[Portrait] La story du vendredi – Tua Tagovailoa : tu seras un gaucher mon fils

Son père l'a obligé à lancer le ballon avec sa main gauche. Pour mieux tenir la Bible de la droite.

Tous les vendredi, la rédaction de TDActu vous propose le portrait d’un joueur. Son parcours sportif, ses succès et ses échecs, son parcours de vie. En alternance d’une semaine sur l’autre, une rencontre avec un joueur universitaire qui pourrait avoir un impact en NFL et un joueur NFL actuel. Aujourd’hui, celui qui sera peut-être le prochain numéro un de la draft.

Tua Tagovailoa

Né le 2 mars 1998 à ‘Ewa Beach, Hawaï
1m85 pour 100 kilos
Quarterback, Alabama, junior
Position estimée à la draft (à ce jour) : top 3

Tank for Tua

Il joue pour Alabama. Dans le monde du football universitaire, Alabama ce sont les Patriots de la NFL ou les Golden State Warriors en NBA, c’est à dire une équipe qui démarre la saison parmi les favoris pour le titre. Chaque année. Sa fiche 2018 : 3966 yards et 43 touchdowns ! Alors forcément Tua est The Name : favori pour le trophée Heisman, favori pour être le prochain numero uno de la draft.

Plus costaud que Kyler Murray, il est néanmoins explosif en mouvement. Il bouge très bien, surtout dans la poche. Les comparaisons avec un joueur NFL renvoient le plus souvent vers Russell Wilson. Rien que ça, un vainqueur du Super Bowl. Son gabarit et sa façon de se mouvoir aisément, sans pour autant être un quarterback coureur, font apparaitre certaines similitudes entre les deux. Ainsi, il n’est pas rare de le voir constater que sa cible est marquée. Alors, tenant le ballon d’une main, il se redirige vers la gauche ou la droite, il recule ou fait deux pas en avant et zip ! Il lance. Le ballon part avec la précision d’un missile programmé et avec une belle spirale.

Et tout ça, de la main gauche !

Bible et ceinture

Tua est né à Hawaï dans une famille originaire des îles Samoa. Une enfance paisible entre jeux dans la nature et pratique religieuse. Digne d’un téléfilm à l’américaine, enfant il dormait avec un ballon de football en guise d’oreiller. Puis le téléfilm vire au reportage investigation avec l’apprentissage du jeune héros : Tua est droitier. Relisez la phrase précédente.

Ceux suivant le football universitaire un tant soit peu savent que Tagovailoa lance de sa main gauche. Pourtant, il mange et il écrit de sa main droite. Lorsqu’en famille il joue de la guitare, il la tient comme un droitier le fait. Normal, il est droitier. De naissance. S’il lâche ses spins de la main gauche, c’est que son père ne lui a pas laissé le choix.

« J’étais le seul de la famille alors j’ai voulu que mon fils soit comme moi, qu’il soit un gaucher », Gula Tagovailoa pour ESPN (vidéo ci-dessous)

Un Rudyard Kipling un poil plus autoritaire : avec coups de ceinture en prime sur l’enfant qui a du mal à s’adapter et lance un mauvais ballon. Main gauche et puis c’est tout, tais-toi. Recommences. Dans une interview pour ESPN en 2018, Gula Tagovailoa explique que ses deux crédos sont foi et discipline. Sa femme Diane corrigeant en « il veut dire Bible et ceinture ». Tua n’a jamais vraiment eu le choix : ni celui de son lycée ni du choix de son université, pas même de sa meilleure main pour lancer le ballon. Et gares à toi si tu échoues, tu sais ce qui t’attends à la maison.

Sur ESPN, une fois le reportage diffusé, Desmond Howard (MVP du Super Bowl 31) compare ce père à celui du jeune Michael Jackson : même méthode « à la dure » et pour l’instant, même résultat. Et pourtant, Tua vante constamment les mérites de son géniteur.

« Il y a un respect presque irréel dans ses mots pour lui. ‘Mon père sait ce qu’il y a de mieux pour moi, j’écoute et je respecte toujours ce qu’il a à dire' », rapporte son coach Nick Saban lors du même reportage d’ESPN

Vous commencez à vraiment comprendre pourquoi les scouts NFL salivent autant sur ce joueur : super bon et soldat respectueux et obéissant. Fiesta ? Oui, parfois, mais pour lui cela veut dire en famille et sans alcool : chanter, danser et prier. Qu’aime t’il le plus chez les habitants de l’Alabama ? Le fait que, comme à Hawaï, tous se rendent à l’église le dimanche. Quel staff NFL ne voudrait pas d’un tel talent avec ce caractère-là ?

Sur le Mauna Kea

4000 yards, 43 touchdowns. Il y a plusieurs façons de lire les statistiques. En voilà deux. Tua joue tout simplement pour la meilleure équipe (sans ouvrir un débat avec Clemson). Sa défense est remplie de joueurs calibrés pour la NFL comme Quinnen Williams le dernier numéro 3 de la draft. Cinq défenseurs en tout ont été draftés en 2019. Le lanceur bénéficie donc de bonnes positions de départ dans ce jeu de gagne-terrain. Et puis, là où Daniel Jones (Giants) a pati des mains savonneuses de ses receveurs à Duke, Tagovailoa a eu à sa disposition Irv Smith (choix 50 des Vikings). Cette année, deux receveurs du Crimson Tide figurent dans le Top 10 NCAA : Jerry Jeudy et Henry Ruggs. Jaylen Waddle est absent de ce classement seulement en raison de son statut de sophomore (2e année).

Depuis deux ans qu’il officie (8 matchs en 2017 et 15 en 2018), il a également bénéficié d’un jeu de course performant avec Josh Jacobs (1e tour des Raiders), Damian Harris (3e tour des Patriots) et Najee Harris (possible top 50 en 2020 et son meilleur ami dans l’équipe). Vous l’avez compris, il est bien entouré.

Une seconde lecture est de comprendre la différence entre avoir ce taux de réussite dans une université espérant un bilan juste positif et un programme où concéder plus d’une défaite et ne pas aller en finale du championnat est considéré comme une saison ratée ! Seulement 16 matchs, des enjeux financiers comme aucune autre ligue au monde, y a t’il de la pression en NFL ? Tua Tagovailoa a d’ores et déjà prouvé, à un niveau d’exigence à peine inférieur, qu’il maitrise ses nerfs et répond présent : MVP en finale niveau lycée, MVP en finale universitaire. Un taux de passes réussies de 69% en 2018 avec onze yards par lancer en moyenne. Seulement 6 interceptions pour 43 touchdowns. Une évaluation de 199,4 ! Un record, tout simplement. Il regarde déjà le monde depuis un très haut sommet.

Ohana

Dans la culture Polynésienne, Ohana veut dire « famille ». Alors quand Tua s’est engagé avec Alabama, tous l’ont suivi. Jamais simple de quitter les siens, surtout pour vivre à plus de 7000 kilomètres, encore plus pour des personnes vivant en communauté. Ohana sous-entend de vivre tous ensemble.

« Ici ce n’est jamais JE mais NOUS », Marcus Mariota sur le site officiel des Titans.

Sa mère à sa gauche et ses frères et sœurs (Taulia tout à gauche)

Selon toute vraisemblance, la saison 2019 devrait être sa dernière au niveau universitaire et son remplaçant en 2020 pourrait alors être son petit frère Taulia. Les similitudes sont nombreuses entre-eux comme cette tendance à tenir le ballon d’une main et prolonger le jeu dans la poche. La différence majeure est que ce dernier n’a pas eu à changer de main. Né droitier, il continue d’utiliser cette main pour délivrer ses passes.

Pourtant, enfant, Taulia jouait sur la ligne offensive en tant que centre et c’est lui qui engageait le ballon pour son frère ainé (de 2 ans). Recrue 4 étoiles, il effectue sa première saison universitaire comme un remplaçant de son frère avec Alabama (le 1e back-up dans la hiérarchie est Mac Jones) en 2019.

« J’ai dû perdre beaucoup de poids pour m’adapter à cette position mais aujourd’hui je suis aux cotés de mon frère et cela nous rend fiers tous les deux » (al.com)

En attendant de voir Taulia à l’œuvre lui aussi dans la SEC, Tua rend fier sa famille car, comme sa mère le confie à al.com, il représente non seulement Hawaï mais aussi toute la Polynésie.

Repeat after me

Il a tout du numéro 1 de la Draft, mais encore faut-il qu’il y soit. Main, genou, cheville, Tagovailoa, s’il n’a pas subi de blessure importante, a néanmoins connu plusieurs fois déjà une atteinte à son physique. En restant en bonne santé, il a une équipe pouvant lui permettre d’atteindre une nouvelle fois le dernier carré, avant d’inscrire son nom pour la prochaine draft.

Si sa mécanique de lancer n’est pas parfaite, il possède trop d’atouts pour échapper au prochain top 5 de la draft, notamment ses capacités de lecture de la défense avant le snap. Aussi, sa capacité à anticiper la route du receveur et savoir lancer dans la bonne zone avant même que son coéquipier ait terminé son tracé. Ces deux qualités ont néanmoins un revers de la médaille, celui de parfois anticiper et non lire la couverture adverse. Résultat : deux interceptions contre la meilleure défense qu’il affronte en 2018, celle de Clemson en finale NCAA. Les coordinateurs NFL se feront un plaisir de brouiller les pistes avant l’engagement au moment d’affronter Tua. Cependant, ses qualités naturelles de compréhension du jeu et son caractère fiable et posé font qu’une franchise utilisera un très haut choix de draft sur lui.

Il vous faudra donc être prêt en avril 2020 dans la Sin City de Las Vegas alors répétez lentement, en détachant chaque syllabe : TA-GO-VAÏ-LOA (le tréma sur le I de VAI ne servant ici que pour des raisons de prononciation). Repeat after me : Tagovailoa.

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