[portrait] La story du vendredi – Peyton Barber : la vie a un prix

Son parcours pose la sempiternelle question : les joueurs universitaires devraient-ils être payés ?

Tous les vendredi, la rédaction de TDActu vous propose le portrait d’un joueur. Son parcours sportif, ses succès et ses échecs, son parcours de vie. En alternance d’une semaine sur l’autre, une rencontre avec un joueur universitaire qui pourrait avoir un impact en NFL et un joueur NFL actuel. Aujourd’hui, focus sur un joueur représentant la majorité : ceux se battant pour durer plus de trois ans et demi, soit la durée moyenne d’un joueur en NFL.

Peyton Barber

Né le 27 juin 1994 à Alpharetta, Georgie
1m80 pour 102 kilos
Coureur, Tampa Bay Buccaneers, 4e saison

Relatif anonymat

En NFL il y a les têtes d’affiche et ceux qui se battent pour un salaire. Peyton Barber n’est pas une star de cette ligue et hormis les sites suivant les Bucs qui en parle ? En 2018 il apporte à son équipe 871 yards au sol (19e en NFL) et 5 touchdowns. En deux matchs 2019, il signe 115 yards et un touchdown en partageant les snaps avec Ronald Jones.

Pour l’instant, son jour de gloire a eu lieu le 5 septembre 2015 avec Auburn contre Louisville, 115 yards et un touchdown ainsi qu’une production n’apparaissant pas dans les statistiques : invaincu dans les duels en protection de passe et précieux en bloquant sur le second rideau. Et lui qui au départ de ce premier match de la saison n’est que le troisième dans la hiérarchie des Tigers, il s’impose. Finalement, les blessures dans le second quart-temps de Roc Thomas et de Jovon Robinson auront été profitables, non seulement à Barber mais aussi à Auburn qui s’impose contre les Cardinals de Lamar Jackson (100 yards à la passe et 106 au sol ce jour-là).

« C’était le moment que j’attendais, c’était enfin mon heure. », dit-il alors à al.com

Il termine la saison 2015 avec 1017 yards et 13 touchdowns. Il est considéré comme un bon joueur, sans plus, pour ce qui est sans aucun doute la position la plus concurrentielle et la plus interchangeable chez les pros. Et alors qu’il lui reste deux années universitaires de disponible, et que les experts lui conseillent de retourner à Auburn car le risque de ne pas être drafté est réel, il décide néanmoins d’inscrire son nom à la draft 2016.

Ma famille d’abord

Et effectivement, alors que 21 running-backs sont draftés en 2016 : du premier Ezekiell Elliott au dernier Zac Brooks, en passant par Jordan Howard, Derrick Henry ou Kenneth Dixon, lui ne l’est pas. Quelque peu embarassant puisque le samedi de la draft (tours 4 à 7), beaucoup parmi sa famille et ses amis sont là, avec lui, regardant ESPN ou NFL Network en espérant voir son nom s’inscrire sur l’écran. Cela n’arrive pas.

Cependant son téléphone sonne, plusieurs équipes lui proposent un contrat comme agent-libre et il choisit Tampa. Ouf. La situation est loin d’être idéale mais il sauve les meubles. Après 1000 yards au sol, il aurait pu bénéficier d’une saison supplémentaire dans un programme majeur du college football, jouer dans une conférence très relevée et ainsi améliorer son statut pour la draft suivante. Oui mais. Il ne pouvait pas :

« C’est parce que je dois gérer des difficultés familiales. Ma mère est actuellement sans domicile. », ESPN

Sans domicile mais pas « sans-abri » puisque celle-ci vit chez une de ses filles, dans un petit appartement qu’elle partage aussi avec ses trois petits-enfants. Une situation non pas désespérée mais néanmoins précaire. Ses parents sont divorcés depuis longtemps déjà.

Alors, bien qu’il pourrait s’améliorer sportivement et que la vie sur le campus est bien douce, il renonce à rester à Auburn. Puis, il se bat lors des camps d’entrainement en Floride. En vain. Lors du dernier cut, il n’est pas conservé. Cependant, ayant montré beaucoup de caractère et quelques qualités sportives, il est le lendemain de la coupe, signé dans l’équipe d’entrainement. Les courses dans l’équipe pro sont prises alors par Doug Martin, Jacquizz Rodgers et Charles Sims. Mike James faisant office de quatrième et le malheur des uns…James se blesse juste avant le début de la saison et Peyton est promu pour le remplacer.

Ce passage dans le 53 lui permet de signer un contrat d’une valeur de 450 000 dollars. Alors que croyez-vous qu’il ait fait avec ce premier chèque ? Bien entendu, il trouve un appartement pour sa maman. Un joli geste mais surtout une performance car plus jeune, personne n’aurait pu lui prédire une telle carrière.

De l’ordre dans mes pensées

Peyton Barber grandit à Alpharetta, une petite ville de 65000 habitants à 40 kilomètres au nord d’Atlanta. Il joue au lycée Milton avec Carl Lawson (Bengals/Auburn aussi) et sa saison senior, il se distingue avec 1700 yards et 22 touchdowns. Il est alors considéré comme une recrue 3 étoiles (sur 5).

Après une saison sans jouer (redshirt) avec Auburn dans l’état de l’Alabama, il est dans la rotation mais loin d’être la première option et c’est après ce match d’ouverture en primetime, qu’il devient un des leaders en attaque, notamment quand cela compte le plus : il termine la saison 2015 avec une moyenne de 7,5 yards par porté dans le quatrième quart-temps. Un exploit pour un homme qui plus jeune a été diagnostiqué comme souffrant de troubles de l’attention et de dyslexie (comme son père).

Sa saison redshirt fût d’ailleurs utile car elle lui aura permis d’apprendre le playbook sans l’urgence de devoir l’appliquer sur le terrain. Ses troubles ne l’empêchent ni de lire ni de comprendre le contenu, il lui faut seulement plus de temps que les autres pour le faire. De cette faiblesse, il en tire la force de sans cesse vouloir faire mieux.

« Il est plus critique envers lui-même que n’importe qui, cela le rend meilleur. », dit son père au Atlanta Journal Constitution

Sa ténacité lui a permis de passer outre cette difficulté psychologique pour obtenir de quoi mieux vivre et prendre soin des siens.

Un amateur, par définition, n’est pas payé

Devant une assemblée de fans, conviée au camp d’entrainement, Bruce Arians prend la parole en avril 2019 et déclare que Peyton Barber est un très bon coureur et qu’il compte sur lui pour cette saison 2019. D’ailleurs, l’équipe lui signe un nouveau contrat d’un an équivalent à 2 millions de dollars. L’argent, et oui. Non pas de façon vénale mais pour mieux vivre.

En 2016, HBO produit un documentaire sur son parcours et, étant donné qu’il se présente à la draft en raison de difficultés financières, cette question revenant de façon récurrente lui est posée : est-ce que les joueurs universitaires devraient être payés ?

« Je ne réclame rien mais je dirais que oui. On le sait, chaque année notre équipe rapporte entre 80 et 100 millions à l’université alors… » (HBO/Vice)

En 2018, sur ses sept matchs à domicile, Auburn a connu une affluence moyenne de 84000 spectateurs. En plus des recettes guichets et du merchandising, en 2015 la fac d’Auburn a signé un nouveau contrat avec l’équipementier Under Armour d’une valeur de 78 millions de dollars. Sans parler des droits télé fournis par ESPN et son SEC Network. Un énorme gâteau financier dont les joueurs ne reçoivent pas même une miette. Ce débat de joueurs universitaires rémunérés ne date pas d’aujourd’hui et cela pourrait évoluer. Pourrait, au conditionnel.

Le comité exécutif de la NCAA a mandaté un groupe de travail pour étudier les possibilités de rémunération des joueurs, non pas en tant qu’employés mais par le biais du droit à l’image. Cela rappelle le procés intenté par le basketteur Ed O’Bannon : celui qui a remporté le titre universitaire avec UCLA en 1995, a néanmoins perdu ce procès, dans lequel il réclamait une compensation pour l’utilisation de son image par un jeu vidéo.

Dans l’état de Californie, une proposition de loi visant à rémunérer les étudiants-athlètes a été voté le 13 septembre 2019 et n’attend plus que la validation du gouverneur. Loi qui pourrait entrer en vigueur en 2023 et rétribuer les joueurs via le droit à l’image. C’est à dire ? Les facs ne paieraient pas les athlètes mais ceux-ci auraient alors le droit de monnayer autographes, utilisation de leur image sur des vidéos ou de signer des contrats avec des sponsors. Et pour se faire, d’être représenté par un agent. Une bombe dans le milieu sportif Américain.

Certains, tel le basketteur Lebron James y voit de la justice pour de jeunes hommes générant des millions de dollars. Tim Tebow lui, rappelle qu’à l’époque où il jouait avec Florida, son maillot était le 3e plus vendu du pays derrière ceux des basketteurs Lebron James et Kobe Bryant. Il n’a jamais touché un centime pour cela et selon lui, c’est normal :

« Pourquoi beaucoup de gens préfèrent le college football à la NFL ? Pourquoi les stades NCAA sont-ils plus grands que ceux NFL ? Parce en NCAA, la valeur de jouer non pas pour soi ou un contrat mais pour ses coéquipiers, son université, sa famille (les fans) est au-dessus de tout. Il ne faut pas perdre cela. Moi je me souviens de mon grand-père qui rêvait de voir Florida champion, c’est pour cela que j’y suis allé. », déclare t’il à ESPN

Enfin d’autres, y voient une dérive faussant les processus de recrutement car bien entendu, les meilleurs prospects du pays iront où à votre avis ? Là où les possibilités de monnayer leurs talents existent. Et comment les blâmer ?

Dessous la table

Une rémunération, en tout cas, donnerait une plus grande transparence dans les processus de recrutement : ceux travaillant autour du football universitaire savent que beaucoup des meilleurs lycéens reçoivent de l’argent, en dessous de table, pour signer dans telle fac plutôt qu’une autre. Et de temps à autre, une de ces transactions frauduleuses est mise au grand jour : scandale! Ou hypocrisie.

Après s’être fait repérer, en postant une vidéo se montrant avec une liasse de billets de 100$ alors qu’il était encore lycéen, le linebacker depuis à Mississippi State, Leo Lewis, a avoué avoir touché de l’argent de plusieurs universités (21 000$ en tout). Il a tout gardé bien entendu, sachant qu’aucune université ne viendrait déposer une plainte s’il s’engageait pour une autre école. Après son enquête, le journaliste de SBnation Steven Godfrey, pense que cela n’est pas prêt de changer : pour les universités, cela est bien plus rentable de glisser quelques billets à certains et d’offrir un maximum de 85 bourses d’études que de rémunérer une centaine de joueurs. Et pour ceux comme Leo Lewis, venant de milieux pauvres, cela représente de quoi améliorer le quotidien de la famille.

Pour Peyton Barber, les conditions de vie sont désormais plus confortables, pour lui et les siens. Avec les Buccaneers il tente de durer dans une ligue compétitive. Son avenir en dépend. Chaque saison, entre 20 et 30 running-backs sont draftés et c’est sans compter certains agent-libres (comme lui) qui arrivent à se faire une place dans un effectif. La vie a un prix alors il se bat pour pouvoir continuer de le payer.

 

Partagez cet article sur : Twitter Facebook
Afficher les commentaires