[Undrafted] Brandon Browner : tout ça pour ça

Sous-estimés, méprisés, oubliés, recalés. Les revanchards de la NFL. Les non-draftés.

Il est de ceux qui ont choisi la voie de l’exil. Un exil contraint. Un exil faute de mieux. Un exil par défaut. Un exil pour mieux revenir. Pas de vengeance, ici. Juste un détour. Un simple contretemps. Un petite halte canadienne sur l’autoroute menant à la NFL.

Un peu plus à l’Ouest

Brandon Browner a déjà 12 ans lorsqu’il découvre le ballon à lacet sous le soleil de plomb de la Cité des Anges. Et le gamin tombe très vite sous le charme de ce sport aussi exigeant que grisant. Tous les jours, accompagné d’un de ses cousins plus âgé, il se rend à l’entraînement avec un immense sourire en travers de sa face encore imberbe. Receveur en attaque, cornerback en défense. Un agent double infiltré des deux côtés du jeu qui connait les subtilités des deux postes pour mieux mystifier ou geler ses adversaires. En seconde, il rejoint les footeux de son lycée de Sylmar, en Californie, et se fait rapidement un petit nom. Dès son premier match, il marque deux fois face à un des defensive backs les mieux côtés de tout le comté de Los Angeles.

Déterminés à recruter ce mastodonte capable de jouer des deux côtés du terrain, les représentants d’Oregon State descendent lui faire la cour jusqu’à L.A. pour lui tendre en main propre une offre de bourse de d’études tous frais payés. Un geste qui le touche, lui, mais aussi des parents qui n’ont jamais mis un pied à la fac. « C’était entre mes mains, c’était vrai, » se souvient-il auprès d’ESPN. Le coach des receveurs a beau s’être déplacé en personne, c’est de l’autre côté du ballon que les Beavers ont besoin de ses mensurations et de son agressivité naturelle. Le successeur tout désigné de Dennis Weathersby, cornerback d’un bon mètre 85 et près de 100 kilos. Surpris, d’abord. Frustré, ensuite. Fâché, presque, le temps de sa première semaine, lorsqu’il découvre les plans du staff le concernant, il se glisse rapidement dans son nouveau costume, profitant d’une première saison sans terrain pour s’y acclimater en douceur. Redshirted. Un mal pour un bien.

L’année suivante, pour son premier match face à un rival de la Pac-10, Brandon et ses dimensions de tight end font les choses en grand et interceptent 3 ballons. Son meilleur souvenir sur le campus majestueux de Corvallis. Très vite, il donne le ton d’une première année accomplie. Freshman of the Year de la Conférence Pacifique, Freshman All-American, titulaire dès le match un de la saison, il ne quittera plus jamais son poste. Semaine après semaine, il dompte un peu plus son nouveau job à temps plein et apprend à aimer ce rôle de briseur de fête qui met la misère aux receveurs adverses et fait grimper la frustration en eux.

Avec son long mètre 90 et sa centaine de kilos, il imprime un style physique sur les ailes et dégoute les meilleurs athlètes de la côte ouest. En 2004, il est nommé All-American et se fait une place dans l’équipe type de la Pac-10. Après deux saisons remplies sous le orange et noir des Beavers, Brandon décide de brûler les étapes, d’écourter sa carrière universitaire et de se présenter à la draft 2005. Géant parmi des cornerbacks d’ordinaire plus courts sur pattes, ses longs segments, en principe atouts de taille pour une NFL qui ne voit qu’en grand, se transforment soudainement en handicap. Les scouts et GMs sont sceptiques face à ce phénomène physique disproportionné pour verrouiller l’extérieur de leurs défenses et un Scouting Combine calamiteux ne va rien arranger. Impossible qu’il soit assez rapide et vif pour couvrir des receveurs NFL supersoniques. Un atout face à des Megatrons et autres anomalies athlétiques du genre, certainement ; mais impossible de lever le doute qui l’enveloppe, quand bien même ses longs bras seraient une arme redoutable dans les duels aériens ou pour compenser un déficit de vitesse. Non. Trop risqué. Personne n’ose miser sur lui. Non-drafté. Même pour la NFL, Brandon Browner est trop grand. Un comble. Pourtant, intrigués comme beaucoup, les Broncos choisissent de le convier à leur camp d’été. Pour voir.

À Denver ses interminables segments et ses bras de linebackers conduisent logiquement le staff à le repositionner en sentinelle au fond du terrain. Un changement de taille pour Brandon à un poste où les responsabilités sont bien plus grandes et les tâches nettement plus nombreuses et variées. En dernier rempart, sur la ligne, dans le flat, dans le slot, en blitz, en run stop, en couverture, il vadrouille aux quatre coins du terrain et doit appréhender une toute nouvelle façon de joueur où l’instinct et la lecture deviennent primordiaux. Plus question de verrouiller juste un homme ou de couvrir une zone délimitée. Un costume trop large pour le défenseur. « C’est arrivé trop vite pour moi, mon jeu était d’être isolé sur un îlot, cover-1, couverture de zone, » confie-t-il à ESPN en 2014. « Les safeties ont un bien plus grand rôle. » Pourtant, malgré sa délicate reconversion, Brandon impressionne par son intensité, sa dimension physique et son adresse à défendre acculé contre son en-but ou les deux pieds dans sa peinture. Un nouveau poste, de nouvelles responsabilités, mais la confiance de ses coachs et du temps devant lui. Tout les voyants sont au vert. Puis crac. Le 20 août, face à San Francisco, Brandon se pète le bras, rate toute la saison et est finalement remercié par les équidés le 24 juillet 2006, à quelque jours du début de la pré-saison.

Après 18 mois de frustration passés dans le Colorado, le téléphone se mure dans un silence assourdissant. Agent libre non-drafté n’ayant plus foulé un terrain de football depuis des lustres, personne ne veut de lui. Même les équipes les plus désespérées. Tirer un trait sur son année pour retenter sa chance la saison suivante ou filer vers d’autres cieux. Telles sont les deux options qui s’offrent à lui. Suivant les conseils avisés de son agent, Brandon choisit le nord et le temps de jeu. Dans des contrées verdoyantes en été et d’un blanc éclatant, éblouissant même, au coeur de l’interminable hiver. Le Canada. L’Alberta. L’exil vers un football aérien où ses talents de chasseur de ballons seront sublimés. Un choix par défaut. Un choix providentiel.

« Je suis devenu professionnel là-bas, » raconte-t-il à ESPN en novembre 2014. « À Denver pendant un an, j’étais encore un gamin, j’avais 20 ans. Je pense que ça fait partie des raisons pour lesquelles j’ai été coupé. Je devais gagner en maturité. »

Air(e) Canada

Grandir dans sa tête et non dans son corps. Car à tout juste un quart de siècle, Browner culmine déjà à un gros mètres 93 et pointe à 100 kilos sur la balance. Un beau bébé aux mensurations presque extravagantes pour un cornerback. Même pour une NFL si friande de ces gros formats bâtis pour raser des forêts à bout de bras. De l’autre côté de la frontière, il découvre un football plus modeste et ancré dans ses traditions. Des contrats nettement plus raisonnables et une soif de jeu intacte. Brandon s’éclate et se découvre un rôle de leader qu’il ne se connaissait pas et qui le mènera à endosser le rôle de capitaine en 2009 et de mentor pour des gamins en qui il se reconnait. « J’ai mûri en tant que joueur de football et professionnel. » Pour son premier été canadien, il impressionne ses coachs.

« C’est tout aussi unique que passionnant à observer parce que tu ne t’attends pas à ce que quelqu’un d’aussi grand soit aussi vif, » raconte Tom Higgins, coach des Stampeders, sur le site officiel de la CFL en juin 2007. « Lors des ateliers de changements de direction rapides ou de ce genre, tu te dis, ‘Wouah, comment un type avec des jambes aussi longues peut être aussi vif que ça ?’ » 

À Calgary, terre du rodéo, Browner renoue avec son football de vitesse et d’agressivité qui avait fait son succès à OSU et séduit le staff des Stampeders. Repositionné à son poste de prédilection, il suit les meilleurs receveurs adverses comme leurs ombres et contribue très largement à la conquête de la Grey Cup en 2008. Pendant 4 saisons, dont trois qui lui valent d’être nommé All-Star, il laisse un pied coincé dans la porte séparant la NFL de la CFL pour garder une oreille attentive sur ce qui se trame dans sa patrie. Car s’il explique dans les premières semaines de sa nouvelle vie avoir laissé le rêve de NFL lui monter à la tête après avoir quitté OSU dans la précipitation, il se sent désormais prêt à mener une carrière longue et plus discrète dans la ligue canadienne. Pourtant, pas question de tirer un trait sur le football sauce Oncle Sam. Pas encore.

« La télé de ma chambre était en permanence branchée sur NFL Network, » confie-t-il au Seattle Times en décembre 2011. « Pendant tout mon passage en CFL, jamais je n’ai coupé NFL Network, sauf pour jouer à un jeu vidéo. C’était indispensable pour moi. »

Une autre ligue. Un autre football. Un autre pays. Brandon s’épanouit sur les longs et larges terrains hachurés badigeonnés de sirop d’érable.

« J’ai pris énormément de plaisir au Canada, » raconte-t-il au Vancouver Sun en 2014. « Une chance de sortir des États-Unis. Une autre vie. Une autre culture. Les entraînements étaient faciles. Notre journée commençait à 8h le matin et à midi nous avions déjà terminé. Des journées de 4h. Difficile de faire mieux. »

Merci la nouvelle convention collective signée quelques mois plus tôt qui ne permet pas aux franchises CFL de retenir leurs joueurs plus de 4h par jour en semaine. « C’était incroyable, » ajoute-t-il sur ESPN. « J’ai passé les meilleures années de ma vie. » De rookie de 22 ans avare en paroles et peu coopératif avec les médias, Brandon se mue en vétéran modèle, patient et volontaire face aux micros, chaleureux même lorsqu’il est de bonne humeur, et véritable grand frère pour des jeunes joueurs parfois trop fougueux et qui se laissent rapidement emporter par leurs émotions. Et qui de mieux qu’un colérique assumé comme Browner pour apaiser les tensions ?

En 2011, intrigués par ce mastodonte qui écoeure les attaques adverses depuis 4 saisons, les Seahawks de Pete Carroll  lui offrent un carton d’invitation pour leur camp d’entraînement. Ils ne sont pas les premiers à s’essayer. Cinq autres franchises l’ont déjà mis à l’essai depuis son passage dans le Colorado, sans jamais se laisser convaincre. Washington et Minnesota l’avaient fait venir au printemps 2009 avant de le renvoyer à son exil canadien. Trop grand. Trop lent. Brandon est au bord du découragement à cette époque, mais en professionnel mature, il rejoint les Stampeders et prépare la saison à venir avec le sourire et une motivation décuplée. Sa chance viendra. Deux ans plus tard, elle toque à la porte. Car le coach de Seattle ne compte pas faire la même erreur que ses pairs. Lui qui avait raté l’occasion de mettre la main sur cet OVNI à l’époque où il entraînait les Trojans de USC, dans la Cité des Anges natale de Brandon. Pas question de commettre le même impair une seconde fois. Et malgré le contexte politique houleux animant la NFL cet été là, le stratège se veut des plus rassurant auprès de son nouveau protégé.

« Les mots de Pete Carroll étaient emprunts d’honnêteté, » explique Browner à ESPN. « Je sentais qu’il trouverait un moyen de m’utiliser. Il me parlait comme s’il savait déjà qu’il allait me signer. Ça se passait juste avant la grève. Ils m’ont en effet signé et nous sommes tombés en grève. Entre la saison CFL qui reprenait et l’incertitude autour de la NFL, c’était une période assez difficile à vivre car les factures continuaient de tomber, mais pas les chèques de paye. Ça a été dur, mais au bout du compte, je savais que je serai un Seahawk. »

Le compte en banque en berne, les poches presque vides après près de 6 mois sans le moindre salaire, le défenseur commence à ressentir l’étau se resserrer autour de lui et de sa petite famille. Quand il paraphe son contrat de 375 000 dollars, le minimum pour une première année, il respire enfin. Place au football. Bon retour chez toi Brandon.

Des mensurations délirantes, une vitesse anormale pour un mec de ce gabarit, malin dans sa vision du jeu, un engagement physique hors-norme, un cornerback dans un corps de linebacker et revanchard comme jamais, Browner impressionne durant toute une préparation écourtée par la grève et passe les cuts les doigts dans le nez. Presque rookie de 27 ans avec 4 saisons de professionnalisme dans les pattes, il épate le staff des Seahawks par son intensité et son instinct de compétiteur. Pile ce que cherchaient les Balbuzards. Avec un peu de travaille technique, l’avenir sera radieux, se réjouit déjà Kris Richard, coach des defensive backs qui a déjà reçu le renfort d’un certain Richard Sherman quelques mois plus tôt, au 5e tour de la draft. Si radieux, que le vétéran et ancien choix de premier tour Kelly Jennings fait les frais de l’ascension de Brandon et, après avoir été prolongé quelques mois plus tôt, est envoyé à Cincinnati le 29 août, à quelques jours seulement du début de la saison. 10 centimètres et 20 kilos de moins que le barbu au crâne rasé. L’ancien Hurricane de Miami ne fait pas le poids. Peu de cornerbacks le font d’ailleurs.

« Le seul mec aussi costaud dont je me souvienne, c’est Mel Blount, il y a un million d’années, » glisse plein de malice Pete Carroll en 2011. « Il est tellement grand. La plupart des gens le penseraient incapable de jouer à cause de sa taille, mais il se débrouille pas trop mal. »

Quand vient le temps d’ouvrir la saison chez les rivaux de San Francisco, il est devenu titulaire sur l’aile opposée de Marcus Trufant au sein d’une Legion of Boom en pleine construction après une campagne 2010 où les grands receveurs auront mené la vie dure au backfield défensif de Seattle. Il ne ratera pas un match de toute l’année, démarrant chaque rencontre semaine après semaine. En week 5 à New York, il retourne la première interception de sa carrière 94 yards dans la direction opposée, jusque dans la peinture bleue de l’en-but. Au coeur de l’hiver, il explose et signe 5 interceptions en 4 matchs entre les semaines 12 et 15. En une saison, il s’impose déjà comme l’un des cornerbacks les plus dominants. Lui, le paria parti en exil en Alberta. Le « rookie » de 27 balais. Cinq mois plus tard, quand le rideau tombe sur la saison, il se prélasse les doigts de pied dans le sable douillet d’Honolulu. Pro Bowler dès sa première véritable année dans la NFL.

Enfin titulaire. Enfin reconnu. Brandon Browner a tout pour accomplir une carrière longue et pleine et redéfinir de nouveaux standards au poste de cornerback. Mais il va tout gâcher. Entre deux bagues de champions à Seattle puis en Nouvelle-Angleterre, il se fait épingler par la patrouille. Contrôles positifs. Suspensions à répétition. Déclin supersonique de son niveau de jeu. Un jeu robuste qui se mue en jeu violent et lui doit de collectionner les mouchoirs jaunes comme personne. Une arrestation pour possession de drogue et conduite sous influence. Une fin de carrière dans l’anonymat de l’obscure American Flag Football League. Puis une condamnation à 8 ans de prison pour tentative de meurtre. Glaçant. Après en avoir tant baver pour en arriver là, un gigantesque gâchis

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