[Globetrotteurs] Ezekiel Ansah : le Lion d’Accra

Des passeports étrangers ou des parents expatriés. S’il sont tous nés à des milliers de kilomètres des États-Unis, ils ont tous fini par atterrir sur les rectangles verts de la NFL. Voici leur histoire.

Une Étoile Noire. Pas sphérique. Pas menaçante. Pas symbole d’annihilation. Sauf si on est quarterback. Phénomène athlétique, monstre physique, au pays des Black Stars du ballon rond, Ezekiel Ansah est une anomalie. Il rêvait de devenir le troisième Ghanéen à fouler les parquets de la NBA, il deviendra le troisième à tondre les gridirons de la NFL.

Il était une foi

Accra, capitale du Ghana. Sa longue bande de plage bordant le Golfe de Guinée, son bouillonnant marché de Makola, son intangible climat tropicale et son triste lagon de Korle, infesté de bouteilles, emballages et autres immondices en plastique. C’est dans cette ville grouillante de plus d’un million d’habitants qui s’étend à perte de vue qu’Ezekiel Ansah grandit, au coeur d’années 90 où le pays renoue avec la démocratie après deux décennies politiquement chaotiques. Dernier d’une famille de 5 enfants, un père manager d’une équipe de commerciaux dans une compagnie de pétrole, une mère infirmière, il vit dans un quartier populaire surpeuplé où l’on s’entasse les uns sur les autres. Ado, sa vie se résume à un triptyque : école, sport et religion. Comme si ses tours de piste à répétition et les kilomètres engloutis lors de ses parties de foot ne suffisaient pas, chaque matin, avant d’aller en classe, il galope entre 3 et 5 bornes dans les rues bondées de son quartier. Devenu ado, le soir, avec son grand frère, il se prend pour LeBron James pendant des heures sur le terrain de basket du coin. Une idole découverte grâce à la magie du câble. Si ses parents n’ont pas la chance de pouvoir offrir ce luxe à leur rejetons, un des amis d’Ansah a ce privilège et l’ado s’invite chez lui à chaque match des Cavaliers d’une Cleveland fantasmée.

Pendant ce temps-là, en 1993, à l’autre bout du monde, sur la côte ouest des États-Unis, inspiré par le tube 80’s d’Alphaville, Steve Young inaugure la Forever Young Foundation, un organisme voué à défendre les marmots les plus défavorisés atteints de maladies graves qui menacent leur jeune et précaire existence. D’abord établie dans les agglomérations californiennes puis américaines, la fondation se propage vite bien au-delà des frontières Yankees et se met bientôt à collaborer avec une autre organisation de bienfaisance, l’Accra Ghana Mission. Si la fondation de l’ancien de BYU et son satellite ghanéen unissent d’abord leurs forces pour bâtir des missions mormones, ils construisent en 2007 l’un des tout premiers terrains multi-sport de la capitale.

« Sur ce terrain, n’importe qui peut se joindre à une partie, » explique l’ancien quarterback des 49ers à Kyle Meinke de MSLive en octobre 2019. « C’est là que ce petit gamin maigrichon d’un mètre 96 se pointe pour jouer au basket. Ziggy Ansah. »

Et l’ado se révèle plutôt adroit avec la balle orange. Pendant qu’il claque des dunks et enfile des lay-ups, pas très loin de là, Ken Frei arpente les rues poussiéreuses d’Accra 6 jours sur 7, en quête d’âmes égarées ou tout simplement désireuses d’en apprendre davantage sur l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, raconte Sports Illustrated. Son seul jour de répit, le sophomore de 20 piges de la Brigham Young University, dans l’Utah, le passe à se défouler avec ses autres camarades missionnaires mormons sur le terrain de Golden Sunbeam, Aldentan, dans les faubourgs d’Accra, une école privée s’étirant de la maternelle jusqu’à la terminale. Un des rares grounds du genre de la poussiéreuse et bruyante capitale. Un court badigeonné de bleu où l’on devine également les contours d’un terrain de tennis sur lequel traînent régulièrement Ansah et ses longs compas, en même temps que l’ado de 15 ans poursuit des études de commerce à la Presbyterian Boys’ Senior Secondary School à environ 7 bornes plus au sud, à Legon, une banlieue d’Accra. En même temps qu’il empile les A en classe, il continue de tourner en rond sur les pistes et d’entasser les paniers avec une aisance insolente.

En 2007, à 18 piges, fraîchement diplômé et prof assistant à Golden Sunbeam, il prend les rênes d’une des équipes de jeune du bahut et empile les succès, y compris dans des tournois internationaux. Un aprèm de décembre, Ken l’invite à se joindre à eux pour un deux contre deux. Du haut de son petit mètre 80, l’ancien meneur durant ses années de lycée se retrouve dans l’ombre kilimandjaresque d’un Ziggy qui lui rend 16 centimètres et une bonne vingtaine de kilos. Pas de quoi effrayer le fervent mormon. En fin connaisseur, il sait que les Ghanéens des parquets ne sont pas reconnus pour leurs talents de dunkers. La partie débute, Ansah s’empare du ballon et dégaine comme prévu un improbable shoot longue distance qui vient s’écraser contre la planche en vitre. Le mormon a à peine le temps de se retourner, qu’Ezekiel est déjà dans les airs, arrache le rebond, éclate un dunk à deux mains sauvage et fracasse les dons de devin du missionnaire. « LeBron James est mon joueur préféré, » lui lance le natif d’Accra avec un petit sourire malin au coin des lèvres. « J’espère jouer dans la NBA un jour. »

Très vite, les deux mordus de basket deviennent potes. Difficile de résister au sourire Colgate et à la personnalité si joviale de Ziggy. Élevé sous les préceptes de l’Église anglicane, il fréquente depuis peu la Charismatic Church, son pasteur enflammé, ses chants lyriques et son atmosphère parfois survoltée. Grâce à Ken Frei, il découvre un Livre de Mormon dont il a vaguement entendu parler depuis qu’il travaille à l’école. Au bout de six semaines d’échanges passionnés entre les deux fervents croyants, Ansah décide de se convertir en dépit de la ferme opposition d’Edward et Elizabeth, ses bienveillants et dévots parents. Malgré quelques inquiétudes légitimes, à la demande de son nouvel ami, Frei réquisitionne tous les muscles de son corps et procède au baptême en immergeant le colosse dans l’eau. Quelques semaines plus tard, sa mission accomplie, le natif d’Idaho Falls rentre dans l’Utah non sans distiller un dernier conseil à Ansah.

« J’ai dit à Ziggy que s’il était sérieux quand il parlait de jouer au basket au haut niveau, il devrait venir à BYU passer un test, » raconte-t-il dans les pages de Sports Illustrated.

Avec l’aide du principal de Golden Sunbeam qui connait bien Brigham Young University pour y avoir envoyé deux de ses héritiers, Ezekiel remplit toute la paperasse et est admis. À quelques semaines du début du semestre d’automne 2008, il se retrouve à Provo, Utah. À plus de 11 000 bornes de son Accra suintante d’humidité. Une ville coincée entre les majestueux monts enneigés de la chaîne Wasacht et les eaux calmes du lac Utah. Une localité qui doit son nom à un trappeur canadien-français du milieu du XIXè siècle, Étienne Provost. Une ville dont près de 89% de la population reconnait appartenir à l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours et qui abrite le campus de BYU, principal établissement d’enseignement supérieur mormon et son code de conduite très strict. À peine posé sur le tarmac yankee, il pianote sur son portable pour appeler Ken Frei. Il se cherche un coloc.

Tout juste débarqué à Provo, un détail le frappe : il est le seul Noir. Ou presque. Autour de lui, une marée, une nuée, un tsunami de visages blancs. Rien de nouveau en soi pour celui qui a côtoyé plus d’un missionnaire d’origine caucasienne au cours de son enfance ghanéenne. Mais dans cette ville de 120 000 habitants où les Afro-Américians ne représentent que 1% de la population, il se sent soudainement seul.

« Ça a été dur à vivre au début, » concède-t-il. « Chaque fois que je croisais un autre Noir, je lui disais bonjour parce que ça pourrait bien être le seul que je verrais de toute la journée. »

Dans l’Utah, habitué à des températures qui descendent rarement en-dessous de 20 et s’étirent régulièrement au-dessus des 30 degrés, le choc thermique est violent. Pour la première fois, il découvre une pluie solide, blanche et collante qui ne lui inspire rien de bon. Et quand le mercure amorce une descente vertigineuse sous la ligne fatidique du zéro, il croit geler sur place. Habitué aux produits frais du marché de Makola, il découvre avec horreur cette boite blanche flanquée de bitoniaux énigmatiques pour décongeler ou réchauffer de la bouffe lyophilisée.

« Au Ghana, chaque fois que nous voulions manger, nous allions au marché, » regrette-t-il dans SI. « Nous ne mettions jamais rien au micro-ondes. Tout ce que nous cuisinions était frais. Nous n’avions pas de poulet congelé depuis des mois. Ici, j’ai dû m’habituer à manger de la mal-bouffe, des burgers indécents et toute sorte d’affaires. »

À quelques semaines du début de la saison 2008 de basket, Ziggy est finalement recalé par les Cougars malgré une impressionnante détente verticale et un don pour les dunks dépourvus de toute finesse. Durant son premier automne américain, Ken lui fait découvrir les plus de 60 000 places du LaVell Edwards Stadium et sa vue saisissante sur les sommets enneigés. Il ne capte absolument rien au pugilat qui se déroule en contrebas. Comme un automate, il se contente d’imiter les centaines de fans qui l’entourent. Lorsqu’ils crient de joie, il se réjouit sans trop savoir pourquoi. Lorsqu’ils sifflent, il partage aveuglément leur mécontentement. Pendant qu’il livre son numéro de mime, intérieurement, le gros ourson qui vit tapi sous cette carapace de grizzly s’indigne de la violence de ce sport.

« C’était intense — tous ces gars qui se rentrent dedans, » confie-t-il à Jeff Benedict de Sports Illustrated. « J’ai dit à mon coloc de chambre, ‘Je suis pas sûr d’avoir envie de jouer à ça.’ »

Au lieu de ça, Ziggy le borné préfère retenter sa chance sur les parquets l’automne suivant. En 2009, sophomore, toutes ces heures passées à dévorer le moindre geste, déplacement, feinte de corps, lay-up ou contre de LeBron n’y font rien et il est de nouveau gentiment refusé. Incapable de tenir en place, il s’essaye aux pistes d’athlétisme. Toujours aussi grand sous la toise, mais avec 120 kilos sur la balance, Ken Frei lui suggère d’aller tenter sa chance chez les footeux d’à côté malgré le peu d’estime qu’il porte à ce sport de bourrins. En vain. Même quand quelques-un des casqués, impressionnés par son potentiel athlétique, le convient à leur entraînement, ne serait-ce que pour voir, il les prend pour des fous et fait la sourde oreille. Sur la piste, il continue d’impressionner en claquant un 21,9 secondes irréel sur 200 mètres pour un type de son gabarit davantage bâti pour catapulter des javelots ou des disques le plus loin possible que taper des sprints. Coach assistant de l’équipe d’athlétisme lui aussi né au Ghana, Leonard Myles-Mill le prend entre quatre yeux et lui répète ce que tout le monde se tue à lui dire : va faire un tour du côté du football.

Chemin de croix et épiphanie

À quelques jours du début du camp d’été 2010, Bronco Mendenhall et son regard perçant sont dans leur bureau, peinard. Il sait qu’un walk-on, un gamin sans bourse d’études, est sensé passer incessamment sous peu. Un sprinteur africain biberonné aux ballons ronds. Il n’en attend pas grand-chose. Il n’a jamais eu de succès avec les formules 1 des pistes d’athlé. La vitesse ne fait pas tout en football. Quand Ezekiel Ansah passe la porte, les sourcils du coach des Cougars se courbent à 90 degrés. Ce grand machin de près de 2 mètres et 125 kilos taillé dans la roche ressemble à tout sauf à un sprinter. Ses épaules passent à peine par le cadre en bois. « Je veux joueur au football, » balance un Ziggy qui va droit au but. Mendenhall lui demande laconiquement s’il y a déjà joué. « Non. » Connait-il au moins les règles et principes de bases. « Non. » Un dernier regard et le coach lâche son verdict.

« Si tu es vraiment sérieux dans tes intentions, l’entraînement commence demain matin. Tout le monde est là à 5h45. Début de la séance de muscu à 6. »

Le lendemain, la ritournelle du réveil retentit aux aurores et Ansah se pointe dans les temps. En pénétrant dans la salle de musculation, il découvre un univers qui lui est totalement inconnu. Une forêt vierge. Déroutante. Intimidante. Jamais de sa vie il n’a soulevé de fonte. Il faut que ses partenaires lui récitent le mode d’emploi pour chacun des engins de torture qui meublent le gymnase. Le premier jour du camp, il doit une nouvelle fois quémander l’aide de ses nouveaux frères d’arme pour enfiler ce drôle de plastron aux allures d’armure médiévale revisitée. Une carapace de stormtrooper. Assis à côté de lui, Jordan Johnson, un defensive back de première année est tiraillé entre amusement et compassion.

« Il essayait d’enfiler les protège-cuisses par les protège-genoux, à l’envers. Il ne comprenait pas comment enfiler ses épaulières. C’était hilarant. Mais personne ne s’est moqué de lui. Il était bien trop balèze pour qu’on rigole de lui. » 

Sophomore, il se retrouve sur un terrain badigeonné de tout un tas d’indications tracées à la peinture blanche dont il ignore totalement la signification. Une fois son casque enfilé pour la première fois, il se demande bien comment il va pouvoir faire pour courir avec ce truc sur la tête. Si son absence totale de QI football détonne, il impressionne par sa faculté peu conventionnelle à vaporiser le moindre bloqueur qui se met en travers de sa route. À vrai dire, c’est presque comme s’il n’y avait pas de bloqueur. Sans aucune connaissance de ce sport, de ses techniques, des positionnements privilégiés, de l’usage des mains comme des pieds, il agit instinctivement. Pas question d’angle, de timing, de levier ou de point d’attaque. Pas de question tout court même. Ezekiel se contente de courir à pleine balle, les épaules hautes, le dos bien droit, et percute ses adversaires à une vitesse fracassante à laquelle ils ne sont pas préparés. À découvert, livré à lui-même, son corps encaisse les impacts sans broncher. Un diamant brute.

10 octobre 2010. BYU mène 16-10 à la pause face à Wyoming dans un rencontre encore indécise. Sur le coup d’envoi au retour des vestiaires, Bronco Mendenhall se dit que ça serait l’occasion idéale de lancer Ziggy dans le grand bain. Un coup d’oeil, une consigne simple et, l’air de rien, le joueur trotte tranquillement sur le terrain. Intérieurement, il est tétanisé.

« C’était terrifiant, » confirme-t-il dans les pages de Sports Illustrated en décembre 2012. « J’essayais de me rappeler ce qu’on venait de me dire, mais ça n’était pas simple, surtout avec tous ces gens qui criaient et hurlaient tout autour. » 

Positionné au milieu du terrain, les consignes de son coach sont pourtant bien simples : « Peu importe qui attrape le ballon, fonce lui dessus. » Gagné par l’excitation de l’instant, la jauge d’adrénaline à deux doigts de voler en éclat, Ezekiel s’exécute et détale à toute vitesse. Possédé. Terrifié. Malgré toute l’énergie du monde, il manque le retourneur. Sagement, il retourne en trottinant vers son banc. À mesure qu’il s’approche, les « Zig-gy! » se font de plus en plus sonores. Arrivé sur la touche, il se prend coup de casque en plein le front sur fessée bien sentie au postérieur par ses coéquipiers et coachs. Sans s’en rendre compte, habité par la frénésie de cet intimidant dépucelage, il a emporté avec lui trois bloqueurs des Cowboys qui avaient eu l’audace de se planter sur son chemin. « Hein ? » interroge un Ziggy incrédule. « Tu viens de dézinguer trois gars, » lui beuglent des partenaires hystériques.

30 minutes plus tard, les Cougars s’imposent de 5 petits points et Ansah a eu le temps de claquer le premier plaquage de sa carrière embryonnaire. À 21 piges où certains phénomènes de précocité cavalent déjà au grand air sur les prairies de la NFL, il vient de disputer le premier match de football de sa vie. Le lendemain, en tête-à-tête avec lui-même dans son bureau, les images du match de la veille en boucle devant ses yeux usés, Mendenhall en vient à la conclusion évidente : il faut trouver le moyen de faire davantage jouer ce gamin. Comment ? Ça reste encore à déterminer. « Ziggy ne faisait pas juste dégommer d’autres gars, il avait aussi 10 yards d’avance sur tous nos autres joueurs, » se souvient-il dans les pages de SI. Jamais il ne l’avait vraiment pris au sérieux. Noyé dans la masse de l’effectif des Cougars. Noyé par ses certitudes et ses préjugés sur ces phénomènes athlétiques sans expérience de footballeur.

Jusqu’à la fin de la saison, le Ghanéen est envoyé sporadiquement sur le terrain sur les équipes spéciales. Sans toujours trop savoir ce qu’on attend de lui, il court, détale comme un taureau lâché dans l’arène et commence à y prendre un certain plaisir à mesure qu’il apprivoise ce football tellement américain. Un ballon à lacet qui agit comme une thérapie et facilite une intégration jusque-là délicate. Dans l’esprit de groupe et de fraternité qui anime l’équipe, il s’ouvre et profite enfin de ce nouvel environnement riche en opportunités. Il peut même profiter des repas d’avant-match pour flamber en parlant de ses premières conquêtes féminines. Surtout, il se met à bouffer, boire, respirer, pisser football. Seuls les cours l’écartent brièvement de ses préoccupations ovales. Il ne profite même pas des vacances pour rentrer au pays se ressourcer et se réchauffer auprès des siens. Tous les jours, il soulève de la fonte et ingurgite des pages et des pages d’informations tactiques et techniques.

La saison suivante, junior, le coach lui assigne un nouveau coloc de chambre pour les déplacements en dehors des frontières de l’Utah. Kyle Van Noy, un linebacker robuste courtisé par LSU, Oregon, Nebraska et une pléiade d’autres programmes prestigieux avant de signer à Mormonland. Entre deux blockbusters dans le huis-clos de leur chambre, les deux joueurs passent des heures à se confier, partager leur passé, leur espoirs et leurs craintes. L’histoire de Ziggy fascine le natif de Reno, dans le Nevada. De deux ans son cadet, il décide pourtant de prendre le Ghanéen sous son aile et devient rapidement comme un frère pour Ansah. Très vite, Ezekiel adopte le rituel d’entraînement de Kyle et ses coachs commencent progressivement à le prendre au sérieux. Plus qu’un vulgaire joueur d’équipes spéciales à la technique peu orthodoxe, ils se mettent à dessiner en lui les contours d’un véritable playmaker. Aligné comme defensive end ou outside linebacker sur les situations de troisième essai, la consigne est simple : objectif quarterback.

Zéro pointé. Après deux saisons sans plaquage derrière la ligne de mêlée ni sack, pour sa dernière campagne sur le campus moderne de BYU, le Cougar sort enfin de sa longue hibernation. À cette époque là, les portes du campus de Provo franchies, il est encore un illustre inconnu. À 8 mois de la draft 2013, il passe totalement inaperçu sur tous les radars des scouts NFL. Après une saison débutée là où la précédente s’était achevée, dans un rôle de joueur de situation, le déclic opère en semaine 4. Sur le gazon bleu de Boise State, le genou du noseguard Eathyn Manumaleuna lâche, les félins perdent leur meilleur pion en défense et Ezekiel est appelé à la rescousse à un poste auquel il n’a jamais joué de sa vie. Après un fumble gracieusement perdu par l’attaque sur le palier de la endzone, ils se retrouvent acculés contre leur en-but. Premier et les buts sur la ligne de un. 1st down. Le tackle défensif intérimaire gicle en même temps que le ballon et sèche D.J. Harper sur place pour une perte d’un petit yard. 2nd down. Encore au sol. Encore Ziggy. Encore un yard dans la mauvaise direction. Les Broncos s’entêtent à galoper et rendent finalement le cuir sur un 4e essai infructueux. Le numéro 46 savoure.

« Ça fait un bien incroyable quand tu te retrouves aligné face à un type plus gros que toi et que tu le domines, » raconte-t-il à SI. « Surtout sur les jeux au sol. Aucune chance qu’ils ne passent sur moi. Je me sens tellement bien. »

Titulaire la semaine suivante, il disputera les 9 dernières rencontres de la saison, jusqu’au Poinsettia Bowl victorieux face à San Diego State. 48 plaquages, 13 tampons derrière la ligne d’avantage, 4,5 quarterbacks au compteur et 10 passes rabattues. D’abord prudents, limite réticents, les recruteurs NFL se ruent soudainement dans l’Utah pour se renseigner sur ce phénomène athlétique sorti de nulle part. Ce mec qui, trois ans après avoir découvert le football, n’aura eu besoin que de quelques mois pour se muer en véritable taulier de la 3e défense la plus hermétique de tout le pays. « Puis il débarque au Combine et déchire tout, » résume Steve Young, l’ancienne star de Brigham Young au patronyme prédestiné. « Le moment du Combine venu, Ziggy fera partie de ces gars dont les gens se demanderont d’où il sort, » avait prévenu un scout qui aura attentivement suivi l’évolution du joueur tout au long de son année de senior.

En septembre 2012, il n’apparaissait sur aucune mock draft. Deux mois et demi plus tard, il pointe déjà entre la fin du premier tour et le haut du deuxième. Après un combine convaincant et un Senior Bowl impressionnant, il est devenu un top 10 en puissance. Grand, massif, 208 centimètre d’envergure, une allonge délirante, incroyablement rapide, régulier dans ses perfs, comparé à Jason Pierre-Paul malgré un déficit d’expérience criant et une large marge de progression, il n’aura pas à poireauter bien longtemps le jour J, c’est une évidence.

« J’ai toujours rêvé de devenir basketteur professionnel quand j’étais petit, » reconnaît-il en décembre 2002. « En venant en Amérique, j’espérais avoir une chance de jouer dans la NBA. Maintenant on dirait que je vais jouer dans une autre ligue, la NFL. Je viens de tellement loin. Mais je peux encore être meilleur. Je continue d’apprendre. »

Après 5 ans sur le campus de Provo, un diplôme d’actuariat en poche, un seul regret persiste. Celui que ses parents ne l’aient jamais vu jouer. Si sa mère ne comprend pas tout, elle est heureuse pour son fils et lui rappelle de ne jamais oublier les vertus de l’humilité. Son père, lui, s’entête à lui demander comment se passe le basketball. « Je joue au football papa. » Ken Frei, de son côté, est plié en deux quand il prend la mesure de ses talents de recruteur. Un don grâce auquel il a dégoté sur un court de basket ghanéen un type qui sera bientôt drafté au 5e rang du repêchage 2013 de la NFL. « C’est une histoire remarquable. On pourrait en faire un film, » s’enthousiasme un Bronco Mendenhall qui aura longtemps fait partie des sceptiques avant de réaliser son erreur.

Traversée du désert

En mars 2013, certaines voix venues d’on ne sait trop où commencent à s’interroger sur son véritable âge. Son passeport est pourtant formel : 29 mai 1989. Des doutes tels que Ziggy doit en expédier des copies à ses prétendants les plus sérieux pour les rassurer. Un titre de voyage en bonne et due forme émis par les autorités ghanéennes en mai 2008, l’année où il quittait son pays pour la première fois de sa vie pour rejoindre BYU. Pas de quoi enrayer l’ascension fulgurante de ce type de bientôt 24 piges qui, en trois ans seulement, aura projeté un Ghanéen qui n’avait jamais joué au football de sa vie, ne pigeait rien et ne prêtait que peu d’intérêt à ce sport bien trop violent dans le top 5 d’une draft 2013 musclée. Direction Kansas City pour Eric Fisher. La déception Luke Joeckel pour les Jaguars. Le futur bust Dion Jordan à Miami. Lane Johnson dans le nid de Philly. Puis le nom d’Ezekiel Ansah qui résonne dans la bouche de l’électrisant Barry Sanders.

Avec le 5e choix général, les Lions avancent le tapis et misent tout sur ce mec que personne ne connaissait en septembre dernier. Un potentiel immense comme ses bras, mais un déficit d’expérience et une seule année pleine pour convaincre. Un boom-or-bust en puissance. Un costard sombre taillé avec goût, un chemise blanche amidonnée, une discrète cravate noire, un brin de fantaisie dans la poche extérieure de sa veste, le crâne couvert de tresses pour l’occasion, Ziggy se lève lentement, enlace sa mère de toutes ses forces, distribue quelques câlins, serre deux ou trois paluches et coiffe une casquette bleue. Un hug chaleureux avec Roger Goodell, une tendre accolade avec un Barry Sanders qui ressemble à un enfant à côté de lui et le nouveau fauve du Michigan prend la pose avec le maillot de Detroit frappé de son nom et du numéro 1. Sur son nez, des lunettes 3D orphelines de leurs verres. Un vieux souvenir qui remonte à plusieurs années, lorsqu’il était allé voir le film Thor au cinoche. Depuis, ces binocles aux larges montures noires sont devenues un de ses accessoires de mode fétiche.

« Ça faisait plus ou moins partie de mon identité à BYU, » résume-t-il sommairement.

Tous ses potes de Provo voulaient qu’il les arbore pour l’occasion. Même coach Mendenhall. En dépit de son déficit technique évident, les qualités athlétiques de Ziggy en font déjà un renfort de poids dans le pass rush des Lions. La moindre brèche dans la ligne adverse et il est agrippé au cou du quarterback, bien trop vif et rapide pour les linemen offensifs adverses. Une pointe de vitesse qu’il peut également exploiter au sol pour verrouiller l’extérieur et chasser les running backs. En ouverture de la présaison, pour son tout premier match sur un terrain NFL, il intercepte Mark Sanchez et s’offre un pick-six. Projeté titulaire côté droit au début de l’été, Jim Schwartz le flanque finalement en doublure de Willie Young après une préparation et une adaptation retardées par un coup à la caboche à l’entraînement. Pour son premier match officiel, il effleure suffisamment Christian Ponder pour s’offrir un demi sack. Promu titulaire après la blessure de Jason Jones fin septembre, il signe sept plaquages et un doublé sur RGIII. Pas effrayé par ses nouvelles responsabilités, il poursuit sa progression et achève sa première campagne professionnelle avec 8 sacks.

En 2015, il claque 14,5 sacks et échoue à un demi-scalpe du record de franchise de Robert Porcher en 99. Seules les moissonneuses batteuses J.J. Watt et Khalil Mack font mieux que lui. All-Pro, Pro Bowler, malgré l’étiquette de star en puissance, le longiligne pass rusher demeure un intermittent du spectacle. Ce joueur capable d’actions d’éclat coup sur coup comme capable de sortir son plus beau déguisement de Casper. Un modèle d’irrégularité qui attise la frustration des fans des Lions. Trois ans après avoir été drafté pourtant, Ansah a déjà raflé 30 sacks et fait taire plus d’un détracteur. C’est le moment que son corps choisi pour l’abandonner. En 2016, il a beau disputer 13 rencontres, handicapé par une blessure à la cheville qui ne le lâche pas, il doit se contenter de 2 malheureux sacks indignes de ses standards. L’année suivante, il doit attendre la dernière semaine de novembre pour enfin participer à un entraînement complet. Son bilan flatteur de 12 sacks est un habile trompe l’œil qui dissimule des performances beaucoup trop irrégulières. Une fiche statistique qui se résume à trois rencontres aux cours desquelles il empile 9 sacks. Trois par match. À New York en semaine 2 puis à Cincinnati et face aux Packers en fin d’année. Deux matchs anecdotiques pour des Lions déjà hors course pour les playoffs.

La saison 2018 n’est vieille que de 18 snaps quand il se démonte l’épaule face aux Jets en primetime. De retour aux opérations en semaine 8, son épaule pète une nouvelle durite un mois et demi plus tard. Le 9 décembre 2018, à Glendale, Arizona, il est escorté jusqu’au bord du terrain par deux soigneurs jusque sous la tente bleue, hôpital de campagne improvisé en bord de terrain. Sur une tentative de plaquage manquée sur Chase Edmonds, il retombe mal sur son flanc droit et ravive sa douleur à l’épaule. Quelques minutes plus tard, une serviette blanche sur la tête, la foulée traînante, il s’évanouie dans les coursives du State Farm Stadium. Au fond de lui, il le sait. Lorsque le vestiaire des vainqueurs ouvre ses portes aux journalistes, Ziggy a déjà pris la poudre d’escampette. Il vient de disputer son dernier match sous l’uniforme Blue Honolulu de Detroit. Il achève l’année en civil. Simple spectateur d’un saison hantée par les blessures où il sera péniblement parvenu à arracher 4 sacks.

« Ziggy a dû se battre contre pas mal de pépins l’an dernier, » reconnaît le GM des Lions sur MSLive.com en mars 2019« Ziggy est incroyablement fort et je suis fier que ça soit un Lion car, comme Matthew Stafford, il a continué à jouer malgré la douleur, ce que beaucoup de joueurs n’auraient pas fait, et je lui en suis extrêmement reconnaissant. »

« Un phénomène, » appuie son coéquipier Ricky Jean Francois dans les pages du Detroit Free Press au soir de sa blessure fatale dans l’Arizona. Bob Quinn a beau s’épancher sur l’admiration qu’il porte à son joueur, business is business. En mars 2019, Trey Flowers débarque de la Nouvelle-Angleterre pour rejoindre Matt Patricia, Rome Okwara est prolongé et le sort de Ziggy Ansah est scellé. Quelques jours plus tard, le faux suspense prend fin lorsque le Ghanéen, agent libre, s’engage pour un an avec des Seahawks en quête d’une nouvelle identité en défense. Clap de fin sur 6 années de relation tumultueuse.

Sous les embruns du Pacifique Nord, il doit de nouveau slalomer entre les accrocs physiques et se contenter de 2,5 pauvres sacks dans un rôle de rusher de situation. Sa pige d’un an peu concluante, les 49ers se laissent tenter le 23 septembre dernier en même temps que leur effectif fond à vu d’oeil. Un mec au corps aux abois pour venir en renfort d’un roster dilapidé par les blessures. Idée brillante. Deux semaines plus tard, un de ses biceps jette l’éponge et Ziggy est envoyé sur la réserve des blessés jusqu’à la fin d’une saison maudite pour les chercheurs d’or. Pour Ansah, une sale impression de déjà-vu. L’impression aussi d’une carrière qui s’essouffle irrémédiablement. Incapable de refaire le plein d’oxygène. Le Lion d’Accra n’a plus rugi depuis bien longtemps.

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