[Undrafted] Tony Romo : l’étoile montante

Sous-estimés, méprisés, oubliés, recalés. Les revanchards de la NFL. Les non-draftés.

Un arbre généalogique enraciné au Mexique. Une naissance dans le sud de la Californie version Oncle Sam. Une enfance passée dans le Wisconsin. Des études dans l’Illinois. Une carrière de footeux dans le coeur du Texas. Le casque frappé de l’étoile bleue de l’America’s Team fermement vissé sur une tête bien faite. Un cerveau qui bouillonne. Un état d’esprit irréprochable. Une science du jeu qui fait désormais le bonheur de tout amateur de football branché sur ABC les jours de match. Tony Romo, c’est l’incarnation de l’American Dream sauce gridiron. L’histoire d’un gamin à l’éternel regard malin. Pas particulièrement grand, pas vraiment baraque, pas plus talentueux que les autres, mais qui n’a jamais cessé de croire en son rêve.

Ma famille d’abord

Petit fils d’immigrés mexicains débarqués à San Antonio en 44, puis partis affronter les hivers polaires du Wisconsin sept ans plus tard, Romo grandit dans un cocon familial douillet et très soudé. Jamais dans le besoin. Jamais vraiment gâté pour autant. Avec leurs petits moyens, ses parent s’assurent que Tony et ses deux soeurs aînées ne manquent jamais de rien. Antonio Ramiro voit le jour en 1981 à San Diego, où son père exécute ses cinq années de service militaire au sein de l’U.S. Navy. Deux ans plus tard, retour au bercail. Les Romos s’installent à Burlington, en plein territoire des Cheeseheads. Là-bas, Tony et ses frangines doivent obéir à des parents aimants, mais stricts. Dîners en famille, messe dominicale, absence de jeux vidéos, les règles ne sont pas nombreuses, mais elles sont inflexibles.

Parfois frondeur, toujours compétitif, d’un naturel joyeux, souvent très bavard et incroyablement têtu, le quarterback en culottes courtes développe son goût du sport très jeune. À 5-6 ans, il passe des heures à tenter d’enfiler des paniers de basket dans un filet bien trop haut pour lui. Il a 8 piges quand ses parents lui offrent un mini-kit de golf pour Noël. Tout fier, il sort dans le froid et pose la balle sur le tee. « Il va l’envoyer chez les voisins, » craint sa mère. « T’inquiète pas, il va la rater, » lui glisse discrètement son père. Neni. Tony expédie la petite balle blanche 60 mètres plus loin, en plein dans le salon des voisins. Une vocation est née. Il faut dire qu’avec une mère cuisinière au golf local et qui l’emmène systématiquement avec elle dès son plus jeune âge, aux premières heures du matin, le numéro 9 prend rapidement ses aises près des greens. Dès ses 9 ans, il taquine la petit balle blanche pour les Burlington Minis. Pendant le même temps, il affine sa précision létale sur les monticules et se forge un mental de leader naturel dans le champ.

À Burlington, petite localité typique de 10 000 habitants coincée entre Milwaukee et Chicago, Tony vibre déjà pour le sport et dévore bouquins et VHS consacrés aux stars du passé. Johnny Unitas et son bras en or, « Pistol Pete » Maravich le génie des parquets, Vince Lombardi le visionnaire, les plus grands lui servent déjà d’inspiration. Nommé Little League All-Star en baseball dans ses jeunes années, golfeur précoce, c’est sur les terrain de basket et de soccer qu’il passe pourtant le plus clair de son temps. Comme son père. Mais ça, c’est avant de vivre ses premiers émois de footballeur au lycée. Pour garder la forme la grosse balle orange en main pense-t-il avant de tomber sous le charme du ballon à lacet, bien moins volumineux et terriblement plus aérodynamique. Très vite, il se met à rêver de marcher dans les pas d’une de ses idoles. Celle de tout un État. Brett Favre. Après deux premières années de lycéen loin des gridirons, il n’intègre l’équipe qu’en 1996 pour en devenir titulaire un an plus tard. Son année de junior. Pour son premier match, floqué du #16 d’un Joe Montana qu’il adule, il balance 308 yards. 7 victoires, 2 défaites, 2 tours passés en playoffs et un titre d’État qui leur échappe d’un souffle, dans une défaite d’un petit point dans les derniers instants à faire chialer. Romo et les séries partent du mauvais pied. Le début d’une relation tumultueuse.

L’année suivante, le lycée intègre une nouvelle conférence bien plus relevée et perd davantage qu’il ne gagne. Un contre-coup collectif qui n’empêche pas le quarterback en herbe de figurer dans l’équipe type du Wisconsin. En deux années aux cornes des Demons de Burlington High, le passeur aura expédié 42 touchdowns, près de 4000 yards dans les airs et se sera bâti une jolie réputation d’athlète touche-à-tout talentueux. Et tant mieux, car en classe, ça ne vole pas toujours bien haut. Des B tout au plus. Des C le plus clair du temps. Tony n’est pas un élève particulièrement brillant, mais loin d’être un cancre pour autant. Discret en cours, il se défoule sur les terrains et se fait remarquer par son incroyable pouvoir d’improvisation. Dès son année de sophomore, il fait parler sa magie.

« Je me souviens de cette action où [Tony] est en train de se faire sacker quand il change soudainement le ballon de main et le lance 20 yards plus loin… du bras gauche, » raconte son coach de l’époque, Steve Gerber, dans Football Superstars : Tony Romo de Clifford W. Mills.

Patrick Mahomes n’a rien inventé.

Sportif pluridisciplinaire qui vogue d’uniforme en uniforme au gré des saisons, Tony Romo passe sous le radar des grandes universités de Division I (A et AA comprises) malgré une vision et une connaissance du jeu rares pour un ado de son âge. Il paye justement le prix de cette polyvalence et de son manque de spécialisation dans un sport précis. Le choix logique de la famille se porte rapidement sur l’Université de Wisconsin-Whitewater, modeste établissement de Division III situé à quelques bornes de Burlington. Le choix de la proximité, mais aussi un enterrement de première classe pour les ambitions footballistiques du quarterback. Mais c’est sans compter sur le bouche à oreille discret entre scouts et autres observateurs. De l’autre côté de la frontière de l’État, dans l’Illinois, les belles performances de Tony sont parvenues jusqu’aux oreilles de Roy Wittke, nouveau coordinateur offensif d’Eastern Illinois University, un programme presque centenaire de Division I-AA, le deuxième échelon universitaire (désormais Division II). Une opportunité en or à laquelle personne ne croyait plus trop. La saison de football déjà achevée, c’est sur un parquet de basket que le coach découvre l’ado pour la première fois. Autre sport, mais même sens du jeu et même panache. Des actions clutchs, un leadership évident, Wittke est sous le charme. Reste à convaincre son supérieur.

« Je dois avouer, je ne le croyais pas capable de grand-chose, » confessera Bob Spoo, son futur coach, a posteriori. « C’est Roy Wittke qui a dû m’en convaincre. »

Bourreau de travail, mais pas particulièrement grand. Compétiteur dans l’âme, mais pas spécialement rapide. Dans le doute, les Panthers ne lui offrent qu’une bourse de scolarité partielle. Mieux que rien se disent les Romos.

Fighting Illini

Tony débarque sur le campus de Charleston, Illinois, et son architecture de style gothique revisité à l’automne 98. Bienvenue dans le « Berceau des coaches NFL. » Mike Shanahan, Brad Childress, Sean Payton, EIU a enfanté plus d’un stratège reconnu.

Anthony Buich, futur titulaire en Arena Football League, confortablement installé dans son siège de numéro un, Julius Davis, sa doublure, athlète complet bâti pour l’attaque tout terrain au sol des Panthers, le coach et son coordinateur offensif pensent un temps convertir Tony en tight end. Après une rapide mise à l’essai lamentable, séance de rétropédalage. Ils choisissent finalement de le laisser tranquillement mûrir sur le banc pour sa première année. Redshirt freshman. Plus rapide, plus physique, plus exigeant. La marche entre le lycée et le college football est encore trop haute pour Romo. Une année à faire ses armes en coulisses, loin de tout risque de blessure et de toute pression, ne pourra que lui être profitable.

« Il n’avait vraiment pas le meilleur bras, » se souvient coach Spoo. « Et, plus que tout, je ne pense pas qu’il avait encore pleinement conscience du travail et de l’implication qu’exigeaient le niveau universitaire. »

Prendre son mal en patience sur le gridiron ou tenter sa chance sur les parquets. Tony confit ses doutes à ses parents qui l’encouragent pourtant à poursuivre son rêve de football. Le travail finira par payer, ils en sont convaincus. Et le futur ne tardera pas à leur donner raison. Après une année blanche, il dépossède Julius Davis de son rôle de remplaçant. Et quand Anthony Buich se blesse quelques semaines plus tard, il se retrouve propulsé titulaire face à Central Florida. 21-31. Tony disputera deux matchs de plus dans une saison que les Panthers achèvent avec un piteux bilan de 2-10. Plus que trois années pour montrer ce dont il est capable. Qu’il n’est pas que l’un de ces centaines de quarterbacks universitaires bourrés de potentiel, mais qui ne fouleront jamais un terrain NFL. Prouver qu’il est différent. Prouver qu’il renferme au fond de lui quelque chose de spécial. D’unique. Le compte à rebours est lancé.

Pendant l’été 2000, Romo traverse la frontière de l’Indiana jusqu’à Terre-Haute pour assister à un entraînement des Colts. Là-bas, il dissèque chaque faits et gestes de Peyton Manning, scanne le moindre de ses mouvements. Surtout, en voyant le Shérif faire des heures sup après la séance pour corriger ses ratés, il prend conscience d’une chose : même les tous meilleurs font des erreurs. Seulement, ils font tout pour ne jamais les répéter. Ils travaillent. Sans cesse. Le talent, aussi immense soit-il, ça s’entretient. Et ça, Tony l’assimile très vite. Quand l’insomnie le rattrape, au lieu d’allumer la télé, il bosse.

« Très souvent, je me réveille en pleine nuit et je me dis, « Ok, je pourrais rester ici et regarder la TV, mais pourquoi je sortirais pas grimper quelques marches à la course ? » raconte-t-il au Journal Times en 2001. « Je n’avais rien d’autre à faire. Alors je sortais, je simulais quelques pas de recul et travaillais un peu sur mon jeu de jambes. »

« Quand tu y penses, ça n’est pas grand chose. Soit tu restes assis à regarder la télévision, soit tu te tiens en forme et gagnes en vitesse. C’est rien du tout. À peine 20 minutes par jour. »

Mais au bout, la différence est là. Un ballon en permanence vissé sur sa main droite, Tony profite de chaque instant pour perfectionner sa technique, peaufiner ses automatismes, gagner en rapidité d’exécution et maintenir une condition physique impeccable. Une éthique de travail irréprochable qui fait sa force.

Nouveau millénaire, nouveau titulaire. Tony est enfin promu général en chef à temps plein de l’attaque des Panthers. 42-20 à… Terre-Haute, face à Indiana State. 72-0 contre Kentucky Wesleyan. Un premier revers à Toledo, puis une série de quatre succès consécutifs. Le passeur s’éclate, expédie plus de 2500 yards dans les airs et lance 27 touchdowns en route pour une qualification en séries. Au premier tour des FCS Playoffs, les Panthers sont vaporisées par les numéros 1 de Montana, mais achèvent la saison la tête haute, portés par un quarterback nommé Joueur de l’Année de l’Ohio Valley Conference. Un an plus tard, il fait encore mieux. Un sans faute dans leur conférence, un seul écart à San Diego State, 9 victoires et un nouveau ticket pour les séries, portés par une attaque bien plus pragmatique et moins vorace en yards qu’un an plus tôt. Malgré un nouveau raté dès le premier tour face à Northern Iowa dans une orgie offensive, Tony lâche l’artillerie lourde et marque de précieux points : 386 yards et 5 touchdowns dans les airs qui ne suffiront pas, mais qui permettent au lanceur de conserver son titre de Joueur de l’OVC et de faire la fierté de ses parents.

À la maison comme sur la route, Ramiro et Joan ne sont jamais bien loin pour soutenir les exploits de leur ado. Même adulte, ils perpétueront la tradition. Délaissant leur Wisconsin d’adoption pour sillonner le pays dans les pas de leur fils. Ses supporters numéro un. Ses supporters depuis toujours. Même quand personne ne croyait en lui. À chaque déplacement, les Panthers sont escortées par un petit van bleu. Celui des Romos. Chaque vendredi, le couple quitte le travail à la hâte, grimpe dans son quatre roues et engloutit des centaines de kilomètres, luttant contre la fatigue accumulée depuis le lundi. Mais au bout, l’attend sa récompense, celle de voir son rejeton dans son uniforme bleu et gris le lendemain après-midi. Une fierté qui vaut bien le sacrifice de quelques heures de sommeil et quelques cernes. Kentucky, Tennessee, Indiana, Kansas, Illinois, Missouri, Montana, Floride, Californie s’il le faut, Joan et Ramiro traversent le pays d’un océan à l’autre, bien au delà des frontières du Midwest.

En 2002, pour sa dernière année dans le cadre intime de la « deuxième division » universitaire, Romo poursuit crescendo. Les revers sont de nouveau rares, la désillusion d’entrée en playoffs devenue une tradition, mais le passeur signe deux solides prestations face à deux programmes de Division I-A et fait gonfler les chiffres comme jamais malgré 16 interceptions : 3165 yards, 34 touchdowns, une nouvelle couronne de Joueur de l’Année et pour la première fois, une attaque des Panthers plus tournée vers les nuages que le gazon.

À la fin de la saison 2002, à Chattanooga, Tennessee, après 4 années passées à arpenter le pays de long en large et en travers dans le sillage de la caravane des Panthers d’EIU, Joan fond en larmes. Son fils vient de recevoir le Walter Payton Award récompensant le meilleur joueur offensif de Division I-AA. Une fierté immense. Des étoiles dans les yeux et les rêves les plus fous plein la tête, Tony quitte le campus de Charleston avec 85 touchdowns au compteur dans les airs, 10 de plus que l’ancien record détenu pendant plus de 15 ans par Sean Payton et qui tiendra jusqu’à ce que Jimmy Garoppolo ne débarque et ne pète toutes les marques existantes pour un quarterback des Panthers.

Passionné de sport, athlète accompli, diplômé en communication, déjà rompu aux ateliers en studio d’enregistrement, Tony Romo s’imagine déjà journaliste sportif. Pourtant, après des années passées à jouer au football sans autre pression que celle de gagner des matchs, le passeur s’est lentement imaginé un autre avenir au cours de sa campagne de senior. Un avenir où il irait travailler le dimanche après-midi, confortablement emmitouflé entre son casque et son plastron. Pour la première fois de sa vie, le rêve dingue de devenir joueur NFL est venu lui susurrer à l’oreille. Quarterback dans un petit programme auquel la plupart des recruteurs NFL n’auront même pas pris la peine de jeter un oeil, son père est sceptique quant à ses chances de parvenir à ses fins. Pourtant, quand Tony reçoit une invitation à ce que l’on appellera bientôt le NFL Combine, ce qui semblait relever de l’utopie la plus folle entre soudainement dans le domaine du possible. On pense à lui. On s’intéresse à lui. Il existe.

Stakhanoviste du gridiron

Tests physiques, tests psychologiques, tests de skills, Romo débarque à la foire aux bestiaux d’Indianapolis sans rien à perdre. Se montrer sous son plus beau jour devant des coaches NFL, des scouts et des GMs qui n’ont probablement jamais entendu parler de lui, voilà sa mission tout sauf impossible. Une détente verticale au ras des pâquerettes, un 40-yards dash au ralenti (5 secondes), le quarterback ne se fait pas remarquer pour ses dons d’athlète. Romo n’a jamais été un athlète hors norme.

« Il a un bon bras, détrompez-vous, » raconte son ancien receveur fétiche chez les Panthers, Frank Cutolo, dans The Journal Times en 2001. « Mais son déficit de puissance dans le bras, il le compense par son intelligence et sa faculté à anticiper. C’est quelque chose qui m’a toujours marqué chez lui. Il anticipe là où vous allez vous retrouver et lâche le ballon avant même que vous ne vous retourniez. »

En plus de ses dons de lecture de jeu, c’est autre chose qui attire l’oeil de Jim Hess, recruteur pour les Dallas Cowboys. Pendant des heures, inlassablement, Tony enchaîne les passes pour ses partenaires receveurs, tight ends, running backs ou autre defensive backs sur les différent ateliers aériens. Sans relâche. Sans jamais rechigner. Altruiste, bosseur inépuisable, mais aussi la tête bien faite, Romo décroche un score de 37 au Wonderlic, test de 50 questions de logique à réaliser en 12 minutes, qui le place parmi les tous meilleurs quarterbacks de la décennie à ce petit jeu.

Dirigeant des Cowboys pendant 28 ans et chasseur de jeunes talents intronisé au Hall of Fame en février 2019, Gil Brandt ne reste pas insensible à l’ancien d’EIU : « Intéressant dans ses déplacements et de par sa capacité à lancer en mouvement. Excellent avec les médias, » note-t-il sur son calepin. Tony est loué pour son esprit de compétiteur, son intelligence et sa dévotion. De bien jolis mots, mais pas de quoi lui offrir son instant de gloire le jour de la draft. Carson Palmer. Byron Leftwick. Kyle Boller. Rex Grossman. Dave Ragone. Chris Simms. Seneca Wallace. Brian St. Pierre. Drew Henson. Brooks Bollinger. Kliff Kingsbury. Gibran Hamdan. Ken Dorsey. Mais pas de Tony Romo. Personne ne prononcera son nom. Pas même les Cowboys. Pas la moindre trace d’un quarterback de Division I-AA. Ils sont deux pourtant à longtemps avoir hésité. Deux anciens quarterbacks d’Eastern Illinois, eux aussi. Deux stratèges capables d’évaluer le véritable niveau de la concurrence rencontrée par Romo au cours de son cursus universitaire. Mike Shanahan, coach des Broncos, et Sean Payton.

Fraîchement nommé coordinateur offensif et coach assistant des Cowboys de Bill Parcells, Payton va faire le forcing pour signer Tony Romo. Payton. Parcells. Jerry Jones. C’est tout l’organigramme de la franchise texane qui décroche son téléphone tour à tour pour faire la sérénade au quarterback du Wisconsin. Le numéro de charme est un succès, tous les efforts de Mike Shanahan seront vains, le coach de Dallas a flairé en Tony un joueur au mental de gagnant qui ne pourra que se bonifier à son contact et celui de son gourou offensif. Il y a quelques années encore, juste après que ses grands-parents aient déménagé dans le Lone Star State pour fuir les longs hivers, il plaisantait avec sa grand-mère en lui promettant qu’il deviendrait un joueur des Cowboys un jour. Promesse tenue. 12 000$, un logement et quelques dépenses sommaires, le 1er mai 2003, il griffonne au bas de son tout premier contrat NFL.

Une semaine plus tard, il rejoint le mini-camp réunissant les rookies de la franchise, à San Antonio. Un soleil de plomb, une chaleur suffocante, un Bill Parcells dans son rôle habituel de tyran qui tente d’impressionner les jeunes recrues et l’interdiction de porter un casque. L’étoile bleue, ça se mérite. Si vous voyez le football comme un simple gagne-pain, faites vos valises et foutez le camp. Le head coach veut des passionnés. Pas des mercenaires.

Lancers rapides, puissants et précis ; serein dans la poche, capable de se déplacer au travers de la pression pour étendre le jeu, Romo séduit Sean Payton et David Lee, coach des quarterbacks. Pourtant, au dernier jour du mini-camp, Parcells ne partage pas vraiment leur enthousiasme. Il voit davantage un type qui lance un ballon, qu’un joueur qui le passe. Une nuance qui ne lui plaît pas du tout. « Vu la façon dont il lance maintenant, ses passes se feront contrer sur la ligne six fois sur dix, » lâche-t-il sans concession à Lee. Un défaut dans sa mécanique de lancer presque rédhibitoire pour un quarterback d’un mètre 88 dans une NFL où les joueurs de lignes et leur double mètre de rigueur sont entraînés à dresser un mur de bras sur chaque action. Mais loin d’être abattu par ce verdict cinglant et comme il l’a appris de Peyton Manning 3 ans plus tôt, Romo est déterminé à travailler comme un dingue pour gommer ses défauts. Quand bien même cela implique de revoir de fond en comble la façon dont il a toujours joué au football. « C’est de la mémoire musculaire. Tu ne peux pas changer ça. Ça prend près de 10 000 passes pour y parvenir. Peut-être même une année entière, » confie David Lee dans Tony Romo: America’s Next Quarterback de Mac Engel. En bourreau de travail, Tony se met à l’oeuvre jusqu’à en faire éclater les vaisseaux sanguins des mains de son pauvre coach qui endosse le rôle de receveur. Des dizaines de passes. Des centaines de passes. Des milliers. Méthodiquement, le rookie apprend à libérer son ballon plus haut afin de contourner les bras hérissés des défenseurs adverses.

Au moment d’attaquer le camp d’entraînement, Romo a corrigé un problème pour mieux en créer un autre. Si le ballon quitte désormais sa main bien plus haut que par le passé, il a aussi la fâcheuse tendance à filer au-dessus des receveurs. Tony doit réapprendre à lancer des spirales parfaites, des ballons au trajectoires courbées qui retombent entre les numéros, directement dans les pectoraux de ses cibles. Et avec une nouvelle mécanique à apprivoiser, l’apprentissage se révèle particulièrement éprouvant. Physiquement, mais surtout mentalement. À chaque interception, Parcells enfile sa cagoule de bourreau, lui hurle dessus, le descend, l’humilie. Le quarterback ne cille pas. Il écoute, impassible, son coach lui cracher toute sa rage entrecoupée de quelques consignes à la tronche. La tempête passée, il se remet en position et balance une passe parfaite dans les chiffres. David Lee est admiratif. Ce gamin a un mental de fer. « Impossible de l’enfoncer. Impossible de le briser, » se souvient-il dans les colonnes du New York Times.

L’échec ne l’effraie pas. Pour lui, ça n’est qu’un simple contre-temps. Travailler, corriger les petites imperfections, puis passer à l’étape suivante. Tout se travaille. Tout se gomme. Tout s’améliore. Son égo bien rangé dans un coffre-fort fermé à double tour, Tony Romo accepte les critiques et les coups de main sans broncher. Un état d’esprit irréprochable qui scotche Bill Parcells et lui vaut en grande partie le droit d’intégrer le roster élargi des Cowboys en tant que troisième homme. Le 9 août 2003, en pré-saison face aux Cardinals, il lance sa première passe chez les pros dans les mains d’un autre rookie. Un tight end prometteur. Jason Witten. 4/8, pas de touchdown, une interception, rien de très sexy, mais l’essentiel est ailleurs. Tony est quarterback dans la NFL. À la fin de l’été pourtant, il ne passe pas le cut des 53 et est envoyé sur le practice squad. Il s’entraînera avec le reste de l’équipe, mais ne sera pas en uniforme les jours de match. Infranchissables en défense, mais trop tendres en attaque, les Cowboys décrochent 10 succès, mais sont éliminés dès le premier tour par des Panthers en route vers le Super Bowl.

En 2004, après un printemps passé à entraîner des gamins dans son Wisconsin puis dans le Tennessee de Jason Witten, Tony débarque au camp de Dallas avec la boule au ventre. La concurrence sera rude. Expérimenté, Quincy Carter sort d’une saison pleine à la tête de l’attaque texane. Vétéran dégoulinant d’expérience passé sous les ordres de Parcells chez les Jets, Vinny Testaverde a été signé par Jerry Jones quelques mois plus tôt. Tour de contrôle au bras surpuissant drafté un an auparavant, lui aussi, Drew Henson a définitivement renoncé à ses rêves de baseball avec les Yankees et vient de parapher un contrat de 8 ans avec la franchise texane. À l’aube de la pré-saison, Tony se retrouve relégué en 4e position dans la hiérarchie des quarterbacks. Tous les indicateurs pointent vers la sortie. Mais le 4 août, le ciel s’éclaircit. Dans des circonstances encore troubles aujourd’hui, Quincy Carter est subitement coupé. 5 jours plus tard, intercepté à deux reprises, sacké deux fois, coupable d’un safety, Romo est sur un siège éjectable. Les Cowboys seraient en train de chercher un autre vétéran pour assurer les arrières de Testaverde, titulaire tout désigné pour la saison qui s’annonce.

Le 21 août à Oakland, Dallas est mené 20-15 avec environ 4 minutes à jouer dans un environnement des plus hostiles. Même en préparation, dans une rencontre sans grand enjeu, Parcells haït viscéralement la défaite. Sans véritable solution, il se tourne vers le banc et envoie Tony au casse-pipe. Fébrile, sauvé par une pénalité défensive qui annihile une interception, le quarterback retrouve peu-à-peu son calme et son assurance, et remonte tout le terrain. Il reste 23 secondes. Plus le moindre temps-mort en poche. Romo dégaine une passe de 13 yards dans les bras de Sean Ryan. Le tight end est stoppé à un yard de la ligne. Tic-tac. « Spike le ballon, » lui hurle Parcells. Tic-tac. Tony l’ignore et appelle son propre jeu. Tic-tac. Un quarterback keeper. Tic-tac. Hut ! Debout derrière sa protection, le passeur fait mine de vouloir lancer le cuir, la défense y croit, dégarnit la ligne de mêlée et le laisse s’engouffrer dans l’en-but pour le touchdown de la gagne. Il vient de sauver sa peau. Un raté l’aurait probablement envoyé au pôle emploi dès le lendemain matin. Quelques jours plus tard, il passe le cut des 53 et devient officiellement un membre à temps plein des Dallas Cowboys. Une étape de plus de franchie.

Quarterback à temps partiel, holder à temps plein. Quand McBriar foire le ballon sur une tentative de field goal en semaine 1 à Minneapolis, Parcells affecte Tony Romo à ce prestigieux poste pour le reste de la saison. Quand Testaverde est expédié sur le banc après six défaites en neuf semaines, c’est Drew Henson qui est envoyé à la rescousse. Paumé sur le terrain face aux Bears, le remplaçant est pétrifié et livre une prestation abjecte qui le renvoie faire banquette pour de bon. Vinny enfile son costume de héros et signe un comeback dans le 4e quart. Toujours pas de Tony à l’horizon.

« Il a la sale habitude de vouloir forcer des passes dans des fenêtres bien trop serrées, » racontera le receveur Keyshaun Johnson dans Tony Romo: America’s Next Quarterback de Mac Engel. « Ça en fait un gars à risque, susceptible de lancer beaucoup d’interceptions. Pour moi, c’était oui… mais non. Je pense qu’il aurait pu jouer à la condition que tout le monde soit ok avec sa mentalité de fou de la gâchette. »

6 victoires, 10 défaites, une saison ratée, Testaverde n’est pas conservé. Une année blanche, mais pas pour rien. Aux côtés du vétéran, Romo aura énormément appris. Préparation, vidéo, étude de l’adversaire, rigueur de travail, le quarterback fait plus ample connaissance avec le professionnalisme. Tout simplement. Vinny parti vers d’autres cieux, Parcells n’est pas encore prêt à donner les clés de son attaque à Tony pour autant et décide de réinjecter de l’expérience avant la pré-saison 2005. Grand perdant des premiers chapitres de la légende Tom Brady, Drew Bledsoe connait le head coach de ses années Patriots, à l’époque où il avait porté New England jusqu’au Super Bowl en 96. Romo, lui, devra encore se battre pour conserver son rôle de doublure. Comme chaque année, il repart de zéro et révise sa mécanique de A à Z en quête de la moindre amélioration possible, du moindre ajustement qui pourrait lui faire lâcher le ballon plus vite, rendre sa spirale plus serrée, son lancer plus véloce, faire de lui un meilleur quarterback. De belles performances en préparation, pas la moindre interception, un place de numéro 2 gagnée sans vraiment trembler et un coach convaincu d’avoir pris la bonne décision. Un bel été.

« Si on l’avait fait jouer dès sa première ou deuxième année, il ne jouerait probablement plus au football, » confira Parcells dans les colonnes de USA Today. « Avec un joueur comme Tony qui n’a jamais joué au haut niveau à l’université, il faut savoir laisser du temps. »

Barré derrière un Drew Bledsoe plus rassurant aux yeux de Parcells et qui lui donne entière satisfaction, Tony Romo fait ses premiers pas de quarterback NFL en saison régulière le 9 octobre 2005. Match plié, le passeur entre en jeu et met le genou au sol pour sceller le net succès 33-10 des siens face aux Eagles. Un caméo plus symbolique qu’autre chose. Après un début de saison prometteur, les Cowboys s’effondrent en décembre et ratent les playoffs malgré un bilan positif. Inacceptable pour Jerry Jones et son coach. Il faut frapper du poing sur la table. Dallas doit retrouver son lustre d’antan au plus vite.

America’s Boy

Le 18 mars 2006, le jet privé de l’omnipotent président s’envole pour Atlanta. Quelques heures plus tard, il retrouve le tarmac de Dallas avec Terrell Owens, son contrat de 25 millions sur 3 ans, son immense talent et sa gigantesque grande gueule en cabine. Cet été là, l’attention de tous les observateurs est rivée sur le sourire XXL de T.O. Quand Tony balance une passe parfaite pour son nouveau receveur, les 5000 fans massés sur le terrain d’entraînement d’Oxnard, Californie, jubilent et redoublent d’excitation quand le numéro 81 fait le show. La session achevée, ils se ruent tous vers lui. En silence, observateur distant, Parcells couve du regard son éternel remplaçant, au frais dans l’ombre de sa nouvelle co-star et qui pourrait bien endosser le rôle de titulaire au moindre faux pas de Bledsoe et ses 34 balais. Son pote Jason Witten prolongé à prix d’or pour 6 nouvelles années, son rival Drew Henson poliment remercié, les étoiles bleues commencent gentiment à s’aligner.

Pendant la pré-saison, Tony Romo voit plus de temps de jeu que jamais auparavant. Pour la première rencontre de préparation, il joue même de la première à la dernière seconde. Bill Parcells veut le tester en configuration de match complet. Et ce qu’il voit l’enchante. Le 31 août, il est récompensé par une prolongation assortie d’une jolie augmentation.

Le 15 octobre 2006, 1263 jours après avoir paraphé son premier contrat avec les Cowboys, il lance sa première passe dans la NFL en direction du rookie Sam Hurd. 33 yards. La suivante envoie Terrell Owens dans la endzone. Dallas s’impose peinard face à l’autre franchise texane et Tony finit avec un sans faute : 2 sur 2, 35 yards, 2 touchdowns et une évaluation parfaite de 158,3. Une semaine plus tard, l’histoire allait être toute autre. Lundi soir, dans un choc de division ultra-médiatisé face aux Giants, Drew Bledsoe enfile ses oeillères, rate T.O. wide open et lance en direction d’un Terry Glenn pourtant pris en tenaille. Interception. Parcells implose. C’est la goûte de trop. L’heure de Tony Romo vient de sonner. À toi de jouer gamin ! Première action, première passe, première interception. Assiégé par un pass rush new-yorkais nourri au yaourt pendant tout l’été et emmené par un Michael Strahan la bave aux lèvres, le numéro 9, le même que Roy Hobbs, héros de son enfance du film The Natural, est paumé, pris de vitesse, rattrapé par la panique et ajoute deux nouvelles interceptions, dont l’une extra pick-six, à l’addition. Au milieu de ce marasme, une passe éclair parfaitement placée dans les bras de Terrell Owens dans la peinture bleue et une offrande de 53 yards pour un touchdown de Patrick Crayton dans le garbage time. « Ça sera différent la semaine prochaine, » promet Tony, évidemment déçu, mais loin d’être abattu.

Deux jours plus tard, le 25 octobre 2006, Drew Bledsoe le damné est officiellement envoyé sur le banc, Tony Romo est promu titulaire. Une moitié du vestiaire voit la décision d’un très bon oeil, l’autre est plus sceptique. Prudente tout au plus. Bill Parcells, lui, n’attend pas la perfection de son protégé, mais un petit quelque chose. Une étincelle pour relancer une franchise enlisée depuis trop d’années. Au point mort. À Burlington, en plein territoire Jaune et Vert, la fierté est immense. Le cinéma de la ville affiche en grand sa nouvelle star dans son hall. Chez Fred’s World’s Best Burger, on plastifie une photo à son effigie sur la table 5. Le dimanche suivant, sur la pelouse du Bank of America Stadium de Charlotte, Dallas accuse déjà 14 points de retard après un quart d’heure de jeu. À la pause, ils n’en comptent plus que 4, mais Bill Parcells affiche toujours sa gueule des mauvais jours. Après un 3e quart-temps vierge de tout point, les Cowboys lâchent l’artillerie lourde. Épaulé par un duo Julius Jones/Marion Barber de feu, Romo passe en revue le répertoire des lancers courts et intermédiaires et Dallas plante 25 pions sans la moindre riposte. Pour sa toute première titularisation, le gamin du Wisconsin arrache la victoire avec panache. 7 jours plus tard, malgré une prestation léchée, les Cowboys se font coiffer sur le file après un field goal bloqué par l’extraterrestre Sean Taylor. Reculer, pour mieux sauter. Plus de 300 yards, 2 touchdowns et un rating à trois chiffres, les Cardinals sont gentiment maîtrisés et Romo nommé Joueur Offensif de la Semaine dans la NFC. Drew Bledsoe s’enfonce un peu plus sur le banc des remplaçants.

Le dimanche suivant, les Colts invaincus de Peyton Manning débarquent en ville. L’élève et le maître. Le joueur, le sportif, le quarterback, l’homme, Tony connaît le Shérif sous toutes ses coutures. Depuis des années, il le scrute, l’étudie, l’imite. 2 minutes et 9 secondes à disputer. Les Cowboys mènent de 7 points et ont le ballon en mains. Parcells appelle une course. Romo lit la défense, décide de lancer le cuir, fait mouche vers Terry Glenn et scelle l’issue du match. Quand l’élève dépasse le maître. « T’es un bon joueur, » lui glisse Peyton au milieu du terrain avant que le numéro 9 ne s’enfuie vers les vestiaires le ballon du match brandi à bout de bras, un sourire sans fin sur la face.

« On tient un leader qui prend son pied en plus, c’est contagieux, » se réjouit Terrell Owens dans les colonnes du New York Times. « Ça déteint sur nous tous. »

Troy Aikman, Ryan Leaf, Chad Hutchison, Quincy Carter, Drew Henson, Drew Bledsoe et Romo. Une semaine plus tard, pour le 7e Thanksgiving consécutif, les Cowboys alignent un 7e quarterback différent. En dehors d’une campagne 2010 écourtée par une blessure, il faudra attendre 2016 et l’avènement de Dak Prescott pour qu’un autre passeur enfile le casque frappé de l’étoile bleue le 4e jeudi de novembre. 306 yards, 5 touchdowns, devant des millions d’américains remplis de dinde, les Bucs envoyés par le fond, le 23 novembre 2006, Tony Romo devient une star. Lui, le gamin du Wisconsin qui aura idolâtré Brett Favre toute sa jeunesse. Lui, l’athlète touche à tout ignoré par les recruteurs. Lui, le petit quarterback universitaire à la technique rudimentaire devenu un esthète dans l’art de délivrer des spirales parfaites. Un talent sous-estimé ? Peut-être. Un bourreau de travail ? Certainement. La clé de son succès. Sa carrière ne fait que commencer. Une nouvelle étoile brille dans le Lone Star State.

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