[Super Bowl Stories] Épisode XLII : The Helmet Catch

À 9 semaines du Super Bowl LII, épisode 42 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XLII

À 9 semaines du Super Bowl LII, épisode 42 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XLII.

New York Giants (NFC) vs. New England Patriots (AFC) – 3 février 2008

Super Bowl XLII logo

18 matchs. 18 rêves. 18 victoires. Bercés par la douce mélodie du succès dominical, les Patriots se sentent envahis par un sentiment d’invincibilité. La victoire fait partie d’eux. La défaite leur est étrangère. Irrésistibles en attaque, intelligents en défense, jamais ils ne tremblent. Mais à trop prendre goût au succès, on en oublie le goût du revers. Pire, on en oublie la peur. Un match. Un cauchemar. Une défaite. Celle qu’il fallait éviter à tout prix. De plus-que-parfaits à presque parfaits, il n’y a qu’un catch.

L’imperfection vs. La perfection

En 2003, trois ans après leur rendez-vous raté du Super Bowl XXXV, les Giants sombrent. 4 succès, 12 revers, leur pire saison depuis 20 ans. L’expérience Kerry Collins est un échec, un grand ménage s’impose. Le quarterback n’est pas conservé, Jim Fassel est débarqué, l’effectif subit une véritable saignée. Avec le 4e choix général, deux options s’imposent : Robert Gallery, offensive tackle d’Iowa ou Ben Roethlisberger, quarterback de Miami dans l’Ohio. 1st overall pick tout désigné, Eli Manning semble hors de portée. En 1ère position, les Chargers ne feront pas l’impasse sur la star d’Ole Miss. Seulement, le Joueur Offensif de l’Année dans la SEC a été clair : jamais il ne portera l’uniforme des Bolts. Hors de question. Même s’il était drafté par San Diego, jamais il ne signerait. Pourquoi ? Parce qu’Eli n’aimerait pas vraiment la façon dont les Chargers géreraient leurs quarterbacks, à commencer par Drew Brees, confiera Archie Manning. NYC saute sur l’occasion, et les deux franchises concluent un deal. Une poignée de main qui va sceller l’avenir des deux équipes pour les 15 années à venir. Les Chargers draftent Eli, les Giants Philip Rivers. Jamais Eli ne jouera pour San Diego, jamais Rivers ne jouera pour New York. Manning est immédiatement envoyé dans la Grosse Pomme pendant que le phénomène aérien du Wolfpack de NC State s’envole pour le sud de la Californie avec deux choix de 2005 dans ses valises.

Après une saison de rookie sans relief, passée à jouer le yo-yo entre un rôle de doublure de Kurt Warner et une place de titulaire, Eli est officiellement nommé starter en 2005. Sous les ordres de Tom Coughlin, débarqué lui aussi un an plus tôt, il décroche le titre de la NFC Est et un billet pour les playoffs. Un petit tour et puis s’en va. Un an plus tard, malgré un bien médiocre 8-8, les G-Men se hissent miraculeusement en séries. Un miracle de courte durée. Ils sont éliminés dès le premier tour par les Eagles. Malgré de belles promesses, le plus jeune des Mannings peine à emboîter le pas de son illustre grand frère et n’échappe pas aux comparaisons avec ses potes de la cuvée 2004. Car si Rivers reste dans l’ombre du génial LaDainian Tomlinson et galère, lui aussi, à briller en séries, Big Ben, drafté en 11e place éclabousse la ligue de son insolence. Rookie Offensif de l’Année en 2004, il remporte le Super Bowl XL un an plus tard et met une pression monstre sur le passeur des Géants. « Valait-il vraiment un premier choix général ? » commencent à s’interroger les plus sceptiques des observateurs.

À l’aube de la saison 2007 pourtant, les attentes ne volent pas bien haut. À même pas 29 ans, Tiki Barber raccroche les crampons et laisse un quarterback jeune et encore trop tendre seul aux commandes d’une attaque soudainement orpheline de son âme et de ses jambes. Après 3 semaines, les doutes se transforment en critiques de moins en moins voilées. Battu malgré 4 touchdowns à Dallas, dominé par les Packers au Giants Stadium, le passeur est la cible idéale. 7 semaines plus tard, après 6 succès consécutifs, il savoure sereinement sa semaine de congé. 3336 yards, 23 touchdowns, 20 interceptions, le quarterback fait honneur à sa réputation de lanceur prolifique, mais maladroit. Passeur le plus intercepté de la ligue, il a la fâcheuse habitude de s’effondrer. Comme en semaine 12 face aux Vikings. 4 interceptions, 3 pick-6. De retour de leur by week, les protégés de Coughlin sont incapables de l’emporter à domicile. 4 matchs, 4 défaites. En semaine 17, malgré 4 touchdowns d’Eli, ils ne peuvent priver les Patriots de la saison parfaite. 16-0.

Tiki Barber à la retraite, Derrick Ward blessé, les Géants s’en remettent à un autre Géant. 1 mètre 94, 120 kilos, des mensurations à vous pisser dessus. Surtout lorsqu’elles arrivent lancées à pleine vitesse dans votre direction. Un OVNI dans une NFL plus habituée aux coureurs compacts. Brandon Jacobs avale 1009 yards au sol et marque un total de 6 touchdowns. Malgré 4 semaines d’absence, Ward ajoute 602 unités et croise 4 fois la ligne. Dans les airs, seul survivant du Super Bowl XXXV avec Michael Strahan, Amani Toomer conquit 760 yards et marque 4 fois, pendant que l’interminable Plaxico Burress et son mètre 96 attrapent 70 ballons pour 1050 yards et 12 touchdowns. Dans un rôle de soupape de sécurité, le tight end Jeremy Shockey ajoute plus de 600 yards et 3 touchdowns.

En défense, tout se passe près de la ligne. Seul Pro Bowler de toute l’équipe, un cas unique pour une équipe en route vers le Super Bowl, Osi Umenyiora ses13 sacks et 5 fumbles forcés emmènent un pass rush porté par un trident d’enfer. Osi himself, Justin Tuck et ses 10 sacks, et Michael Strahan et ses dents du bonheur. Avec 9 sacks, Strahan fait monter son total en carrière à 141,5 et détrône la légende Lawrence Taylor. Dans le fond du terrain, pas de stars, mais du solide. Disciplinés à défaut de déborder de talent, les Giants établissent un record de franchise. Deux ans après 146 pénalités tristement historiques, ils ne concèdent que 77 sanctions. Après 7 ans de disette, les G-Men remportent enfin un match de playoffs. Puis un deuxième. Puis un troisième. À chaque fois, loin d’un Giants Stadium qui leur porte la mouise. À l’inverse, Eli & Co voyagent mieux que personne. Depuis leur revers au Texas Stadium en ouverture, ils n’ont pas connu la moindre défaite loin de chez eux. 7 en saison régulière, 3 en séries. 10 victoires consécutives sur la route en une saison, du jamais vu dans l’histoire de la NFL. Les Bucs battus dans leur galion de Tampa, les Géants surprennent des Cowboys pourtant forts du meilleur bilan de la conférence, avant d’aller dompter Brett Favre et le thermomètre dans le 3e match le plus froid de l’histoire (-31 degrés en température ressentie). Pour la première fois de l’histoire de la NFC, une franchise remporte ses trois matchs à l’étranger pour s’ouvrir les portes du Super Bowl.

Dans la grande banlieue de Boston, on est toujours sous le choc d’une finale AFC cauchemardesque en janvier dernier. Devant 21-3 à la pause, les Patriots auront cédé dans le deuxième acte pour laisser les Colts s’envoler vers le titre. Dur à avaler pour une franchise si souvent triomphante. David Givens laissé libre, Deion Branch échangé un an plus tôt, le chantier de l’intersaison est tout désigné. Donté Stallworth free agent, Wes Welker et Randy Moss tradés en provenance de Miami et Oakland. En un printemps, Tom Brady se retrouve équipé pour l’hiver. Ce même printemps, les Patriots perdent l’un des leurs. Drafté au 2e tour en 2004 en provenance de LSU, le defensive end Marquise Hill se noie dans un accident de jet ski sur le lac Pontchartrain, le 27 mai 2007. S’il sauve la vie de son amie, son corps sans vie sera retrouvé le lendemain. Pendant toute la saison, les Pats arboreront une pastille noire floquée du numéro 91 sur l’arrière de leurs casques.

Le deuil passé, prêts à repartir à la chasse au titre, 3 ans après le sacre du Super Bowl XXXIX, les hommes de Belichick impriment un rythme intenable d’entrée. 38-14 une fois. 38-14 deux fois. Dans la tourmente du Spygate, les Pats remportent leurs deux premiers matchs sur le même score. Deux démonstrations de force qui en appelleront de nombreuses. 38 points de nouveau en semaine 3, puis 34 coup sur coup, 48, 49, 52 ! La machine à marquer de la Nouvelle-Angleterre impose une cadence démentielle. Impossible à suivre. Dans les airs, Tom Brady se goinfre. Armé d’une soupape de sécurité de luxe et d’un marqueur né, il rayonne. 4806 yards, 50 touchdowns records qui font voler en éclat ses 28 lancers victorieux de 2002 et 2004, le quarterback est sur une autre planète. Seulement 8 interceptions, la deuxième meilleure évaluation de l’histoire (117,2), MVP et Joueur Offensif de l’Année incontestables, il porte sur ses épaules une attaque record qui relègue le Greatest Show on Turf aux oubliettes. 589 points, une moyenne folle de 36,8 pions par match, 75 touchdowns, un différentiel de points vertigineux de +315, les Pats réécrivent l’histoire d’une NFL plus que jamais obsédée par les airs. Un talent hors norme et un casting 5 étoiles pour l’entourer. Seul T.J. Houshmandzadeh attrape autant de ballons que Wes Welker. 112 réceptions, 1175 yards et 8 touchdowns. Des choix de 2e et 7e tours bien investis. Après avoir connu la pire saison de sa carrière dans la baie de San Francisco, Randy Moss renoue avec ses années violettes. 98 réceptions, 1493 yards et 23 touchdowns records. Dans l’ombre de ces deux monstres, Donté Stallworth et Benjamin Watson ajoutent à eu deux près de 1100 yards et 9 touchdowns.

Au sol, on la joue moins tape à l’œil. Draftés au premier tour un an plus tôt, Laurence Maroney et ses dreads sont catapultés titulaires après le départ à la retraite de Corey Dillon au printemps. Avec 835 yards et 6 touchdowns, il exploite les failles dans des défenses trop occupées à vainement tenter de verrouiller la voie des airs. Malgré une blessure qui précipite sa fin de saison et le privera de Super Bowl, Sammy Morris ajoute 385 yards et 3 touchdowns, pendant que le vétéran Kevin Faulk se mue en 3rd down back fiable dans la foulée d’une ligne offensive portée par les Pro Bowlers Logan Mankins, Matt Light et Dan Koppen. Attaque la plus éclatante et destructrice de sa génération, New England annihile toute concurrence grâce à une défense tout aussi redoutable. 4e de la ligue, elle ne concède que 274 points. Montagne de gras et de muscle, Vince Wilfork est la pierre angulaire d’une ligne offensive sans véritable star. Derrière, le quadruple poumon aux 16 Pro Bowls. Un Mike Vrabel au sommet de son art, avec 12,5 sacks et 5 fumbles forcés, le nouveau venu en provenance de Baltimore Adalius Thomas et ses 6 sacks, l’abonné d’Hawaï Junior Seau, reparti pour une 18e saison, et Tedy Bruschi et ses 92 plaquages. Au fond du terrain, Asante Samuel vole 6 ballons dans les airs et file à Honolulu en fin de saison.

En semaine 17, les Pats domptent les Giants dans un match haletant et entrent dans l’histoire. Partie sans véritable enjeu sportif pour deux équipes déjà assurées de leurs places en séries, la rencontre est pourtant l’une des plus regardées de l’histoire de la NFL. La franchise de Foxboro va-t-elle le faire ? Quelques heures avant le match prévu en primetime le samedi soir sur les ondes de NFL Network, CBS et NBC sortent le chéquier et s’adjugent toutes les deux les droits. Une rencontre, trois diffuseurs, dont deux réseaux nationaux. Du jamais vu depuis le Super Bowl I. Devant des millions de téléspectateurs, New England entre dans l’histoire. Les Dolphins de 1972 (14-0), les Bears de 1942 (11-0), ceux de 1934 (13-) et désormais, les Patriots de 2007. 16-0. Immense. En playoffs, le rêve se prolonge. Les Jaguars et les Chargers matés malgré un Tom Brady intercepté 3 fois en finale de conférence, les Pats poursuivent leur incroyable série et prennent rendez-vous avec l’histoire. Un match pour la perfection. Après 18 victoires éclatantes, plus qu’une à aller cueillir. Celle qui compte le plus.

Salut les musclés !

Si les Patriots, forts de leurs 18 succès d’affilée, sont donnés vainqueurs par une vaste majorité d’observateurs, les Giants ressemblent au parfait trouble-fête. Invaincus depuis 10 matchs à l’extérieur, qualifiés en finale après 3 victoires décrochées sur la route face à des formations pourtant données gagnantes, l’étiquette d’underdog leur va trop bien. Trop pour ne pas jouer un coup au University of Phoenix Stadium. La victoire arrachée par les Pats en semaine 17 (35-38) a tout d’un avertissement sans frais. Menés de 12 points dans le 3e quart-temps, le plus gros déficit qu’ils aient eu à remonter de toute la saison, ils avaient su trouver les ressources pour revenir, mais non sans quelques sueurs froides.

« Il n’y a que du positif, » avait glissé Tom Coughlin après la rencontre. « J’avais dit à mes joueurs avant le match, il n’y aura que du positif, rien de négatif, et c’est exactement comme ça que je le ressens. Je ne connais pas de meilleures façon de préparer les playoffs que d’affronter une équipe 15-0. »

Parfaitement au point, briefés comme un commando prêt à lancer l’assaut, les Giants attaquent le match avec une stratégie simple : garder le ballon le plus loin possible de Tom Brady et son incroyable puissance de feu. Pendant 10 minutes, le quarterback des Pats va être le spectateur impuissant d’un interminable drive. Brandon Jacobs et Ahmad Bradshaw, rookie qui profite de la blessure de Derrick Ward pour s’offrir un temps de jeu inespéré, grappillent 2 yards par-ci, 4 yards par-là à coup de bon vieux power running bien bourrin. Dans les airs, Eli la joue minimaliste et distribue quelques timides passes en direction de Plaxico Burress et Steve Smith. Les Giants avancent à un train de sénateur. Soporifique à souhait, mais relativement efficace. Après 16 jeux, 63 yards et 9 minutes 59 d’un drive à n’en plus finir, Laurence Tynes débloque le compteur. La plus longue série offensive jamais orchestrée lors d’un Super Bowl. La réplique est toute aussi lente. Mis sur orbite par un retour de 43 yards de Laurence Maroney, les Pats adoptent la même tactique. Celle de la prudence. Maroney trouve quelques failles au sol, Brady s’échauffe dans le secteur court, visite toute l’étendue de son arsenal et les protégés de Bill Belichick exploitent parfaitement une interférence défensive d’Antonio Pierce qui balance son bras contre le casque de Benjamin Watson dans le fond de la endzone et dépose les Patriots à un yard de l’en-but. Laurence Maroney se mange Justin Tuck dans la tronche sur la première tentative avant de plonger dans la peinture sur la première action du 2e quart-temps. Déjà. 7-3.

Le coup d’envoi de Stephen Gostkowski parti mourir en-dehors des limites du terrain, les Géants débutent sur leurs 40. Sur un 3e essai, Eli Manning dégaine de loin et trouve les mains d’un Amani Toomer qui joue les acrobates en bord de touche, 38 yards plus loin. Jacobs fait 4 yards en avant, une pénalité pour delay of game renvoie les G-Men 5 yards en arrière, David Tyree attrape un lancer court et les New-Yorkais se retrouvent à 14 yards de la ligne. Irréprochables tout au long de leur parcours de rêve en playoffs, les hommes de Coughlin sont soudainement rattrapés par un mal auxquels ils avaient échappés depuis des semaines : les erreurs. Manning envoie une passe courte et basse vers Steve Smith, le rookie cafouille, le ballon ricoche contre ses bras et atterrit dans ceux d’Ellis Hobbs. Interception. La première d’Eli depuis le début des séries. Si Laurence Maroney trouve 8 yards dans les airs, il se bouffe un mur au sol et les Pats sont incapables de capitaliser. Coup d’envoi d’un long et stérile échange de punts. Étoiles de l’attaque aérienne de la Nouvelle-Angleterre, Randy Moss est muselé. Mais il s’en fout. Tout ce qui l’importe, c’est la victoire.

« C’est mon premier Super Bowl, vous pourriez vous attendre à ce que je vous dise vouloir le ballon à tout prix ou vouloir empiler les yards, » confiait-il au NY Times dans la semaine de pression. « Mais rendu là, je veux juste gagner. »

Et il n’est pas le seul. Ahmad Bradshaw foire un échange avec Eli, échappe le ballon, mais parvient miraculeusement à le conserver sous une pile de joueurs à vous broyer les os en l’arrachent des bras d’un défenseur. Avertissement sans frais. Frappé encore et encore, Tom Brady se mange deux sacks à répétition. Jeu au sol paralysé, jeu profond maîtrisé, audibles parfaitement décryptés par le coordinateur défensif Steve Spagnuolo et ses hommes, la défense de Big Apple est en train de semer le doute dans une attaque pourtant si sûre de ses forces et de son plan de jeu. De toute la saison, jamais elle n’a vraiment douté. Propulsé jusqu’aux 25 de New England par les courses tout en puissance des coureurs new-yorkais, Manning se fait sacker et arracher le cuir des mains par Adalius Thomas. Steve Smith se rattrape de son intervention en plongeant sur un ballon baladeur, mais Ahmad Brashaw est épinglé pour avoir volontairement tapé dedans vers l’avant avant que le receveur ne s’en saisisse. Les Géants reculent de 14 yards et choisissent de punter.

« Il faut jouer à la perfection pour battre l’équipe parfaite, » lâche le commentateur des Giants.

Parfaits, les G-Men ne le sont pas. Mais malgré d’inhabituelles erreurs offensives, les Giants sont loin d’être désastreux, parviennent à couper les jambes de l’attaque d’ordinaire endiablée de Foxboro et sauvent miraculeusement leur peau. Avec une minutes et 47 secondes à jouer, le magicien Tom Brady entre en jeu. Objectif endzone. Entre deux lancers de 18 yards en direction de Stallworth et Moss, le jeu au sol patine, le quarterback distribue quelques ballons dans le secteur court, gaspille tous ses temps morts et avance péniblement jusqu’aux 44 de New-York. Avec 22 secondes au compteur, Brady se fait prendre en sandwich par Justin Tuck et Osi Umenyiora, le ballon glisse de ses mains et la défense des Géants plonge dessus. Turnover. 30 premières minutes résumées en une action. La magie n’aura pas vraiment opéré. Eli Manning s’essaie par deux fois en direction de Steve Smith. Sans grand succès. C’est la mi-temps. Au terme d’un premier acte accroché, éprouvant pour les organismes et verrouillé par des défenses rentre dedans, Tom Brady quitte le terrain, Tom Petty entre en scène.

Runnin’ Down a Dream

Harassé par des blitz déguisés, un pass rush imaginatif, des linebackers qui feignent de glisser en couverture pour mieux s’engouffrer dans la brèche et lui sauter à la gorge, Tom Brady n’est pas Tom Brady. Passes hors tempo, ballons trop courts et imprécis, Randy Moss doit se contenter de miettes et c’est toute l’attaque pourtant si bien huilée de La Nouvelle-Angleterre qui vacille. Jamais en 18 matchs le numéro 12 n’avait autant été mis à l’épreuve. Devant à la pause, les Pats n’ont pas l’esprit serein. Il leur faut marquer un grand coup d’entrée de second acte. Surtout, il leur faut trouver un moyen de contrer le pass rush créatif et survitaminé des G-Men. 30 minutes pour la perfection. 30 minutes pour l’histoire.

Laurence Maroney au sol, Wes Welker dans le petit périmètre, les Patriots avancent prudemment, mais sans grand succès. Sur un 3e et 5 quelques mètre dans le camp new-yorkais, Kevin Faulk est neutralisé. Les joueurs de Foxboro s’apprêtent à punter quand Bill Belichick balance son mouchoir rouge. Œil de lynx ou information venue d’en haut, toujours est-il que le coach a vu un 12e homme traîner dans la défense des Géants. Les images sont formelles, Chase Blackburn n’est pas sorti à temps des limites du terrain et offre aux Patriots un premier essai inespéré. Un petit cadeau que Michael Strahan va s’appliquer à ruiner. Sur ses propres 25, le defensive end exploite des schémas de bloques percés au grand jour, renvoie Tom Brady 6 yards en arrière et force le coach de New England à faire un choix. 4th & 13. L’audace ou la raison ? Le stratège choisit le panache, Tom Brady loupe Jabar Gaffney et les Pats repartent bredouille. Ils voulaient envoyer un message. Il vient de se perdre dans le sable de l’Arizona. Impuissants en attaque, les Patriots s’en remettent à leur défense.

« S’ils ne marquent pas, on gagne, » lance Pepper Johnson, coach de la ligne défensive.

Une évidence. Facile à dire. Un peu moins à faire. Si les deux équipes parviennent à se hisser au milieu du terrain, et même à s’aventurer en territoire ennemi pour ce qui est des Giants, impossible de se rapprocher de suffisamment près. Les deux formations s’échangent les punts et pénètrent dans l’ultime quart-temps la peur au ventre. La moindre erreur sera fatale. Muets depuis leur ouverture du score, tôt dans le match, les New-Yorkais doivent impérativement resserrer l’écart à défaut de parvenir à passer devant. De ses 20 yards, bien assis dans son fauteuil, Eli ajuste une passe parfaite pour un Kevin Boss pourtant bien marqué, mais qui exploite à merveille ses centimètres pour battre le safety. Le tight end embarque les défenseurs sur son dos et cavale au milieu du terrain avant d’être fauché pour un gain de 45 yards qui électrise un University of Phoenix Stadium jusque-là sevré de football offensif un brin enlevé. Ahmad Bradshaw grignote quelques mètres, Steve Smith bondit de 17 yards jusque dans la redzone et Manning déjoue la couverture des Pats en exécutant une play action pass supersonique et millimétrée dans les gants de David Tyree. Les Giants virent en tête. 10-7. Il reste moins de 10 minutes. Eli Manning peut hurler sa rage et gonfler ses biceps comme un fou furieux, il vient sonner un grand coup au terme d’une série offensive magistrale de maîtrise et de sang froid.

De sang froid, Tom Brady n’en manque pas. Et si les deux formations s’offrent un nouvel échange de punts qui fait grimper la pression, avec un peu moins de 8 minutes à disputer, le passeur des Pats se retrouve dans la position qu’il préfère. Celle du chasseur. Armé de son bras et de toute sa science du jeu, il s’en va chasser l’histoire. Elle aussi muette depuis le touchdown de  Laurence Maroney il y a déjà trois plombes. l’attaque de la Nouvelle-Angleterre doit trouver des solutions. Et vite. 15 yards dans les airs en deux temps, 9 au sol. Les Patriots trouvent des faillent. Souvent en shotgun, Brady lâche le ballon aussi vite que possible pour déjouer le pass rush agressif des G-Men et s’en remet aux mains de fées de Wes Welker et Randy Moss. 10 yards, 4, 10, 11, 12, avec 2 minutes et 55 secondes à jouer, les hommes de Belichick se retrouvent à 6 yards de la libération. Impuissants, les Giants voient les secondes s’envoler à toute vitesse. À gauche pour Randy Moss. raté. À droite pour Wes Welker, raté. 3rd & goal. Brady ne lâche pas du regard son longiligne numéro 81 et ajuste une passe de 6 yards sans trembler dans les bras de son receveur. Touchdown. 14-10. Le cul par terre, incapable de maintenir son équilibre face à Moss, Corey Webster ne peut que contempler les dégâts.

Il reste 2 minutes et 39 secondes à jouer et 83 yards à combler. Prédateur habituels des fins de Super Bowls, les Patriots se muent en proie. Moins de 3 minutes à tenir pour accomplir la perfection. Moins de 3 minutes pour marquer et accomplir un exploit. Fin de match irrespirable. L’histoire est en route. Tom Brady vient de faire sa part du travail, au tour de la défense d’accomplir la sienne.

« 17… 17-14 score final, ok ? 17-14 les gars. Un touchdown et nous sommes champions du monde. Croyez-y et ça se réalisera, » lance Michael Strahan à la face d’une ligne offensive qui n’aura pas droit à la moindre erreur.

 Après un premier lancer de 11 yards dans les mains d’Amani Toomer, Manning rate sa cible deux fois. Sur le 3e essai, il lui faut 10 yards, il n’en trouve que 9. 4th & 1. Le match ne tient qu’à un fil. Brandon Jacobs ne flanche pas et impose son physique de mammouth pour décrocher 2 yards libérateurs. Eli fuit le pass rush et débusque 5 yards avec ses jambes et les Giants grillent leur premier temps mort. Plus que 80 secondes. Sur un long lancer en bord de terrain, le quarterback est à deux doigts de trouver les mains du rookie Brandon Meriweather. Les deux mains sur le casque, la gueule grande ouverte vers le ciel, le safety n’en croit pas ses yeux. Il tenait le match au creux de ses gants. Un frisson vient de traverser le table. Un première secousse. Prémisse du tremblement de terre qui s’apprête à frapper le désert de l’Arizona.

Shotgun. Eli Manning se saisit d’un snap un peu bas, recule de quatre pas, sent l’étau se refermer autour de lui, tente de s’échapper vers l’avant, esquive de justesse Adalius Thomas, résiste miraculeusement aux mains accrocheuses de Jarvis Green et Richard Seymour dans la mêlée, agrippées à son maillot, pour sortir de la pression après avoir échappé 3 sacks et balancer une longue passe vers David Tyree. Le reste fait partie de la légende. En reculant et en lévitation, le receveur s’élève plus haut que Rodney Harrison, parvient à capter le ballon du bout des doigts, l’écraser contre son casque dans sa chute, conserver la possession et éviter le contact du sol malgré un bras adverse enroulé contre son biceps. Sismique. Impensable. Fabuleux. The Greatest Play in Super Bowl History. Un des catchs les plus invraisemblables de l’histoire. Et pourtant, à l’entraînement plus tôt dans la journée le receveur n’était pas foutu d’attraper la moindre passe.

« Quand tu es receveur et que tu laisses filer deux passes à l’entraînement, c’est un mauvais jour, » racontait Tyree à ESPN en 2011. « Je ne sais pas quelle sorte de journée j’ai eu alors, parce que j’ai dû rater 5 ou 6 ballons. »

Comment Eli a-t-il réussi à sortir du tourbillon ? Même l’arbitre Mike Carey n’en croit pas ses yeux. Il était à deux doigts de siffler confiera-t-il au NY Daily News. Comment David Tyree est-il parvenu à s’extraire de la garde de Rodney Harrison ? Même des années plus tard, le safety Pro Bowler n’en sait rien.

« Je n’arrivais pas à y croire, » confiait-t-il en 2011. « J’étais dévasté parce que je savais que j’avais fait tout ce qui était en mon pouvoir. Je sais que je suis plus fort que je ce gars, je suis plus puissant, je suis un joueur un physique. Mon boulot est de couper les receveurs du ballon, et 99% du temps, c’est ce qui se passe. »

Pas cette fois. David Tyree le sait, ça n’est pas le meilleur receveur. Un bon joueur, oui. Un grand, non. Seulement, au fond de lui, il sait qu’il est le genre de joueur à briller le moment venu, quand personne ne l’attend. Quelques mois après que sa mère se soit éteinte, il est partagé entre une vide immense et une joie sans limite. Il vient de réaliser un véritable exploit.

« Je n’arrive pas à me souvenir s’il a touché le ballon, » expliquait-il à propose d’Harrison. « Je sais qu’il a fait un super job. Tout ce dont je me souviens, c’est que le temps d’un quart de seconde, j’ai eu deux mains sur le ballon. Un dixième de seconde même, et tout d’un coup il arrache totalement une de mes mains du ballon, et là je me dis plus qu’une seule chose, ‘Pas question que je lâche ce ballon.' »

Ça n’arrivera pas. Génie ou miracle ? Un peu des deux. Comme Tom Petty le chantonnait à la mi-temps, les New-Yorkais se baladent en plein rêve. Runnin’ Down a Dream.

Dans un stade en ébullition, Eli ne perd pas son sang froid et appelle un temps mort. Sacké par Adalius Thomas sur l’action suivante, il grille le dernier. Plus de joker. Manning trouve les gants de Steve Smith et les Géants se retrouvent à 10 yards de la peinture. Il reste 39 secondes à jouer, comme Tom Brady quelques minutes plus tôt, Eli connaît déjà la destination du ballon. Le cuir à peine dans les mains, il tourne immédiatement la tête à gauche et enroule un floater dans le coin en direction des grands segments de Plaxico Burress. Slant-and-go, le receveur feinte un slant vers l’intérieur pour mieux s’enfuir vers le coin de la endzone, laisse Ellis Hobbs sur le cul, se retrouve seul au monde et, sans opposition, fait rugir le University of Phoenix Stadium. 17-14. À 29 secondes de la fin, les Giants chavirent en tête. Ils chavirent en plein bonheur.

À 29 secondes du terme de la saison, les Pats n’ont jamais autant senti le souffle glaçant de la défaite leur brûler l’échine. Jamais leur saison parfaite n’a été aussi proche de prendre fin. Passe ratée, sack, temps mort. Passe ratée, temps mort. 4th & 20, Hail Mary, Brady dégaine de toutes ses forces vers un Randy Moss pris en double couverture. Jamais il ne touchera au ballon. Jeu, set et match. Douche de Gatorade pour Tom Coughlin. Douche froide polaire pour Bill Belichick. À 42 ans, le Super Bowl vient d’accoucher de son plus incroyable dénouement. Moins étourdissant que le Super Bowl XXXIV, mais plus invraisemblable encore que le Super Bowl III. Dans la nuit de l’Arizona, les Patriots, si parfaits pendant 18 matchs, auront été dominés par des Giants au plus-que-parfait.

« En général, nous somme du bon côté de ces victoires par 3 points, » lâchera Tom Brady, vainqueur de trois Super Bowls par… 3 points.

Si souvent décrié, si souvent comparé, Eli Manning aura su livrer une prestation grandiose dans un quatrième quart-temps suffocant. Comme Peyton son aîné, il est allé chercher un titre. Comme Ben Roethlisberger, son rival à distance de la promo 2004, il est allé chercher un titre. Mieux qu’aucun des deux, sous les yeux de 148,3 millions de téléspectateurs records, Eli vient d’écrire l’une des plus belles pages de l’histoire de la NFL. 3 victoires sur la route, un succès final aussi gigantesque qu’improbable face à une équipe en route vers la perfection. Les Giants viennent de réaliser quelque chose de géant. Tout simplement.

Partagez cet article sur : Twitter Facebook
Afficher les commentaires