De la TAFL à l’AAF, une histoire de football printanier

Le football continue après le Super Bowl et ce n'est pas la première fois.

Le 8 février prochain, six jours après le Super Bowl LIV, la XFL 2ème génération relancera officiellement la machine 19 ans après. L’an dernier l’AAF (Alliance of American Football) a également tenté l’aventure, mais a dû se résoudre à cesser ses activités en cours de saison par manque de liquidité. Et à un moment donné, la Freedom Football League prévoit elle aussi de commencer à jouer, ajoutant une nouvelle ligue de football de printemps au calendrier sportif. Mais le football professionnel en cette période l’année durera-t-il ? Beaucoup ont tenté l’expérience, mais aucune n’a réussi à s’installer dans le paysage footballistique.

La Trans-American Football League (TAFL) est très certainement la première entité a tenté le pari. Ses franchises provenaient de la Continental Football League, qui a vu le jour en 1965. Elle avait démarré en automne, parallèlement à la National Football League et American Football League, encore séparées à l’époque. La saison 1969 a été la dernière de la Continental Football League sous cette appellation, rebaptisée TAFL par Arthur S.Arkush, le fondateur de Pro Football Weekly. Sa première mesure a été de décaler ses opérations au printemps, après la fin de la saison NFL. Le 19 juin 1971, les Toros de San Antonio ont battu les Titans de Texarkana 20 à 19 pour le seul et unique titre décerné. Après ce match, le bureau de la ligue a fait savoir qu’elle reprendrait son championnat à l’automne 1972, mais il n’a jamais eu lieu.

L’USFL, les yeux plus gros que le ventre

La United States Football League était la ligue de printemps la plus célèbre des années 1980. Conçue par l’homme d’affaires de la Nouvelle-Orleans David Dixon, elle a été annoncée en mai 1982 et a démarré l’année suivante. L’USFL avait signé un contrat de diffusion avec ESPN, la première fois qu’une ligue de football professionnelle acceptait une entente avec un réseau câblé. Dixon était la clé de voute de ce projet, dont les premières idées ont émergé en 1965. Celui-ci voyait un marché pour le football aux beaux jours, lorsque la NFL et la NCAA font relâche. Acteur majeur de l’arrivée des Saints et la création du Superdome à la Nouvelle-Orleans, il a développé le Dixon Plan, un projet bâti pour sa ligue, basé sur l’assurance de disposer de grands stades sur les principaux marchés télévisuels, un accord de diffusion, le contrôle des dépenses avec un plafond salarial à 1,8 millions de dollars par équipe. Il a également introduit le principe d’une draft territoriale afin de mieux recruter les meilleurs joueurs universitaires, comme le système adoptée par l’AAF l’an dernier. Il trouve même des investisseurs prêts à mettre la main au porte-monnaie en se basant sur une étude menée par Frank N.Magid Associates, Inc. qui a révélé un intérêt « écrasant » du public à regarder du football au printemps et au début de l’été. Sur le terrain, le jeu proposé est relativement bon. Des entraineurs ou dirigeants ont une expérience NFL. Quelques futures pépites de la grande ligue y ont fait leurs débuts comme Sam Mills (LB), Reggie White (DE/DT), Steve Young (QB), Jim Kelly (QB), Herschel Walker (RB). Les Panthers du Michigan ont remporté le premier titre en 1983, suivis des Stars les deux années suivantes. Avec un camp de base à Philadelphie la première année, avant de déménager à Baltimore pour le dernier exercice.

Les principaux obstacles de l’United States Football League à son épanouissement étaient la NFL, mais surtout ses propres propriétaires. Les mentalités se divisaient entre ceux qui appliquaient les règles de conduite énoncées et certains qui dépensaient sans compter. Les problèmes sont apparus avant même le premier snap. En raison de la pression exercée par la NFL, quelques franchises ont du mal à obtenir des baux dans des stades également utilisés par la ligue majeure. Ils sont alors contraints de se déplacer vers un site alternatif ou migrer vers un nouveau marché. Malgré le plafond salarial, certaines équipes ont augmenté ce poste de dépense à des niveaux insoutenables pour attirer des talents. À l’image d’Herschel Walker, All-American à trois reprises et vainqueur du trophée Heisman en 1982. Les officiels de la ligue ont autorisé sa signature aux Generals du New Jersey malgré qu’il ne soit pas légalement admissible et valide son contrat de 4,2 millions de dollars sur 3 ans, plus une prime à la signature d’un million supplémentaire. Le seul but étant de crédibiliser l’USFL. Résultats, une course à l’armement s’engage avec des offres folles transmises à des têtes d’affiche. Une instabilité s’est installée, avec des crises financières répétées, de nombreuses délocalisations, fusions ou changements de propriété au cours des trois ans d’existence.

En 1984, Donald Trump s’est porté acquéreur de la franchise du New Jersey dans le but de mettre la main sur une équipe NFL. Ou, dans le meilleur des cas, forcer la fusion des deux entités. Lorsque le commissionnaire Pete Rozelle a rejeté ses avances, il a défié la grande ligue de front, en l’attaquant de toutes parts. Sur le terrain, il a convaincu les autres propriétaires de déplacer le championnat en automne à partir de la saison 1986.

« Si Dieu avait voulu du football au printemps, il n’aurait pas créé le baseball », Donald Trump.

En coulisse, il a assigné la ligue majeure en justice dans un procès antitrust qui visait à mettre fin à la puissante emprise de la NFL sur le football professionnel national. Trump et l’USFL ont centré leur argumentation sur l’absence d’offre télévisée de la part d’ABC, NBC ou CBS, qui avaient chacune conclu un partenariat avec la NFL. La somme réclamée s’élevait à 567 millions de dollars, qui serait triplé pour atteindre 1,7 milliard en vertu de la législation antitrust. Le jury a donné raison au futur président américain, mais n’a octroyé qu’un seul petit dollar de dommages et intérêts, porté à trois dollars au regard de la loi. Un camouflet fatal à la petite ligue. En aout 1986, l’USFL a annoncé que sans l’argent qu’elle s’attendait à recevoir et sans contrat de télévision, elle ne tiendrait pas la saison. Il n’y a plus jamais eu d’autre exercice, et les pertes culminaient à plus de 163 millions de dollars.

Donald Trump et Herschel Walker (photo : Associated Press).

Tentative internationale

En 1991, la World League of American Football (WLAF) a démarré ses activités. C’était l’exact opposé du défi lancé par l’USFL pour contrecarrer la suprématie de la NFL. Elle était soutenue par la ligue majeure, dirigée par son commissionnaire de l’époque Paul Tagliabue et télévisée par ABC. Le but avoué était de donner du temps de jeu et de l’expérience à des joueurs qui n’avaient pas encore le niveau professionnel et avaient besoin de temps pour s’aguerrir. La première semaine a eu lieu le 23 mars dans des villes éparpillées à travers les États-Unis (Sacramento, Orlando, Birmingham) et l’Europe (Francfort et Barcelone). Menacée par les intempéries, la rencontre en terre espagnole a failli ne jamais être joué sans l’intervention de Mike Lynn, président de la WLAF :

« Leur tradition de football est que lorsqu’il pleut comme ça, on reporte le match. J’ai dit à Joseph Figueras [propriétaires de Barcelone] qu’au football, nous n’annulons pas. »

Pour cette première année d’exploitation, 10 équipes (6 aux États-Unis, 1 au Canada et 3 en Europe) étaient sur la ligne de départ. Les London Monarchs se sont imposés 21 à 0 face aux Barcelona Dragons au cours du World Bowl I, disputé le 9 juin. Financièrement, le résultat n’était pas au rendez-vous. La ligue a perdu 7 millions de dollars au total et aucune des 10 équipes engagées n’a généré de bénéfices. De nouvelles pertes l’année suivante ont conduit l’instance à stopper ses activités pendant deux ans. Elle est revenue aux affaires en 1995 avec la chaine FOX comme copropriétaire et diffuseur du championnat. Nouveauté, celui-ci était entièrement basé en Europe avec 6 équipes inscrites. Les Amsterdam Admirals, Rhein Fire et Scottish Claymores rejoignant les franchises existantes de Londres, Barcelone et Francfort.

Trois ans plus tard, elle a été rebaptisée NFL Europe, marquée par l’arrivée du quarterback Kurt Warner à Amsterdam, puis NFL Europa en 2006. Le succès a décliné au fur et à mesure des années. Certaines équipes n’arrivant plus à remplir leurs stades ont été contraints de’abandonner ou de fusionner. Les formations étaient ainsi regroupées du côté des Pays-Bas (Amsterdam Admirals), mais surtout en Allemagne avec les Cologne Centurions, Berlin Thunder, Hambourg Sea Devils, Rhein Fire et Francfort Galaxy. Clin d’œil spécial pour cette dernière qui a été la seule équipe à participer à chaque saison de cette ligue entre 1991 et 2007, lorsqu’elle a définitivement fermé ses portes. Les matchs n’étaient plus diffusés depuis longtemps, même dans les pays hôtes, et la ligue coûtait jusqu’à 500 millions de dollars par saison. Au final, c’était un investissement perdant pour une expérience relativement ratée.

Durant l’expérience WLAF/NFL Europe, d’autres petites ligues ont tenté le coup et ont duré encore moins de temps. La Professional Spring Football League n’est pas sortie des camps d’entrainement en 1992. Sept ans plus tard, la Regional Football League est passé en coup de vent, l’International Football Federation a été annoncé mais n’a jamais joué un seul match. Dans les années 2000, la Spring Football League, soutenue par Bo Jackson, Eric Dickerson, Tony Dorsett et Drew Pearson, s’est contentée de deux rencontres test sur les quatre prévues initialement. La All-American Football League rêvait d’une inauguration en 2008, mais elle a fermé ses portes avant même le premier snap. Sort similaire pour la A-11 Football League en 2014, qui avait pourtant de grands espoirs d’être diffusée sur ESPN.

Kurt Warner sous les couleurs des Admirals (photo : ESPN).

XFL 1.0 et AAF, une mort prématurée

La première version de l’Xtreme Football League a vu le jour en 2001, sous la houlette de l’excessif Vince McMahon. Le célèbre promoteur de catch a négocié les droits de retransmission avec NBC et apporté des modifications pour attirer l’attention : pas d’arrêt de volée, des surnoms à la place des noms dans le dos, un duel entre joueurs pour déterminer la première possession du match. Les audiences étaient au rendez-vous lors de la semaine d’ouverture, mais ont progressivement chuté, à l’image du scénario connu par l’USFL auparavant. Le jeu a rapidement laissé sa place à l’extra-sportif, pour tenter de monter le championnat à la sauce catch avec des querelles inventées. Le 21 mars, le Chicago Tribune a révélé que la XFL offrait à NBC les pires taux d’écoute en prime-time des quatre grandes chaines. Comme l’a fait remarquer Abe Novic, vice-président de Eisner Communications, le spectacle était censé être plus dur sur le terrain et risqué en dehors. Mais dans les faits, c’était tout simplement ennuyeux et l’engouement s’est rapidement dissipé. Il n’y a pas eu de deuxième saison, la XFL ayant perdu ses partenaires principaux ainsi que 70 millions de dollars.

Créée par Charlie Ebersol et Bill Polian, l’Alliance of American Football (AAF) n’a tenu que huit petites semaines. Pourtant, leur ambition principale était louable, celle de créer un produit de qualité, mais il s’est rapidement confronté à la réalité économique. L’idée originale revient au cinéaste Ebersol qui a eu l’idée de former l’AAF après avoir réalisé le documentaire This was the XFL . En analysant l’histoire de la XFL, il est arrivé à la conclusion que le concept était viable mais que le produit proposé était mal exécuté, avec un faible niveau de jeu. Il a commencé à développer son projet en décembre 2017, à peu près au même moment où McMahon a envisagé de reformer son ancienne entité.

En quelques mois, il s’est débrouillé pour tout mettre sur pied rapidement et a lancé les opérations le 20 mars suivant. Même s’il n’avait pas de grands moyens, notamment au niveau des infrastructures, son unique obsession était de développer un produit de qualité, persuadé que les fans suivraient si le jeu est présent. Quelques modifications ont été apportées au règlement afin de fluidifier et réduire la durée des rencontres, comme la réduction à 35 secondes pour remettre la balle en jeu. Il s’est tout de même entouré de quelques personnalités du monde du football pour crédibiliser son projet (Bill Polian, Troy Polamalu, J.K McCay, Hines Ward, Justin Tuck). Pour s’assurer d’un niveau professionnel suffisant, l’AAF a recruté des entraineurs ayant une expérience du monde professionnel, à l’image d’un Steve Spurrier à Orlando. Les contrats donnés aux joueurs sont tous les mêmes, 250 000 dollars sur 3 ans, avec certaines primes en fonction des performances sur le terrain et de la réaction du public.

Le coup d’envoi a été donné le 9 février 2019, une semaine après le Super Bowl. 8 équipes réparties en deux conférences étaient de la partie, et dispersées sur des marchés de seconde zone au Sud du 35ème parallèle. Les deux premières de chaque conférence devaient se qualifier pour les playoffs les 20 et 21 avril, avant une finale prévue la semaine suivante au Ford Center at The Star, un stade couvert propriété de Jerry Jones. Mais personne n’a vu le Texas par manque de liquidité. Malgré des audiences en hausse constante, les activités ont été suspendues le 2 avril 2019. Les joueurs résidant à l’hôtel ont du régler par eux-mêmes leurs frais. Les contrats étant non garantis, ils se sont retrouvés sans emploi et sans compensation du jour au lendemain, mais autorisés à signer en NFL quelques jours plus tard.

Le quarterback de San Diego Mike Bercovici découvre brutalement l’AAF (photo : Bleacher Report).

Et maintenant ?

La XFL 2.0 débutera ce week-end et sait à quoi s’en tenir. Personne n’a réussi à concurrencer la NFL, l’argent venant à manquer à un moment donné. La nouvelle version a une structure similaire au format d’origine. Les huit équipes sont centralisées et gérées par la ligue. Chaque formation est la propriété de divers groupes et éparpillées sur des marchés actuellement ou récemment représentés par une franchise NFL. 10 semaines de saison régulière sont au programme avant des playoffs à 4 équipes et une finale. Contrairement à l’AAF, la XFL a pris du temps pour se structurer et trouver des partenaires. En annonçant cette reformation, McMahon a déclaré qu’il ne partageait que le nom et la marque avec l’ancienne version. Il vise à créer une ligue avec moins de controverses et de divertissement hors-terrain, mais qui possède un jeu plus rapide et plus simple par rapport à la ligue majeure.

Mais comme le rapportait Frank N.Magid Associates, Inc il a près de quatre décennies, existe-t-il encore aujourd’hui un intérêt « écrasant » du public à regarder du football hors de la période historique ? La XFL est la prochaine à tenter le pari d’un football post Super Bowl réussi et rentable. Ce n’est pas chose gagnée. Selon Forbes, Vince McMahon devrait investir entre 400 et 500 millions de dollars dans ce retour. Dans un premier temps à perte. Au courant de la situation, cela ne l’effraie pas et à un plan pour tout récupérer. Il a prévu d’investir 300 millions de dollars pour passer 2 ans et demi, puis en ajoutera un peu plus pour terminer le troisième exercice. À la fin de ces 3 ans, il espère obtenir des contrats télévisuels qui lui rapporteront plus de 125 millions par saison, ce qui couvrira ses pertes. Mais cela ne dépendra que de l’intérêt du public pour son produit et des taux d’audiences. Si le jeu en vaut la chandelle, les chaines mettront la main à la poche. Dans le cas contraire, c’est une mort programmée qui attend cette dernière expérience.

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