« Le football américain a détruit l’esprit de mon mari »

Rob Kelly était un mari et un père attentionné lorsqu’il a rencontré Emily en 2007. Il y a bien eu quelques problèmes d’alcool après sa retraite, mais il n’a pas...

Rob Kelly était un mari et un père attentionné lorsqu’il a rencontré Emily en 2007. Il y a bien eu quelques problèmes d’alcool après sa retraite, mais il n’a pas pris le moindre verre alcoolisé depuis huit ans maintenant. Et pourtant, son état empire. Il n’a que 43 ans.

Safety pour les Saints et Patriots de 1997 à 2002, Kelly a vu sa carrière stoppée lorsqu’un nerf situé entre sa nuque et son épaule a été touché. La suite a été une lente descente en enfer, racontée par sa femme Emily dans un article publié sur le site du New York Times.

Dépression, perte de poids et disputes

« Quand j’ai rencontré Rob en 2007, il était charmant. Je n’avais jamais regardé un match entier, mais je croyais les clichés : que les joueurs étaient durs et agressifs. Il n’était aucun des deux. Je n’avais jamais rencontré un homme si sensible. J’aimais le fait qu’il n’ait pas peur d’être vulnérable et de montrer des larmes. »

Marié en 2009, le couple est rapidement confronté aux conséquences de la carrière de Rob. Depuis qu’Emily le connaît, il est sujet aux insomnies, aux changements d’humeur et à la dépression. En 2010, l’inquiétude les pousse vers des neurologues pour passer des tests et postuler à une pension. En 2013, les choses s’accélèrent.

« Il a perdu du poids. On a eu l’impression qu’un jour, tout d’un coup, il a arrêté d’avoir faim. Il oubliait souvent de manger. Je retrouvais des bols de céréales remplis dans la maison, sur la bibliothèque ou la cheminée. »

Les disputes avec Emily se multiplient pour des motifs de plus en plus étranges.

« Nos disputes tournaient en rond et n’étaient jamais résolues. Il était contrarié de manière irrationnelle par une chose mais perdait rapidement le fil et commençait à parler de quelque chose qui n’avait aucun lien avec le sujet. »

Paranoia et mutisme

La suite, c’est la paranoïa.

« La première fois qu’il m’a accusé d’avoir volé de la monnaie dans sa table de nuit, j’étais sans voix. Et quand je lui ai dit à quel point ça serait illogique pour moi de faire ça, il m’a regardé avec encore plus de suspicion. »

Et pire.

« Il est passé d’un père dévoué et aimant à quelqu’un qui avait l’air d’être un fantôme dans la maison. Pendant quelques mois un hiver, il était si déprimé et détaché qu’il ne trouvait pas l’énergie de parler. Mes questions restaient sans réponse jusqu’à ce que j’arrête de les poser. Le silence était déconcertant. »

En 2013 toujours, la NFL accorde à Rob une pension à vie après avoir établi que ses difficultés sont bien nées de ses années à jouer au football et que des « commotions répétées ont très probablement causé les dysfonctions neuropsychologiques« , qu’il subit. Même s’il n’a pas touché une goutte d’alcool depuis huit ans, ses problèmes passés avec la bouteille sont cités comme un potentiel facteur supplémentaire.

C’est une reconnaissance concrète. Maintenant, il faut vivre avec.

« Après des années avec peu ou pas de sommeil, il a alterné entre dormir 3 heures par nuit ou dormir pendant 20 heures. […] Il n’étais plus à l’aise pour conduire, refusait de quitter la maison et a coupé le contact avec tout le monde. Les détails sur ce qu’il voulait pour ses funérailles et sa demande d’être incinéré étaient mis sur le tapis très fréquemment. Dans une période particulièrement sombre, il a passé cinq jours sans rien manger. Il n’a bu que de l’eau et quelques gorgées de lait chocolaté. Il souffrait profondément et survivait à peine. Mon amour et mon affection n’avaient l’air d’offrir aucune aide. Je me sentais inutile. »

Un groupe Facebook pour les femmes de joueurs

Le soutien, Emily l’a trouvé sur Facebook, ou un groupe privé réunit plus de 2400 femmes de joueurs NFL, anciens ou actuels. Les histoires comme la sienne s’y multiplient.

Pertes de mémoire, anxiété, agressivité, dépression… Mais aussi des rituels mis en place pour occuper le cerveau, comme le lavage compulsif de vieux vêtements.

« Notre machine à laver tournait du matin au soir », se souvient Emily.

La NFL a commencé à avouer que les commotions peuvent avoir des effets à long terme en 2009. En 2016, un dirigeant de la ligue a enfin admis un lien entre le football américain et des maladies du cerveau comme l’encéphalopathie traumatique chronique. Trop tard pour des hommes comme Kelly. D’autant qu’avant de s’ouvrir sur le sujet, la NFL a largement évité d’en parler. Au contraire, elle a même tenté d’étouffer le problème.

« Ces hommes ont choisi le football, mais ils n’ont pas choisi les dommages cérébraux. Je lisais les articles sur l’encéphalopathie traumatique chronique et les footballeurs qui se suicidaient. J’allais dans les commentaires et je lisais des remarques comme « Ils savent pourquoi ils ont signé », et « Bien-sûr que le football est mauvais pour le cerveau, tout le monde le sait. »

Mais quand ces gros chocs ont eu lieu et que les supporters applaudissaient, est-ce qu’ils applaudissaient malgré le fait qu’ils savaient qu’un homme venait de grandement augmenter ses risques de démence ? Est ce que quelqu’un s’inquiétait d’une Sclérose latérale amyotrophique ou d’un suicide à 40 ans causé par une encéphalopathie traumatique chronique après que leur joueur préféré ait subi des chocs répétés à la tête sur le terrain ? Non, ils applaudissaient parce qu’ils ne savaient pas. Et nous non plus. »

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