[Super Bowl Stories] Épisode XLIX : New England, renversant

À 2 semaines du Super Bowl LII, épisode 49 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XLIX.

À 2 semaines du Super Bowl LII, épisode 49 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XLIX.

New England Patriots (AFC) vs. Seattle Seahawks (NFC) – 1er février 2015

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Renouer avec l’histoire ou réécrire l’histoire. Imiter les Packers de 67-68, les Dolphins de 73-74, les Steelers de 75-76 et 79-80, les 49ers de 89-90, les Cowboys de 93-94 ou les Broncos de 98-99 en devenant la première franchise à conserver son titre depuis les Patriots de 2004-2005. Les Seahawks en rêvent. Portés par une défense historique, digne des Bears de 85 ou des Ravens de 2001, les Légions de Pete Carroll y croient dur comme fer. Effacer deux immenses désillusions pour de nouveau embrasser leurs succès du début du millénaire et écrire une nouvelle page dorée de leur brillante histoire, les Pats y sont résolus. Après 10 années d’exploits sans titres, les Patriots sont en mission. Leur grand retour a sonné. Un troisième Super Bowl malheureux ? Hors de question.

Choc des cultures

Sur le toit du monde. Consacrés dans un Super Bowl XLVIII à sens unique quelques mois plus tôt au terme d’une campagne 2013 dominée de bout en bout, les Seahawks envoient un message à la ligue dès les premières semaines : comptez-sur nous. En ouverture, dans leur antre assourdissant du CenturyLink Field, les protégés de Pete Carroll se font un vin et fromage entre potes, limitent Aaron Rodgers à moins de 200 yards et écrabouillent les Packers (36-16). Battus à San Diego une semaine plus tard, ils remettent les pendules à l’heure à la maison en bâtant les Broncos dans un remake du Super Bowl qui aurait eu nettement plus de gueule que leur balade dominicale de février, emmerdante et frustrante à souhait pour tout fan neutre avide d’une rencontre enlevée et indécise. En prolongations, Marshawn Lynch pique une tête dans la peinture et délivre toute une ville. Pourtant, malgré deux victoires références, après un mois et demi de compétition, les Seahawks sont dans le flou. 3-3, une défense qui tourne à 23,5 points à des années lumières de ses standards, la gueule de bois. Face à des Cowboys lancés dans une série de 6 victoires consécutives et des Rams qui aiment tant leur foutre des bâtons dans les roues, les Balbuzards s’inclinent coup sur coup et sont rattrapés par le doute. Plus pour longtemps. Seattle ne s’incline qu’une fois en novembre à KC et enclenche le mode playoffs en décembre. Injouables. Le revers face aux Chiefs passé, la Legion of Boom se met en branle.

3 points face aux Cards et Niners. 14 à Philly. 7 face aux 49ers. 6 dans l’Arizona. Autant en clôture face aux Rams. Pendant les 6 dernières semaines, la défense n’encaisse que 6,5 points en moyenne par match. 9 victoires en 10 rencontres pour une fin de saison en roue libre. 5 fois, ils ne concèderont pas le moindre touchdown, ne laissant à leurs adversaires que des miettes. Des 10 derniers quart-temps de la saison régulière, ils n’en concèdent pas le moindre. Juste 4 ridicules field goals. 267,1. Ils sont la seule formation à accorder moins de 300 yards par match. 185,6 dans les airs, personne ne fait mieux. 81,5 au sol, seuls les Lions et Broncos font mieux. Malgré un début de saison manqué, le rideau défensif de Seattle n’encaisse que 15,9 points par match. Animé par Michael Bennett et ses 7 sacks, le pass rush envoie 37 quarterbacks au tapis. Outside linebacker en 4-3 classique, defensive end sur la Nickel Wide 9 de Seattle, Bruce Irvin et son physique de titan signent 6,5 sacks et retournent 2 interceptions à dam. En semaine 8 face aux Panthers, il lui faut moins d’une minute pour envoyer Cam brouter le gazon coup sur coup et sceller la victoire. 211 plaquages, 4 sacks partagés à parts égales, 7 passes défendues et 3 fumbles forcés, K.J. Wright et Bobby Wagner fauchent tout ceux qui ont l’audace s’aventurer dans leur secteur. Ultime rempart, une Legion of Boom impitoyable. Kam Chancellor, son physique de buffle, sa soixantaine de plaquages, ses 6 ballons détournés et ses deux turnovers, Richard Sherman, ses 8 passes déviées et 4 interceptions, Earl Thomas, ses 97 plaquages, 5 deflections et 4 revirements. Trois Pro Bowlers. Trois All-Pro. Trois emmerdeurs.

La même recette en défense, la même recette en attaque. 3475 yards, 20 touchdowns et 7 interceptions. Toujours aussi appliqué et toujours aussi souvent sacké (42 fois), Russell Wilson fait parler ses talents d’improvisateur et de scrambler hors pair pour dompter la pression et trouver des solutions avec son bras. Et quand la voie des airs est bouchée, il cavale. Et il cavale bien. 849 yards, 6 touchdowns, 11 ballons lâchés, mais aucun perdu. Mieux que les 815 yards de RGIII en 2012, digne de Michael Vick et Randall Cunningham. Dans les airs, personne au-delà des 1000. Golden Tate parti cueillir un joli chèque à Detroit, Doug Baldwin endosse le costume de numéro un, mais plafonne à 825 yards et 3 touchdowns. Jermaine Kearse ajoute 537 unités et marque une fois pendant que Percy Harvin, Chris Matthews, Ricardo Lockette et le rookie Paul Richardson traversent la saison comme des fantômes. 1306 yards au sol, 367 dans les airs et un total de 17 touchdowns, All-Pro, Pro Bowler, Marshawn Lynch terrorise les run stops adverses et signe une nouvelle saison pleine dans un rôle de moteur nucléaire d’une attaque qui aime courir.

Le titre de la NFC Ouest arraché avec la manière des serres des Cardinals dans le désert en semaine 16, les Seahawks s’assurent la première place de la NFC, une semaine de repos et l’avantage du terrain. À la maison, dans l’humidité de Seattle, ils collent 17 points aux Panthers dans le dernier quart et deviennent le premier champion en titre à gagner un match de playoffs depuis les Pats de 2005. Une semaine plus tard face à des Packers humiliés en semaine 1, Jermaine Kearse joue les sauveurs de la patrie en prolongations et envoie les Balbuzards au Super Bowl au terme d’une finale NFC fabuleuse. Dans l’Arizona, ils iront défendre leur titre.

Conserver sa couronne, du jamais vu depuis les Patriots de 2003-2004. Et pour répéter pareil exploit, il faudra passer sur le corps… des Pats. Des Pats qui courent après un nouveau titre depuis… 2004. Quand l’histoire rencontre l’histoire. Depuis leur couronnement de Jacksonville face aux Eagles 10 ans plus tôt, les protégés de Bill Belichick ont eu le malheur de croiser le chemin d’Eli Manning par deux fois. Deux fois de trop. À chaque fois, la même histoire. Une sale histoire. Il est temps de renouer avec leurs années fastes du début du millénaire. Battus par les Giants et les pieds de Mario Manningham en 2011 à Indy, les joueurs de la Nouvelle-Angleterre se cassent les dents en finale de l’AFC depuis 2 ans. Face aux Ravens en 2012, à Denver l’année passée. Chaque fois le même refrain. 12 victoires, un titre de division qui ressemble à une simple formalité, une orgie de points au premier tour et un mur en plein casque sur la dernière marche les séparant du Super Bowl. Frustrant. Terriblement frustrant. Et quand les Patriots décrochent 12 succès à nouveau en 2014, pas question de laisser l’histoire se répéter une troisième fois.

Au premier tour face aux Ravens, Julian Edelman rappelle à tout le monde qu’il a été quarterback à Ken State et les Pats remontent un déficit de 14 points dans une 2e mi-temps de feu. À une marche du Big Game, pas question de se rater. Face aux Colts d’Andrew Luck, portés par un Tom Brady gonflé à bloc et un LeGarrette Blount qui ne se dégonfle pas, les Patriots écrabouillent les Poulains et s’envolent vers Glendale pour renouer avec leur glorieux passé au terme d’une nouvelle démonstration de force de leur quarterback. Pourtant, 2014 n’avait pas vraiment bien commencé. En ouverture, les Pats sont une nouvelle fois surpris par les Dolphins dans leur piscine géante du Sun Life Stadium. S’ils remettent les pendules à l’heure une semaine plus tard à Minneapolis et se débarrassent difficilement des Raiders pour leur premier match à Foxboro, ils sombrent à Kansas City en semaine 4. 41-14. 2 victoires, 2 défaites. Comme à Seattle, le doute plane. À 5 semaines de leur bye week, il faut faire le plein. 4 matchs à la maison, un à Buffalo. 5 victoires, zéro défaite. Portés par une attaque qui tourne à 40 points de moyenne pendant un mois et réduit la défense des Broncos en confettis, les Pats s’en vont se reposer avec un bilan de 7-2. Battus à Green Bay, ils s’inclinent à domicile en semaine 17 contre Buffalo dans un match sans enjeux et sans de nombreux titulaires. Leur 6e titre de l’AFC Est en poche et l’avantage du terrain assuré, leur regard est rivé sur l’Arizona.

À 38 ans, comme le meilleur des grands crus, le numéro 12 n’a de cesse de se bonifier. 4109 yards, 33 touchdowns et seulement 9 interceptions, Brady récite son football comme un vieux prof d’histoire, ses lunettes posées sur le bout du nez et les coudières de son veston en velours écrasées sur son bureau. Le quarterback pousse le génie jusqu’à faire passer Brandon LaFell pour un bon joueur. 953 yards, 7 touchdowns, l’ancien receveur des Panthers n’a jamais été aussi proche de la barre des 1000 yards. Révélation de 2013, l’ancien couteau suisse Julian Edelman baladé un coup en défense, un coup en attaque, un coup sur équipes spéciales attrape 92 ballons pour 972 yards et 4 touchdowns. Monstre physique qui redessine le poste de tight end depuis 4 ans, Rob Gronkowski renoue avec ses stats délirantes de 2011, éclipse largement la barre des 1000 yards et marque 12 fois. Un OVNI. Un cauchemar pour les linebackers et safeties. Dans une attaque obsédée par les airs, pas de running back star, mais un comité de coureurs qui doit savoir tout faire, comme Bill Belichick les aime tant. Jonas Gray, Stevan Ridley, Shane Vereen, ils s’y mettent à trois pour conquérir 1143 yards et 9 touchdowns. Receveur habile et précieux sur les 3e tentatives, Vereen ajoute 494 yards et 4 touchdowns dans les airs.

Bien calée dans le ventre mou, la défense se contente d’assurer les arrières d’une attaque qui tourne à plein régime et réduit en cendres les lignes adverses semaines après semaine. 16e contre la passe, les Patriots pointent au 9e rang contre le jeu au sol. Portés par le Pro Bowler Vince Wilfork et Rob Ninkovich sur la ligne, le pass rush arrache 40 sacks. 116 plaquages, 4 sacks, 6 turnovers, Jamie Collins joue les sécateurs sur le deuxième rideau, bien accompagné par un Dont’a Hightower au four et au moulin qui ajoute 89 plaquages et 6 sacks. Déserteur de la Legion of Boom après le triomphe new-yorkais, Brandon Browner débarque avec son mètre 93 et ses 100 kilos dans le fond du terrain pour épauler Devin McCourty. Après une pige à Tampa, l’ancien Jet Darrelle Revis passe à l’ennemi, casse 14 passes, en intercepte 2 et vient renforcer un secondary qui en avait bien besoin au terme d’une saison de Pro Bowler. Une attaque qui flirte avec les 30 points de moyenne, une défense qui en prend moins de 20 par match et un kicker qui colle plus de points (156) que n’importe quel autre joueur dans la ligue, une formule gagnante. Une opposition de styles. Face à la défense de Seattle, l’équation sera simple : faire l’exact opposé des Broncos.

Unsung Hero, part I

Seahawks. Patriots. Une affiche inédite dans l’histoire des playoffs. Les deux franchises auront beau avoir passé 28 ans dans la même conférence avant que Seattle ne soit envoyé en NFC après le réalignement de 2002, jamais leurs chemins ne se seront croisés en séries. Pour Pete Carroll des retrouvailles. En 2000, après 3 saisons passées à Foxboro, le coach était viré pour laisser sa place à… Bill ! Des retrouvailles aussi pour les Patriots et un University of Phoenix Stadium bourré de mauvais souvenirs. 19 degrés, toit grand ouvert, ciel bleu déclinant lentement, le décor est somptueux. Un an après la purge du Super Bowl XLVIII, pourvu que le spectacle et le suspense soient au rendez-vous.

Pas de safety. Pas de field goal. Encore moins de touchdown. La première série offensive des Patriots tourne court et donne le ton d’un premier quart-temps sans le moindre point. Malgré 3 passes complétées pour démarrer, LeGarrette Blount se bouffe un mur en pleine tronche et les Pats doivent punter. Marshawn Lynch l’imite rapidement. Pas la moindre passe, trois courses improductives et un three-and-out express. Puis de ses 32 yards, Tom Brady entame une longue et méthodique remontée du terrain. 7 minutes 30 et au bout, une interception. Lancers rapides et courts tout en tempo pour déjouer une couverture de zone trop lâche, courses en force de Blount, les Pats font tout pour éviter la Légion et avancent efficacement jusqu’aux 10 yards de Seattle. À quelques pas de la peinture bleue, Brady recule, attend impatiemment que le jeu se développe et balance une passe dans la précipitation face à un pass rush qui lui saute à la gorge. Une épouvantable passe. Personne dans les parages, si ce n’est Jeremy Lane. Le cornerback intercepte le cuir sur la ligne, envoie Danny Amendola au tapis sur un spin move, efface une première fois Julian Edelman, puis Gronk, déborde sur la ligne pour finalement se faire faucher par le numéro 11, se péter le poignet de façon épouvantable en retombant et se déchirer le ligament croisés antérieur. Du rire aux larmes. Le défenseur vient de sacrifier son corps pour les siens. Richard Sherman grimace. Les Seahawks sont sous le choc.

Darrelle Revis s’offre un sack, Russell Wilson lance enfin le ballon, mais rate la cible, Seattle punt. Déjà. Après 15 minutes de jeu, pas le moindre point à se mettre sous la dent. Pas déconcentré par son interception, Tom Brady distribue le cuir méthodiquement et exploite d’entrée la seule véritable faille dans le secondary de Seattle : Tharold Simon, le remplaçant de Lane. Brandon LaFell, Danny Amendola, Shane Vereen, Julian Edelman, pendant que la LOB est obsédée par la menace Gronk, le reste de l’arsenal offensif de Foxboro se gave et les Pats remontent le terrain à toute allure. Sur une crossing route en plein cœur du terrain, Edelman sème Simon et cavale 23 yards. Plus que 11. En shotgun, Brady envoie un missile au timing millimétré dans les mains de LaFell, le receveur se faufile entre deux défenseurs de Seattle et roule dans la peinture. Play action pass quick slant. Combinaison létale dans la redzone. Touchdown. 7-0. Sack, 5 yards de Marshawn Lynch, passe dans le vent, punt. L’attaque des Seahawks est en panne sèche. Près de 22 minutes de jeu déjà et Russ n’a tenté que deux microscopiques lancers sans en compléter le moindre. Heureusement, la défense resserre les boulons et force New England à un three-and-out supersonique.

Beast Mode donne la mesure au sol et Wilson trouve enfin les gants de Jermaine Kearse sur un 3e essai. Libéré, le quarterback ajuste une bombe en direction de Chris Matthews. 44 yards plus loin, enfin sorti de sa longue sieste hivernale, l’ancien Blue Bomber de Winnipeg s’étire de tout son long en arrière pour attraper le ballon du bout des doigts et réveiller tout un stade très largement acquis à la cause des Balbuzards. En trois temps, à 11 yards de la peinture, Marshawn Lynch parachève le travail et les Seahawks recollent. 7-7. Après 15 premières minutes transformées en interminable round d’observation, le match se débride enfin et les attaquent dictent leur jeu à des défenses qui accusent le coup. À 16 secondes du 2-minute warning, les deux escouades offensives sont loin d’avoir dit leur dernier mot. Pour les Pats, l’objectif est simple : marquer en laissant le moins de secondes possibles au chrono. Pour Tom Brady, une formalité. Seulement, en homme pressé, le quarterback va remonter le terrain comme un dératé. Lancers courts, yards après contacts, end around, Tommy Boy revisite tout le playbook avant de ressortir un vieux classique qu’il s’était appliqué à faire oublier depuis le début du match : le Gronk. À 36 secondes de la pause, aligné en position de receveur sur la droite, Rob Gronkowski n’a qu’à tendre les mains pour attraper une passe de 22 yards déposée dans ses gants. Face au mètre 98 du tight end, même K.J. Wright et ses 193 centimètres ne peuvent rien. Un matchup injouable. 14-7. Spike time !

31 secondes, 3 temps morts. Au mieux, 80 yards à remonter. Au pire, 3 points à aller cueillir. Robert Turbin un coup, Russ l’autre. En deux courses et un timeout, Seattle se retrouve déjà sur les 44 de New England. Si Wilson rate la cible une fois, il ne se rate pas sur la seconde, dépose Ricardo Lockette 23 yards plus loin et profite d’un facemask de Kyle Arrington pour avancer de 10 yards. Il ne reste que 6 secondes et 11 yards à combler.

« Ok, on doit tenter notre chance pour un touchdown, » glisse Pete Carroll dans son casque. « On l’a déjà fait un millions de fois. »

La voix de la sagesse à beau susurrer à l’oreille de Carroll de prendre les 3 points, d’aller tranquillement se reposer au vestiaire et distiller les bons ajustements avant de revenir sur le terrain pour amorcer le second acte avec le ballon en attaque, le coach s’en contrefout. Coutumier des calls agressifs, il choisit d’y aller all-in. Après tout, même en cas d’échec, si tout est exécuté avec justesse et rapidité, peut-être leur restera-t-il un petite seconde pour taper un field goal. Sait-on jamais. C’est le message que le head coach transmet à son quarterback. En attendant, l’objectif est simple. Il est là. Tout près. À 11 petits yards. L’en-but. Pour Russell Wilson, une seule bonne option, back shoulder. Une passe par-dessus les épaules, hors de portée du défenseur, qui donne au receveur l’opportunité d’attraper le cuir sans s’exposer à une interception. Il va finalement faire mieux encore. Hut ! Tout en relâchement, lentement, Russ positionne le ballon entre ses mains, tourne ses épaules vers la gauche et décoche une fade pass tout en douceur vers le coin gauche, haut, très haut. Héros d’un soir et d’une première mi-temps dans le désert, Chris Matthews et ses interminables segments s’élèvent sans la moindre opposition et agrippent le ballon. Touchdown. Du Tom Brady dans le texte. 14-14. Half-time break. Half-time show.

They should’ve run the ball

Un an plus tôt, la Légion étouffait Peyton Manning et tuait le match une bonne fois pour toute dès le coup d’envoi de la seconde mi-temps. Cette année, rien de tout ça. Après un 2e quart de folie, Seattle reprend le dessus des deux côtés du ballon et s’empare rapidement des commandes de la rencontre pour la toute première fois. Entre deux courses tout en finesse de Marshawn Lynch, Russell Wilson et Chris Matthews nous ressortent leur vieux tube de la soirée. Take a shot. Sur une play action supersonique, Russ balance une minasse en direction du mètre 96 de son receveur qui gobe Kyle Arrington tout rond dans les airs et dévore 46 yards avant d’être envoyé en touche par Devin McCourty. MVP ? s’interroge déjà Jermaine Kearse sur le banc. Beast Mode et Robert Turbin ont beau combiner leurs forces, les Balbuzards devront se contenter de 3 points de Steven Hauschka. La réplique est timide, Tom Brady évite les sacks, mais mange le gazon et le drive tourne court. Bobby Wagner lit parfaitement les yeux de Tommy Boy et bondit devant le Gronk pour intercepter le ballon sur les 40 de la Nouvelle-Angleterre. Coupable d’un bloc dans le dos, Richard Sherman renvoie tout le monde sur la ligne médiane, mais l’essentiel est ailleurs, les Seahawks tiennent une opportunité en or de prendre deux possessions d’avance.

Ils ne vont pas la gâcher. Incapable de trouver quiconque autre que Chris Matthews dans les airs, Wilson s’en remet à ses guiboles et celles de Lynch. Le coureur en emboutit 18 avec ses jambes élastiques, le quarterback 15 sur une échappée sur le flanc gauche, il ne reste plus que 3 yards. La défense de Foxboro obsédée par la menace Matthews, ils est temps d’aller voir ailleurs. 2nd & goal à 3 yards de la ligne. Doug Baldwin sème Darrellle Revis dans le trafic sur un combo crossing route/pick-up play d’école. Le receveur à beau se prendre les pieds dans le tapis, il est seul au monde. Personne pour l’empêcher d’attraper le cuir. Touchdown. 24-14.

« Comment tu t’es retrouvé aussi seul ? » lui demande Jermaine Kearse.

« Parce que je suis une machine, voilà pourquoi ! » lui lance Baldwin.

« C’est pas faux. »

Pendant que Wilson s’offre une tournée de high five avec sa ligne offensive, Edelman bondit en vain de 17 yards pour attaquer la série suivante. Un holding offensif annihile tout, on recule de 10 yards. Les 11 nouveaux yards du numéro 11 n’y font rien, three-and-out. En face, même punition. Ou presque. Wilson a beau téléporter Ricardo Lockette 25 yards plus loin, Lynch ne déniche que 2 yards, les 6 de Kearse ne suffisent pas et la dernière passe s’envole dans les nuages. Three-and-out. LeGarrette Blount se fait sécher par Kam Chancellor sur un 3e et 1, three-and-out. Rob Ninkovich dégomme Russ sur un 3e et 7 qui l’expédie 8 yards en arrière, three-and-out.

Il reste 12 minutes à jouer et un retard de 10 points à remonter pour les protéger de Bill Belichick. Les ordres du coachs sont simples : pas de nouveaux jeux, pas de solution miracle, comme face à Baltimore 2 semaines plus tôt, tout est question d’exécution, de confiance en soi. Mettre la pression sur Russ, agresser la ligne offensive de Seattle, remporter la bataille des tranchés, contenir Lynch. La couverture aérienne bien en place, le match se jouera sur la ligne de scrimmage. Remontés, motivés, l’attaque des Pats déchante d’entrée quand Bruce Irvin se rue sur Brady et le renvoie 8 yards en arrière. Deux jeux plus tard, le quarterback navigue dans sa poche comme il sait si bien le faire, le regard rivé sur le terrain et décoche une flèche sur Edelman. Le receveur reçoit une cartouche en plein casque de Kam Chancellor, reste sur ses appuis, se retourne et arrache une poignée de yards supplémentaires. Genou et coude à terre, les petits yards en extra compteront pour du beurre, mais le premier essai est dans la poche et les Patriots se mettent à y croire dur comme fer. Et quand Earl Thomas offre 15 yards sur un excès d’engagement sur l’action suivante, ils sentent que les Seahawks commencent à trembler. Intenable, Edelman se faufile derrière les linebackers et navigue dans le fond du terrain pour s’enfoncer un peu plus en territoire ennemi, 21 yards plus loin, à 4 petites unités de l’en-but. Premier coup, raté. Deuxième coup, gagnant. Tom Brady aperçoit Danny Amendola esseulé dans le fond de la peinture, glisse le ballon au travers des mains d’une ligne défensive dressée de tout son long et trouve les gants de son receveur. 24-21. Seul accro de ce drive, Brady se ramasse tout seul comme un grand en se prenant dans les pieds de ses linemen après être allé féliciter le numéro 80. Anecdotique.

Inspirée par une attaque sortie de l’ombre après une 3e quart-temps dominé par la Legion of Boom, la défense de Foxboro n’a besoin que de 55 secondes pour récupérer le ballon sur un stop mené à toute allure. Kyle Arrington ridiculisé par Chris Matthews et envoyé sur le banc en cours de seconde mi-temps, le numéro 21 entre en jeu pour verrouiller le slot. Malcolm Butler. Un obscur rookie non-drafté en provenance de West Alabama. Il reste 6 minutes 52 a dévorer le plus intelligemment possible pour aller chercher la victoire. En maître du genre, Tom Brady se régale, gave Shane Vereen dans le petit périmètre et allonge la distance vers Rob Gronkowski. Meilleure défense aérienne de la ligue, la Légion est impuissante et les chaînes avancent à fond la caisse. Même l’interférence offensive concédée par Danny Amendola ne ralentit pas leur course effrénée vers la endzone. Une, deux, trois, quatre… le quarterback de New England complète 8 passes consécutives dans un scénario qui pue le déjà-vu. Le temps de déclarer sa flamme à Amendola et sa ligne offensive, Julian Edelman laisse Tharold Simon sur le cul sur un modèle quick out, Brady écrase la gâchette. Touchdown. 28-24. Jamais de l’histoire presque cinquantenaire du Super Bowl une équipe menée de 10 points dans les 15 dernières minutes n’étaient parvenue à refaire son retard. Les Patriots viennent de le faire. Il leur reste une dernière mission. Tenir. Tenir pendant 2 minutes et 2 interminables secondes.

Marshawn Lynch se mue en receveur, s’échappe sur la gauche, poursuivi par un Jamie Collins plus à l’aise dans son rôle de rusher qu’en couverture, et capte une spirale divine avant de poser le pied sur la ligne 31 yards plus loins. 2-minute warning. Atmosphère suffocante. La balle sur les 50 yards, 3 temps morts et le touchdown de la gagne à aller cueillir, une formalité rigole Pete Carroll en bord de terrain. Jermaine Kearse vs. Malcolm Butler. Le rookie remporte son duel et les Seahawks grillent leur premier temps morts. Chris Matthews en profondeur sur la droite, Brandon Browner fait sauter le disque. Dans le secteur court vers Ricardo Lockette, 11 yards. Il est temps de tester le petit numéro 21. Shotgun, un bref coup d’œil à gauche et Russ dégaine une longue passe vers le coin droit, à deux pas de la peinture. Jermaine Kearse vs. Malcolm Butler, épisode 2. Le rookie enfile son costume de vétéran, emboîte la foulée du receveur, se retourne à la dernière seconde, bondit en arrière, tend le bras et touche un ballon qui s’apprêtait à tomber dans les gants du Balbuzard. Marquage parfait. C’était sans compter un petit coup de pouce du destin, un incroyable éclair de lucidité et un modèle de concentration de Kearse. Sur le dos, à terre, le wide receiver jongle avec le cuir avant de finalement s’en saisir pour de bon, se redresser et être envoyé en touche à 5 yards de la ligne par Butler qui n’en croit pas ses yeux. Délire absolu dans le stade. à 66 secondes de la fin, le match ne peut pas échapper à des Seahawks bénis par les dieux. 7 après le Helmet Catch, le Juggling Catch ?

Un deuxième temps morts grillé pour ajuster la stratégie, Pete Carroll envoie la cavalerie lourde, Marshawn Lynch enfonce la ligne avant d’être fauché à un yard du Paradis. 2nd & goal. Les Patriots ne pourront pas contenir Beast Mode bien longtemps. Impossible. La fin est déjà connue de tous. Inéluctable. Implacable. Rapides changements, les Patriots envoient un troisième cornerback sur le terrain pour se caler dans le slot. Malcolm Butler. Le gamin. Shotgun. Positionné à gauche de son quarterback, Lynch s’enfuie brusquement vers la gauche, Russ dégaine vers Ricardo Lockette lancé sur un quick slant à deux pas de la ligne de mêlée. Malcolm Butler voit tout, Brandon Browner aussi. Pendant que l’ancien Seahawk ruine la tentative d’écran de Kearse sur la droite, le rookie bondit comme un enragé et vole le ballon. Interception. Séisme dans le stade. Sur le banc, Tom Brady retombe en enfance, sautille comme un gosse le jour de Noël et pousse des cris dignes d’une gamine de 5 ans. Dénouement invraisemblable. Pourquoi lancer le ballon à un yard de la ligne quand le tracteur Marshawn Lynch vient de faire reculer la défense des Pats sur sa première tentative ?

« Je suis désolé, mais je n’arrive pas à comprendre cette décision… » lâche Cris Collinsworth de sa position de commentateur. « Je ne comprends pas. Tu as Marshawn Lynch derrière toi. Un gars presque inarrêtable dans cette partie du terrain. Je ne comprends pas. »

Et il n’est pas le seul. Pourquoi lancer le ballon dès le deuxième jeu sans tenter une seule fois sa chance au sol à un yard de la ligne ?Pourquoi jouer son match vers un second couteau comme Lockette ? Pourquoi lancer le ballon devant lui en s’exposant au risque d’une interception ? Pourquoi ne pas viser l’épaule gauche du receveur au risque voir la passe ratée, mais en éclipsant toute menace ? Play calling incompréhensible, exécution maladroite, conséquences catastrophiques. Seattle vient de balancer son doublé par la fenêtre. Mais comment en vouloir exclusivement à Pete Carroll ? Si la passe n’avait pas été captée et encore moins interceptée, il aurait de nouveau couru confiera-t-il plus tard. Surtout, 9 ans plus tôt, lors du Rose Bowl face aux Longhorns de Texas, le coach avait opté pour 4 courses consécutives fatales qui avaient rendu le ballon à Vince Young dans une position idéale à un peu plus de 2 minutes de la fin. La suite fait partie de l’histoire. Comment en vouloir à Pete Carroll d’avoir voulu surprendre la défense des Patriots ? De gutsy call à worst call ever, il n’y a qu’un pas. Ou plutôt un homme. Un petit rookie en qui peu de monde croyait. Un héros sorti de nulle part. Unsung Hero, part II.

« J’ai rêvé que je ferai quelque chose de grand et ça s’est réalisé, » confiera-t-il à ESPN. « Je suis béni. Je n’arrive pas à trouver les mots. C’est dingue. »

Acculés sur leur ligne de un après des célébrations excessives, les Pats se donnent de l’air quand Michael Bennett empiète malencontreusement sur la ligne. Tom Brady met le genou à terre. Dans un geste de désespoir aussi vain qu’inutile, le front seven de Seattle saute à la gorge de la ligne offensive et provoque une petite baston. Bruce Irvin dégoupille, balance son poing vers le Gronk avant de jouer à la lutte avec Pat Develin et de devenir le premier joueur de l’histoire du Super Bowl à être éjecté. Perdre avec classe, ça n’est pas donné à tout le monde. Mélange de détresse et de frustration immense. Les esprits de calment, Tom Brady s’agenouille une dernière fois, Seattle n’a plus de temps morts, coup de sifflet final. Une nouvelle fois grandiose, auteur de 4 touchdowns et de 37 passes complétées records, le quarterback décroche sa 4e bague de Champion.

« Peu importe les circonstances, » reconnaît-il, bien conscient que le destin leur a souri. « Chaque équipe doit affront un périple, et nombreux sont ceux à avoir perdu foi en nous… mais nous sommes restés forts, nous sommes restés soudés et c’est un sentiment incroyable.

Après une décennie de frustration, les Patriots retrouvent les sommets comme ils savent si bien le faire. À la dernière seconde. Les rois du suspenses on encore frappé. Les rois du 21e siècle retrouvent leur trône. Revenus de 10 points. Revenus de 10 années de disette. Renversants.

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