[histoire] « The Wrong Way Run » de Jim Marshall

Il est des jeux dont on se souvient pour leur beauté, leur dramaturgie, leur tension. Il en est d’autres que l’on retient pour leur folie, leur laideur, leur côté insensé....

Il est des jeux dont on se souvient pour leur beauté, leur dramaturgie, leur tension. Il en est d’autres que l’on retient pour leur folie, leur laideur, leur côté insensé.

Si les actions loufoques arrivent fréquemment dans la NFL, il est plus rare qu’elles impliquent de véritables stars, des joueurs connus pour leur science du jeu, leurs qualités athlétiques hors du commun. Jim Marshall est la preuve vivante qu’être l’un des meilleurs joueurs à son poste n’immunise pas contre les bourdes.

L’histoire de quatre chasseurs de quarterbacks venus du Nord

Années 1970. Les « Purple People Eaters » hantent les nuits de tous les quarterbacks de la ligue. Ligne défensive redoutable formée des futures Hall of Famers Carl Eller et Alan Page ainsi que de Jim Marshall et Gary Larsen, les quatre hommes ont assuré leur postérité au même titre que le célèbre « Fearsome Foursome » des Los Angeles Rams dans les 60’s, le « Steel Curtain » des Pittsburgh Steelers version 70’s et le « New York Sack Exchange » des New York Jets une décennie plus tard.

Les "Purple People Eaters" : Jim Marshall (70), Carl Eller (81), Alan Page (88) et Gary Larsen (77)

Les « Purple People Eaters » : Jim Marshall, Carl Eller, Alan Page et Gary Larsen (de gauche à droite)

Pendant près de dix ans, la défense des Vikings devient le cauchemar de toutes les attaques de la ligue : le moins de yards concédés, le moins de points accordés. Un enfer pour les coordinateurs offensifs. A la tête de cette escouade défensive, une ligne, véritable machine à plaquer les quarterbacks, qui comptabilisera à elle seule 50 sacks en 1969. Au cœur de l’époque dorée de la franchise, emmenés par Fran Tarkenton en attaque, les « Purple People Eaters » connaîtront l’excitation du Super Bowl à trois reprises (1973, 1974 et 1976), avec à chaque fois la même issue malheureuse. Une défaite. Summum de la consécration de cette défense de fer, le titre de MVP d’Alan Page en 1971, un cas unique dans l’histoire de la NFL pour un joueur de ligne.

Seulement, pour Jim Marshall, premier membre de cette ligne de légende à avoir rejoint la toute nouvelle franchise des Vikings en 1961, cette période dorée n’était qu’un nouveau chapitre d’une histoire déjà entamée quelques années plus tôt. Injustement ignoré par le Hall of Fame selon de nombreux observateurs, le defensive end était déjà entré dans les annales de la NFL en 1964, dans des circonstances dont il se serait certainement passé.

L’histoire d’une gaffe

25 octobre 1964. Les Vikings affrontent les San Francisco 49ers au Kezar Stadium. En cette première moitié de saison, les deux équipes ne brillent pas vraiment. Après six semaines, la franchise du Minnesota affiche un bilan mitigé de 3-3 alors que les Californiens ne sont que 2-4. Dans une rencontre accrochée, les Violets et Or parviennent enfin à faire la différence. Fran Tarkenton et ses jambes de feu y vont de leur touchdown, avant que Jim Marshall ne provoque un fumble sur un sack et que Carl Eller, autre éminent membre de ce qui deviendra quelques années plus tard le « Purple Gang », retourne sur 45 yards jusque dans la endzone. Les Vikings sont devant 27-17.

Le numéro 70 de Jim Marshall a été retiré par la franchise

Le numéro 70 de Jim Marshall a été retiré par la franchise

Mais Jim Marshall n’a pas fini de se faire remarquer dans cette rencontre. Seulement les choses vont prendre un tour pour le moins inattendu et qui fera à tout jamais entrer le joueur dans l’histoire de la ligue. Repositionné en coureur, le quarterback Billy Kilmer réceptionne une passe de George Mira. Pris en sandwich par plusieurs défenseurs, il laisse échapper le ballon. Jim Marshall se précipite sur le cuir, s’en empare et part à toutes enjambées… Dans la même direction. Au terme d’une cavalcade de 66 yards vers son propre en-but, le défenseur, croyant avoir marqué un touchdown jette le ballon en l’air de joie. Le cuir file en ballon mort. Jim Marshall vient d’offrir deux points aux 49ers, probablement les plus faciles de l’histoire de la franchise.

Malgré les cris de joie hystériques des fans Californiens et les aboiements de Fran Tarkenton sur le bord tu terrain, Jim Marshall ne réalise son erreur qu’une fois dans la endzone, après s’être débarrassé du ballon. Lancé à sa poursuite le centre des 49ers Bruce Bosley est le premier à rejoindre Marshall et ne manque pas de le remercier, non sans sarcasme, pour l’offrande qu’il vient d’accorder. Le defensive end peine à réaliser sa bourde, dans le feu de l’action il a totalement perdu ses repères :

« J’ai dit ‘merci beaucoup’ à Jim » raconte Bosley dans The Football Hall of Shame 2. « Il m’a regardé comme si j’étais tombé sur la tête et a fait ‘hein?’. Puis il a regardé vers les tribunes et sur les lignes de côté avec un air bizarre. Je ne pense pas qu’il ait réalisé ce qui venait vraiment de se passer avant d’avoir marché une vingtaine de mètres. »

Fran Tarkenton se précipite vers Marshall, complètement déboussolé, et lui crie : « Jim, tu t’es trompé de côté! ». Mais il est trop tard, le mal est fait. Jim Marshall vient de s’assurer une place éternelle dans le grand bêtisier de la NFL.

« J’ai ramassé le ballon et je suis parti en courant » racontera plus tard le joueur à Sport Illustrated. « Tout le monde s’agitait et criait, mais je pensais qu’ils étaient en train de me féliciter. Ce qui m’a fait dire que quelque chose clochait, c’est le bruit. Je n’avais jamais entendu une foule réagir de la sorte. »

L’histoire se termine finalement bien pour Jim Marshall. Les Vikings l’emportent tout de même 27-22 face à San Francisco et achèvent l’année avec un bilan de 8-5-1, la première saison positive pour la jeune franchise. La suite on la connaît. Les « Purple People Eaters », quatre apparitions au Super Bowl (1969, 1973, 1974 et 1976), deux invitations au Pro Bowl (1968 et 1969), le numéro 70 retiré et quelques records de longévité à la clé. Cependant, sa longue et brillante carrière restera à jamais dans l’ombre de cette énorme gaffe. Une bourde qui vaut à Marshall le privilège de détenir, et probablement pour longtemps encore, le record du jeu le plus court de l’histoire de la ligue avec -66 yards…

Quelques précédents

Si « The Wrong Way Run » reste collé à la peau de Jim Marshall, il n’est pourtant pas le premier ni le dernier à avoir réalisé pareil exploit. En 1936, le Redskin Andy Farkas avait offert deux points aux Detroit Lions en se trompant lui aussi de côté. En 1947, c’est le guard des Brooklyn Dodgers, Harry Buffington, qui se mit en évidence en parcourant 30 yards dans la mauvaise direction avant de se rendre compte de son erreur. Trop tard malheureusement pour lui, violemment percuté il laissa échapper le ballon devant sa endzone et offrit six points faciles aux Baltimore Colts. Roy Riegels, célèbre malgré lui pour avoir réalisé pareil exploit lors du Rose Bowl de 1929 envoya une lettre à Jim Marshall pour lui souhaiter « bienvenue au club ».

Anecdotes sur Jim Marshall :

– Lorsqu’il prit sa retraite en 1979, Jim Marshall détenait le record de longévité avec 282 matchs consécutifs (record battu par le punter Jeff Feagles avec 352 matchs)

– Jim Marshall est le troisième joueur à avoir disputé le plus de matchs dans la ligue (301), derrière les inoxydables Brett Favre (323) et Jeff Feagles (363)

– Jim Marshall détient le record du nombre de fumbles recouverts en carrière : 30

« The Wrong Way Run » c’est ça :

 

Mais Jim Marshall, c’est aussi ça :

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