’offrent un nouveau drive XXL conclu par un bon power sweep maison. La rugueuse défense de Green Bay a beau lui faire manger la poussière, Len Dawson serre les fesses et met son kicker sur orbite pour réduire l’écart. Cette fois-ci, le ballon file du bon côté des poteaux. À la pause, Sous les yeux de 65 millions de téléspectateurs, le regard rivé sur NBC, diffuseur officiel de l’AFL, ou CBS, diffuseur officiel de la NFL, la grande sœur est devant. D’un souffle. Pas de quoi fanfaronner. 14-10.

De coqs en pâte à coq au vin

Plus de yards, plus de premiers essais. Malgré un terrain en piètre état après une saison entière à se faire piétiner par les Trojans, Bruins et Rams, le champion de l’AFL n’a rien d’un simple sparring partner. Si côté Packers, on fait la moue, partagés entre inquiétude et agacement au regard du premier acte, côté Chiefs, c’est la fiesta. On se congratule, on se frappe la poitrine, on bombe le torse. Une véritable bassecour. Hank Stram, le coach de KC y croit dur comme fer.

« J’étais vraiment persuadé que nous allions refaire notre retard et gagner, » confiera-t-il plus tard.

Dans le vestiaire d’en face, Vince Lombardi n’est pas satisfait, mais loin d’être enragé. Son plan de jeu est le bon, il le sait, quelques ajustements suffiront à faire la différence et sceller la rencontre. Tout est une question d’exécution. Et elle pourra difficilement être plus maladroite que pendant les 30 premières minutes. Le coach a parlé, ne reste plus qu’à appliquer ses ordres. 10 000 ballons d’hélium, 300 pigeons, deux jet-packs. Le show de la mi-temps est terminé. Les gladiateurs sont de retour. Tout le monde est prêt, place au coup d’envoi. Tout le monde ? Non. NBC était encore en pause publicitaire. Grands princes, les arbitres annulent le botté et ordonnent aux Packers de réengager. La fureur de Lombardi n’y changera rien.

Remontés jusqu’au milieu du terrain, les Chiefs surfent sur la confiance accumulée en première période. Un peu trop même. Ils ne voient pas la vague scélérate qui se rode dans les profondeurs. Lawson se découvre, s’expose au blitz massif des linebackers et sous pression, expédie le ballon dans les doigts jubilants de Willie Wood. Interception. Le safety s’envole pour n’être rattrapé qu’à 5 petits yards du bonheur. Elijah Pitts finit le travail en force. 21-10. Les joueurs du Missouri tombent de leur planche. Le match vient de choisir son vainqueur. Galvanisée, la défense jaune et verte devient injouable. Elle ne laissera les Chiefs franchir la ligne médiane qu’une seule fois. Le temps d’un microscopique jeu. Les hommes de Stram ne gagneront que 12 ridicules yards dans le 3e quart-temps. Leur plan de jeu est tombé à l’eau. Ils sont impuissants. À l’agonie.

McGee et Pitts s’offrent chacun un doublé. Le receveur s’était contenté de 91 yards et un touchdown durant la saison régulière, il en engloutira 138 et marquera deux fois le 15 janvier. Il se réservait pour une grand occasion. Dans un second acte aux allures de démonstration de force de la NFL face à une AFL réduite au rang de simple victime, les minutes semblent durer une éternité pour les pauvres Chiefs. Fred « The Hammer » Williamson avait promis d’écraser les Packers comme des clous. Il quittera le terrain sur une civière.

« Tôt dans le dernier quart, j’étais en quête d’un peu d’action. Ce bon vieux Lombardi m’avait évité toute la journée, » se souvient le cornerback. « Un coup de marteau sur [Carroll] Dale, et c’est tout. Alors quand j’ai vu le Packer sweep se déployer, avec [Donny] Anderson en porteur de ballon, je me suis dit,’Il est pour toi.’ Il y avait ce gamin, [Gale] Gillingham en premier bloqueur, j’étais surexcité, dans l’émotion, et j’ai fait une grosse erreur. Je me suis rué sur lui, la tête la première, et j’ai pris son genou en plein front. Tout ce dont je me souviens ensuite, c’est d’être allongé sur une civière sur le bord du terrain à regarder tout ce bleu autour de moi. J’ai demandé à quelqu’un, ‘Qu’est-ce qui s’est passé bon dieu ? Est-ce que je l’ai plaqué ?’ Et il m’a dit, ‘Tu t’es pris un K.O.’ J’étais tellement gêné. »

Bart Starr lance sa première interception en 174 passes. Anecdotique. 35-10. Dans sa tombe, Curly Lambeau, le père des Packers disparu un an plus tôt, sourit. Heureux. Blindés d’une confiance positive, les hommes du Wisconsin n’ont pas flanché.

« Nous étions certains de gagner, mais seulement car nous étions sûrs de nos forces, pas parce que nous prenions les Chiefs à la légère, » confiera Bart Starr.

L’expérience contre l’absence de pression. Tout à perdre contre tout à gagner. Des Chiefs sans passé de grands rendez-vous, mais sans rien à perdre et pour qui même une défaite au courage aurait eu des airs de victoire contre des Packers habitués des matchs à enjeux et avec une pression immense. Deux situations diamétralement opposées. La pression, les hommes de Vince Lombardi la dompteront à la perfection. À l’expérience. Dans le vestiaire des vainqueurs, pas d’effusions de joie. Juste le sentiment du devoir accompli face à une franchise de moindre calibre, mais qui n’a pas démérité. Les Packers étaient donnés favoris par deux touchdowns. Ils ont fait bien mieux. Mais pas de quoi pavoiser. N’en déplaise à la presse.

« Ils sont très rapides, » commentera Lombardi face à des journalistes avides de déclarations choc. « Je ne pense pas qu’ils soient aussi bons que les meilleures équipes de la National Football League. C’est une bonne équipe avec beaucoup de vitesse, mais je dois reconnaître que les équipes NFL sont plus costaudes. Dallas est une meilleure équipe, et ça n’est pas la seule. C’est ce que vous vouliez m’entendre dire, c’est fait. Mais je ne veux pas tomber dans ce genre de comparaisons. »

Le débat est clos. La NFL a sauvé sa face. Mais jusqu’à quand ?

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