[Statistiques avancées] La défense gagne-t-elle des titres ?

Ce n'est pas parce qu'on répète tout le temps la même chose que c'est forcément vrai.

L’attaque fait lever les foules, la défense fait gagner des titres.

Existe-t-il une phrase plus iconique dans le sport américain que cette maxime du légendaire entraîneur d’Alabama Bear Bryant ? Véritable poncif que tout supporter a fini par intégrer à force de broadcast du dimanche soir et de talk-show spécialisés, cette phrase résonne comme une vérité biblique sans jamais être remise en cause.

Les Bears de 85, les Ravens 2000 et Buccaneers 2002 ou plus récemment les Broncos 2015 ont perpetué le mythe.

Mais voilà, la saison passée la meilleure attaque (Ravens) et la meilleure défense de la ligue (Patriots), qui sortaient toutes deux de saisons historiques sur le plan statistique ont été éliminées dès leur premier match. Puis, dans la suite de la compétition, la 2e meilleure attaque de la ligue a battu la 2e défense lors du Super Bowl (ces deux escouades auraient pu aisément prétendre à la première place sans les performances historiquement remarquables des hommes de John Harbaugh et Bill Belichick).

Erreur de parcours ou plutôt continuité d’une nouvelle vérité qui s’impose en NFL ? On plonge dans le monde des statistiques pour déceler le vrai du faux.

Introduction aux EPA (Expected Points Added)

Dans cette étude la statistique principale utilisée sera les EPA/play. Cette mesure n’étant pas toujours très bien comprise, il est nécessaire de revenir sur son fonctionnement.
Les EPA reposent sur un postulat très simple : tous les yards ne sont pas égaux. Entre une course de 5 yards sur un 3rd down & 10 et une course de 2 yards sur un 3rd down & 1, l’une des deux est beaucoup plus importante que l’autre car elle permet à l’attaque de continuer sa série. Pourtant cela ne se retranscrit pas au niveau des Yards où l’avantage sera donné à la course la plus longue.

En fait, les EP (Expected Points) attribuent à chaque situation de jeu, la probabilité de marquer des points sur le jeu suivant. Une situation est définie par le down, la distance avant le first down, la distance à la ligne d’en-but, le temps restant etc.… Cette probabilité est calculée selon l’issue de l’ensemble des jeux qui ont eu lieu dans la même situation les années précédentes. Par exemple, en 1st down sur les 5 yards adverses, la valeur attribuée à cette situation est proche de 6 car la plupart des équipes marquent un touchdown sur l’action qui suit. Inversement une équipe qui est collée à sa propre ligne d’en-but a une valeur d’Expected Points négative car cette situation aboutit très rarement sur des points pour l’attaque et profite généralement à la défense avec un risque de Safety.

Une fois que l’on a compris ça, les EPA sont juste la différence entre deux situations. Si on prend l’exemple classique d’une équipe en first down sur ses 20 yards, cette situation a une valeur d’EP attribuée (appelons là EP1). L’équipe se retrouve ensuite en 2nd&5 sur ses 25 après une course de 5 yards. Cette situation a elle aussi une valeur d’EP attitrée (appelons là EP2). La valeur ajoutée de cette course est donc la différence des deux situations EPA= EP2-EP1.

En faisant cela, on redonne à chaque jeu une valeur plus juste que seulement le total de yards. En ramenant le total d’EPA générés sur un match au nombre de jeux on a une idée très précise de l’efficacité d’une escouade. Si vous avez du mal avec cette notion, il faut vraiment la voir comme une statistique d’efficacité.

Etude Statistique

Maintenant que la mesure est définie, l’étude peut commencer.

Déjà que veut dire “La défense gagne des titres” : Les meilleures défenses gagnent-elles toujours ? En playoffs la défense est plus importante que l’attaque ? Ce n’est pas vraiment clair donc on va essayer de répondre à toutes ces questions.

Pour commencer, regardons les Super Bowl des 20 dernières années et les classements des escouades offensives (Rank O) et défensives (Rank D) de chaque participant (classement en EPA/play sur la saison régulière).

Premier fait notable, sur les 8 affrontements qui ont opposé une attaque top 5 à une défense top 5, on ne distingue aucune tendance car les victoires sont de 4 de chaque côté. Certes il est parfois difficile d’attribuer la victoire finale à l’attaque comme en 2006 où c’est clairement la défense d’Indianapolis qui fait la majorité du boulot lors du Super Bowl, mais en tous les cas il n’existe pas, au premier abord, de consensus évident en faveur de la défense. De manière générale sur l’ensemble des matchs de play-off depuis 20 ans, il y a eu 53 matchs opposant des attaques et défenses top 5 aboutissant sur un léger avantage à la défense : 29 à 24. Pour les affrontements de la meilleure attaque de la ligue contre la meilleure défense, il n’y en a eu que 4 pour un bilan équilibré de 2 victoires partout.

Sur ces premières données deux périodes distinctes se dessinent. Avant 2009, 5 des 10 Super Bowls sont remportés par une équipe dont l’attaque est hors du top 15, ce qui n’arrive qu’une fois entre 2009 et 2019 avec les Broncos. On va se servir de cette démarcation pour séparer en deux périodes ces 20 années dans la suite de l’étude, de 1999 à 2008 et de 2009 à 2019.

Résultat également étonnant, il y a un meilleur rang moyen chez les attaques qui ont perdu le Super Bowl que chez celles qui l’ont gagné. Ce qui a sans doute aidé à perpétuer dans l’imaginaire collectif l’image de l’attaque chutant sur la plus haute marche de la compétition. Mais il semble que la tendance se soit inversée entre les deux décennies avec une progression du rang moyen des attaques présentes en finale et au contraire une régression du niveau des défenses.

Cette méthode est intéressante mais n’est pas complète. On ne s’intéresse qu’aux équipes qui gagnent le Super Bowl, ce qui donne un échantillon trop petit pour tirer des conclusions car il suffit d’une exception sur un match pour changer tous les résultats. On va donc élargir notre champ d’étude à l’ensemble des matchs de playoffs des 20 dernières années.
On va tout d’abord regarder comment les performances en saison régulière influent sur la probabilité de gagner en playoffs.
En étudiant la corrélation entre le nombre de victoires en postseason pour une équipe d’une saison donnée avec ses performances offensives et défensives en saison régulière (SR), on peut avoir une idée de comment l’un influence l’autre. Pour celles et ceux qui ne sont pas familiers avec le monde des statistiques, le coefficient de corrélation est un chiffre compris entre –1 et 1. Plus ce coefficient est éloigné de zéro, plus il indique une forte corrélation entre les deux données (attention corrélation n’est pas causalité).

On remarque donc qu’il y a eu un changement de paradigme au cours du siècle.

Avant 2008 avoir une bonne défense garantissait une certaine réussite en PO, alors que l’attaque influait peu. Aujourd’hui la tendance semble s’inverser peu à peu.
Etant donné que les corrélations sont assez faibles, il est difficile de conclure. A se baser seulement sur la saison régulière on risque d’oublier les équipes qui se métamorphosent totalement une fois en Play off, comme par exemple les Colts de 2006. Attaque éclair et défense famélique pendant 16 semaines, le retour de Bob Sanders métamorphose l’escouade défensive qui comprend enfin comment contrer la course et se met à accumuler les turnovers. En saison elle concède 0,068 EPA/Play la plaçant 31e alors qu’elle en concédera seulement -0,268 par jeu pendant les playoffs, total ahurissant supérieur aux épopées de défenses modernes comme la Legion of Boom 2013 ou le Orange Crush 2015. De l’autre côté du terrain après une saison incroyable, l’attaque des Colts menée par Peyton Manning se met à caler face à 3 des 4 meilleures défenses de la ligue.

Pour prendre en compte cela on va donc regarder quel facteur influence le plus les victoires en play-off en regardant directement les performances durant les matchs éliminatoires. Fini les exploits de l’automne, ce qui compte c’est être bon quand l’hiver arrive.

Premier constat : on commence à avoir des corrélations beaucoup plus marquées. La plus haute étant celle de l’attaque dans notre période actuelle avec une corrélation de presque 0,5, cela conforte l’idée que les défenses n’ont peut-être plus la même influence qu’avant sur la finalité d’une saison.

On entend aussi souvent que les playoffs sont différents de la saison régulière, c’est donc intéressant de comparer ce tableau de corrélation avec celui comparant le lien entre performance et victoires en saison régulière.

La période de 1999-2008 faisait donc presque autant la part belle aux attaques pendant la saison régulière que dans notre période actuelle, mais leur impact une fois arrivées en playoffs était plus négligeable. La différence d’ordre de grandeur des corrélations entre la saison régulière et les playoffs s’explique une nouvelle fois par la taille des échantillons. Alors que l‘on retrouve plus de 5000 matchs de saison sur 20 ans, on ne trouve que 220 affrontements en janvier. Sur un gros échantillon les exceptions tendent à s’équilibrer et donc aident à dessiner une tendance claire (si tendance il y a).

Le fait que les attaques ne déjouent pas spécialement en Play-off peut être confirmé en regardant la variation moyenne des performances de chaque équipe en play-off par rapport à leur saison régulière.

Sur la période actuelle les attaques perdent un peu moins de 0,05 EPA/Play en arrivant dans les séries éliminatoires alors que la défense connaît une chute plus conséquente en moyenne.

Les attaques semblent prendre de plus en plus de place mais on peut aller un peu plus loin. Il est intéressant de se demander s’il vaut mieux avoir une bonne attaque et une mauvaise défense ou l’inverse.

De façon totalement arbitraire on peut définir une bonne escouade comme étant top 10 et une mauvaise comme étant en dehors du top 15. Pour les bonnes attaques et mauvaises défenses, on retrouve 62 occurrences, dont 8 vont au Super Bowls et 4 le gagnent. Pour les bonnes défenses on en trouve un peu moins, seulement 46 situations, 8 vont aussi au Super Bowl mais 6 le gagnent ! De plus,une équipe dans cette situation gagnera en moyenne presque assurément au moins un match de playoffs contre 0,89 pour une équipe dans la situation inverse. C’est quelque chose que l’on peut constater sur les profils d’équipes arrivant au Super Bowl, il semble pour l’instant qu’une équipe ayant une bonne défense portant une mauvaise attaque ait plus de chance d’aller au bout que le profil inverse.

Conclusion

Que disent les statistiques ? On ne peut jamais se fier à 100% aux coefficients de corrélation mais il semble qu’il n’existe pas de consensus évident pour la défense. Au contraire, la dynamique actuelle semble même en faveur des attaques. Dynamique poussée par l’accumulation des règles visant à faciliter le développement des attaques.

Est-ce que cela veut dire qu’une défense ne peut pas amener un titre à son équipe dans les années à venir ? Non pas du tout, mais par contre il sera peut-être plus difficile de le faire sans une attaque compétente. Ce qui différencie l’attaque de la défense aujourd’hui est leur stabilité dans le temps. Alors qu’une attaque vit et meurt selon l’envie de son Quarterback, une défense a besoin de ses 11 joueurs au même niveau. Et cela d’autant plus quand il faut défendre la passe. La blessure d’un joueur défensif est cause de plus de variation pour son escouade que celle d’un joueur offensif (hors quarterback), ce qui rend plus difficile et plus incertaine la création d’une grande défense. Mais le plus facile pour gagner un titre reste encore d’être bon des deux côtés du terrain.

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