[Super Bowl Stories] Épisode XVIII : La Nuit du Chasseur

À 33 semaines du Super Bowl LII, épisode 18 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XVIII. Washington Redskins (NFC) vs. Oakland Raiders (AFC) – 22 janvier 1984 La Nuit...

À 33 semaines du Super Bowl LII, épisode 18 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XVIII.

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La Nuit est son alliée. Son amie intime. Sa maîtresse. Il danse avec elle, s’y mue avec une agilité féline. Chasseur de yards, chasseur de touchdown. Prédateur redoutable et redouté de tous les défenseurs. Dans son habit noir et argent, Marcus Allen va illuminer la nuit dans la baie de Tampa.

Just Win, Baby !

Sacrés au terme d’une saison plus courte et invraisemblable que jamais, les Redskins parviendront-ils à conserver pareil état de fraîcheur au bout de 16 matchs ? Pour la plupart des observateurs, la réponse ne fait guerre de doute. Elle sonne presque comme une évidence. Oui ! Sûrs de leur force, les hommes de la capitale sont même bien plus fort. S’ils ont parfaitement su négocier les circonstances exceptionnelles de 82, leurs succès de 1983, ils les doivent à leur talent et leur force collective. Après tout, on ne décroche pas 14 succès sur un simple coup de chance. Pas besoin de trèfles à quatre feuille ou d’amulette de vieux shaman, juste d’une attaque tout feu tout flamme. Quand les protégés de Joe Gibbs s’inclinent, ça n’est que d’un point. 30-31 en ouverture face aux Cowboys, puis 47-48 au Lambeau Field. Quand ils l’emportent, ça tourne souvent au bain de sang. 541 points. Les Redskins pètent le record de points en attaque. Il faudra attendre le retour des Vikings maudits de 1998 pour que la marque soit effacée.

Appliqué, Joe Theismann conquit plus de 3700 yards dans les airs, marque 29 fois et ne se fait intercepter qu’à 11 petites reprises. Du travail bien fait. Un leader par l’exemple. Un MVP. Privé de playoffs à cause de pépins physiques un an plus tôt, Art Monk est de nouveau en scelle. Derrière les 1225 yards et 8 touchdowns de l’inarrêtable Charlie Brown, il punit toute défense qui s’aventurerait à coller une prise à deux sur les épaules de son pote. Au sol, la sensation des séries 1983 perpétue la tradition des fullbacks voraces en yards. Portés par ses 1347 yards, John Riggins gobe tout rond le record de touchdowns inscrits au sol en coupant la ligne 24 fois. 5 de plus que le Packer Jim Taylor en 62. 12 ans plus tard, Emmitt Smith passera par là. Derrière le mètre 88 et les 100 kilos du tank #44, Joe Washington le bien nommé capture plus de 1100 yards par ses jambes comme par ses mains et ajoute 8 touchdowns.

Une attaque qui marque pléthore de points et qui prend soin du ballon comme de la prunelle de ses 11 paires d’yeux, une défense boulimique de turnovers et à la clé, un nouveau record. +43. Jamais franchise n’aura eu de meilleur différentiel en matière de revirements. Au sol, les coureurs averses se bouffent systématiquement un mur en plein casque. Aucune défense n’est plus hermétique sur la terre ferme. Une muraille de chaire, de muscles et de gras. À l’image du defensive tackle Dave Butz et ses 11,5 sacks. Dans le fond du terrain, Mark Murphy s’octroie le titre de meilleur intercepteur de la ligue en confisquant 9 ballons. MVP entré dans l’histoire un an plus tôt, Mark Moseley fait honneur à sa couronne et termine meilleur marqueur en enquillant 161 points. 17 de plus que son dauphin, John Riggins. Les L.A. Rams atomisés au premier tour (51-7), les 49ers terrassés à 40 secondes de la fin, dans la vague d’un fullback qui renoue avec le parfum des playoffs en signant un 5e puis un 6e match de séries au-delà des 100 yards, la Californie sourit aux Redskins. Et ça tombe bien.

À l’autre bout du pays, depuis leur sacre du Super Bowl XV, les Raiders ont déménagé. La Californie, toujours, mais 550 bornes plus au sud. Al Davis a troqué le fog de la baie de San Francisco pour le sable fin de Santa Monica. Après une année de blues post-sacre en 1981 (7-9), les Black & Silver s’acclimatent rapidement à leur nouvelle demeure. Dans les pas d’un Marcus Allen rare étincelle dans une drôle de saison 82, ils ne s’inclinent qu’une fois. Toute la virtuosité du Rookie Offensif de l’Année ne suffit pas à leur éviter une élimination dès le premier tour pourtant. Mais il faudra de nouveau compter sur eux. Et très vite.

Ressorti du néant 3 ans plus tôt, Jim Plunkett l’enfant de la Californie continue d’éclairer une attaque conquérante. Près de 3000 yards dans les airs et 20 touchdowns. Son tube préféré ? Son tight end Todd Christensen. Le géant et sa moustache taillée au millimètre attrape 92 passes, 1209 yards et 12 touchdowns. Mieux que la paire Cliff Branch/Malcolm Barnwell. Pour sa deuxième saison pleine dans la cour des grands, Marcus Allen, l’ancien prodige local de USC, éclipse la barre des 1000 au sol, en ajoute près de 600 dans les nuages et marque 11 fois. Derrière lui, la doublette Kenny King/Frank Hawkins en rajoute une couche avec un total de 1119 yards et 11 touchdowns.

En défense, Greg Townsend a beau être un débutant, rien ne l’effraye. 10, 5 sacks et un fumble recouvert et retourné à dam 66 yards plus loin, le defensive end se fait déjà une jolie réputation. Arrivé en provenance de la Nouvelle-Angleterre via un échange, le cornerback Mike Haynes forme avec Lester Hayes ce que beaucoup considèrent comme le meilleur tandem de la ligue. Une DCA redoutable, mais qui n’empêche pas la défense de tourner à un peu convaincant 21,1 points concédés par match. Seulement, de l’autre côté du ballon, les Raiders en inscrivent systématiquement plus de 20 pour une jolie moyenne de 27,6 par rencontre.

Après un début de saison tonitruant, les hommes de Tom Flores, privés des futurs Hall of Famers Marcus Allen et Mike Haynes, s’inclinent d’un fil face aux Redskins en semaine 5 dans une orgie offensive (35-37) annonciatrice de biens belles choses. Après un mois d’octobre en dent de scie, ils ne s’inclinent pas une seule fois en novembre et s’ouvrent les portes des séries. Les Steelers en pleine transition identitaire écartés sans trembler au premier tour (38-10), les Raiders se vengent de Seahawks qui les avaient battus deux fois en saison régulière et valident leur billet pour le Super Bowl. À Tampa, ils iront défendre l’honneur d’une Californie martyrisée par John Riggins et compagnie. Leur devise est simple : « Just, Win Baby ! »

The Special Ones

MVP, meilleure attaque, meilleure défense au sol, meilleur bilan, champions en titre, vainqueurs des Raiders en semaine 5 grâce à 17 points inscrits dans les 6 dernières minutes. Les Redskins sont les favoris désignés. Dans un Tampa Stadium ensoleillé où la nuit ne tarde pas à tomber, le suspense disparaît aussi vite que le ciel bleu. On joue depuis moins de 5 minutes quand Derrick Jensen bondit de tout son long devant le punter de D.C. Jeff Hayes, contre le ballon et le recouvre dans la peinture jaune. 7-0.

« Je crois  bien qu’ils m’ont oublié, » lâchera Jensen après la rencontre.

Dans un Super Bowl qui est en train de virer au duel d’équipes spéciales, le retourneur californien Ted Watts se rate en beauté et rend le cuir sur ses 42. Incapables de faire plus de 15 yards, les Redskins repartent même bredouille quand la tentative lointaine de Moseley file du mauvais côté. Après 15 minutes de jeux, on attend toujours un signe de vie des attaques. Jim Plunkett va rapidement s’en charger.

Le passeur profite du changement de camp et allume un pétard de 50 yards dans les mains gantées de Cliff Branch, bien aidé par le vent de dos, pour propulser les siens en pleine redzone. Deux jeux plus tard, on prend les mêmes et on recommence. Cette fois-ci, 12 yards suffisent. 14-0. Les Raiders creusent l’écart. Pendant qu’on fait encore la grasse mat’ côté D.C., on est déjà rendu au breakfast côté L.A. Réveillé par l’odeur de café qui lui monte aux narines, Joe Theismann sort enfin de son lit et remonte 73 yards en 12 jeux. Pas à pas. Réveil en douceur. 3rd & goal sur les 7. Chirurgical sur les lancés précédents, le quarterback voit sa passe coupée par Rod Martin. Il faudra se contenter de 3 points. Au coup de pied victorieux de l’ancien MVP, le futur Hall of Famer Ray Guy répond par un punt au poil. Bloqués sur les 39 yards de Washington, le spécialiste dépose le ballon sur la ligne de 12. 12 yards et 12 secondes à jouer.

D’ordinaire, avec 12 secondes au chrono, la prudence recommande la voie terrestre plutôt que celle des airs. La voie de la raison. Mais Joe Gibbs préfère trancher le poire en deux. Rocket Screen. Le linebacker Jack Squirek a tout compris, bondit, intercepte la passe et file batifoler dans la peinture. Le technicien de la capitale fédérale espérait duper les Californiens. Gros raté. Les joueurs de Tom Flores s’y attendaient. Ils le savaient. En saison régulière, Theismann avait exécuté avec succès cette même action. Cette fois-ci, Joe Washington avait saisi le cuir et s’était envolé 67 yards plus loin. Pas deux fois. La faute au coach des linebackers. À l’ultime seconde, Charlie Sumner envoie Squirek sur le terrain pour couvrir Washington. Squirek entre, Matt Millen sort. Enragé.

« J’étais furieux, » confiera le linebacker qui doit sprinter pour éviter une pénalité. « Je venais d’appeler un blitz, j’étais surexcité, mais il a appelé Jack pour défendre une passe écran et l’a fait entrer. On dirait que Charlie sait pas trop mal ce qu’il fait nan ? »

« C’est mon métier bébé. » Matt Millen soulève le coach assistant dans une embrassade aérienne. Tout est pardonné. Mi-temps. 21-3. Un touchdown en attaque, un sur équipe spéciale, un en défense. La galette complète œuf-jambon-fromage version gridiron.

Catch me if you can

Inoffensifs pendant tout le premier acte, les Redskins gomment 30 minutes d’apathie en 9 jeux. Le temps de remonter 70 yards et d’enfin croiser la ligne. Tout débute par une chevauchée de 35 yards aux allures de coup de fouet sur le coup d’envoi. La conclusion, elle, sonne comme un vieux refrain. Un yard à combler, John Riggins. Un brin de sourire se dessine enfin sur les visages des Bourgogne et Or. Brièvement. Car quand ça ne veut pas. Dans un jour sans, Moseley écrase sa conversion contre les bras du quasi-inconnu Don Hasselbeck. Oui, oui le père de. 21-9. L’éclaircie aura été brève. Car si dans la nuit de Tampa Bay, les étoiles brillent, les joueurs de D.C. ne voient que du noir. Un orage. Un cauchemar. Pour une énième fois dans son histoire, le Super Bowl prend un tournant trop bien connu. Celui du cavalier seul. Comme trop souvent, le suspense fait cruellement défaut.

Bien aidé par une interférence défensive de Darrell Green, Marcus Allen anéantie les vagues espoirs de retour qui avaient émergés dans les têtes adverses. 28-9. Anthony Washington, l’autre bien nommé, a beau arracher le ballon des brase de Cliff Branch sur les 35 yards californiens, les joueurs de la capitale n’avancent que de 9 yards sur les 3 jeux suivants. Il leur en manque un. 4th & 1. On appelle John Riggins en renfort. Un an plus tôt, la formule tout sauf secrète avait marché. Cette fois-ci, le destin s’est ligué contre les Redskins et ne compte pas retourner sa veste. Rod Martin sèche le fullback. No gain.

Les deux pieds sur l’échafaud, Marcus Allen va enfiler sa cagoule de bourreau. Le troisième quart-temps touche à sa fin. Il ne reste qu’un seul jeu. 17 Bob Trey O. Plunkett file le ballon à son coureur, délivre la bête, se cale dans un fauteuil molletonné rouge, déplie ses jambes, enfile ses lunettes 3D, plonge sa main dans le pop-corn et admire le spectacle. Le #32 s’enfuit sur la gauche, le temps de quelques foulées, le temps de réaliser que la route est barrée. Changement de programme. Le coureur fait volte-face, casse un plaquage, s’engouffre dans un boulevard ouvert au cœur de la ligne de mêlée, dompte un ultime plaquage, puis déroule ses longue foulées jusque dans la peinture moutarde.

« Alors que les derniers espoirs de Washington se mouraient à mesure que la l’obscurité engloutissait le soleil, MArcus Allen surgît, courant avec la nuit, » décrira John Facenda, la Voix de Dieu de la NFL. 

74 yards. Le plus long touchdown au sol que le Super Bowl n’ait encore jamais vu. 35-9. Il reste 15 minutes, mais plus rien à jouer. Dans un ultime quart-temps anecdotique, la défense des Raiders finit d’achever Joe Theismann. 3 nouveaux sacks, un fumble et une interception. Tenaillé, harcelé, frappé, le quarterback des Redskins aura mangé le gazon 6 fois. Mis sur orbite par une ultime banderille de 39 yards de Marcus Allen, Chris Bahr clôt la marque. 38-9. Cinglante. Sans appel. La meilleure attaque de la ligue et ses presque 34 points de moyenne aura été totalement asphyxiée. Après 6 rencontres consécutives à plus de 100 yards en séries, John Riggins aura calé à 64.

« Je pouvais lire la frustration sur le visage de Riggins, » confiera le defensive end Howie Long. « Je pouvais lire la peur sur le visage de theismann. »

Premier Guatémaltèque de l’histoire de la NFL, le linebacker Ted Hendricks salut une dernière fois la ligue de sa main sertie de 4 bagues de champion. 3 d’un bout à l’autre de la Californie, une dans le Maryland.

Pour la deuxième fois de l’histoire, le champion en titre aura failli. Pourtant, comme les Cowboys du Super Bowl XIII, ils étaient plus forts, plus aguerris, plus sûrs d’eux. C’était sans compter sur un prodige aux jambes de feu. Illuminés par Marcus Allen, chasseur dans la nuit, les Raiders n’auront jamais tremblé. En 20 courses et 191 yards, le runnung back aura écrabouille la meilleure défense de la ligue et scellé l’issue du match. Chasseur de yards, chasseur de touchdowns et fossoyeur d’espoirs. Un véritable one-man show. En 18 ans d’existence, jamais le Super Bowl n’aurait autant été à sens unique.

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