[Globetrotteurs] Gary Anderson : l’increvable Springbok

Des passeports étrangers ou des parents expatriés. S’il sont tous nés à des milliers de kilomètres des États-Unis, ils ont tous fini par atterrir sur les rectangles verts de la NFL. Voici leur histoire.

Un casque minimaliste fraîchement ressorti du musée de la NFL. Un style tout en retenue, d’une sobriété presque poétique, qui tranche avec la violence d’un sport qui vit ses années dorées au coeur des 90’s. Le poing qui se referme sagement à chaque coup de pied qui fait mouche. Gary Anderson, c’est une relique du passé venue du cape de Bonne Espérance et que rien ne destinait à illuminer les gridirons de son style hors du temps.

À chaque continent son ballon

Gary Anderson voit le jour à Paris. Ou plutôt Parys dans sa version afrikaans. Un sobriquet hérité d’un immigré allemand nostalgique ayant participé au siège de la capitale française entre septembre 1870 et janvier 1871. Dans ce petit bout de terre perdu au nord des immenses plateaux du Free State dans lequel il était venu se perdre, il avait reconnu dans la courbure douce de la rivière Vaal celle de la Seine. Pourtant, c’est sur le bord des plages ensoleillées de Durban, sur les rives balayées d’embruns de l’Océan Indien, que grandira Gary. Là-bas, c’est un autre ballon qui va rapidement l’obséder. Rond. Parfois tacheté de pentagones noirs. Il sait à peine marcher que son révérend de père lui en glisse déjà un entre les pattes. Il faut dire que pour Douglas, plus qu’une passion, le soccer aura été un gagne-pain. À des milliers de kilomètres plus au nord. En Angleterre. Près de son Irlande natale.

À Durban, en bon Sudaf, Gary taquine aussi le bâton de cricket et y développe l’une de ses plus grandes vertus : une concentration à toute épreuve.

« Une partie de cricket peut s’étirer sur une journée entière, raconte-t-il à Brand South Africa en 2002. « Au lycée, chaque équipe n’a qu’un tour de batte et si tu fais la moindre erreur, c’est fini pour toi. […] J’ai toujours été premier batteur, et je me souviens que, très jeune déjà, je détestais faire une erreur et devoir aller m’asseoir et passer des heures à regarder mes coéquipiers finir la manche. Les exigences de concentration du cricket m’ont toujours été d’une grande aide. »

Gary a 18 balais et vient tout juste de boucler le lycée quand, écoeuré par la violence de la politique d’apartheid de son pays, Douglas le pieu décide de mettre toute sa maison dans des cartons et de traverser l’Atlantique en diagonale, direction Downingtown, Pennsylvanie. La petite famille abandonne le confort de sa vie sud-africaine pour l’inconnu d’un pays où ils n’ont jamais posé un orteil.

Plus team ballon rond que ballon ovale, Gary est très vite intrigué par cette balle plus fuselée que celle des rugbymen qui obsède tous les gosses du coin. Si bien qu’il est aux States depuis 3 jours seulement qu’il se dégote déjà quelques cuirs sertis de leur beau lacet blanc et s’en va tester l’aérodynamisme de cette drôle de gonfle. Pendant qu’Anderson mène sa petite expérience à coup de drops tentés de la ligne médiane, on ne change pas facilement les habitudes d’un gamin qui aura joué au rugby toute sa jeunesse, un homme l’observe au loin. Après de longues minutes, il se décide enfin à s’avancer et commence à bavasser avec le gamin de Durban. Le type en question, c’est Charles Chiccino, le coach du lycée local, et il veut faire de Gary son kicker. Seul hic, l’expat est trop vieux. En revanche, ce charmant monsieur se révèle également être un bon ami de Dick Vermeil, entraîneur des Eagles. Gary a beau ne strictement rien connaître au foot, il vient de se dégoter un entretien d’embauche avec la NFL sans rien faire.

Le hasard faisant décidément bien les choses pour Anderson, une poignée de coachs universitaires se sont donnés rendez-vous à l’entraînement du jour de Philly. Une expérience pleine de nouveautés, les bons mots d’un des stratèges les plus respectés de toute la ligue et des offres de bourses d’études de chacune des facs présentes ce jour-là, les étoiles s’alignent comme par magie. Syracuse vise dans le mille en lui promettant de pouvoir intégrer l’équipe de soccer en parallèle et le choix est vite fait, Gary file au nord-ouest de l’État de New-York. S’il plantera 19 buts un ballon rond entre les guiboles pour ses deux premières années sur le campus vallonné des Oranges, il abandonnera le soccer pour se consacrer pleinement au ballon à lacet pour ses deux dernières campagnes. Senior, il signe ses adieux sur un joli 18/19 qui lui doit de s’inviter sur les boards de plus d’une franchise.

“Qu’est-ce qu’un joueur de soccer sud-africain fout ici, à se vautrer dans la neige sur un terrain de football à l’Université de Syracuse ? » concède-t-il s’être demandé parfois dans les colonnes du St. Paul Pioneer Press.

Toute son adolescence il aura rêvé de devenir joueur de soccer professionnel. C’est finalement pour se défouler sur une autre balle qu’il recevra bientôt quelques billets verts. 

« J’ai réalisé mon rêve de gosse. Être payé pour taper dans un ballon. »

Si le Révérend Anderson n’avait pas emmené les siens loins d’un pays à la politique nauséabonde, Gary aurait probablement marché dans les crampons de son père et embrassé une carrière de footballeur professionnel. Pourquoi pas en Europe, lui aussi. Pourtant, quand bien même son rôle sur un terrain de foot consiste également à frapper du pied dans un ballon, il ne trouve guère de similitude entre les deux disciplines. À l’inverse, il noue un parallèle bien plus évident, selon lui, avec le golf : la cadence. Le rythme.

« La mécanique en elle-même est une question de cadence, » explique-t-il dans les pages du South Coast Today en janvier 2004. « Et on entend souvent les golfeurs parler de cadence. Et c’est ce sur quoi j’ai passé toute ma carrière à travailler, la cadence. »

De héros à zéro

Drafté au 7e tour par les Bills, Gary ne passe pas les coupes estivales, mais rebondit rapidement dans sa Pennsylvanie d’adoption. Car si la franchise de Buffalo n’a pas décelé en lui un type digne de son roster, les Steelers sont convaincus du contraire et le signent à 6 jours du début de la saison. Ils ne vont pas être déçus. 9 matchs, 52 points et une place dans l’Équipe de Rookies de l’Année 1982, sans esbroufe, le Sudaf vient de s’installer dans le paysages de la NFL pour de longues années. De très très longues années. Un an plus tard, il poursuit son ascension. Compteur point doublé, meilleur marqueur de l’AFC, MVP des Steelers, il s’offre son premier Pro Bowl et s’impose déjà comme l’un des tout meilleurs spécialistes. En 84, il signe un record de franchise en expédiant un coup de pied de 55 yards entre les poteaux jaunes face aux Chargers. En 85, il conserve sa couronne de meilleur scoreur de la Conférence Américaine pour la 3e année consécutive en empilant 139 points. Un record de franchise parmi une flopée d’autres cette année-là. En 86, il atteint le cape des 100 field goals avec le meilleur taux de réussite jamais enregistré. En 88, il signe un 6/6 face aux Broncos et devient le premier botteur à inscrire 21 points dans une rencontre dans l’histoire de l’AFC. Pourtant, après 202 conversions consécutives réussies, il rate la cible. Fin de série.

Entre deux saisons couronnées de records et récompenses individuelles, Gary Anderson retourne à Downingtown prêcher ses talents de botteur à la jeune garde et distiller ses conseils aux athlètes les plus prometteurs du comté. Un ressourcement printanier essentiel pour ce Springbok si terre à terre qui fuit le stardom dès qu’il le peut. Et quand il ne couve pas la génération future, il pêche. N’importe où, n’importe comment.

« J’ai pêché partout dans le monde, » raconte-t-il dans Tales from the Vikings Locker Room de Bill Williamson. « De la pêche en eaux profondes à Hawaï, de la pêche sur glace dans le Minnesota et à peu près tout ce qui peut exister entre les deux. »

En 1991, devenu meilleur marqueur de l’histoire de Pittsburgh 2 ans plus tôt, Anderson inscrit 100 points tout rond et devient le 19e homme à atteindre la barre des 1000 pions. En 1995, après 12 années de boulimique, l’homme de tous les records des Steelers, celui qui pointe désormais au 4e rang des meilleurs marqueurs de l’histoire, quitte l’acier de Steel City pour le nid douillet des voisins de Philly. Si son numéro 1 n’a jamais été officiellement retiré, il n’a jamais été réattribué à qui que ce soit depuis. Deux petites saisons sur les bords du Delaware et il s’envole en quête d’or à San Francisco. Dans la douceur parfois capricieuse de Frisco, Gary ne perd rien à son mojo et continue d’empiler les points avec son inimitable flegme. À peine le temps de s’habituer au fog, qu’il repart au nord, le vrai. Le Minnesota. Là-bas, dans le froid des 10 000 lacs, il va vivre toutes les émotions. Du rire, aux larmes.

1998. Année de tous les superlatifs pour des Vikings  qui s’apprêtent à revisiter le livre des records de la NFL. Pour Anderson, un grand écart émotionnel. Au cours d’une saison régulière où les hommes de Dennis Green et leur attaque XXL piétinent tout sur leur passage, le Springbok réalise un sans faute unique dans l’histoire de la ligue : 35/35 sur field goal, 59/59 sur conversion. Dans le confort du Metrodome, le All-Pro et Pro Bowler amasse le totale délirant de 164 points. Du jamais vu pour un kicker. Tous postes confondus, seul Paul Hornung, coureur et botteur star des Packers dans les années 60, a fait mieux le temps d’une saison. En playoffs, il poursuit sa copie parfaite, jusqu’au coup de pied de tous les frissons.

Dans une finale NFC d’une intensité folle, les Violets récupèrent la possession avec un petit touchdown d’avance (27-20) et 6 minutes à effacer du chrono. Lentement, ils remontent jusqu’à la ligne de 22 d’Atlanta avant de se faire stopper. À Monsieur 100% de faire parler sa magie et de boucler l’affaire. De 38 yards. Une formalité. Le snap est parfait. Le lacet idéalements positionné face aux perches. Le cuir s’envole et s’échappe inexorablement sur la gauche pour aller susurrer à l’oreille du poteau jaune. Pour la première fois de la saison, Gary Anderson vient de rater un coup de pied. Le plus important de tous. Le plus important de sa carrière. Les commentateurs des Falcons n’en croient pas leurs yeux.

« Raté ! C’est raté ! Gary Anderson vient de manquer un field goal pour la première fois en près de deux ans ! »

La suite appartient à l’Histoire. Envoyé au tapis par Ray Buchanan, Gary reste quelques secondes au sol. Agard. Puis il se relève et rejoint sa ligne, la tête basse, pendant que les Faucons font la fiesta autour de lui. Il reste 2 minutes et 7 secondes. Assez pour qu’Atlanta aille planter le touchdown égalisateur à 49 secondes du gong en remerciant au passage Robert Griffith de manger une interception toute faite qui aurait tué le match pour de bon. On aura du rab. Les Vikings remportent le toss. Punt. Punt. Eugene Robinson casse miraculeusement une passe de Cunningham qui envoyait Randy Moss au Paradis. Punt. Puis de 21 yards, un autre pied légendaire, celui du Danois Morten Andersen, met fin à une finale d’anthologie. Fin du drame pour Gary.

« À la plupart des autres positions, les fans n’ont strictement aucune idée de ce qui se passe, mais en tant que botteur, personne ne te dit jamais, ‘T’as bien joué aujourd’hui.’, » explique-t-il à Chris Tomasson du St. Paul Pioneer Press en 2018. « C’est soit tu es parfait, soit, ‘Qu’est que t’as foutu bordel ?' »

Le Sudaf est inconsolable. Tout le poids de la défaite croule sur ses maigres épaules de vieux trentenaire. Pourtant, même à l’aube de ses 39 ans, il refuse de raccrocher. L’envie de se faire pardonner ? L’envie d’en profiter tant que son corps le lui permet ? Mystère. Malgré un échec lourd comme le monde à supporter, Gary délivre quelques game-winning field goals en 99 avant d’entrer dans l’histoire à l’aube du nouveau millénaire. An 2000. Semaine 8. Face aux Bills qui n’avaient pas voulu de lui 18 ans plus tôt, le Springbok plante 11 points et détrône George Blanda, le légendaire quarterback/botteur des Bears. À 41 balais, il devient le meilleur marqueur de l’histoire de la NFL. La cerise sur une saison encore bluffante de maîtrise où il n’aura essuyé qu’un seul échec face aux perches. Un coup de pied bloqué par les Bucs. 67/68. Le culte de l’excellence se moque des années.

« Les gens en font tout à fromage alors qu’on ne fait que taper un ballon entre deux poteaux jaunes, » raillait-il dans les colonnes du South Coast Today au crépuscule de sa carrière, en 2002.

En septembre 2002, Gary est les deux pieds dans l’eau de la rivière Roaring Fork, Colorado, quand son téléphone chante. « J’était en train de pécher et de m’éclater comme jamais. Mais le téléphone a sonné et ça s’est révélé être la bonne équipe et le bon moment. » À 43 ans, il rempile avec les Vikings à la condition d’être en congé les lundi et mardi et de ne devoir se présenter à l’entraînement qu’à partir du mercredi. Deal. Son retour est une surprise de taille pour un vestiaire dont il est de très loin l’aîné. Son plus proche poursuivant pointe à 9 années derrière lui. Même Mike Tice, le coach des Violets, n’a que 5 petits mois de plus que lui. Il aurait pu être le père de plus d’un rookie.

« Les gars me posaient beaucoup de questions sur la NFL d’avant, » raconte-t-il dans Tales from the Vikings Locker Room de Bill Williamson. « Un rookie m’a dit qu’il n’était même pas encore né quand j’ai commencé ma carrière… c’est amusant et terrifiant à la fois. »

En décembre 2002, le vieillard se permet même de claquer le coup de pied de la gagne de 53 yards face aux Dolphins sous les yeux abasourdi de Cris Carter, parti à Miami au cours de l’été, qui l’en croyait physiquement incapable. Alors que la retraite lui tend enfin les bras, il vole au secours de Titans qui viennent de perdre Joe Nedney pour la saison et joue les prolongations. Une dernière fois. C’est promis. Gary refuse les offres de plusieurs franchises et, en juin 2004, il part dans les Rocheuses, de l’autre côté de la frontière, en Alberta. Puis Joe Nedney se blesse à nouveau, Tennessee pleurniche à son téléphone et le voilà qui renfile un uniforme le dimanche, faisant la navette entre Nashville et le Canada chaque semaine. Un intérimaire.

À presque 45 ans, il sonne enfin le clap de fin d’une carrière boulimique. 353 matchs disputés, le 3e totale le plus élevé dans l’histoire de la NFL. 2424 points records à l’époque avant que Morten Andersen, un autre globetrotteur, et Adam Viniatieri, un undrafted, ne passent par là. Seulement 7 minuscules conversion ratées en 827 tentatives. Meilleur marqueur de l’histoire des Steelers, il figure dans l’équipe type des décennies 80 et 90. Un modèle de longévité. Un monument. 

Après 20 saisons à endurer une pression dominicale suffocante, le Springbok peut aller retrouver les siens dans les paysages instragramesques de l’Alberta. À Canmore, à 80 bornes à l’ouest de Calgary, petite localité paisible de 12 000 âmes qui lui va si bien, le serial-kicker s’est reconverti avec succès en coach de soccer pour l’un des lycées locaux. Retour aux sources.

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