[Undrafted] Priest Holmes : le remplaçant

Sous-estimés, méprisés, oubliés, recalés. Les revanchards de la NFL. Les non-draftés.

Priest. Un blase prédestiné. Comme un curé, il a fait du dimanche son jour. Celui où il enfile sa soutane de footballeur pour répandre la bonne parole au milieu de défenses adverses hagardes. En homme de foi, il révise sa liturgie avec une application et un calme monastiques. Son parcours, une profession de foi pour ce ballon à lacet qui, tant de fois, a tenté de le détourner de son chemin. Mais Priest y aura cru jusqu’au bout.

San Antonio-Holmes

Priest Anthony Holmes voit le jour à l’automne 1973, dans l’Arkansas. Holmes, le nom d’un père qu’il ne rencontrera jamais. Son visage, il le découvrira de ses propres yeux le jour de ses funérailles, quelques jours après qu’il ait été abattu par balle. Dans les rues de Southwest Side, San Antonio, là où sa mère, son beau-père et ses deux frangines s’installent, il se frotte à des ados deux fois plus vieux que lui dans un football de rue où même les plaquages sont permis. Gamin intrépide qui n’a pas peur de prendre des coups, encore moins de rouler des pelles au bitume, il fait parler sa vivacité pour échapper aux cartouches et maintenir son équilibre à tout prix. Car Priest a beau ne pas avoir 10 ans encore, les autres gosses, en pleine puberté et bien plus costauds que lui, s’en tamponnent.

« Les grands nous laissaient tranquillement courir le long du trottoir pour mieux pouvoir nous envoyer voler contre la boîte aux lettres, » se remémore-t-il dans les pages du San Antonio Express-News. « J’ai très vite appris à éviter les plaquages. »

Technicien sur la base de l’US Air Force de Kelly, dans le sud-ouest de San Antonio, pendant 20 ans, Herman, son père de substitution, impose une discipline militaire à la maison et, avec la complicité de Norma, sa compagne, inculque avec amour à ses enfants adoptifs la persévérance, l’obéissance et la rigueur. Des préceptes qui suivront Holmes tout au long de sa carrière d’apprenti footballeur. Il a une douzaine d’année quand ses parents décident de l’envoyer passer l’été à Détroit, dans la compagnie d’entretien de jardins de son grand-père. Nourri, logé, blanchi en échange de 12h de travail, 6 jours sur 7, sous un soleil de plomb, sécateur dans une main, bêche dans l’autre. Les quelques dollars d’extra qu’il se fait, il ne les touchera qu’à la fin de l’été. Après plusieurs semaines de dur labeur, il rentre au Texas avec 300 balles en poche et un nouveau sentiment grisant : la satisfaction quotidienne du devoir accompli, du travail bien fait, méticuleux, appliqué, précis. Ces billets verts enfournés dans sa poche, il les a mérités. Une juste récompense.

S’il découvre le ballon à lacet dans sa version street sans vraiment de règles, il commence à faire parler ses talents d’esquive sur les gazons de Pop Warner Little Scholars, une organisation de football pour jeunes entre 5 et 16 ans, avant d’intégrer les footeux de Rudder Middle School, son premier collège, dans le Southwest Independent School District. Il est en 4e quand David Visentine le voit en action pour la première fois. Le gamin est doué. Comme tous les autres coureurs de sa jeune équipe. Difficile de véritablement évaluer l’ampleur du talent qui sommeille en lui. Quelques semaines plus tard, en même temps que la famille Holmes déménage dans le North Side, Priest rejoint la John Marshall High School de Leon Valley, Texas, dans la banlieue nord de San Antonio, et son programme de foot en pleine ascension. À quelques jours de la rentrée, Visentine, coach de Rams de Marshall, s’attend à le voir sur le terrain. Il a hâte même. Mais personne.

« Le jour du premier entraînement, il n’est pas là, » se souvient l’entraîneur dans les pages de Priest Holmes: From Sidelines to Center Stage de Bill Althaus. « Au Texas, on commence les double séances quotidiennes environ 8 ou 10 jours avant la rentrée des classes. Les cours n’avaient pas encore commencé, alors nous n’étions pas vraiment inquiets. Avec les ados les plus jeunes, on sait pertinemment qu’ils vont bien finir par se pointer. »

Ce matin là, alors que le staff cherche ce gamin qui les avait tant séduits quelques mois plus tôt, Priest est posé sur son vélo, appuyé contre un grillage du lycée, à observer l’entraînement de loin. Sur les indication d’autres gosses, David Visentine le trouve enfin et avance vers lui. « T’es bien Priest Holmes ? » se souvient-il lui avoir demandé sur le site officiel des Chiefs. L’ado acquiesce de la tête, sans décrocher un mot. « Ça te tente de jouer au football ? » Nouveau hochement de tête. « On est en train de s’entrainer, rejoins-nous si tu veux commencer. T’es prêt à entraîner ? » Priest acquiesce mollement une dernière fois avant de lâcher un « Oui, monsieur » plus affirmatif. En trois mouvements de tête désinvoltes, il vient d’intégrer l’équipe. Soulagé, Visentine peut décroiser ses doigts et ses orteils. Pendant que Priest rejoint le terrain excité comme une puce, son nouveau coach lui emboite le pas, soulagé, ravi, impatient.

« Il n’était pas particulièrement costaud, mais en tant que coach, tu sentais que c’était ce genre de gamin qui a quelque chose de spécial, » se souvient Visentine dans les pages du San Antonio Express-News. « Sur un terrain de football, ce genre de joueur voit des choses que les autres ne voient pas. Il visualisait les espaces où s’infiltrer bien avant que les autres ne les voient. […] C’est juste un truc, un don de Dieu. Tout le monde ne l’a pas, il faisait clairement partie des chanceux. »

Pas de physique hors normes, pas de vitesse supersonique, en plus de sa faculté à éviter et casser les plaquages, celui qui se fait encore appeler Anthony se démarque par sa vision. Très vite, il apprend à scanner la défense adverse, déceler le montre petit frémissement d’épaule, le plus infime pas de côté pour mieux anticiper les déplacements et déchirer le rempart adverse. Il se projette dans la situation, la visualise. Une approche analytique qu’il ne déploie pas seulement sur les terrains bariolés de blanc, mais  aussi dans la vie de tous les jours. En 1991, pour sa dernière campagne sous le blanc et marron de Marshall, Priest et son hyperdrive pénètrent dans l’hyperespace et traversent 2031 yards malgré une saison amputée de ses 4 dernières rencontres à cause d’une blessure à la cuisse. Troisième plus haut total de l’histoire de la Class A5, le plus haut niveau du football lycéen. Des yards en pagaille et 26 touchdowns qui propulsent les Rams jusqu’en finale d’État. Mais comme en 88 et malgré les 118 yards d’un Priest Holmes diminué, Marshall s’incline face aux Panthers d’Odessa Permian. Un accro crève-coeur sur une saison jusque-là parfaite.

Pourtant, en dépit de ses coups d’éclat hebdomadaires, le coureur reste cet ado profondément timide, discret et modeste qui ne prend que très rarement la parole. Comme lors de son année de junior, lorsqu’un vendredi soir, jour de match, fraîchement embauché dans un fast food de San Antonio, il est introuvable. Trop préoccupé par ses nouvelles obligations professionnelles, et par peur de perdre son précieux boulot, il a préféré sécher le match. Pourtant, ses coachs et son nouveau boss, grand fan de Marshall, se sont déjà arrangés entre eux pour le libérer les soirs de match. Trop réservé, il n’avait pas osé demander de permission à son patron. Un sens des responsabilités et du devoir hérité de son militaire de père. À l’image de ce gamin introverti. Pas besoin de grande gueule quand le talent parle de lui-même.

« Quand il était sur le terrain, tu ne voulais pas décrocher tes yeux du match pour boire un coup d’eau ou t’étirer les jambes, » se souvient N.D. Kalu, defensive end et coéquipier de Priest à l’époque qui jouera pendant 12 ans dans la NFL. « C’est le genre de joueur qui te sort au moins trois courses spectaculaires par match. »

En dépit d’une carrière de lycéen achevée en apothéose et qui aura fait vriller les cervicales de plus d’un coach universitaire, les prétendants se font rares. Même dans un État qui pue le football et où les programmes de prestige sont légion. D’ailleurs, son premier choix est loin de son Texas d’adoption. Priest mise en priorité sur les Panthers de Pittsburgh. Pourquoi ? « Parce que c’est là que Tony Dorsett est allé, » avoue-t-il au Houston Chronicle en 2011. Son idole. Un amour à sens unique pourtant. Comme beaucoup de facs, les stratèges de Pitt ont beau être intrigués par ce gamin spécial, l’excitation retombe rapidement quand leurs yeux tombent sur son mètre 75 et sa pointe de vitesse peine à les emballer davantage. Pourtant, si Holmes n’est pas une fusée, il aura passé ses années de lycéen à claquer des touchdowns longue distance à la pelle, mettant à profit sa vision et ses foulées élégantes pour distancer, à défaut de déposer, les arrière-gardes adverses.

Two-time wonder

Quand les recruteurs de l’Université du Texas à Austin viennent lui faire la cour, Priest les fait gentiment poireauter, le temps de boucler les tâches ménagères assignées pas ses parents. Les scouts sont sous le charme de ce gamin humble, dévoué, tout simplement bien élevé, et lui offrent la totale. Une scolarité prise en charge de A à Z et la promesse de pouvoir gagner un temps de jeu conséquent dès son année de freshman. L’ado n’hésite pas longtemps et, en août 1992, il rejoint le campus d’Austin, à 120 bornes au nord-est de San Antonio.

« J’ai toujours pensé qu’il était meilleur que ce qu’imaginaient beaucoup d’observateurs universitaires, » se souvient son coach du lycée sur chiefs.com. « Les gens étaient toujours sceptiques sur sa vitesse. Je leur disais, ‘Mais regardez toute la vidéo. Regardez bien. Personne n’arrive à le rattraper. À quelle vitesse voulez-vous qu’il aille ? Personne n’est capable de mettre la main dessus.»

S’il séduit à l’entraînement et échappe au redshirt pour sa première année, un petit événement pour un programme texan qui aime laisser ses jeunes coureurs murir une année au frais avant de les lancer dans le grand bain, il doit attendre les 7 derniers matchs de la saison pour enfin se dégourdir les jambes un samedi après-midi. 191 yards, dont 114 rien que face aux Cougars de Houston, pas le moindre touchdown, zéro implication dans le jeu aérien, les premiers pas de Priest sous le orange délavé des Longhorns sont discrets et donnent raison aux sceptiques. L’année suivante, il efface mollement la barre des 200 yards dans un rôle de figurant, marque deux fois et repousse sa première réception à la saison prochaine. Une saison qui verra le timide réveil de Holmes. Dans une attaque au sol à deux qui tourne au ralenti, le gamin de San Antonio engrange un peu plus de 500 yards et marque 5 fois pendant que le senior Rodrick Walker chatouille la barre des 600 unités. Puis, à quelques jours du nouvel an, Priest sort du placard et dévoile enfin toute l’étendue de son talent.

Le 29 décembre 1994, sur le campus baigné de soleil de UTEP, Priest éclabousse le bien nommé Sun Bowl. 161 yards et 4 touchdowns, dont deux dans les 9 dernières minutes d’un ultime quart-temps dantesque, pour combler un déficit de 10 points et souffler la victoire aux Tar Heels de North Carolina. 4 touchdowns. En un match, il vient de tripler son total et de donner un coup de fouet inespéré à une carrière universitaire jusque-là balbutiante. Car cette perf XXL sort de nulle part. Personne ne l’avait vue venir. Plus personne ne l’en croyait vraiment capable. Quelques mois plus tard, toutes les belles promesses de ce récital hivernal partent en lambeaux en même tant que ses ligaments.

Au printemps 95, son genou saute à l’entraînement et Holmes doit tirer un trait sur sa saison avant même qu’elle n’ait débuté. Spectateur souriant, il contemple les prouesses hebdomadaires d’un petit freshman qui sera sacré Heisman Trophy 3 ans plus tard et qui en profite pour s’installer en tête de la hiérarchie des coureurs. Sur le flanc, Priest garde le sourire, vibre lorsque ses potes décrochent le titre de conférence et baisse la tête lorsque les Longhorns s’inclinent sèchement lors du Sugar Bowl, pour le dernier jour d’une année 1995 sans football. Être privé de terrain, Holmes le vit plutôt bien. Ne pas pouvoir jouer avec DeAndre, son gamin de presque 3 ans, une torture. Une prise de conscience qui, plus que l’envie d’enfiler de nouveau le orange de Texas, plus que le rêve lointain de fouler un terrain NFL, va agir comme le moteur de sa rééducation.

« J’ai réalisé le manque que représentait le fait de ne pas être capable de courir et jouer au ballon avec lui, » raconte-t-il à Kevin O’Keeffe du San Antonio Express-News en août 96.

Pendant ce temps-là, en pleine santé et époustouflant, Ricky Williams passe à 10 unités d’éclipser une barre des 1000 yards que Shon Mitchell efface aisément et Priest se retrouve relégué au rang de 3e homme au coup d’envoi de la campagne 96. Malgré 59 misérables courses, il trouve le moyen de s’inviter 13 fois dans la peinture dans un rôle de goal-line running back. Mais comme en 94, il garde le meilleur pour la fin. Le match du titre de la Big 12 face à Nebraska. Sur l’Astroturf du Trans World Dome de St. Louis, antre des Rams depuis leur déménagement dans le Missouri un an plus tôt, le running back n’a besoin que de 9 ballons pour engloutir 120 yards et couper trois fois la ligne.

« Le truc spécial que beaucoup de personnes n’ont pas réalisé lors de ce match, c’est que Dick Vermeil était au micro pour la télévision, » explique Priest. Avant la rencontre, celui qui deviendra d’ici quelques années coach des Chiefs s’entretient même quelques instants avec le coureur. Dans un rapide échange divinatoire avec John Mackovic, le coach des Longhorns lâche à celui qui vit sa dernière année de commentateur avant de reprendre du service que Ricky Williams « vieillissant » l’homme du match sera très certainement Priest Holmes. « Oh c’est vrai ? » réplique Vermeil, autant étonné qu’intrigué. La suite donnera raison au stratège Texan et quelques idées au futur coach de KC qui s’apprête, avant ça, à redonner vie aux Rams. Au-delà des stats, c’est la manière qui séduit Dick quelques heures plus tard. Face à des Cornhuskers 10-1 et classés 6e par AP, Priest sonne la charge de Longhorns éjectés du classement au fil d’une saison décevante et vainqueurs de la Division Sud malgré un bilan mitigé de 7-4.

« Je n’oublierai probablement jamais ce match, » se souvient Kirk Bohls du Austin American-Statesman. « Nebraska était donné favoris par trois touchdowns. Le match semblait joué d’avance, Nebraska allait rayer Texas de la carte et filer jusqu’au match pour le titre national si les choses se goupillaient bien. »

C’était sans compter sur le numéro 33. Les Longhorns l’emportent 37-27 et décrochent le premier titre de l’histoire de la Big 12, passée de 8 à 12 depuis le démantèlement de la Southwest Conference quelques mois plus tôt. Le 1er janvier, ceux qui avaient débuté la saison en 8e position du classement d’Associated Press avant de dégringoler au cours de l’automne pénètrent dans le Sun Devil Stadium de Tempe avec un petit 20 accolé à côté de leur nom sur les écrans de TV. Les Nittany Lions ne leur laissent aucune chance et remportent le Fiesta Bowl. Priest quitte les façades blanches et toits de tuile du campus d’Austin avec 1276 yards et 20 touchdowns au compteur en cinq ans. Un maigre bilan. Rachitique même. Une carrière de remplaçant en somme. Et quand le running back signe un 4,75 mou du genou sur 40 yards au Combine, ses maigres espoirs d’être drafté se dispersent aux quatre vents. Pourtant, quelques formations sont séduites par sa vision, la vivacité de son jeu de jambe, ce centre de gravité bas qui lui permet de danser entre les wannabe plaquages et c’est état d’esprit irréprochable. Mais foirer son 40-yard dash, c’est comme raté son examen d’entrée. Rédhibitoire. Surtout pour un modèle réduit d’un mètre 75 flirtant avec les 100 kilos.

Balti-mort

Non-drafté sans la moindre surprise, les franchises font la queue pour décrocher ses services. Baltimore aligne la meilleure offre et décroche le gros lot. Doublure de carrière à Austin, Priest bosse comme un dingue, s’implique comme un demeuré durant tout l’été et gagne sa place sur le roster final grâce aux équipes spéciales. Et grâce à son nouveau gourou : Earnest Byner, héros tragique de The Fumble sous les couleurs des Browns. Du trentenaire, le rookie apprend le travaille travailler acharné, ne jamais rien prendre pour acquis. Sa façon de s’entraîner, sa façon d’étudier les bandes vidéo, sa façon de se comporter sur comme en dehors du terrain, admiratif de ce vétéran n’ayant plus rien à prouver, mais qui se remet sans cesse en question, Priest se trouve un role model.

« Il y a une différence entre un joueur de football professionnel et un joueur de football professionnel qui marque son sport de son emprunte, » lui révèle le vieux coureur.

Qu’on se souvienne de lui. Voilà ce que veut Holmes. Ne pas tomber dans l’oubli. Marquer les esprits. Pourtant, s’il est en tenue pour 7 rencontre au cours de la saison 97, il ne touchera pas le moindre ballon en attaque. Peanut. Relégué loin, très loin, dans la hiérarchie des running backs derrière Bam Morris et ses 774 yards, un Byner qui vit ses deniers émois de footballeur et le rookie Jay Graham, dont la carrière sombrera rapidement dans l’oubli. Son seul ballon, Priest le touchera sur un onside kick recouvert. Dans la précarité de ce rôle de joueur d’équipes spéciales dont chaque match pourrait être le dernier, Holmes s’enferme derrière le travail. Sans relâche. À chaque entraînement, il se donne sans compter. Le soir, il rentre dans son petit appartement sans prétention et dégarni. Une télé et un magnétoscope. Pas vraiment de mobilier. Le coureur dort sur un matelas posé à même le sol, les yeux scotchés sur les replays de ses matchs jusqu’à épuisement.

Petit par la taille, mais grand par le coeur et l’énergie déployée, Priest profite de chaque présence sur le terrain pour gagner des points auprès du staff. Comme ce dimanche de décembre à Seattle, lorsqu’il démolit Tyree Davis sur un retour de kick et décroche le trophée symbolique de Plaquage de l’Année remis par ses coachs. Une petite victoire. La première distinction personnelle depuis le titre de MVP du Sun Bowl décroché 3 ans plus tôt. Du baume au coeur. L’été suivant, Vinny Testaverde parti dans le Jet new-yorkais, Jim Harbaugh débarque en provenance d’Indy pour reprendre les commandes de l’attaque pendant que le trio de linebackers formé par Ray Lewis, Jamie Sharper et Peter Boulware poursuit la métamorphose identitaire des Ravens. Offensivement, avec un nouveau quarterback tout sauf aérien aux opérations, la pression croule sur le jeu au sol. Débarqué en provenance de Tampa Bay, Errict Rhett a pour mission de rebooster un jeu au sol bien trop timide. L’occasion pour lui de redonner vie à une carrière sur le déclin après deux premières saisons à 4 chiffres pleines de promesses en 94 et 95. Fail monumental. 72 yards en semaine 1. 64 sept jours plus tard. L’ancien Gator de Florida est destitué et, en week 4, Ted Marchibroda, coach de Baltimore s’approche de Holmes et lui glisse : « Priest, tu es notre coureur titulaire contre Cincinnati. » Promu à la surprise générale, celui qui, il y a quelques minutes encore, n’était que le remplaçant du remplaçant fonce aux toilettes et s’agenouille.

« Il fallait que je fasse une prière, » raconte-t-il au Baltimore Sun en novembre 2011. « J’ai remercié Dieu pour l’opportunité qu’il m’offrait. Je savais que j’avais l’éthique de travail suffisante pour rivaliser avec m’importe qui dans la ligue. »

La veille de sa première titularisation, alors que le reste de l’équipe file à la douche, il reste planté au milieu du terrain à se projeter sur chaque action du cahier de jeu des Corbeaux. Un à un, il se visualise mentalement comme il aime si souvent le faire. Imaginant chaque appui, chaque cut, chaque mouvement de hanche. Il prépare son match dans sa tête. Le lendemain, face aux Bengals, il touche 27 fois le ballon, engloutit 173 yards et marque à deux reprises devant des milliers de paires d’yeux hagardes, dans le stade, comme devant les TVs. « Ça a été comme une météorite,» résume Peter King de Sports Illustrated. Un impact violent. Venu de nulle part. Inattendu. Tellement inattendu.

« Je ne m’attendais pas a une performance pareille, » concède son coach. « Je crois qu’on a trouvé notre coureur. »

Après un mois et demi délicat au cours duquel les Ravens enchaînent les revers et Holmes est incapable de franchir la barre des 100 unités, il récidive. À Cincy cette fois, il lui faut 36 courses pour galoper 227 yards et établir un nouveau record de franchise. Encore centenaire la semaine suivante face aux Colts puis en semaine 17 contre les Lions, il efface d’un souffle les 1000 yards. 1008 pour être exact. Une généreuse récolte complétée par 7 touchdowns. Meilleur receveur des siens avec 43 ballons attrapés dans les airs, il ajoute 260 unités à son total et embrasse pleinement un rôle de coureur à temps plein tombé du ciel. 

Dans cette saison pleine, la première après sa traversée du désert universitaire, Priest découvre une nouvelle façon d’appréhender le jeu. Avide joueur d’échec, il applique ses stratégies du damier noir et blanc au terrain hachuré. Garder ses meilleurs coups pour plus tard. Ne pas tout dévoiler. Jouer la sûreté sur une action pour mieux sortir le gadgeto-move lorsque le même jeu sera de nouveau appelé plus tard dans le match. Faire confiance à son instinct lorsque il décèle une ouverture. Et surtout, faire preuve de patience, attendre que le jeu se déploie, que les bloqueurs posent les fondations pour pouvoir s’engouffrer dans les brèches et finir le travail amorcé par ses hommes de l’ombre. Le maître-mot de son style : la simplicité. Coureur rapide, direct, il jaillit entre les espaces ouverts, les jambes toujours actives, en mouvement vers l’avant, dépose les défenseurs à coup de cuts courts assassins et écrase le champignon pour les distancer. Pas de fioritures. Malgré l’émergence d’une nouvelle star en attaque et l’ascension constante de leur trio de linebackers en défense, le bilan des Ravens est dans le rouge et Ted Marchiabroda en fait les frais.

Coordinateur offensif de Vikings records un an plus tôt, Brian Billick débarque dans le Maryland avec pour plan de bâtir son équipe autour de cette défense jeune et dégoulinante de talent et d’un jeu au sol de bourrin à l’ancienne. Un profil aux antipodes du petit format explosif de Priest. Le coureur a beau avoir effacé les 1000 yards, le nouveau stratège n’est pas impressionné et veut du sang neuf.

« Billick m’a appelé dans son bureau et m’a dit, ‘Priest, tu n’es pas le joueur dont j’ai besoin. Dans cette ligue, il faut des coureur lourds et intimidants comme Corey Dillon et Jerome Bettis, » se souvient Priest dans le Baltimore Sun.

Le running back prend sur lui, mais se sent « dévasté »intérieurement. Si les Ravens retrouvent des couleurs et signent un bilan équilibré pour la der du 20e siècle, Priest Holmes tire la gueule. Détrôné de sa place de titulaire avant le début de la saison pour servir les plans du nouveau coach, il se blesse au genou en semaine 2 et doit attendre le mois de décembre pour retrouver le terrain. L’envoyer sur le banc, un crève-coeur pour Billick qui adore le gamin, mais préfère installer un jeu au sol protéiné et physique qui ne sied pas véritablement au profil de ballerine de l’ancien Longhorn. Dans une attaque virile vintage, le staff craint même que le coureur, trop léger et fragile, ne se fasse casser en deux. Pourtant, lorsqu’il renfile son casque le 5 décembre, il éclipse nette la barre des 100 yards en seulement 9 ballons. Titularisé pour les 4 derniers matchs de l’année, il empile 312 yards au sol, 102 dans les airs et marque deux fois.

En 2000, nouveau millénaire, nouvelle identité confirmée, nouveau coureur. Avec le 5e choix général, les Ravens font main basse sur le tonique Jamal Lewis et envoient un message on ne peut plus clair à Holmes. Préoccupés par l’état de son genou et convaincus qu’il n’a pas le physique pour porter le jeu de course sur ses épaules, ils le rétrogradent à un rôle de coureur de soutien. Agent libre restreint, il éveille l’intérêt de plusieurs formations, rencontre même des Dolphins en quête de renouveau au sol, mais choisit finalement de rester à Baltimore. Car il sent que quelque chose de spécial s’y trame. Priest veut gagner et il est convaincu d’être au bon endroit. Fidèle à lui même, il se tait, ne manifeste pas sa frustration, ne se plaint pas inutilement, mais redouble d’acharnement à chaque entraînement. Derrière les deux golgoths Sam Adams et Tony Siragusa au coeur de la ligne défensive, le trio de linebackers gagne de plus en plus de liberté et la défense des Ravens devient tout simplement injouable. Dans une attaque flambant neuve portée par Trent Difler, après l’éviction de Tony Banks en début de saison, et l’ancien Bronco Shannon Sharpe, Jamal Lewis s’éclate et ne laisse que quelques miettes à Priest. Pendant que l’ancien Volunteer de Tennessee s’empiffre de 1364 yards, Holmes capitalise autant que possible sur son maigre temps de jeu pour rafler 588 yards au sol et un peu plus de 200 sur réception.

Malgré un trou d’air fin octobre, les Corbeaux ne s’inclinent que 4 fois. En playoffs, l’attaque au sol boulimique du Maryland tourne au ralenti et malgré près de 25 ballons de moyenne par match, Lewis patine à un maigre 3,3 yards par course. Forteresse imprenable, Baltimore se borne pourtant à bouffer les secondes à coup de courses répétées, bien que souvent stériles. Les Broncos sont domptés aisément, les Titans réussissent l’exploit de coller 10 points à la muraille de Charm City, les Raiders ne parviennent à inscrire qu’un tout petit field goal et les Ravens s’envolent vers le tout premier Super Bowl de leur jeune histoire. Face à Denver, Holmes fait du surplace. À Nashville, il ne touche pas le moindre ballon. À Oakland, il grappille péniblement 31 yards. Le 28 janvier, au Raymond James Stadium de Tampa, il ne fait que de la figuration, mais l’essentiel est ailleurs. Jamal Lewis centenaire sans grand relief, la défense asphyxie les Giants et Priest remporte le premier titre de sa carrière de footeux. Jubilatoire.

L’euphorie de la victoire retombée, retour à la froide réalité. Priest Holmes et Jamie Sharper agents libres non-restreints, la franchise de Baltimore doit faire un choix. Et sans grande surprise, il se porte sur la défense. Merci et bonne chance pour la suite, l’ancien de UT se retrouve sans franchise fixe. Toujours très méticuleux, limite maniaque, le coureur dresse une liste de 15 conditions pour tenter de dresser le portrait robot de sa destination idéale. En tête de page, une place de titulaire, évidemment. Pas très loin derrière, la proximité avec le Texas et San Antonio, où vivent toujours ses deux fils, DeAndre et Jekovan. Des 15 cases de cette liste, les Chiefs en cochent 13.

« Quand je suis allé à Kansas City, j’ai été impressionné par ce que j’ai vu, » raconte-t-il dans Priest Holmes: From Sidelines to Center Stage de Bill Althaus. « Mais j’ai quand même dû jeter un oeil à ma liste. Je savais que c’était proche de la maison, qu’ils avaient des fans incroyables et d’excellents joueurs. Plus j’y pensais, plus je savais que Kansas City était faite pour moi. »

Rapidement, il se rend à l’évidence. Un no-brainer

Chiefs, oui Chiefs !

De son côté, passé sous les ordres de Dick Vermeil durant deux saisons à St. Louis, Tony Banks, éphémère coéquipier de Priest entre 99 et 2000, glisse un mot à celui qui vient tout juste d’être nommé entraîneur des Chiefs. Le stratège se souvient de cet après-midi de décembre 93, le Sun Bowl entre Nebraska et Texas, suit les conseil de son ancien quarterback et décroche le téléphone. L’intérêt est mutuel. Vermeil n’a aucun soucis à convaincre Carl Peterson, GM des Chiefs, et Priest fait cap sur le Missouri pour parapher un contrat de 5 ans.

« J’ai reçu un coup de fil de coach Vermeil qui m’a offert deux possibilités, » raconte Holmes sur la page officielle des Chiefs. « Soit on drafte un jeune quarterback et un jeune running back, soit on monte un échange pour Trent Green et dans ce cas là, tu fais partie de l’aventure. »

Quelques jours plus tard, Dick Vermeil est de nouveau à l’autre bout de la ligne : « Devine qui va être notre nouveau quarterback ? Trent Green. » Priest se voit déjà tout de rouge vêtu. « […] J’étais vraiment excité, » se souvient-il.

Là où les Ravens et leur système offensif rudimentaire l’envoyaient au casse-pipe sur une ligne de mêlée où son petit mètre 75 se faisait lessiver comme dans le tambour d’une machine à laver, le coordinateur offensif Al Saunders adopte une approche nettement plus variée et lui flanque un allier de poids dans le sillage duquel s’engouffrer. Tony Richardson, un des meilleurs fullbacks de l’histoire, capable de bloquer comme de cavaler et qui jouera les perce-muraille pour des coureurs à plus de 1000 yards pendant 9 saisons consécutives. Courses vers l’extérieur ou déguisées, handoffs retardés pour tromper la défense avec des draw plays savamment pensés, counterscreen passes, le staff offensif de KC ouvre son playbook en grand, l’éloigne le plus possible des montagnes de la ligne défensive et l’envoie aller se frotter à des defensive backs moins rugueux et des linebackers moins vifs. À la Marshall Faulk, dans l’autre franchise du Missouri. Une façon d’exploiter sa vitesse sur l’extérieur, mais aussi de le préserver physiquement. Le principal point d’interrogation entourant sa venue auprès de ses nouveaux coéquipiers.

« Nous n’étions vraiment pas sûrs de ce que ces deux nouveaux gars allaient apporter à l’équipe, » raconte Will Shields, guard All-Pro de Kansas City. « Priest arrivait blessé et l’avait aussi été la saison précédente, même problème avec Trent, nous ne savions pas trop à quoi nous attendre avec ces deux joueurs. »

Dans ce football d’espaces plus que de contacts, Priest prend son pied. Sa vision du jeu, sa patience derrière ses bloqueurs et son coup de rein au moment d’accélérer font rapidement des ravages dans les lignes adverses. Après deux matchs au ralenti en ouverture, où Holmes ne fait pas mieux que 30 misérables yards, le gamin de San Antonio profite d’une escapade dans la capitale fédérale pour rassurer les plus sceptiques. 23 courses, 147 yards, 2 touchdowns, 5 réceptions, 78 yards et un touchdown. « C’est qui ce gamin ? » se souvient s’être demandé Richardson après ce match de mammouth sorti de nulle part. Un vieux refrain. À tel point que celui qui menait le jeu au sol des Chiefs en empilant près de 700 yards un an plus tôt renonce à son étiquette de running back pour s’investir à temps plein dans son rôle retrouvé de fullback. Car « [il] croit dur comme fer en [Holmes]. » 2 semaines plus tard, Priest gratte 150 yards face aux Steelers. À San Diego il éparpille la défense des Chargers et amasse 181 pions. Puis 120 à Seattle après la semaine de repos. 168 à Oakland. 121 contre Denver. Puis 117 de plus à Seattle, pour la dernière saison des Seahawks dans l’AFC Ouest. Face aux Raiders en semaine 13, non content de signer une perf à trois chiffres au sol, il ajoute 108 yards et un touchdown dans les airs dans un one-man show qui ne suffira pas. Un match qui résume le décalage entre le récital individuel de Holmes et les atermoiement collectifs de Chiefs 6-10 qui finissent 4e, avant derniers de leur division, et bien loin des playoffs.

Remplaçant de 27 balais dans l’impasse un an plus tôt, Priest se mue en véritable arme de destruction massive en attaque. Même Marshall Faulk, MVP de la saison, ne gagne pas autant de yards que le #31. Un virage à 180 degrés dans une carrière jusque-là au point mort que personne n’avait soupçonné. Une fois de plus. Même quelques mois plus tôt, au moment du camp d’entraînement. Car les premiers pas de Priest à Kansas City sont hésitants.

« Rares sont ceux qui s’en souviennent, » explique Tony Richardson sur la page officielle de la franchise de KC. « Quand Priest est arrivé, je ne vais pas dire qu’il a galéré, mais il avait du mal à assimiler notre système offensif et ne s’intégrait pas vraiment dans notre schéma. »

13 petits ballons seulement pour ses premiers matchs, une mauvaise lecture sur la toute première action de la saison, un drop sur la première passe expédiée dans sa direction, puis après deux semaines inquiétantes, où il sent la pression peser de tout son poids sur lui, la libération à D.C. En tout, 1555 yards et 8 touchdowns sur le plancher des vaches, 614 unités et 2 touchdowns de plus dans les nuages, le coureur est intenable. À l’image de ces trois semaines, au retour de la bye week, lorsqu’il amasse le total délirant de 643 yards en 3 rencontres. Du jamais vu depuis les 746 pions de Walter Payton en 77. Jamais un coureur non-drafté n’avait achevé une saison en tête des charts au sol. L’année suivante il fera mieux encore, fauché en pleine course, à deux matchs de la fin de saison, dans sa tentative de record du nombre de touchdowns au sol sur une saison. Un an plus tard, il éclipsera la marque de Marshall Faulk en croisant 27 fois la ligne et encaissera un chèque de 35 millions de dollars mille fois mérité. Un accomplissement pharaonique pour un mec relégué au rang de doublure depuis ses premiers pas à la fac, star éphémère le temps de quelques matchs sur le campus d’Austin, propulsé titulaire en puissance durant sa saison de sophomore pour violemment retomber sur terre dès l’été suivant, puis la consécration.

Plus que le sportif, c’est également l’homme qui se libère enfin de sa bulle. Personnalité introvertie et avare en mots depuis son adolescence, Priest gagne en confiance et s’ouvre enfin.

« Pour moi, il est tout aussi remarquable en tant que running back qu’en tant que personne, » confie Dick Vermeil. « Il est un peu sorti de sa coquille en terme de communication et d’échanges. Même ce matin, on était ensemble dans la salle de muscu, et il était nettement plus détendu, plus souriant et plus ouvert à la discussion. Plus il se relaxe, plus il se dévoile. Je pense qu’il se sent bien entouré ici. Il a considérablement gagné en confiance. »

Une épiphanie. Homme d’action plus que de parole, il se découvre une âme de leader occasionnel. Comme quand la frustration de ne pouvoir enfiler le casque et le plastron l’emportent sur son éternel mutisme. De son succès sur le terrain, Priest puise une confiance en lui jusque-là insaisissable. Quand il est sur le gridiron, on ne le lâche pas des yeux, guettant ses exploits. Lorsqu’il prend la parole, on se tait et boit ses paroles. Interrompre Priest en plein prêche ? Blasphème.

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