[Super Bowl Stories] Épisode XVII : entre jamais vu et déjà-vu

À 34 semaines du Super Bowl LII, épisode 17 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XVII. Miami Dolphins (AFC) vs. Washington Redskins (NFL) – 30 janvier 1983 Un an...

À 34 semaines du Super Bowl LII, épisode 17 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XVII.

Miami Dolphins (AFC) vs. Washington Redskins (NFL) – 30 janvier 1983Super Bowl XVII Logo.svg

Un an plus tôt, à Pontiac, Michigan, la NFL explorait des territoires inconnus. Nouvelle enceinte, nouvelles équipes, nouveaux visages, nouvelles stars, nouveau champion. Le 30 janvier 1983, on retrouve des habitués. Des Dolphins deux fois sacrés par le passé, des Redskins victimes de la saison parfaite de Miami lors du Super Bowl VII, Don Shula sur le bord du terrain et un Rose Bowl de Pasadena plein à craquer en guise d’écrin doré. Des visages familiers, presque réconfortants, au terme d’une saison surréaliste.

Service minimum

1982, c’est plus qu’une histoire de sport. 1982, c’est l’histoire d’un mouvement social inédit. La grève. Celle qui paralyse toute la ligue des semaines durant et sèvre de leur dose de football dominical des millions d’aficionados du ballon à lacet. 57 jours de gel total des activités et un calendrier qui se réduit semaine après semaine, à mesure que le conflit s’éternise. De 16 matchs habituels, on passe à 9. Oubliez le format traditionnel. On innove. Oubliez les champions de division, oubliez les wild card. On bricole. À la place, on prend les 16 meilleurs. 8 dans chaque conférence. Le meilleur bilan des qualifiés affronte le plus mauvais. 1er contre 8e. 2e contre 7e. Et ainsi de suite

Sacrés un an plus tôt, les 49ers sont victimes de cette saison sans nulle autre pareille. 3-6. Pas de playoffs. Pour les Bills, Giants et Eagles, acteurs des séries en janvier 82, même combat. Malgré des bilans de 4-5, les Browns et Lions se qualifient. Il faudra attendre les Seahawks de 2010 et leur 7-9 pour retrouver une équipe dans le rouge en séries. Pas de grève cette année-là pourtant, juste une division pathétique. Dans le sud de la Floride, moins de soucis. An l’an 13 de l’ère Don Shula, les Dolphins enchaînent une 12e campagne dans le vert ou à l’équilibre. 7 victoires, 2 défaites. Ils décrochent la 2e place de l’AFC. Plus de Larry Csonka ou de Bob Griese comme au temps de leurs triomphes passés. La principale force des Dauphins réside en défense. Les Killer Bees. Pas question d’abeilles, juste d’alphabet. Des 11 titulaires, 6 ont un nom débutant par un « B ». Portés par le Pro Bowler Bob Baumhower au cœur de la ligne et les frangins Blackhood au fond du terrain, ils ne concèdent que 1027 yards dans les airs et 2312 au total. Personne ne peut se targuer d’avoir fait mieux.

De l’autre côté du ballon, on tire la gueule. 1401 yards, 8 touchdowns et 13 interceptions. Le pire quarterback de la ligue. Coincé entre l’ère Bob Griese et le règne de Dan Marino, David Woodley, choix de 8e tour en 80 confirme qu’il a été drafté à sa juste place. Peut-être bien qu’il n’aurait même pas dû l’être. Des interceptions en pagaille, des touchdowns nettement plus rares, mais des succès. Encore et encore. L’inexplicable marque de fabrique de Woodley. Un opportuniste de première classe. Si dans les airs, les Dolphins battent de l’aile, ils se sentent sur la terre ferme comme dans l’eau. Portés par les 701 yards et 7 touchdowns du Pro Bowler Andra Franklin, ils sont la troisième attaque la plus dangereuse au sol de la ligue. Même le quarterback y va de ses 207 yards, bien aidé par le futur Hall of Famer Dwight Stephenson et les deux Pro Bowlers Bob Kuechenberg et Ed Newman sur la ligne.

Dans la capitale fédérale, l’attaque brille de mille feux. Joe Theismann lance 2033 yards et 13 touchdowns, et récolte la meilleure évaluation de la NFC, bien aidé par la doublette Charlie Brown/Art Monk. Au sol, John Riggins s’échauffe. Il fait lentement monter la température jusqu’à ébullition. Les playoffs. Un succès tant au sol que dans les airs que la bande coachée par Joe Gibbs doit à 5 hommes. The Hogs. Une ligne offensive qui allait écrire les pages les plus riches et éclatantes de la franchise. De toute la ligue, aucune équipe ne concède moins de points (128). Si l’attaque et la défense brillent, c’est dans ses équipes spéciales que Washington conserve son arme secrète : Mark Moseley. 20/21 au pied, un sans faute sur les conversions et un titre de MVP unique dans l’histoire pour un kicker qui vient parachever une saison surréaliste à bien des égards.

Si les résultats parlent d’eux-mêmes, nombreux sont les observateurs à être pessimistes quant aux chances des Redskins. Is this for real ? Cette équipe sans grande expérience des playoffs, et surtout, sans grande expérience commune sera-t-elle capable d’aller jusqu’au bout ? Des 45 joueurs constituant le roster de D.C., seuls 10 ont déjà connu les séries. De ces 45 joueurs, 26 on été signés, libres de tout contrat, durant l’été ou au cours de l’automne. Parmi eux, 14 n’ont même pas été draftés. Un déficit de passé commun et d’expérience immense, mais une soif de prouver leur valeur à toute épreuve. Une source de motivation sans fin.

Dans des séries au format inédit et plus ouvert que jamais, les Dolphins écrasent les Pats (28-13) et les Chargers (34-13) avant de dompter les Jets (14-0). Emmenés par un John Riggins endiablé, les Redskins écrabouillent les Lions (31-7), Vikings (21-7) et Cowboys (31-17). À 33 ans, le coureur se sait au crépuscule de sa carrière. Et il ne compte pas raccrocher ses crampons bredouille. Le parfum des séries lui monte au cerveau. Il est possédé. Intenable, insaisissable. Son coach était prévenu, pas ses adversaires.

« Je suis vraiment sur la fin, » avait-il concédé à Joe Gibbs avant les playoffs. « Il ne me reste plus beaucoup de temps. J’ai manqué les deux dernières semaines et je suis fin prêt. Donnez moi le ballon. »

Aussi simple que ça. Son coach ne se pose pas de questions, lui obéit docilement et contemple le résultat. 444 yards, 3 touchdowns et 3 succès nets. Savoir écouter ses joueurs, c’est aussi ça être un bon entraîneur. Privés d’Art Monk dans les airs, les Redskins attaquent au sol, au triple galop. Pour la deuxième fois de l’histoire, le Super Bowl sera une histoire de revanche. Deux adversaires qui, par le passé, se sont déjà affrontés sur la plus grande scène du monde du ballon à lacet.

À toute allure

Pour s’offrir le sésame, 40$ suffisent. Devant les plus de 100 000 fans agglutinés dans le Rose Bowl, les Fins frappent les premiers. Après une première possession infructueuse, David Woodley mystifie le rusher Dexter Manley sur une pump fake magistrale avant de dégainer dans les bras d’un Jimmy Cefalo qui se joue de la couverture du safety Tony Peters au milieu du terrain et file à toute allure vers la peinture, 76 yards plus loin. Personne ne l’effleure. Touchdown. Face à des Dolphins auteurs de 12 interceptions en playoffs (!), la bande de Theismann la joue prudente et doit de nouveau punter. Décomplexé par son ouverture du score, le quarterback floridien tente une nouvelle fois d’arroser en profondeur, mais cette fois-ci, pas de feinte, il prend le camion Manley en pleine tronche, échappe le ballon et l’offre gracieusement à Dave Butz, le defensive tackle. Mark Moseley assume son statut de MVP et débloque le compteur des Bourgogne et Or. 7-3.

Mis sur orbite par un retour de 42 yards de Fulton Walker, David Woodley et les Dolphins se retrouvent sur les 3 yards de Washington au terme d’un interminable drive de 13 jeux, 8 minutes 39 et seulement 50 yards. Tout ça pour buter sur une défense aux aguets. Il faudra se contenter de 3 points. Inspirés par cette série longue et méthodique, Joe Theismann et John Riggins enchaînent les actions et progressent à pas de géants, eux. 11 actions, 80 yards et au bout, les mains d’Alvin Garrett. À peine le temps de se congratuler, Fulton Walker traverse le terrain sur un retour record pour un Super Bowl de 98 yards. Les Fins n’auront pas lâché leur avantage bien longtemps. 17-10. Une interférence défensive et une passe de 26 yards dans les gants de Charlie Brown plus tard, les Redskins sont en position de recoller à 14 secondes du terme du premier acte. Juste assez pour tenter une dernière passe. Theissmann trouve Garrett, mais le receveur se fait stopper à 9 yards du terrain. Loin de la touche. Plus de temps mort. Impossible d’arrêter le chrono. C’est la mi-temps. On a pas vu le temps passé. Accrochée, disputée, spectaculaire. On en redemande.

Mené, mais pas inquiet, Joe Gibbs voit dans le scénario des 30 premières minutes se dessiner la destinée de ses hommes.

« Si l’on doit être sacrés champions du monde, cela doit passer par un comeback, » lâche-t-il dans le vestiaire.

Le retour du Roi

Inspirées, décomplexées, libérées, les deux formations reviennent sur le terrain avec la même grinta. Après un rapide échange de punt, les Peaux Rouges se hissent jusqu’au milieu du terrain. Après avoir passé 30 minutes à endormir les Fins à coup de play calling des plus classiques, Joe Gibbs l’hypnotiseur sort un reverse play de sa poche. Échange main à main entre Theismann et Riggins. Le coureur s’échappe et transmet le ballon à Garrett lancé à pleine vitesse dans la direction opposée. Les Floridiens ne voient que du feu, le receveur voit du gazon à perte de vue. Il n’est repris que 44 yards plus loin, à 9 unités du paradis. Trompée une fois, mais pas deux, la défense de Don Shula plante les barbelés et le MVP ajoute 3 points au pied. 17-13.

En contrôle, les Dolphins pensent faire basculer le match lorsque le linebacker A.J. Duhe intercepte Joe Theismann. C’est sans compter sur un David Woodley rattrapé par ses vieux démons. Le quarterback voit Cefalo dans le fond tu terrain et écrase la gâchette de son index. En couverture, Vernon Dean parvient tout juste à détourner le cuir au ras du casque du receveur, suffisamment pour permettre au safety Mark Murphy de se jeter dessus et de réaliser une interception à une main salvatrice, à 5 yards de son en-but. Acculé contre sa endzone, harcelé par le pass rush floridien, Theismann donne des sueurs froides à toute la capitale fédérale en envoyant une passe directement contre les bras de Kim Bokamper. Le temps d’une poignée de secondes, le défenseur tient le ballon entre ses mains, à deux pas de la peinture. Il s’en faut d’un rien. D’un retour miraculeux du quarterback, venu rattraper sa bévue. Le genre d’action qui change le cour d’un match.

Les ‘Skins repartent de l’avant, franchissent la ligne médiane et sortent un nouveau trick play de leur cahier de jeu. Flea flicker. Riggins s’empare d’un pitch de son quarterback, avance jusqu’à la ligne de mêlée, puis se retourne subitement vers Joe Theismann pour lui rendre le ballon et le laisser dégainer. Mais cette fois-ci, les Dauphins ne se font pas avoir. Lyle Blackwood plonge en avant et intercepte le cuir à un yard de son en-but. Trois drives, trois interceptions. Une première dans un Super Bowl. Seulement, dos à leur endzone, les hommes de Don Shula ne peuvent pas faire grand chose et rendent le ballon aux Bourgogne et Or dans une position idéale. Un jeu. Deux jeux. Trois jeux. Il manque un petit yard. 4th and 1. À 43 yards de la ligne, les poteaux sont trop loin. Punter ? Le choix de la raison. Mais depuis quand Joe Gibbs est-il quelqu’un de raisonnable. Le coach de D.C. remonte son pantalon et renvoie son attaque sur le terrain. I-Right 70 Chip. Son action fétiche. Le tight end Clint Didier balaie la ligne de scrimmage vers la droite avant de faire subitement volte-face dans la direction opposée. John Riggins s’empare du ballon, emboite le pas de son bloqueur, casse le plaquage de Don McNeal tout en puissance, reprend son équilibre, allonge sa foulée et sème l’autre frangin Blackwood. Il lui suffisait d’un yard, il vient d’en avaler 43. Pour la première fois du match, Washington bascule en tête. 20-17.

Après un rapide stop en défense et moins de 10 minutes à jouer, les Redskins dévorent le chrono. Course. Course. Course. Course. Course. John Riggins engloutie les yards et les secondes. 2-minute warning. 6 yards les séparent du paradis. Charlie Brown se charge de les combler dans les airs. 27-17. En l’espace d’un quart temps, la furia Bourgogne et Or vient de plier le match. Depuis le retour des vestiaires, les Dauphins auront été asphyxiés. Deux ridicules premiers essais, pas la moindre passe complétée. David Woodley le grand veinard a perdu son mojo.

« S’ils n’apportaient aucun ajustement en cours de rencontre, nous étions sûrs de les dominer facilement, » confiera le safety Tony PEters après le match. « Leur attaque n’était vraiment pas compliquée à jouer. Si on pouvait forcer Woodley à lancer, c’était plié. »

Stratégie payante. De toute la rencontre, le quarterback n’aura réussi que 4 passes, incapable de dépasser la barre des 100 yards. Piétinés par 276 yards records au sol, les joueurs de Miami auront fait illusion le temps d’un premier acte, maintenus en vie par la chevauchée folle de Fulton Walker. Car de match, il n’y en avait pas vraiment. Entre les deux équipes, une classe d’écart.

40 ans plus tard, au terme d’une attente interminable et d’une saison plus courte que jamais, les Redskins retrouvent le toit de la NFL. Personne ne croyait en eux pourtant. Pour Joe Gibbs, une délicieuse revanche. Héroïque sur le chemin du Super Bowl, John Riggins aura éclaboussé le Big Game de son enthousiasme et de ses perforations destructrices. 38 courses, 166 yards, le tout face à la meilleure défense de la ligue. Jamais running back n’avaient conquis autant de terrain au sol dans un match pour le titre.

« Je suis heureux, » confie le héros du match. « Ce soir, Ron (Ronald Reagan, ndr) est peut-être bien le Président, mais moi je suis le roi. »

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