[Super Bowl Stories] Épisode XXXVII : The Pirate Bowl

À 16 semaines du Super Bowl LII, épisode 37 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XXXVII.

À 14 semaines du Super Bowl LII, épisode 37 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XXXVII.

Oakland Raiders (AFC) vs. Tampa Bay Buccaneers (NFC) – 26 janvier 2003

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Un football offensif champagne contre un football catenaccio. Un football généreux, qui engloutit les yards sans compter contre un football de radins qui compte le moindre centimètre concédé avec la minutie d’un expert comptable. La meilleure attaque contre la meilleure défense. Opposition de styles totale. Une première dans l’histoire du Super Bowl. Les pirates de la côte ouest contre ceux du golfe du Mexique. Et au milieu de tout ça, un homme : Jon Gruden. Le Super Bowl XXXVII, c’est un peu son match à lui. Une histoire de pirates, une histoire de revanche.

Gruden Bowl

En 1995, après 12 années passées dans la Cité des Anges, Al Davis décide de quitter Sunset Boulevard pour retrouver la fraîcheur de la baie de San Francisco. Un retour chaotique sur le terrain, sapé par des blessures en pagaille, à l’image d’une campagne 95 amorcée sur un rythme infernale (8-2), mais sabordée par une avalanche de pépins physiques et 6 défaites de rang (8-8). Un an plus tard, rien ne s’arrange et Mike White est remercié (7-9). Son remplaçant ne fait qu’enfoncer des Raiders déjà à la dérive. Joe Bugel est viré après une saison calamiteuse (4-12). Après trois ans d’atermoiement, la franchise d’Oakland a besoin de nouvelles têtes et de nouvelles idées. Coordinateur offensif des Eagles, Jon Gruden débarque dans le nord de la Californie avec une nouvelle philosophie et un Rookie Défensif de l’Année 98 dans les poches. Boostés par un Charles Woodson fidèle à son Heisman Trophy, les Raiders retrouvent l’équilibre pendant deux saisons. Le mieux est évident, mais il manque encore un petit quelque chose.

Ce petit quelque chose, c’est Rich Gannon. Après 5 campagnes ineptes passées entre D.C et KC, l’ancien Viking est en quête d’un second souffle. Sous le soleil californien, il va enfin donner vie à sa carrière. Dans la foulée de leur quarterback Pro Bowler et All Pro et du meilleur jeu au sol de la ligue, les Raiders se hissent jusqu’en finale de conférence en 2000, mais buttent face aux Ravens et leur défense historique, en route vers le titre. Un an plus tard, renforcés par l’arrivée de Jerry Rice en provenance de l’autre côté de la baie, ils récidivent, mais s’inclinent face à la neige et aux Patriots dans l’inique Tuck Rule Game. Impatient, impulsif et radin avec ses coachs, Al Davis plagie Robert Kraft et cède ses droits sur Jon Gruden aux Buccaneers en échange de 4 choix de draft, comme l’avait fait le patron des Pats avec les Jets, deux ans plus tôt, pour enrôler Bill Belichick.

Ancien coordinateur offensif de Gruden, Bill Callahan est promu head coach et poursuit avec brio le travaille accompli par son prédécesseur. De quoi conforter Davis dans son choix. Non, les Raiders n’ont pas besoin de Jon Gruden pour gagner. Meilleur bilan de l’AFC, meilleure attaque aérienne de la ligue et deuxième au nombre total de yards conquis, les Californiens brillent. Rich Gannon, lui, est étincelant. 4689 yards, 26 touchdowns, 10 interceptions, il vit la plus belle saison de sa vie. Jamais dans l’histoire un quarterback n’avait complété autant de passes (418) ni signé autant de matchs au-delà des la barre des 300 yards (10). Ni Dan Marino, ni Brett Favre. À 40 ans, receveur de tous les records depuis près de 17 ans, Jerry Rice semble plus jeune que jamais. 92 réceptions, 1211 yards et 7 touchdowns, ses doigts de fées et ses foulées d’une précision d’orfèvre n’ont pas d’âge et continuent de ridiculiser les défenses. Derrière la légende vivante, l’éternel Tim Brown et ses 36 printemps en mentor du gamin Jerry Porter. Raider depuis 1988, Brown engloutit 930 yards et marque 2 fois, pendant que l’ancien de West Virginia et ses grands compas ajoutent près de 700 yards et croisent 9 fois la ligne.

Au sol, le bondissant Charlie Garner dicte sa loi. Véritable phénomène athlétique débarqué de l’autre rive de la baie un an plus tôt lui aussi, il sème la panique aux quatre coins du terrain. S’il ne cavale que 962 yards, aucun autre running back n’est plus redoutable que lui dans les airs. 91 réceptions, 941 yards et 4 touchdowns qui viennent s’ajouter aux 7 inscrits au sol, il est un véritable poison aux talents multiples, capable de créer le danger du fond du terrain comme dans les lignes adverses. Dans le rôle de l’équipier modèle, le massif Tyrone Wheatley ajoute près de 500 yards pendant que le fullback Zach Crockett joue les perce-muraille et marque 8 fois, bien aidé par deux Pro Bowlers sur la ligne, Lincoln Kennedy et Barret Robbins.

Malgré les 8 interceptions et deux touchdowns de Charles Woodson, la défense est le talon d’Achille des Raiders. 25e contre le jeu aérien (3787 yards), elle navigue dans le ventre mou au total des yards concédés (12e). Moins dominatrice et moins gâtée en talent que l’attaque, l’escouade défensive peut quand même compter sur les 11 sacks du colosse Rod Coleman et toute l’expérience du vétéran Bill Romanowski et ses 4 bagues de champion conquises à San Francisco et Denver. Malgré un départ éclatant qui les voit coller 40 points de moyenne lors de leurs 4 premiers matchs, les Braqueurs connaissent un gros coup de mou en octobre et s’inclinent pendant 4 semaines consécutives, dont deux fois en prolongations. L’attaque retrouve son panache, la défense resserre les boulons et ils ne s’inclineront plus qu’une seule fois de toute l’année. 11-5 et un titre de division qu’ils conservent pour la troisième année de suite. Les Jets écrabouillés (30-10), les Titans atomisés (41-24), ils mettent le cap sur le sud de la Californie.

À Tampa, l’arrivée de Jon Gruden va rimer avec fin de la lose pour de bon. Car depuis leur création en 76, les Buccaneers font bien marrer. En dehors d’un titre de division et d’une finale NFC petitement perdue face aux Rams en 79 (0-9), les pirates de Big Guava vivent 20 premières années déprimantes. Puis Tony Dungy et son génie défensif débarquent à Tampa. Ancien coordinateur d’une escouade de Minneapolis qu’il aura transformée en meilleure défense de la ligue au cœur des 90’s, il arrive en Floride en 96 et amorce la révolution. Nouvelle identité de jeu, nouvelles têtes, il bâtit une défense jeune et indécente de talent, profitant des choix éclairés de son prédécesseur un an plus tôt. Warren Sapp et Derrick Brooks, le premier tour de la draft 95 donne le ton des futurs Bucs du coordinateur défensif Monte Kiffin. En 97, le rookie Ronde Barber rejoint le vétéran John Lynch dans le fond du terrain, Dungy sélectionne Warrick Dunn, Rookie Offensif de l’Année, et Tampa retrouve les séries pour la première fois en 15 ans. Si 98 est à mettre aux oubliettes, en 1999, les Pirates d’un Sapp Joueur Défensif de l’Année buttent en finale de conférence face à l’armada offensive de Kurt Warner et du Greatest Show on Turf. 

Après deux échecs répétés dès le premier tour, Tony Dungy est remercié et Jon Gruden vient enfiler sa jambe de bois et son chapeau de pirate à la barre du vaisseau floridien. Deux choix de premier tour, deux de deuxième et un chèque de 8 millions de dollars, voilà ce que lâche une franchise de Tampa plus avide que jamais de construire une attaque digne du formidable talent de son escouade défensive. Les fondations pour décrocher un titre sont là, c’est le moment où jamais de bâtir une équipe capable d’offrir à la franchise ce qui la fuit depuis plus de 25 ans : un titre et un peu d’éclat. Si depuis le passage de Tony Dungy Tampa s’est rapidement imposée comme une forteresse quasi imprenable, jamais les canonniers du Raymond James Stadium n’auront su faire trembler les défenses adverses. Un échec qui aura coûté sa place au stratège et précipité l’arrivée de l’ancien artificier en chef d’Oakland.

Pour sa première année en Floride, Gruden bricole avec les moyens du bord, mais ne révolutionne rien. Si les Bucs végètent en 25e position au nombre des yards gagnés, le coach parvient à instiguer un style offensif direct, minimaliste, mais redoutablement efficace. Rien de fantasque, rien de sexy. Limiter le nombre d’erreurs, capitaliser sur la moindre opportunité, tel est le crédo de Gruden. Et ça marche. L’ancien Viking Brad Johnson et ses jambes interminables balancent 3049 yards, 22 touchdowns et juste 6 petites interceptions en route vers Hawaï. Ancienne star de USC et 1er choix général des Jets en 96, Keyshawn Johnson attrape 76 passes pour 1088 yards et 5 touchdowns pendant que le globetrotteur Keenan McCardell en ajoute 670 et marque 6 fois. Au sol, deux chars d’assaut terrifiants. Plus de 100 kilos de muscle et de puissance l’un comme l’autre. À eux deux, Michael Pittman et Mike Alstott emboutissent 1985 yards dans les airs comme au sol et croisent 8 fois la ligne.

Offensivement au point, défensivement au top. Aucune équipe ne concède aussi peu de terrain (252,8 yards par match), aussi peu de yards dans les airs (155,6 par match), aussi peu de points (12,3 par rencontre) et aussi peu de touchdowns aériens (10). Avec 31 interceptions et un passer rating de 48,4, les dimanches des receveurs et quarterbacks adverses ressemblent à de longs de chemins de croix. Redoutable plaqueur et véritable sentinelle aérienne sur le premier rideau, Derrick Brooks, vole 5 passes et inscrit 4 touchdowns records pour un linebacker. Sur la ligne, Simeon Rice se gâte et signe 15,5 sacks pendant que Warren Sapp en ajoute 7,5 de plus. Tout ce beau monde ira a Hawaï, accompagné de l’inusable John Lynch. Les 49ers écartés sans trembler, les Bucs s’offrent le scalp d’Eagles pourtant au sommet de la NFC. Pour la première fois de son histoire, la franchise de Tampa ira au Super Bowl.

Just Lose Baby !

Retour en janvier pour le Big Game. Le temps d’une saison. Retour au Qualcomm Stadium de San Diego. 15 plus tard. Sauf pour Barrett Robbins. À quelque jours du match de sa vie, le centre titulaire d’Oakland est introuvable. Aucune trace. Volatilisé. Annoncé disparu, il réapparait finalement comme par magie dans un hôpital de San Diego dans la nuit du 22 janvier, à quelques heures du Super Bowl. Sujet à des tendances dépressives depuis ses années à TCU, il avait oublié de prendre ses médicaments. Paumé, incohérent, en prise à une crise de manie, il est finalement écarté du groupe pour la rencontre. Pas de présentation individuelle, comme les Pats un an plus tôt, Raiders et Bucs déboulent d’un seul homme sur la pelouse après la diffusion d’un résumé de leurs parcours sur les écrans géants du stade.

Après 19 ans de disette, les Raiders sont donnés vainqueurs. Et ils ne se défilent pas. Brad Johnson rate sa première passe, Michael Pittman se mange un mur et sur la troisième action du match, Charles Woodson intercepte le ballon et remonte 12 yards avant d’être stoppé à 36 unités de l’en-but floridien. L’occasion de frapper un grand coup d’entrée. Un poignée d’actions stériles plus tard, Rich Gannon est réexpédié 6 yards en arrière par l’inévitable Simeon Rice. 4th down. Il faudra se contenter de 3 points de Sebastian Janikowski. Sur le coup d’envoi, les Bucs se font peur. Aaron Stecker semble échapper le ballon après une remontée de 27 yards. Le troupeau de zèbres signale un fumble recouvert par Oakland. Jon Gruden fulmine et balance son mouchoir rouge. Le coach et le retourneur en sont certains, Stecker avait les deux genoux au sol bien avant que le ballon ne se mette à bouger. Les images sont formelles, le joueur était bien down by contact et les arbitres renversent leur décision. Un challenge gâché. Jon ne dérougit pas.

L’orage passé, Brad Johnson enclenche la marche avant. Le moteur peine à embrayer, mais le vaisseau de Tampa avance tant bien que mal. Entre deux passes qui s’envolent dans l’océan, le quarterback trouve les mains de Joe Jurevicius avant que le bulldog Michael Pittman ne trouve une brèche, cavale 23 yards et propulse les Bucs dans la redzone. Passe ratée une fois, passe ratée deux fois, course dans le vide, l’Argentin Martín Gramática répond au Polonais Sea Bass. 3-3. Punt, punt, punt, punt. Les défenses se neutralisent et les secondes s’égrainent sans grande chose à se mettre sous la dent. Et quand les Raiders s’aventurent enfin en territoire ennemi, Rich Gannon expédie le cuir dans les mains de Dexter Jackson. Quelques mois plus tôt, le safety était à deux doigt d’être rayé des plans de Jon Gruden faute de régularité. D’ici un peu plus de 2h, il sera couronné MVP.

« Nous savions que plus d’un gars dans le fond du terrain pourrait être nommé MVP, parce que Rich Gannon lance le ballon 40 ou 50 fois et que nous aurions des opportunités, » confiera le défenseur dans les colonnes du NY Times le lendemain. « Notre défense est remplie de stars Pro Bowlers, mais ça va au-delà de ça, tout le monde en défense cherche à faire la différence. Hier soir, mon tour est venu. C’est une formidable façon de se faire un nom. »

Brad Johnson et Mike Alstott débusquent une poignée de yards par-ci par-là, Gramática récidive de loin et Tampa capitalise sur son interception. 6-3. Le ballon à peine revenu dans les mains de Gannon, le quarterback sort sa spéciale. Pump-fake d’un côté, passe de l’autre. Deux semaines plus tôt face aux Jets, la technique avait fait des merveilles et envoyé Jerry Porter seul dans la peinture, derrière un secondary tétanisé. Dans la nuit de San Diego, le quarterback feinte à gauche pour finalement allumer Porter dans le champ profond, en plein cœur du terrain. Les Jets avaient mordu à l’appât à pleines dents, les Bucs ne bougent pas d’un iota et le cuir file dans les mains de Dexter Jackson.

« C’est quelque chose qu’il fait en permanence, » expliquera Jackson au NY Times. « Il feinte d’un côté et lance de l’autre. »

Face aux Jets, ça marche. Face aux Buccaneers de Jon Gruden, aucune chance. Le coach connait trop bien Gannon. À la différence de la première interception, celle-ci ne mène à rien. Plus de peur que de mal. Les deux formations s’échangent à nouveau les punts dans une rencontre de plus en plus fermée. L’attaque au sol des Raiders est inexistante. Paralysée par la défense de Tampa, elle contraint les Californiens à attaquer dans les airs et rend leur jeu bien trop prévisible. En face, aucun soucis. Mis sur orbite par un joli retour de 25 yards de Karl Williams qui dépose les Boucaniers à deux pas de la zone rouge, Michael Pittman et Mike Alstott enfoncent la ligne et comblent les 27 derniers yards à deux et en quatre temps. Le verrou californien vient enfin de sauter. 13-3. Sans solutions face au mur de chaire humaine suintante dressé par Jon Gruden, Rich Gannon patauge et ses Raiders font du surplace alors que la pause se profile lentement à l’horizon. Au cœur de la ligne offensive, le centre remplaçant vit un enfer, harcelé en permanence par Warren Sapp et John Lynch. Un cauchemar éveillé.

3 minutes, 45 secondes, 77 yards à combler, objectif endzone. Pittman donne le ton avec sa finesse légendaire. Hors-jeu en défense par deux fois, usage illicite des mains, les hommes de Bill Callahan se tirent trois balles dans le pied pendant que les Buccaneers continuent de faire bouger les chaînes. Le bus humain Alstott soulage Johnson dans les airs et le quarterback finit le travail en envoyant Keenan McCardell dans le coin droit de la peinture rouge. 20-3. Défense intraitable, attaque pragmatique, la recette Jon Gruden fonctionne à merveille. Il n’y a pas de match. Le coach a beau plaider le contraire, il connait trop bien son adversaire.

« Tous les jeux qu’ils ont appelés, nous les avions préparés à l’entraînement, » confiera John Lynch après le match.

Meilleure attaque de toute la saison, les Raiders auront été réduits à 3 minuscules premiers essais. Des miettes. Si la première mi-temps n’aura été qu’un long calvaire pour un Rich Gannon pris à la gorge, incapable de faire déjouer l’implacable défense de Tampa, le second acte va tourner à la mise à mort.

PEGI-18

Au retour des vestiaires, rien de nouveau. Le vent semble toujours plus fort dans les voiles rougeâtres des Raiders pendant que du côté d’Oakland, c’est pétole. En trois passes infructueuses, Rich Gannon offre un three-and-out express. Acculés sur leurs 11 yards, les joueurs de la baie de Tampa font parler leur imagination et montent un drive de mammouth. 14 jeux, 89 yards, près de 8 minutes qui s’évaporent et au bout, un doublé pour McCardell. Brad Johnson exploite tout son arsenal pour décortiquer avec soin une défense argentée qui commence à tirer la langue. Fatigués et largués, les Raiders se battent avec l’énergie du désespoir. À peine le temps pour Rich Gannon de remettre les siens dans le bon cap, c’est le naufrage. Dwight Smith lit parfaitement les yeux du quarterback, intercepte le ballon, s’arrache du plaquage de Jerry Rice et s’enfuit vers la peinture noire, 44 yards plus loin. Le navire d’Oakland sombre corps et âmes. Sur le banc d’en face, Jon Gruden explose de joie. Les Raiders explosent tout court. 34-3.

Insipides depuis le coup d’envoi, les Californiens sortent finalement de leur léthargie. Surtout, ils trouvent enfin des failles dans la défense de Tampa. Méconnaissable, le MVP Rich Gannon pilonne à feu nourri, remonte 82 yards et expédie Jerry Porter dans l’en-but sur une passe de 39 yards qui redonne un semblant d’espoir aux hommes de Callahan malgré une tentative de conversion à 2 points ratée. 34-9.

« Nous avons été absolument épouvantables, » concédera Gannon après le match. « Ça a été une performance cauchemardesque. »

Réveillée, presque survoltée, la défense d’Oakland force un rapide stop et plonge en plein délire quand Tim Johnson bloque le dégagement de Tom Tupa et regarde sans trop y croire son homonyme Eric ramasser le ballon et croiser la ligne 13 yards plus loin. La conversion est de nouveau ratée, mais soudainement, tout semble possible. 34-15. Surtout qu’en face, le vaisseau des Bucs commence à tanguer. Car si toute l’attaque de Tampa remonte le terrain avec application jusqu’aux 9 yards des Raiders à coup de courses tranchantes et de passes affutées, Tom Tupa part en vrille. Coupable quelques minutes plus tôt, le punter récidive, rate le snap et laisse s’envoler trois points qui auraient fait un bien fou. Oubliez le jeu au sol, Rich Gannon bombarde comme un sauvage. 8 passes. Ratées, réussies, peu importe, les Californiens se rapprochent de la peinture. Et sur un lancer victorieux de 48 yards en direction de l’éternel Jerry Rice, ils se mettent soudainement à y croire dur comme fer. Après avoir encaissé 34 points sans la moindre réponse, ni le moindre signe de révolte, ils viennent de coller trois touchdowns à l’infernale défense de Tampa dans un 4e quart-temps délirant. Jerry Porter a beau attraper le ballon dans le traffic sur la conversion, il atterrit en dehors des limites, bien aidé par un marquage plus que limite. Troisième échec fatal. Les Raiders viennent de laisser filer 6 points indispensables. 34-21.

Si les Bucs sont contraints de punter sur la série suivante, c’est après avoir bien pris soin de faire s’envoler de précieuses secondes. Les Raiders s’accrochent tant bien que mal à l’infime espoir. Comme suspendus du bout des doigts au bord du précipice. Et quand Warren Sapp envoie Rich Gannon s’écraser contre le sol et échapper le cuir, ce sont quelques doigts qui glissent de la prise. Le cuir reste dans les mains californiennes. Mais le vide se rapproche. Sur l’action suivante, c’est la chute. Derrick Brooks intercepte le ballon et s’envole dans la peinture… 44 yards plus loin, lui aussi. De sa position de commentateur, la voix des Buccaneers exulte.

« Et c’est le coup de poignard ! Nous allons gagner le Super Bowl ! »

Pour l’honneur Gannon enchaîne quelques passes qui font avancer le ballon avant que Dwight Smith ne s’offre un fabuleux doublé à 12 secondes du terme sur une passe détournée. Le safety s’engouffre dans un boulevard de 50 yards sous les cris hystériques d’un Jon Gruden aux anges. 48-21. Le carnage aura été total. Après une première mi-temps où rien n’aura vraiment fonctionné et malgré un soubresaut qui aura eu pour mérite de vaguement relancer l’intérêt du match, le second acte aura tourné à la boucherie pure et simple.

« Il ne pouvait rien nous arriver. Rien, » tranchera un Warren Sapp heureux comme un gamin.

Qu’elle est loin soudainement l’époque où les Buccaneers et leurs délicieux uniformes oranges se faisaient écrabouiller sans une once de compassion et perdaient les 26 premières rencontres de leur piteuse existence. Arrivé en messie, Jon Gruden aura tiré du néant une franchise plongée dans les abysses depuis ses premiers jours. À 39 ans, ce maniaque de l’attaque affublé d’un génie défensif devient le plus jeune coach à remporter un Super Bowl. Pour le tacticien, un savoureuse revanche sur une franchise qui l’aura vulgairement monnayé. Pour les Buccaneers, une magnifique revanche sur un bien triste passé. Pour le propriétaire Malcolm Glazer, une éclatante revanche sur tous ceux qui avaient raillé sa course effrénée pour un nouveau coach. Un an plus tôt, il courrait après Bill Parcells et Steve Mariucci pour faire oublier les vieux uniformes oranges délavés symboles de la nullité des Bucs des premières années.

« Il est tombé du ciel pour nous porter au paradis. Nous attendions l’homme providentiel et il est finalement arrivé, Jon Gruden, » confiera un Glazer conquis.

Triomphant, le vaisseau de Tampa remet les voiles vers la Floride, laissant derrière lui l’épave fumante de Raiders agonisants.

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