[Undrafted] Sam Mills : à la vie, à la mort

Sous-estimés, méprisés, oubliés, recalés. Les revanchards de la NFL. Les non-draftés.

Charlotte, Caroline du Nord. Lundi 18 avril 2005. Aux petites heures, Sam Mills vient de rendre son dernier souffle. Chez lui. Entouré des siens. Après deux ans d’un combat acharné, mais vain, le cancer vient de l’envoyer au tapis. Un uppercut en plein estomac. Jusqu’au bout, il se sera battu. Jusqu’au bout, il aura lutté. Keep Pounding. Une devise personnelle devenue slogan de toute une franchise. Un cri de ralliement qui résonne chaque dimanche de match au Bank of America Stadium et dans toute la Caroline. L’histoire de Sam Mills, c’est celle d’un combattant. Sur le terrain lacéré de blanc, comme dans le ring de la vie.

Petit, mais costaud

Les couleurs des Panthers, Sam Mills ne les aura pourtant portées que durant 3 saisons. Au crépuscule d’une carrière insensée pour un gamin du New Jersey haut comme trois pommes valdingué aux quatre coins de la côte est et bien au delà. Car si très tôt, déjà, tout le monde s’accorde sur son talent, personne ne veut vraiment de lui. Un paradoxe qui va forger son incroyable détermination et cimenter une destinée hors-norme. Aussi grandiose, que tragique. Vous ne vouliez pas de moi ? Vous allez le regretter. Son leitmotiv. Petit, mais costaud, le gamin du Garden State va apprendre la patience à travers des échecs qui jamais ne le feront reculer. Bien au contraire. Son destin est tout tracé, personne ne pourra l’en détourner : il sera joueur professionnel de football. Un jour.

Mills voit le jour à Neptune City, New Jersey, là où, 22 ans plus tôt, venait au monde un certain Jack Nicholson. À Long Branch, à quelques bornes à peine de la cité du dieu des eaux vives et des sources, à deux pas du front de mer, Sam grandit dans un environnement débordant d’amour, mais où les dollars sont rares. Neuvième d’une fratrie de onze gamins, il passe les 11 premières années de sa vie à Seaview Manor, un complexe résidentiel gouvernemental au nom pompeux qui masque une réalité nettement moins enchanteresse. Dans cette enfance sans opulence, mais relativement heureuse, l’apprenti footeux barbouille des murs de graffitis avec ses frangins entre deux parties de football avec ses potes. Des ados qui le regardent tous de haut. Littéralement. Pourtant, Sam compense sa petite taille par une force ébouriffante et un caractère bien trempé sur le terrain. Footballeur, lutteur, il décroche deux titres de district sur le tapis en 76 et 77. Athlète accompli, il est pourtant royalement ignoré par les recruteurs universitaires de tout le pays. Même ceux des plus petites formations de Division I voire II, un temps amadoués par ses prouesses sur le terrain, détalent à la seconde où leur regard se pose sur trois chiffres. Sa taille. 1 mètre 75. Rédhibitoire dans un football qui voit tout en grand et rien qu’en grand.

« Il y a une dimension mathématique dans le football, » raconte Fred Hills, son coach universitaire, dans les colonnes de Sports Illustrated en décembre 1988. « Les recruteurs adoraient ce qu’ils voyaient à la vidéo, mais quand ils entendaient qu’il mesurait 1 mètre 75, ils perdaient tout intérêt. Même s’il pesait plus de 100 kilos, le chiffre de la taille ne collait pas avec leur modèle type. »

Mauvaise équation. Erreur de calcul. Par défaut, sans la moindre bourse d’études, Mills atterrit à Montclair State College, rebaptisée Montclair State University depuis, et son campus verdoyant niché au nord-ouest de Newark. Il pourrait vivre ça comme un échec cuisant, mais non. Car il y a quelques mois encore, il n’était même pas question d’aller à la fac. Sam se projetait déjà en mécano couvert de cambouis. Mais le destin, la malice de son coach et des talents douteux en matière de mécanique en auront décidé autrement. Sans invitation, il devra aller chercher sa place sur le terrain tout seul. Comme un « grand ». Un walk-on. Pendant 4 ans, dans une Division III indigne de son talent et incapable de ralentir ses 100 kilos de muscles et de revanche, le linebacker réécrit le livre des records des Red Hawks. 501 plaquages en 4 saisons passées dans la petite université publique du New Jersey, du jamais vu. 142 plaquages en deuxième année, du jamais vu. 22 plaquages en une seule rencontre dans sa campagne de junior, du jamais vu. Encore. Capitaine nommé All-American par l’American Football Coaches Association en 1980, il est sacré trois fois Défenseur de l’Année dans le New Jersey. Dans les pittoresques bas-fonds du football universitaire, il perd son temps à martyriser des gamins qui n’ont rien demandé. Des gosses bien trop faiblards pour lui et sans le moindre avenir sur un terrain de foot. Il n’a rien à faire là. Une anomalie.

Des stats délirantes, une réputation qui dépasse enfin les frontières de son État natal, mais toujours 175 centimètres sous la toise. Les grosses écuries universitaires l’avaient snobé, leurs grandes sœurs de la NFL vont gentiment les imiter. Seuls les Cleveland Browns daignent lui accorder ne serait-ce qu’un coup d’oeil. Le temps d’un été, Sam se frotte aux colosses de la grande ligue. La préparation estivale de 81 parvenue à son terme, il est coupé. Toujours trop petit paraîtrait-il. Quelques mois plus tard, après un hiver blanc, il signe chez les Argonauts de Toronto, en CFL, mais là encore, il ne résiste pas à la pré-saison. Avant même d’avoir véritablement débuté, sa carrière est déjà en voie d’extinction. Chaque fois, la même rengaine. Une passion pour le jeu, une énergie bestiale, une envie démentielle, un talent évident, des stats impressionnantes et des bandes vidéo qui font transpirer les scouts. Jusqu’à ce qu’ils tombent sur trois petits chiffres. 1. 7. 5. Sa taille… Même à Cleveland, sous le charme du linebacker, le coach Sam Rutigliano tombera dans le panneau de l’impitoyable et insondable dogme de la taille. Sans équipe, sans plan de secours, invisible aux yeux de la NFL, recalé par la CFL, Sam se reconvertit en prof de photo et se dégote un poste d’entraîneur adjoint dans un lycée de East Orange, dans son New Jersey natal. Mais pas question d’abandonner.

En janvier 1983, deux ans après avoir disputé son dernier match de foot sauce NCAA, Mills décroche un essai chez les Philadelphia Stars de l’ambitieuse USFL. Une nouvelle ligue, un autre football, mais du football quand même. En Pennsylvanie, puis dans le Maryland après le déménagement des Étoiles à Baltimore en 85, Mills et son mètre 75 se faufilent aisément dans l’effectif. Car s’il ne culmine pas à des sommets, Sam n’a rien d’un petit format. Des jambes courtes qui lui doivent un centre de gravité bas, certes, mais de longs bras qui lui assurent une excellente allonge, un cou aux allures de tronc de séquoia, un buste démesuré et une salade de muscles noueux qui lui permettent de soulever plus de 180 kilos de fonte. Un physique de Super Saïyen.

Sur le terrain d’entraînement, au milieu de ses coéquipiers, le linebacker a l’air d’un nain. À tel point que Jim E. Mora s’interroge sur sa place dans un effectif de footeux pros. Pas pour longtemps. Leader naturel dans le vestiaire, bourreau de travail, modèle de combativité sur le gazon, le linebacker se taille rapidement une solide réputation. Petit, mais incroyablement vif, Field Mouse ne se défile jamais, même face à des types qui lui rendent 20 bons centimètres, et devient très vite une star par-delà les frontières du Garden State.

« Vous savez pourquoi ils l’appellent Field Mouse ? » demande Shaw, l’un de ses demi-frères, dans SI. « Parce qu’il se faufile sur le terrain comme le ferait une souris au milieu d’un troupeau d’éléphants. »

« Et les éléphants ont peur des souris, » ajoute plein de malice Sam Sr, son père.

À la fin de sa première année, aucun défenseur des Stars n’a empilé autant de plaquages que lui. À la fin de sa deuxième année, pareil. À la fin de sa troisième année, même refrain. Il devient la pierre angulaire de la Doghouse Defense, escouade la plus redoutée de l’éphémère ligue. Trois saisons, deux titres USFL, trois fois All-USFL, il trône fièrement en plein cœur de l’équipe type de l’histoire de la défunte rivale de la NFL. En trois années d’existence, l’USFL n’aura pas connu de meilleur défenseur. Sauf un. Un certain Reggie White. Et si finalement, il n’était pas si petit que ça ? Pas au point de ne pas pouvoir se dégoter une place dans un roster NFL ?

Keep Pounding

En 1986, l’USFL implose et la NFL récolte les cendres encore fumantes. Head coach de Stars sacrées en 85, Jim E. Mora se trouve rapidement un point de chute à La Nouvelle-Orléans, au secours de Saints léthargiques depuis leur naissance. Dans ses valises, le pitbull Sam Mills, rookie de 26 ans dans une NFL qui lui ouvre enfin les bras malgré elle. Pour le coach, une évidence. Il est « le meilleur joueur que j’ai jamais coaché, » confiera des années plus tard au micro de NFL Network celui qui passera 4 années à diriger Peyton Manning. Dans le Bayou, Sam trouve enfin un challenge à sa mesure et fait rapidement regretter aux recruteurs de l’avoir snobé si longtemps. Rickey Jackson, Pat Swilling, Vaughan Johnson et Sam Mills. À eux quatre, ils forment la Dome Patrol. Le meilleur groupe de linebackers de l’histoire. Une étincelle dans la liturgie jusque là bien morne de Saints venus au monde deux décennies plus tôt. En 86, ils soufflent leur 19e bougie et attendent encore leur premier rendez-vous sans cesse repoussé avec les playoffs. Pire, c’est une toute première saison dans le vert après laquelle ils courent désespérément. En dehors de deux campagnes à l’équilibre en 79 et 83, les joueurs à la soutane ont toujours connu plus de revers que de succès. Un culte de la lose déprimant pour une jeune franchise qui cherche enfin à se bâtir une histoire dorée digne de sa tunique.

« On est tous réunis et on voit ce petit mec, court sur pattes, en train de faire la queue pour la bouffe et on se demande à quelle position il peut bien jouer, » se souvient Stan Brock, vieux briscard aux 7 saisons dans le corps déjà à l’époque, sur les pages de canalstreetchronicles.com« On se dit, ‘ça doit être un running back ou un truc dans le genre.’ Le lendemain, on débarque dans le vestiaire et on le voit avec un maillot noir sur le dos. Alors on se dit, ‘Il est bien trop costaud pour être defensive back. Est-ce que c’est un linebacker ? Il va se faire tuer le pauvre !' »

Doté d’un flair incomparable et véritable boule de muscles et d’énergie au cœur du deuxième rideau, Sam Mills gagne le respect des siens quelques minutes plus tard, dès son premier entraînement, lorsqu’il envoie au tapis Brock, ancien choix de premier tour et colosse de près de 2 mètres. Pas juste une fois, mais deux fois, sous le regard mi-amusé, mi-pétrifié de ses coéquipiers. Ce petit bonhomme que tout le monde prenait pour un running back la veille dégage quelque chose de spécial se disent-ils tous. 

« Les gens parlaient sans cesse de sa taille, » explique plein de justesse Merril Hoge, ancien coureur des Steelers ayant croisé le chemin de Mills. « Très honnêtement, les gens oublient un peu trop vite que nous ne sommes pas la NBA. On n’essaye pas d’atteindre le cercle. On essaie même de jouer en-dessous en fait. On veut jouer en en attaquant par en-bas et non par en haut.. Ce n’est plus un problème de taille. La question de la taille n’est même plus pertinente si tu joues en utilisant la puissance de tes jambes et ta technique, surtout au poste de linebacker. »

Leader par l’exemple plus que par le charisme, il conquiert ses galons de titulaire et se voit confié le soin d’appeler les jeux de son côté du cuir. Le quarterback de la défense. « Un entraîneur au coeur du jeu, » ajoute Pat Swilling, son pote sur la deuxième ligne qui le dépasse de 15 bons centimètres. Une juste récompense pour un bourreau de travail qui ne vit que pour le ballon à lacet. Sam respire football, bouffe football, dort football. Sa soif de savoir footballistique est inétanchable. Son énergie, elle aussi, est sans limite. Et que dire de son talent naturel. Son instinct de prédateur. Capable d’arracher la balle des mains d’un passeur en plein lancer pour filer dans la direction opposée jusque dans la peinture, capable de bondir sur le casque d’un adversaire pour voler une passe détournée qui retombe en cloche dans le trafic, capable de faire sauter le cuir des bras d’un coureur enseveli sous une montagne de joueurs, capable de se faufiler entre deux bloqueurs bien trop grands pour lui pour aller geler le running back derrière la ligne de scrimmage, Mills sait tout faire. « Un modèle d’éthique, de leadership et de préparation qui aura su exploiter toute l’étendue de son potentiel comme personne, » résume Jim E. Mora à NFL Network. Quand un mec des équipes spéciales se blesse et que le coach beugle qu’il lui faut un mec pour le remplacer illico, Sam le Pro Bowler n’ayant plus rien à prouver bondit du banc, empoigne son casque, fonce sur le terrain, défonce le pauvre retourneur et fait exploser le ballon de ses bras. Au service de l’équipe. Au service des siens. Toujours.

« Sam est le coéquipier le plus authentique que je n’ai jamais eu, » raconte Brett Maxie, defensive back des Saints de 85 à 93, sur le site canalstreetchronicles en juin dernier. « C’est un des mecs les plus brillants que je connaisse et qui a accompli des choses immenses considérant ses mensurations et la position à laquelle il jouait. Tous postes confondus, c’est très certainement le mec le plus talentueux avec qui j’ai jamais joué. […] C’est le joueur de football ultime. »

Un overachiever dans le jargon du sport ricain. Sans pitié dans la mêlée, il est démoniaque sur la ligne de but, en dernier rempart devant sa propre endzone. Face à des coureurs envoyés en vol plané au-dessus de ses linemen, il se propulse dans les airs pour un clash les pieds décollés du sol fracassant. Sa spécialité. « C’est généralement un joueur tout en contrôle, mais sur la ligne, il est enragé, » raconte Vaughan Johnson, son partenaire de patrouille. Fou furieux sur le terrain, Sam est la bonté incarnée en dehors. Homme de foi, véritable gentleman, père et mari aimant, coéquipier modèle dévoué et loyal, humble et respectueux, un mec en or résumeront unanimement tous ceux qui ont croisé son chemin.

Patrouilleur hors pair resté en embuscade derrière la mêlée pendant que ses potes se ruent comme des affamés sur le quarterback, Sam ne perd jamais le porteur du ballon des yeux et se lance à ses trousses avec une énergie et une rapidité surnaturelles. Comme si sa vie en dépendait. « Il suffit de le regarder faire pour apprendre à plaquer, » résume Charles White, running back des Rams, dans SI en 88. Usant de son centre de gravité bas, il retourne ses adversaires de haut en bas comme lors de ses plus belles années de lutteur, lorsqu’il dominait toute la concurrence dans l’État du New Jersey. Impossible de le voir venir. Impossible de l’éviter. L’impact est létal. Et Steve Strapilo, guard pachydermique de NOLA de près de 2 mètres et plus de 130 kilos le sait mieux que personne. En octobre 1988, alors qu’il se remet d’une blessure à la cheville, il décide de tester sa condition physique retrouvée en s’exposant à la fureur de Mills. « Je voulais voir ce que j’étais capable d’encaisser, alors j’ai demandé à Sam de me frapper aussi fort que possible, » raconte-t-il en décembre de la même année. « On ne m’a jamais frappé aussi violemment de toute ma vie, dans aucun match ni aucun entraînement. Je sens encore la douleur aujourd’hui. »

Maillot maculé de sang, déchiré par endroits, le cou et les bras ruisselant de sueur, chaque muscle de son corps gonflé à bloc, il s’abandonne sur chaque jeu comme si c’était le dernier. « Je sais que ça fait cliché, mais c’était vraiment sa façon de jouer, » se souvient Brad Edelman, guard des Saints. En quarterback de la défense, il règne en patron et épate par sa science du jeu. Ancien lineman offensif des Falcons, Packers et Cardinals, Jamie Dukes se souvient, médusé et impuissant, entendre Mills appeler en avance toutes leurs actions, les unes après les autres, dans une démonstration de QI football bluffante. Génie au calme olympien avant le snap, le linebacker se mue en pitbull enragé, libéré de sa chaîne, à chaque hut et saute à la gorge de ses adversaires dans un style inimitable. Ce petit a tout d’un grand. Surtout, il n’a peur de personne.

« Vous savez ce qui m’horrifie ? » s’interroge Jim Mora dans Sports Illustrated en 88. « C’est combien existe-t-il de Sam Mills dont nous n’entendrons jamais parler pour le simple fait qu’ils ne font pas la bonne taille ou je ne sais trop quoi ? Le linebacker moyen en NFL fait à peu près un mètre 85, on parle de quoi, dix petits centimètres ? Et pour dix malheureux centimètres, on a failli ne jamais entendre parler de lui. Et on parle d’un grand joueur là. »

Quand il est renvoyé sur le bord du terrain sur des situations de passe où son petit gabarit le rattrape, il ne tient pas en place. Les deux pieds à moitié sur l’aire de jeu, il ne rate pas le moindre ralenti, perché sur des orteils en extension, parfois, pour regarder par-dessus l’épaule de coéquipiers qui lui barrent la vue. Sa soif de jeu est insatiable. Le 29 novembre 1987, au Three River Stadium de Pittsburgh, Sam et les Saints ont rendez-vous avec l’histoire. Leur histoire. Pourtant, invaincus depuis 4 rencontres, personne ne donne cher de leur peau face aux Steelers. Et quand les joueurs de NOLA se retrouvent acculés à 4 yards de leur peinture sur un 1st & goal en toute fin de rencontre, leur sort semble scellé. Le 12e homme rugit, les hommes d’aciers sont en fusion. Deux courses vaines en plein cœur, 3 petits yards, Pitt laisse filer de précieuses secondes. « Courir en plein milieu de cette manière, c’est comme balancer du popcorn sur un navire de guerre, » commente plein de justesse et d’humour l’ancien stratège des Chiefs Hank Stram au micro de CBS.

3e essai. Le fullback Frank Pollard s’échappe dans le flat et prend de court un Sam Mills inhabituellement lent au démarrage. Seul au monde, le quarterback Mark Malone n’a plus qu’à écraser la gâchette. Une formalité. Oui, mais non. Avec l’énergie du désespoir, Rick Jackson dépose son vis-à-vis et écrabouille la passe au sol. 4th downPower toss sur la gauche. Toute la ligne s’enfuit vers la touche, Pollard dans leur dos. L’extérieur verrouillé par Pat Swilling, le fullback repique vers l’intérieur et fait la rencontre frontale, brutale et fatale du mètre 75 de Sam Mills. Il n’ira pas plus loin. Turnover on downs. Game over. 5e victoire consécutive. Leur 8e de l’année. En roue libre, ils remportent leurs 4 derniers matchs. Pour la première fois de leur histoire, ils achèvent une saison dans le vert. Un an après l’arrivée du shérif Jim Mora et du patrouilleur en chef Sam Mills, les Saints découvrent déjà (et enfin) les playoffs. Alléluia ! 7 jours plus tard, dispersés aux quatre coins du terrain par les Vikings (10-44), ils retombent gentiment sur terre. Mais après des années de torpeur, la franchise de Louisiane a pris goût à la victoire. Contaminés par le virus du succès de Mills et Mora, les Saints enchaînent les saisons positives ou, au pire, à l’équilibre et les excursions supersoniques en séries.

Sam, lui, s’est enfin trouvé une famille. Surtout, à force d’y croire, les autres ont enfin commencé à croire en lui. À presque 27 ans, il y est. Il est un joueur de football professionnel. Reconnu. Adulé. Respecté. Une star. Un modèle. 9 ans plus tard, il se trouvera une nouvelle famille d’accueil plus aimante que jamais en Caroline du Nord. Avec des Panthers qui viennent de voir le jour. En semaine 7, après 6 défaites en autant de matchs pour la saison inaugurale des félins, Sam court-circuite une shovel pass et file 36 yards plus loin, dans la peinture. Les Panthers virent devant et ne seront plus rattrapés par les Jets. La jeune franchise tient son premier succès.

Après 3 années auréolées de succès en Caroline et qui lui doivent, à 37 balais, de devenir le plus vieux Pro Bowler de l’histoire à l’époque, Sam tire sa révérence et troque son casque et ses pads pour une casquette de coach et un joli stylo de tacticien en défense, en charge de la meute de linebackers. Pourtant, quelques mois plus tôt, il confiait à Brett Maxie ne pas vouloir coacher. Non, un petit business dans la vente d’assurances l’attendait. Mais une fois ses crampons rangés au placard, impossible d’abandonner le football. Impossible d’abandonner un sport qui l’a si souvent méprisé, mais lui a tant apporté. Après quelques mois dans un rôle administratif dans l’organigramme des Panthers, il se retrouve de nouveau sur le bord du terrain.

« Sam Mills n’est pas seulement l’un des joueurs de football les plus brillants qu’il m’ait été donné de côtoyer, c’était aussi un être humain incroyable, » lui rend hommage Dom Capers, son coach à Charlotte.

En août 2003, à quelques heures du dernier match de préparation de l’été, Sam se fait diagnostiquer un cancer des intestins. Irréversible. Il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Il se battra pendant près de deux ans. Jamais il ne ratera un match, préférant souvent le calme des loges au stress de la ligne de touche, profitant de ses jours de congé pour suivre l’inévitable et usante chimiothérapie. Même à trois jours du rendez-vous de sa vie, le Super Bowl XXXVIII, il fait un détour par la clinique pour subir son traitement avant de s’envoler vers Houston retrouver le reste de l’équipe. Quelques semaines plus tôt, pour leur entrée en lice en playoffs face aux Cowboys, Sam Mills livrait un discours fondateur.

« Quand on m’a diagnostiqué un cancer, je me suis retrouvé avec deux options : abandonner ou continuer à me battre. Je suis un battant. J’ai continué à me battre. Vous aussi vous êtes des battants. Alors battez-vous ! »

Battez-vous ! Keep pounding ! Des mots qui ricochent encore dans les coursives du Bank of America Field. Des paroles qui tapissent tout le stade. Deux mots brodés sur l’intérieur du col de chaque maillot des Panthers. De toute sa vie, jamais Sam n’aura douté. De toute sa vie, toujours il se sera battu. De son premier souffle, jusqu’au dernier. Keep pounding.

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