[Undrafted] Miles Austin : mieux vaut tard que jamais

Sous-estimés, méprisés, oubliés, recalés. Les revanchards de la NFL. Les non-draftés.

La carrière de footballeur de Miles Austin ne tient qu’à un retard. Un retard sans lequel il n’aurait peut-être jamais joué au football. Un « retard » qui résume à lui seul son passage sur les terrains lacérés de blanc. Car il n’aura découvert le ballon à lacet que sur le tard. Malgré lui. Un sport dont il a mis de longues années à dompter toutes les subtilités. Un talent à l’éclosion tardive. Un late bloomer.

New Jersey, new jersey

Un peau couleur caramel qu’il tient d’un père afro-américain, des yeux clairs hérités d’une mère caucasienne et un inébranlable sourire Colgate en travers de la face. Celui d’un mec qui profite de chaque seconde. Celui d’un gamin que rien ne prédestinait à devenir footballeur professionnel. Un sourire éclatant qui lui doit le surnom de Smiles Miles auprès de ses profs de lycée. Ado, Miles Austin fait ses armes sur les pistes d’athlétisme et les parquets de Garfield High, dans son New Jersey natal. Là-bas, sur les rives de la Passaic River, il grandit une casquette frappée du « NY » des Yankees vissée sur le crâne. Pendant ses deux premières années de lycéen, il met râteau sur râteau à Steve Mucha, coach des footeux qui n’en finit plus de lui faire la sérénade. En vain. Miles continue de faire la sourde oreille. Résigné, l’entraîneur abandonne sa cour et s’en remet au pouvoir d’influence des potes d’Austin pour espérer le faire changer d’avis. Alea jacta est ! Il n’aura pas besoin de ses petits camarades, mais juste d’un peu de mansuétude pour finalement mettre le grappin dessus. Attrapé par la patrouille alors qu’il arrive en retard en cours, Miles obtient du coach qui vient de le prendre en plein flagrant délit le droit de rejoindre sa classe sans passer par la case colle. « Je lui ai demandé s’il avait un maillot pour moi, » se souvient Miles sur ESPN.

« Je pensais qu’il me détestait, » ajoute-t-il sur les pages de mysantonio.com en octobre 2009. « Je croyais qu’il allait m’expédier en colle, mais au lieu de ça, il m’a donné un laisser-passer pour que j’aille à mon cours. »

Pour son premier match sous le violet et or des Boilermakers, Austin se fait déjà remarquer en attrapant une longue passe en bord de touche dans les derniers instants de la première mi-temps. « Mais d’où sort ce gamin ? » beugle le coach adverse. Malgré quelques éclairs, c’est pourtant de l’autre côté du ballon, au poste de safety, qu’il va briller au cours de son éphémère carrière de lycéen, au point d’être le meilleur intercepteur de son équipe pour son année de sénior et de figurer sur l’équipe type du comté. Pas de quoi éveiller l’intérêt des recruteurs pourtant. En dehors de la forteresse locale des Scarlet Knights de Rutgers qui ira timidement à la pêche aux informations sans jamais donner suite, aucun programme de premier plan ne s’intéresse à Miles et ne daigne lui offrir de bourse d’études tous frais payés. En bon impresario de son protégé, Mucha convainc le staff de Monmouth University, petit programme de Division II, de jeter un oeil sur lui. Séduit, un coach assistant s’interroge : qu’est ce qui cloche avec ce grand gamin qui court à fond la caisse ? « Il n’y a aucun problème avec lui, » réplique Mucha. « C’est juste que ses meilleures années sont encore loin devant lui. »

Dans un programme qui souffle tout juste sa dixième bougie et n’a jamais enfanté le moindre joueur NFL, Miles devient instantanément titulaire sur l’aile de l’attaque. Et quand au printemps, de longues semaines avant le début de la saison de football, Miles claque un 10 secondes 6 supersonique sur 100m pour un mec d’un mètre 91 et plus de 90 kilos, le staff des Hawks se frotte les mains. Il est à nous. Tant pis pour les autres. Pour son année de freshman, les consignes de Kevin Callahan sont simples : « Fonce en profondeur, dépasse tout le monde et saute pour attraper le ballon. » Pas de tracés compliqués. Pas de double move. Pas de grigris. Simple comme bonjour.

Une carrière de footballeur professionnel dans la NFL ? La simple idée le fait sourire alors qu’il engloutit la dizaine de minutes de marche qui sépare le vénérable campus de Monmouth University de la petite cours arrière des Garretts, pour une séance de coaching particulier estivale avec une poignée d’autres joueurs. À deux pas du front de mer. Miles vient d’achever son année de sophomore de la plus belle des manières en signant 12 touchdowns records dans les airs pour le petit programme. Jim Garrett, lui, vient de raccrocher après 17 années passées à jouer les recruteurs pour les Dallas Cowboys. Clap de fin d’une carrière de mordu du ballon à lacet débutée alors que la Seconde Guerre mondiale déchirait encore l’Europe. Mais pas question d’abandonner le football pour autant. Surtout que le septuagénaire a décelé quelque chose de spécial en Austin. Un gamin du Garden State, tout comme lui. Séduit par son mètre 90 et ses 600 chevaux, il est impressionné par sa faculté à traquer le ballon dans les airs pour mieux s’ajuster à sa trajectoire. Surtout sur des tracés longue distance où sa vitesse de pointe fait des ravages. Et quand cet après-midi d’été, dans cet entraînement improvisé dans le jardin de Jim, Miles exécute un tracé comeback millimétré, plante ses pieds au ras de haies qui servent de ligne de touche de fortune, pas besoin d’en voir plus, ce gamin a de l’avenir dans la NFL. Le vétéran des bords de terrain passé par les Giants, Saints et Browns dans les 70’s et au début des années 80 en est convaincu. Austin, lui, est nettement plus sceptique. « Je me disais, ‘Qu’est-ce que ce vieux type raconte ?’, » se souvient-il sur ESPN en 2009.

Des visites dans le petit jardin des Garretts, Miles en fera plus d’une pour suivre les conseils avisés de ce passionné de football. À Valley Ranch, centre d’entraînement des Cowboys à l’époque, son nom n’en finit plus de résonner. Et il jaillit toujours de la même bouche. Celle de Jim, évidemment, qui hante encore le complexe texan. « Le gars de mon jardin. » Quelques paires d’yeux ont beau rouler, les Cowboys gardent un regard attentif sur ce gamin que leur vieux scout couve avec tant de soin. Quant au fils de Jim, Jason, ancienne doublure de Troy Aikman au crépuscule de sa carrière dans le sud de la Floride, il n’en a pas fini d’entendre le nom d’Austin tambouriner dans ses oreilles.

À force d’en entendre parler à tue-tête, la franchise texane devient intéressée pour de bon et se résolue à envoyer deux recruteurs sur le campus de West Long Branch durant la saison de sénior de Miles. Et si l’ancien chasseur de têtes des Cowboys soigne son lobbying auprès des recruteurs de Dallas, Coach Callahan se révèle un allié plus hésitant, insistant maladroitement sur son terrible manque d’expérience du haut niveau pour mieux vanter toute l’étendue de son potentiel quelques secondes plus tard. « Vous avez un gamin avec une formidable marge de progression, » se souvient-il avoir expliqué aux scouts. « Ce que vous voyez là, c’est juste la partie émergée de ce dont il est capable de faire. Il est encore très loin de son plein potentiel. »

Des paroles pleines de promesses, 150 réceptions, 2867 yards et 33 touchdowns séduisants en terme de production qui lui valent de recevoir un sésame pour le Combine d’Indianapolis en février 2006. Un 4,47 qui fait tourner quelques têtes pour un mec de sa stature, une jolie détente verticale, Miles gagne des points et apparaît pour la première fois sur le radar de plusieurs franchises.

Miles away

Quelques jours plus tard, pourtant, pour le pro day de Monmouth, seules deux équipes dépêchent des émissaires. Les incontournables Cowboys et les Titans. Brian Gaine, directeur assistant du recrutement texan, et Ray Sherman, coach des receveurs dans le Tennessee, décident d’en faire baver à Austin et lui imposent une mise à l’essai de haute intensité. Éreinté, Miles fait tout son possible pour masquer son état d’épuisement. Grand, solide, rapide, des mains sûres, des tracés naturellement précis et élégants, les deux hommes sont charmés. Sherman, qui voit en lui une sorte d’Andre Reed, l’ancienne star des Bills dans les 90’s, supplie le front office de Nashville de miser sur cet obscur gamin du New Jersey. Neni. Les têtes pensantes des Titans préfèrent lâcher leur choix de 6e tour sur Jonathon Orr. Un mec qui n’attrapera jamais la moindre passe. Erreur de casting.

« Je n’ai pas pris ça pour du rejet, » raconte Miles à propos de la draft dans les pages du NY Times. « Je ne suis pas allé me mettre en boule dans un coin. J’ai ma famille, des amis et bien d’autres choses plus précieuses à mes yeux que le football dans ma vie. »

Du côté de Dallas, aucun doute sur le talent de Miles. Le seul frein : la marche entre Monmouth et la NFL se souvient Chris Hall, coordinateur du recrutement universitaire de la franchise. De solides alliés dans le camp du staff texan, le souvenir du pari gagnant fait quelques années plus tôt sur Wayne Chrebet, un autre gamin du Garden State biberonné au foot sur les terrains de Garfield High, agent libre non-drafté en 1995 signé par Bill Parcells et qui passera 11 années à étirer les défenses sous le vert couleur gazon des Jets, l’affaire est entendue.

« Je savais que c’était un gars du New Jersey, » se souvient Miles en parlant de Parcells, alors coach des Cowboys, sur ESPN. « Il savait que j’étais un gros bosseur. Il m’a dit que j’avais une chance d’intégrer l’effectif final via les équipes spéciales. Et c’est ce qu’il s’est passé. »

Quelques plaquages en couverture, de rares réceptions dans le garbage time, après une première année orpheline du moindre ballon en attaque et des flopées de yards sur des phases de retour où il brille, Miles s’offre une remontée de 93 yards pour éclairer la der de Parcells sur le banc texan lors d’une défaite à Seattle en playoffs. En 55 ans d’histoire, jamais les Cowboys n’avaient inscrit un touchdown sur retour en séries. Austin passe ses deux premières saisons au calme, dans un rôle de retourneur qui lui va bien et sous lequel il tourne à un joli 25 yards de moyenne. Dans l’ombre, le diamant brut aiguise ses contours et son jeu pour se muer lentement en véritable athlète NFL. « Il était jeune et brut, » se souvient Sherman. Véritable masse de muscle à la fac, il affine sa silhouette pour gagner en vitesse tout en maintenant ce jeu physique qui lui permet de casser plaquage sur plaquage et de gagner ses duels sur les batailles aériennes. Déjà diabolique de précision sur ses tracés, il bosse sans relâche pour affûter ses chorégraphies et ne donner aucune chance aux cornerbacks adverses. Habitué à démarrer comme un fou furieux, comme un sprinter sorti des starting blocks, Miles apprend à adapter son jeu, lire les défenses, ajuster ses premiers appuis pour créer le plus de séparation et de distance possible avec son vis-à-vis et ouvrir une fenêtre de tir pour son quarterback. Plus question de miser exclusivement sur ses qualités d’athlète, il apprend à jouer avec sa tête pour se trouver au bon endroit au bon moment. Timing, patience et vitesse d’exécution. Avec Tony Romo, un autre oublié de la draft, il s’organise des séances particulières au cours desquelles il répète inlassablement ses gammes.

À l’été 2008, après que Terry Glenn ait raccroché les crampons, l’horizon se dégage pour Miles Austin. Les attentes grandissent, une place de titulaire lui tend les bras. Enfin l’année de la révélation ? Patatras. En semaine 3 de la préparation face à Houston, son genou vrille et le receveur doit passer plusieurs semaines au repos. Un match d’ouverture sur la touche, deux maigres ballons face à Philly et les premières étincelles. Au Lambeau Field de Green Bay, le gamin du New Jersey n’a besoin que de deux réceptions pour cavaler 115 yards et croiser une fois la ligne. Un pétard mouillé. S’il ajoute un autre touchdown 7 jours après, puis un troisième quelques semaines plus tard, il devra se contenter de 13 réceptions et 278 yards dans un rôle de second couteau et dans une saison émaillée par un nouveau pépin au genou face aux Redskins, mi-novembre, qui lui coûte 3 rencontres supplémentaires sur le flanc. Tant de promesses pour ça. Terriblement frustrant. Agent libre non-restreint, il est mis à l’essai par les Jets, mais rapidement renvoyé au Texas. Pas concluant.

250 miles à l’heure !

L’été venu, le duel attendu avec Patrick Crayton n’a finalement pas lieu et Miles doit attendre la semaine 5 et la blessure de Roy Williams pour démarrer une partie pour la première fois de sa carrière NFL. Enfin titulaire à 25 ans. Et il ne va pas faire dans la dentelle. 10 réceptions, 250 yards, 2 touchdowns, un faculté bluffante à faire la différence ballon en main, le receveur écoeure la défense des Chiefs et efface de 4 petites unités le record aérien de la supersonique légende Bob Hayes.

« Personne n’aurait pu imaginer un truc pareil au moment du camp d’entraînement, » confie Roy Williams au New York Times quelques semaines plus tard. « Mais il n’a pas cessé de bosser et soudainement, boom-shakka-lakka. »

Surtout, le receveur soigne la manière. Avec 8 minutes 36 à jouer dans la prolongation, Miles effectue une rapide comeback route sur la droite du terrain, comme dans le jardin des Garretts, attrape le ballon dos à la endzone avec un défenseur accroché à ses épaules, se débarrasse du parasite, se retourne à vitesse grand V et écrase le champignon pour déposer un safety qui lui laisse bien trop de marge en bord de terrain. 60 yards plus loin, le numéro 19 fracasse le ballon contre le gazon de l’en-but. À peine le temps de lever les bras au ciel, une marée de joueurs l’ensevelit. Victoire. Record de franchise. Des débuts fracassants. Quelques jours plus tôt, il expliquait aux journalistes « [qu’il] n’allait pas écrire un livre sur le jour de [sa] première titularisation, » raconte le New York Times en janvier 2010. Peut-être qu’il pourrait finalement.

« Il a travaillé dur pendant tellement longtemps en attendant que cette opportunité se présente, » se réjouit Tony Romo sur les pages web d’ESPN quelques semaines plus tard. « […] Il est clairement devenu une pièce essentielle de l’attaque. Je suis ravi de voir que tout le temps et les efforts investis ont fini par payer. »

Car non content d’avoir crevé l’écran, une petite semaine de repos dans les jambes, Miles récidive. Face aux Falcons, pour sa première titularisation dans le vaisseau du Cowboys Stadium, il n’a besoin que de 7 ballons pour engloutir 171 yards et marquer deux fois. De joueur d’équipes spéciales noyé dans la masse, Austin est soudainement projeté sur le devant de la scène, propulsé au rang de star. Assailli par les caméras et les micros, il doit s’excuser auprès de son voisin de vestiaire, Steve Octavien. Invité sur le bord du terrain pour assister à un match des Mavericks, il est ovationné par la foule. Son visage se retrouve en une de Sports Illustrated. Austin se fait même un petit plaisir en s’offrant une Maserati et une petite escapade à Vegas dans le jet privé de Romo le lendemain de Thanksgiving. Changement de statut, changement de vie. La démesure texane dans toute sa splendeur. La seule chose qui ne change jamais : le sourire éclatant qui illumine le visage de Miles. Surtout, il reste les deux pieds solidement scellés sur terre. Humble. Conscient de l’incroyable chance qui est la sienne. Conscient que le vent peut vite tourner. Il savoure.

« Je suis quelqu’un de joyeux et bosseur par nature, » explique-t-il philosophe au New York Times en 2010. « Il faut savoir gérer les événements. Il va t’arriver de bonnes choses, comme de mauvaises. »

Régulièrement titularisé, il enchaîne quelques performances plus terre-à-terre avant d’encore une fois tout péter face aux Raiders, le jour de Thanksgiving, lorsqu’il claque 145 yards et un touchdown. Encore marqueur et centenaire la semaine suivante à New York, il écoeure des Saints plus vraiment concernés dans leur cathédrale de NOLA en raflant 139 yards et croisant la ligne sur un nouveau touchdown longue distance. Titulaire pour la première fois en playoffs face aux Eagles, il foule de nouveau la peinture avant de subir la loi des Vikings de Brett Favre 8 jours plus tard. Rideau sur une saison qu’il n’attendait plus. Celle de la grande révélation. Enfin. 15 matchs disputés, 9 départs, 81 réceptions, 1320 yards et 11 touchdowns. Tony Romo s’est trouvé un nouveau go-to-guy. Le 31 janvier, Miles clôt la saison au Sun Life Stadium de Miami pour le premier Pro Bowl loin de Honolulu en près de trois décennies.

« Je répétais sans cesse à [Jason] pour rigoler : « Fais jouer Austin davantage ! Fais jouer Austin davantage !» raconte Jim Garrett. « Mais pour être honnête, j’étais à des années lumière d’imaginer qu’il réaliserait tout ça. »

Devenu coordinateur offensif en 2007 avant d’enfiler la double casquette de head coach assistant un an plus tard, Jason Garrett reprend le contrôle de l’équipe en 2010 après le licenciement de Wade Phillips et fait de Miles Austin le pilier de son jeu aérien. Car après tout, ce n’est pas toujours une mauvaise chose d’écouter les conseils de son père.

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